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DUBOIS DAVAUGOUR, PIERRE, baron, gouverneur de la Nouvelle-France de 1661 à 1663 (le dernier à servir sous l’autorité de la Compagnie des Cent-Associés), mort en combattant contre les Turcs à Serinvans-Zrin, à la frontière de la Croatie, le 24 juillet 1664.
Davaugour, dont la famille pouvait faire remonter son ascendance jusqu’à une branche cadette des comtes de Bretagne, avait passé une quarantaine d’années dans l’armée avant sa nomination au Canada. Cela voudrait dire qu’il avait largement dépassé la cinquantaine quand il vint au pays. Pendant la guerre de Trente Ans en Allemagne, il servit avec distinction en qualité de colonel de la cavalerie française ; aux derniers stades de cette guerre, il était attaché aux troupes suédoises alliées de la France. En 1646, il était officier de liaison du grand général français Turenne auprès du commandant des armées suédoises en Allemagne, afin de coordonner les plans des forces alliées en vue des campagnes subséquentes en Rhénanie contre les armées du Saint Empire romain germanique. Par la suite, il servit en qualité de résident, ou agent, de Louis XIII en Allemagne, puis il fut affecté aux armées françaises de Flandre pour surveiller l’application du traité de Westphalie qui mettait fin à la guerre entre la France et ses alliés d’un côté, et l’empereur de l’autre. En 1658, il était envoyé en mission diplomatique en Suède, puis, en 1661, sur la recommandation de la reine, il était nommé gouverneur de la Nouvelle-France pour un mandat de trois ans, en remplacement de Voyer* d’Argenson.
De caractère, il était sans détours, peu porté au compromis, parfois enclin à juger hâtivement et prompt à s’irriter de tout désaccord avec les idées qu’il exprimait. Il prenait ses décisions très vite, parfois sans réflexion suffisante, et il lui répugnait de rapporter un ordre une fois donné, même s’il devait avoir des conséquences manifestement déplorables. En 1661, Colbert parlait de son « caractère bizarre et plutôt intraitable ». Mais c’était là presque les traits distinctifs du soldat et aristocrate français de l’époque.
Pourtant, M. Davaugour possédait un don éminent, à savoir l’imagination. Dès son arrivée en Nouvelle-France le 31 août 1661, il comprit les grandes possibilités du pays et il écrivit plus tard : « J’avois cru comme tout le reste des hommes que le Canada estoit un peis aussy sauvage qu’abandonné [...] Et pour rendre tesmoignaje à la vérité, rien dans le monde ne ma paru sy beau que le fleuve de sain loren, sy commode à la vie, sy abondant pour le commerse, et sy avantajeux pour establir les fleurs de lis ». Mais, avant que pût commencer à se réaliser une telle vision de grandeur future, la colonie devait être délivrée des attaques répétées des Iroquois. Depuis les jours de Champlain, les sauvages guerriers des Cinq-Nations iroquoises menaient une guerre intermittente d’embûches et d’attaques par surprise contre les colons français pour tenter de leur enlever le commerce des fourrures de l’Ouest. Non seulement ces attaques infligeaient de lourdes pertes aux Français, mais elles empêchaient l’exploitation des ressources de la colonie ; les champs restaient en friche et on ne pouvait mettre les bestiaux au pâturage. Davaugour, animé du mépris du soldat européen à l’égard de la guerre irrégulière, estimait qu’il suffirait de quelques centaines d’hommes de troupes régulières pour dompter rapidement les Iroquois, mais il reconnaissait que la colonie ne pouvait supporter les frais d’entretien d’un tel corps de troupes. De fait, les 100 soldats qu’il avait amenés de France constituaient un fardeau trop lourd pour la colonie et, dans une lettre au Grand Condé, en date du 13 octobre 1661, il déclarait sans ambages : « Si, connaissant tout cela, le roi laisse faire les gens du pays et ne m’envoie pas mon pain et celui des cent soldats que j’ai amenés avec moi, j’aurai l’honneur d’en dire davantage sur ce sujet à Votre Altesse l’an prochain, si Dieu le permet. Et, à mon avis, j’aimerais mieux voler l’autel que leur imposer un fardeau qu’ils ne peuvent encore supporter. » Pour exposer son point de vue, il envoya en France Pierre Boucher*, habitant de la colonie de longue date et gouverneur de Trois-Rivières. Le choix de Boucher pour cette mission se révéla excellent. Il revint l’année suivante avec 200 colons, 100 soldats et la promesse d’une aide bien plus considérable dans un avenir très proche.
Dans le même temps, en plus d’éclairer le Conseil d’État de Louis XIV sur ce qui pouvait et devait s’accomplir pour la mise en valeur du. Canada, M. Davaugour s’occupait de problèmes plus immédiats. Après avoir visité les établissements lointains de la colonie, il rentra à Québec et nomma le supérieur des Jésuites au Conseil, pour la raison que ces derniers étaient ceux qui avaient le plus contribué au bien du pays. Par ailleurs, il négligea de façon manifeste d’inviter Mgr de Laval* à siéger au conseil. Cependant, il appuyait l’évêque et les Jésuites dans leurs efforts énergiques pour interdire la vente de l’eau-de-vie aux Indiens. Leur opposition à ce commerce provenait de ce que les Indiens ne buvaient que pour s’enivrer. Ceux-ci croyaient que l’alcool les transportait dans le monde étrange de leurs dieux primitifs auxquels l’ivresse avait pour effet de les identifier. Mais, n’ayant pas les inhibitions des Européens, un trop grand nombre d’entre eux perdaient complètement leur sang-froid quand ils étaient ivres et commettaient alors des crimes horribles, dont ils rejetaient ensuite toute responsabilité. Certains d’entre eux étaient avides d’alcool au point d’échanger toutes leurs fourrures pour un pot ou deux d’eau-de-vie. Les moins scrupuleux parmi les trafiquants français y trouvaient une excellente occasion de réaliser de grands bénéfices. Mais le clergé était épouvanté des effets que l’alcool produisait chez les Indiens et, en 1660, Mgr de Laval déclara du haut de la chaire que quiconque vendrait de l’alcool aux Indiens serait excommunié ipso facto. L’année suivante, en septembre, M. Davaugour renforça l’injonction du clergé en faisant un édit pour interdire la vente de l’eau-de-vie aux Indiens sous Peine des sanctions les plus sévères. Pour bien marquer ses intentions, le mois suivant, deux hommes, convaincus d’avoir contrevenu à l’édit, étaient fusillés [V. Vuil] et un troisième, fouetté sur la place publique à Québec. Ces peines rigoureuses eurent un effet très salutaire.
En janvier 1662, une femme de Québec fut prise en flagrant délit de contravention à l’édit, puis emprisonnée sur l’ordre du gouverneur. Sa famille et ses amis demandèrent avec instance au père Jérôme Lalemant d’intercéder en sa faveur. Il se rendit à ces prières, et, ce faisant, indisposa M. Davaugour. Le gouverneur, habitué à la rude discipline de l’armée, ne pouvait souffrir la moindre exception à ses ordres. Il craignait qu’il n’en résultât un mépris général de l’édit et, en conséquence, une diminution du respect dû à la loi et à l’autorité dans la colonie. Il informa brusquement le père Lalemant que, si la vente d’eau-de-vie aux Indiens n’était pas un crime pour la femme en cause, à l’avenir ce ne serait un crime pour personne. Il accusa les Jésuites d’illogisme, parce qu’ils voulaient sauver cette femme tout en s’opposant en principe au commerce de l’eau-de-vie. Cela dit, il refusa de revenir sur sa décision et il signa immédiatement un autre édit pour mettre fin aux restrictions du commerce de l’alcool.
Quand parvinrent à l’évêque de nouveaux récits d’excès de violence commis par les Indiens, il renouvela son décret d’excommunication. Il s’ensuivit que le clergé interdisait ce que l’autorité séculière avait expressément permis. Les relations entre Mgr de Laval et les Jésuites d’un côté, et M. Davaugour de l’autre, devinrent vraiment très tendues. Quiconque appuyait l’attitude du clergé ressentait le courroux du gouverneur. Mgr de Laval décida alors d’aller en France pour demander à la cour de trouver quelque moyen pour mettre fin aux désordres que causait la traite de l’eau-de-vie.
Pendant ce temps, le gouverneur de Montréal, Paul de Chomedey de Maisonneuve, publiait de son côté un édit qui interdisait la vente de l’eau de-vie aux Indiens après qu’un Indien ivre eut abattu un habitant de la ville au seuil même de sa maison. Irrité de ce geste de Maisonneuve, M. Davaugour s’efforça de miner son autorité. Il voulut aussi imposer un droit de 10 p. 100 sur les marchandises importées par les seigneurs de Montréal, ainsi que des restrictions aux marchands de cette ville. Lorsque Maisonneuve se rendit à Québec avec Jacques Le Ber*, un des principaux marchands de Montréal, avec l’intention de s’embarquer pour la France, M. Davaugour lui interdit de quitter la colonie, fit arrêter Le Ber et ordonna de saisir ses marchandises en l’accusant d’avoir fomenté la sédition à Montréal.
Ces actes extravagants et autoritaires procuraient aux ennemis de M. Davaugour des armes contre lui. Des lettres de plaintes en provenance de tous les coins de la colonie traversèrent l’océan à bord du navire qui emportait Mgr de Laval en France. Le 6 novembre 1662, le comte d’Estrades, ambassadeur de France à la cour de St. James, écrivait de Londres à Colbert : «Jay apris avec bien du regret par une lettre de Mr Levesque de Petrée que Mr Davogour [sic] reussit fort mal dans Quebec et que tous ses peuples sont fort mal satisfaits de sa conduitte. Le plus prompt remede quon pourroit aporter a ce desordre est de envoyer un autre gouverneur » (BN, MSS, Mélanges Colbert, 112bis, f.573). L’année suivante, Louis XIV reprenait la Nouvelle-France à la Compagnie des Cent-Associés afin de la placer sous l’autorité immédiate de la couronne, qui la ferait gouverner et administrer par des fonctionnaires royaux. En même temps, en dépit d’énergiques protestations des amis que M. Davaugour comptait à la cour, Colbert et Louis XIV décidaient de le rappeler en France.
Cependant, ce n’est que le 5 juillet 1663 qu’on apprit à Québec cette décision, et aussi que la couronne avait repris la colonie. Dans l’intervalle, M. Davaugour rédigea un long mémoire au ministre sur ce que, à son avis, le roi devait faire pour ses colonies d’Amérique. Les établissements de Terre-Neuve, du Cap-Breton et de la Gaspésie ne méritaient guère qu’on s’en occupât, affirmait-il, mais on ne devait ménager aucune dépense et aucun effort pour établir une colonie très forte dans la vallée du Saint-Laurent. On pouvait rendre les défenses de Québec inexpugnables, ajoutait-il, grâce à la construction de forts sur les deux rives du fleuve ; il faudrait 3 000 soldats pendant trois ans pour mater les Iroquois, après quoi ils pourraient demeurer au pays en qualité de colons. Il serait facile d’établir un fort sur la Hudson et une chaîne de forts le long du Richelieu et sur le lac Champlain afin d’obtenir des communications par voie de mer à l’année longue. Cela fait, Québec deviendrait la pierre angulaire de dix grandes provinces s’étendant vers l’intérieur, et ces dix garantiraient la sécurité d’une centaine d’autres. « Quand je réfléchis, écrivait-il, à l’objet des guerres qui se sont livrées en Europe depuis cinquante ans, et du progrès à faire ici en dix ans, mon devoir non seulement m’oblige mais me force à parler hardiment ». Il estimait les frais qu’entramerait la réalisation de ses grands projets à 400 000 francs par an pendant 10 ans, en plus de l’entretien de 3 000 soldats pendant 3 ans. « Ou je me trompe fort, écrivait-il, ou cette somme suffira à réaliser un grand dessein et, pour en douter, je devrais oublier toutes les dépenses inutiles que j’ai vu faire en divers endroits ».
Alors qu’il prévoyait, pour la colonie, des dépenses atteignant des millions de livres, M. Davaugour avait du mal à percevoir assez de recettes pour faire face aux frais quotidiens de son administration. En mars 1663, de sa propre autorité, il céda à bail la perception de l’impôt de 25 p. 100 sur les fourrures exportées de Québec, à un groupe de 17 habitants de la colonie, pour une somme forfaitaire de 50 000# par an. Outre cet impôt, les fermiers recevaient le monopole de la traite avec les Indiens à Tadoussac. Six mois plus tard, après le départ de M. Davaugour, à l’une des premières séances du Conseil souverain nouvellement établi, ce marché était déclaré nul et non avenu parce qu’il avait été conclu sans l’assentiment de l’ancien conseil, dûment établi pour régler les affaires de ce genre.
Peu après, le 7 juillet, les navires arrivaient de France, et le baron Davaugour apprenait son rappel. Il en fut très ébranlé. À sa façon impulsive, il se prépara à quitter la colonie immédiatement, sans attendre l’arrivée de son successeur. Il désigna son lieutenant, Cailhault de La Tesserie, au poste de gouverneur par intérim, puis il s’embarqua à Québec le 23 juillet.
Le 4 août, il ajouta quelques phrases amères à son mémoire sur le Canada, y affirmant qu’il n’aurait jamais cru qu’on prendrait au sérieux les accusations de ses adversaires. « Quand je leur ai permis de se rendre à la cour, écrivait-il, je ne pensais nullement qu’ils composeraient des vers à ma louange, mais le dévouement au service du Roi et quarante années d’expérience sous les ordres des hommes les plus braves qui aient jamais commandé, me paraissaient une forte protection contre des esprits si bas. Pour terminer cette querelle, je vais me contenter, par suite du respect que je dois à leur habit, de vous assurer, Monseigneur, que j’ai servi, par la grâce de Dieu, non seulement bien et fidèlement mais fort honnêtement, conformément à mes moyens et que mes actes, quand on les comprendra mieux, n’exciteront jamais la colère du Roi ni celle de la Reine-Mère. »
En France, M. Davaugour ne s’attarda pas à la cour. Il entra à l’armée de l’électeur de Mayence, qui aidait alors à arrêter l’avance des Turcs en Hongrie. Il fut tué le 24 juillet 1664 en combattant vaillamment à Serinvans-Zrin, à la frontière de la Croatie.
On ne saurait dire qu’il avait été un très bon gouverneur de la Nouvelle-France. Il avait trop du soldat rude et brusque pour remplir avec succès les fonctions d’administrateur civil. D’autre part, il ne disposait pas de troupes suffisantes pour mettre fin aux attaques constantes des Iroquois contre la colonie. Les projets qu’il formulait pour la mise en valeur du Canada étaient ceux d’un visionnaire et ne tenaient aucun compte des réalités pratiques. Dans ses conflits avec le clergé et les autorités de Montréal, sa nature combattive avait aggravé une situation déjà difficile. Même s’il avait été victime autant que coupable, le roi et ses ministres ne pouvaient que décider de le rappeler. Pourtant, ce rappel ne pouvait, en soi, résoudre les problèmes ou y mettre fin. Ses successeurs immédiats devaient rencontrer les mêmes difficultés que lui dans leurs relations avec le clergé, peut-être parce qu’ils étaient du même calibre que M. Davaugour : maîtres de tout sauf d’eux-mêmes et plus aptes à la vie des camps qu’aux postes d’administrateurs coloniaux. De fait, il devait se passer encore quelques années avant que paraisse un groupe d’administrateurs coloniaux bien préparés à jouer ce rôle, sous la tutelle de Colbert. Dans l’intervalle, la France devait se servir d’hommes tels que M. Davaugour et, tout compte fait, le pays aurait pu être plus mal servi.
JR (Thwaites), XLVI : 149–153 et NYCD (O’Callaghan and Fernow), IX : 13–17, 20–21, renferment certaines pièces de la correspondance de M. Davaugour et son mémoire à Colbert.— Faillon, Histoire de la colonie française, III : 25, 30–66, donne un compte rendu circonstancié des événements survenus au Canada pendant l’administration de M. Davaugour.— Lanctot, Histoire du Canada, I : 317–336.— Francis Parkman, dans The old régime (25th ed.), 120–130, traite de certains événements du régime Davaugour, mais avec son parti-pris habituel d’anticléricalisme.— Sur le différend entre les autorités civiles et le clergé au sujet du commerce de l’eau-de-vie, V. André Vachon, L’Eau-de-vie dans la société indienne, CHA Report, 1960, 22–32.
W. J. Eccles, « DUBOIS DAVAUGOUR, PIERRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/dubois_davaugour_pierre_1F.html.
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Auteur de l'article: | W. J. Eccles |
Titre de l'article: | DUBOIS DAVAUGOUR, PIERRE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |