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VOYER D’ARGENSON, PIERRE DE, chevalier, seigneur de Chastre et vicomte de Mouzay, gouverneur de la Nouvelle-France de 1658 à 1661, baptisé le 19 novembre 1625, décédé probablement en 1709 près de Mouzay en Touraine.
Sa famille formait la branche cadette des Voyer de Paulmy et d’Argenson et faisait remonter sa noblesse à des temps immémoriaux. La valeur d’un aïeul avait rapporté la vicomté en 1569, et bien des appuis à la cour. René, le père du futur gouverneur de la Nouvelle-France, fit une brillante carrière : il succéda à Cinq-Mars comme grand bailli de Touraine, remplit des missions délicates en province et dans l’organisation des armées pour le compte de Richelieu et fut nommé ambassadeur à Venise par Mazarin.
La bonne fortune paternelle ouvrit les voies du succès aux enfants : Marc, l’aîné, occupa successivement, et jusqu’à sa disgrâce en 1655 les fonctions abandonnées par son père, et le cadet devint lieutenant de police. Comme deuxième fils, Pierre était destiné au clergé, mais il abandonna rapidement cette orientation, devint bailli de Touraine dès 1643, enseigne dans les gardes du roi en 1650, puis conseiller d’État. L’amitié du président Lamoignon lui valut le poste de gouverneur le la Nouvelle-France à 32 ans, par commission du 27 janvier 1657.
On ne sait pas s’il voulait s’éloigner temporairement de la cour par suite de la disgrâce de son frère ou soigner ses infirmités, mais il venait au Canada avec l’espoir de se reposer. La colonie traversait cependant les heures les plus sombres de son histoire : le commerce du castor se soldait par un endettement croissant des habitants ; les Iroquois y dirigeaient de sanglantes incursions et menaçaient son existence même ; enfin le problème de la nomination d’une autorité ecclésiastique laissait prévoir des difficultés.
Arrivé à Québec le 11 juillet 1658, le nouveau gouverneur fut reçu avec de grandes manifestations, au bruit des canons et des fusils. Dès le lendemain, toutefois, l’attaque d’une bande d’Iroquois lui apprit que ces armes servaient plus souvent à d’autres fins qu’au spectacle. Voyer d’Argenson dut affronter les hostilités iroquoises durant toute la durée de son séjour ; il s’en tira assez bien, en utilisant au mieux les minces ressources mises à sa disposition, à tel point que : « Tout le monde se croioit quasi perdu, si Monsieur le Vicomte d’Argençon nostre Gouverneur n’eust rassuré les esprits par son courage, & par sa sage conduite, mettant tous les postes de Québec en si bon ordre qu’on y souhaittoit plustost l’Iroquois que de l’y craindre ». Il manifesta son courage et son audace en attaquant et poursuivant les bandes ennemies ; il fit preuve de prudence, sur le plan militaire par l’application de mesures de surveillance et l’accélération des moyens d’intervention, et sur le plan diplomatique par l’adoption d’une politique basée sur la fermeté et la méfiance.
À l’époque de Dollard* Des Ormeaux, flatterie, vantardise, arrogance et tricherie semblaient de bons moyens pour protéger la colonie de la menace iroquoise. Ainsi Voyer d’Argenson, comme les autres gouverneurs, n’accusait pas ses interlocuteurs iroquois de faire la guerre, mais jetait la faute sur quelque neveu inconscient et indiscipliné. Ses faibles ressources militaires ne l’empêchaient pas d’affirmer qu’il était venu de France pour faire la paix, par la douceur si possible, par la rigueur et la force si nécessaire. Il échangea des captifs avec les Iroquois mais, en dépit des promesses et des nombreuses sollicitations, il retint toujours quelques prisonniers en otage. Et même, à l’été de 1660, il emprisonna une quinzaine d’Indiens venus parlementer, « les regardant plustot comme des espions, que comme des Ambassadeurs, [...] il crut que Dieu les luy mettoit entre les mains, pour en tirer deux avantages : le premier, de pouvoir faire la recolte, avec quelque assurance le second de delivrer nos François captifs ».
La précarité de la situation en Nouvelle-France n’incita pourtant pas Voyer d’Argenson à demander l’intervention des armées françaises pour régler le problème iroquois : il désirait plutôt des agriculteurs ; selon lui, la colonie ne pouvait pas entretenir un grand nombre de soldats, tandis que le défrichement des terres aux abords des faubourgs et l’accroissement des cultures feraient reculer un ennemi qui recherchait la sécurité de la forêt, consolideraient la position de la colonie et contribueraient, en partie du moins, à régler un épineux problème économique.
Trois mois après son arrivée au Canada, il écrivait : « après vous avoir parlé de la guerre suit un autre fléau aussy dangereux que celuy là qui est la pauvreté [...] qui procède en partie de l’avalissement de la traicte que les habitants ont réduict à un tel point qu’à peine recoivent-ils des sauvages le prix de leurs marchandises et c’est un désordre auquel il faut absolument remédier ». Les marchands pour leur part avaient perdu beaucoup de leur intérêt pour ce commerce à cause de la baisse de la valeur du castor en France. Il fallait une intervention rigoureuse et un plan nouveau pour relancer l’économie.
Argenson s’opposa à la demi-mesure préconisée par l’arrêt du roi de 1657 et proposa l’établissement d’un contrôle complet du commerce des pelleteries pour renflouer l’économie de la colonie. Il suggéra d’enlever la liberté de traite accordée aux habitants et de confier le monopole du commerce à une seule compagnie de marchands. Ces mesures supprimeraient ainsi les grands désavantages de la concurrence entre les habitants ; la communauté réaliserait des profits, à répartir selon les montants engagés par chacun dans les marchandises traitées par le magasin, et pourrait payer ses dettes ; les marchands, jouissant d’un monopole, craindraient moins d’investir et de n’être payés qu’après la vente des fourrures.
Mais la Compagnie des Cent-Associés fit plutôt vérifier les comptes de la Communauté des Habitants et en profita pour limiter le pouvoir judiciaire du gouverneur. Incapable de payer ses dettes, la communauté déclara faillite et confia la traite à une société particulière.
Une autre question financière, d’une importance infime cependant, semble avoir constitué l’amorce d’un conflit d’envergure entre les autorités civiles et religieuses et surtout entre le gouverneur et Mgr de Laval. Le sachant prévenu contre eux, les Jésuites avaient fait à Voyer d’Argenson une réception officielle des plus flatteuses. Mais un litige sur certains droits de pêche les opposa et l’évêque, appuyant ses fidèles supporteurs, engendra un véritable conflit où chacun se porta publiquement des coups bas. L’évêque attaqua l’administrateur dans ses honneurs et son prestige en le faisant encenser par le thuriféraire au lieu du diacre et après tout le chœur ; il profita ensuite de l’absence du gouverneur à une assemblée des marguilliers pour le faire démettre de sa fonction de marguillier honoraire. Ulcéré, Voyer d’Argenson oublia toute l’humilité dont il faisait preuve en servant les malades de l’hôpital et « plusieurs paroles se dirent peu respectueuses envers le prélat ». Le gouverneur crut avoir sa revanche lors de la Fête-Dieu : il permit aux soldats de rester debout et coiffés devant le Saint-Sacrement, mais l’évêque ne s’arrêta pas au reposoir.
Cette tension indisposa bien des gens qui préférèrent abandonner des coutumes, par crainte de s’aliéner l’une des deux autorités qui aurait pu se croire insultée ou reléguée au second rang. Il fallut même suspendre les processions à cause des querelles de préséance.
L’opposition entre Laval et Voyer d’Argenson ne porta pas sur le mode d’établissement ou de développement de la colonie, car Voyer favorisait la culture de la terre bien plus que le commerce et s’efforçait de faire respecter les valeurs morales chrétiennes dans la colonie. Ainsi, il retourna en France une fille enceinte et condamna celui qui l’avait envoyée à 150# d’amende pour empêcher que la chose ne se répète. L’opposition des deux hommes semble donc avoir été bien plus une question de personnalité et de partage des pouvoirs que d’idéologie. Voyer accusait d’ailleurs Laval de vouloir étendre son autorité à des domaines qui ne le concernaient pas.
Si Voyer d’Argenson avait été heureux de sa nomination au Canada, il déchanta vite ; trois mois seulement après son arrivée, il songeait au retour et espérait que son mandat de trois ans ne serait pas renouvelé. En 1661, tirant prétexte de ses infirmités, il demanda son retour. Marie de l’Incarnation [Guyart*] ajoutait que l’absence de secours de la France, les plaintes formulées à son égard et les querelles suscitées par les premières puissances du pays l’avaient incité à quitter son gouvernement. Charles Aubert de La Chesnaye prétendit plus tard que l’évêque avait exigé du président Lamoignon le rappel du gouverneur. Quoi qu’il en soit, d’Argenson devait être heureux de partir, d’autant plus qu’il ne laissait pas d’amis.
De retour en France, il semble avoir suivi les traces de son père dans son activité sur les champs de bataille. En 1709, toujours célibataire, il fit son testament et demanda d’être inhumé à Mouzay.
S’il ne sut pas s’attacher les personnages importants de la colonie lors de son séjour en Nouvelle-France, on ne peut pas toutefois lui attribuer l’entière responsabilité ni même l’origine des conflits avec l’évêque. Par ailleurs, il a vu les problèmes et les entraves au développement du Canada et a tenté d’y apporter une solution, utopique peut-être quant à l’espoir de résultats immédiats, mais étape essentielle en vue de plus grandes réalisations. En somme, la situation de la colonie et le maigre appui reçu de la France ne lui permirent pas de faire plus.
AQ, Manuscrits relatifs à l’histoire de la N.-F., 2e série, I.— Édits ord., III : 20.— Marie Guyart de l’Incarnation, Lettres (Richaudeau).— JR (Thwaites), XLIV, XLV, XLVI.— Lettres inédites du gouverneur d’Argenson, BRH, XXVII (1921) : 298–309, 328–339.— [Faillon], Histoire de la Colonie française, II.— Lanctot, Histoire du Canada, I.— Francis Parkman, The Old Regime in Canada (Toronto, 1893).— L’arrivée du gouverneur d’Argenson à Québec, BRH, XXXV (1929) : 678–680.— Berneval, Les filles venues au Canada de 1658 à 1661, BRH, XLVII (1941) : 97–115.— La chapelle des Jésuites à Tadoussac, BRH, XXXI (1925) : 481.— Réception de M. le gouverneur d’Argenson chez les Jésuites, RC, LXXVI (1918) :401.— Robert de Roquebrune, La noblesse de France, BRH, LVII (1951) :101–114.— P.-G. Roy, La famille Rouer de Villeray, BRH, XXVI (1920) : 33–52 ; La réception de Mgr le vicomte d’Argenson, BRH, XXXVI (1930) : 219–220 ; Les familles de nos gouverneurs français, BRH, XXVI (1920) : 257–274 ; Québec au printemps de 1660, BRH, XXXI (1925) : 33–39.
Jacques Mathieu, « VOYER D’ARGENSON, PIERRE DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/voyer_d_argenson_pierre_de_2F.html.
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Auteur de l'article: | Jacques Mathieu |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |