VERVILLE, ALPHONSE (baptisé Joseph-Alpha Varville, il fera reconnaître par la Cour supérieure de Québec, le 20 janvier 1930, le nom sous lequel il a été connu tout au long de sa vie), plombier, dirigeant syndical et homme politique, né le 28 octobre 1864 dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce à Montréal, fils d’Alfred Varville, forgeron, et de Pamela Leduc ; le 1er janvier 1884, il épousa Joséphine Mailhot, de Saint-Norbert-d’Arthabaska, Québec, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 20 juin 1930 à Montréal et inhumé le 23 au cimetière Le Repos Saint-François-d’Assise, dans cette ville.

À l’âge de 14 ans, après des études à l’école paroissiale de Sault-au-Récollet, Alphonse Verville devient apprenti plombier à Montréal. En 1883, une fois son apprentissage terminé, il part pour les États-Unis, où il séjournera dix ans. Il travaille, entre autres, comme contremaître dans différents grands ateliers de Chicago. Ce séjour lui donne de l’expérience dans le métier de plombier et de poseur d’appareils de chauffage, ce qui lui permettra de lancer sa propre entreprise à son retour à Montréal. C’est aussi pour lui l’occasion de se familiariser avec le mouvement syndical américain, puisqu’il devient membre d’un syndicat.

Dès son retour en 1893, Verville s’engage dans le mouvement ouvrier montréalais. À la fin du xixe siècle, les syndicats de métiers sont en pleine expansion au Canada, et ce, au détriment des Chevaliers du travail et des syndicats canadiens ; ils se définissent comme des syndicats internationaux, mais ils sont majoritairement nord-américains. Au Canada, l’International Association of Journeymen Plumbers, Steamfitters, and Gas Fitters est active depuis 1888. À Montréal, la section locale 144 est créée le 22 septembre 1898. Il semble que Verville en soit le président fondateur, poste qu’il occupera jusqu’en 1902. En 1900, il délaisse son travail de plombier pour s’occuper à temps plein d’organisation syndicale puisqu’il est élu agent d’affaires de son syndicat.

À partir de 1900, l’ascension de Verville au sein de la hiérarchie syndicale de la province de Québec et du Canada est très rapide. Élu vice-président du Conseil fédéré des métiers et du travail de Montréal pour un mandat en 1900, il accède à la présidence le 15 octobre 1903. Il occupera ce poste jusqu’en janvier 1905. Fondé en 1897, le conseil – qui devient officiellement le Conseil des métiers et du travail de Montréal (CMTM) en 1903 – regroupe les sections locales des syndicats de métiers de la région montréalaise. Il a pour mission de défendre les droits des syndiqués auprès des pouvoirs municipaux. Fait à noter, au moment où Verville est élu président du conseil, il détient parallèlement les postes de secrétaire-trésorier et d’agent d’affaires du syndicat des plombiers, et est en plus organisateur pour le Canada de l’International Association of Journeymen Plumbers, Steamfitters, and Gas Fitters.

En 1903, Verville est également élu vice-président du comité exécutif de la province de Québec du Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC). Fondé en 1883 par les Chevaliers du travail et les syndicats de métiers [V. Charles March*], le CMTC vise avant tout à sensibiliser le gouvernement fédéral aux problèmes des travailleurs afin qu’il adopte des lois qui leur soient favorables. Le 23 septembre 1904, à l’occasion du congrès annuel du CMTC à Montréal, Verville est élu président. Il conservera ce poste durant cinq mandats consécutifs, mais refusera de se porter à nouveau candidat au moment du congrès de Québec en 1909. Les grands thèmes abordés sous sa présidence touchent des sujets fort variés, mais les plus importants sont : l’action politique ouvrière, sujet traité à l’important congrès de Victoria en 1906 et qui mènera à la création d’un parti politique ouvrier indépendant ; le renforcement des prises de position contre l’immigration ; la nationalisation de certains services publics comme les chemins de fer ; et la réclamation de la journée de huit heures pour tous les travailleurs.

Verville est un ardent défenseur du syndicalisme de métiers, qui valorise une organisation du travail axée sur les intérêts d’un groupe précis de travailleurs, les ouvriers de métier. Il veut, à l’instar des autres tenants de cette approche, améliorer la condition matérielle des ouvriers au moyen de la négociation collective, et ce, à l’intérieur du système capitaliste. Pour atteindre ce but, la syndicalisation des ouvriers de métier est primordiale, puisqu’il s’agit du groupe de travailleurs pouvant obtenir le meilleur rapport de force avec l’employeur. Cette conception de l’action syndicale, que Verville défendra tout au long de sa carrière, va à l’encontre de celle des Chevaliers du travail qui désire, entre autres, organiser toute la classe ouvrière et pas seulement les ouvriers de métier. Elle amènera Verville à se prononcer pour l’expulsion des Chevaliers du travail du CMTC au congrès de Berlin (Kitchener, Ontario) en 1902. Sur le plan des relations du travail, Verville favorise la conciliation et la bonne entente entre le capital et le travail, et l’intervention de l’État à titre d’arbitre au moment de conflits. Enfin, il prône aussi l’action politique ouvrière, mais indépendante, hors des cadres des partis politiques traditionnels comme le Parti libéral et le Parti conservateur. Par contre, afin d’éviter les déchirements et la division chez les syndiqués, Verville se déclare en faveur de la création d’un parti ouvrier qui n’aurait pas d’attache officielle avec le mouvement syndical. Au congrès du CMTC de 1906, il s’oppose ainsi à l’aile socialiste de l’organisation, qui voudrait que les ouvriers joignent les rangs du Parti socialiste du Canada. Après 1909, Verville continue d’assister aux congrès du CMTC à titre de délégué du syndicat des plombiers. En 1915, il sera même élu représentant du congrès au Trades Union Congress de Grande-Bretagne.

Si Verville favorise la syndicalisation d’un groupe privilégié de travailleurs, il réclame, en revanche, sur le plan social, des mesures pour aider l’ensemble de la population. Une de ses principales préoccupations touche, sans contredit, la question de l’éducation. Au moment de son témoignage devant la commission royale concernant les écoles catholiques de Montréal, instituée par le premier ministre sir Lomer Gouin en 1909, il demande la centralisation des commissions scolaires catholiques de l’île de Montréal, l’uniformité et la gratuité des livres, la nomination d’un ouvrier à la Commission des écoles catholiques de Montréal et l’instruction gratuite et obligatoire. Autre signe de son intérêt pour l’éducation, il accepte, en mai 1912, le poste de secrétaire-trésorier de la corporation de l’école technique de Montréal.

Selon Verville, le moyen le plus efficace pour améliorer les conditions de travail et de vie de la classe ouvrière passe par la représentation auprès des pouvoirs publics. Cette représentation peut s’effectuer par les structures syndicales comme le CMTC et le CMTM, mais aussi par des moyens plus directs telle l’action politique. C’est pourquoi, tout en assumant la présidence de ces deux organismes, Verville décide de se présenter aux élections provinciales du 25 novembre 1904 dans Hochelaga, à titre de candidat du Parti ouvrier. Déçu de la politique des gouvernements libéraux de Félix-Gabriel Marchand* et de sir Wilfrid Laurier*, en qui les ouvriers fondaient beaucoup d’espoir, un groupe de travailleurs montréalais, mené par le dirigeant syndical et chroniqueur ouvrier Joseph-Alphonse Rodier*, a fondé ce parti en 1899 pour défendre les intérêts de la classe ouvrière. S’inspirant du Parti travailliste anglais, le programme du Parti ouvrier comprend des mesures qui apparaissent radicales pour certains à l’époque : l’éducation gratuite et obligatoire, l’abolition de la qualification foncière exigée pour se présenter aux élections municipales, une loi établissant la responsabilité des patrons dans les accidents de travail et l’assurance d’État contre la maladie et la vieillesse. Menant une campagne efficace, Verville y ajoute la lutte contre les trusts et la création, par le gouvernement de la province de Québec, d’un ministère du Travail.

Appuyé par les organisations syndicales de la métropole et par le journal la Presse, qui appelle la population à voter en faveur du candidat ouvrier, Verville profite du fait que le Parti conservateur, affaibli, ne présente pas de candidats dans la circonscription ouvrière d’Hochelaga. Il fait une chaude lutte à son adversaire libéral, Jérémie-Louis Décarie, en obtenant 4 123 votes contre 5 462 pour Décarie. Encouragé par ce résultat, Verville revient à la charge, cette fois dans Maisonneuve, au moment de l’élection fédérale partielle de février 1906, à la suite de la mort subite du ministre Raymond Préfontaine*. Adversaire du libéral Louis-Ovide Grothé, fabricant de cigares détesté des syndiqués, Verville réussit à rallier la majorité des votes de cette circonscription largement ouvrière et l’emporte par un peu plus de 1000 voix. Il sera réélu en 1908 et en 1911 dans Maisonneuve, puis de nouveau en 1917, mais dans Saint-Denis cette fois.

À la Chambre des communes, les interventions de Verville portent principalement sur des questions qui touchent le monde du travail. Fidèle au programme du CMTC, Verville s’oppose vivement à l’immigration, arguant que l’arrivée continuelle de travailleurs dans les centres urbains crée une pression à la baisse sur les salaires. Satisfait de la Loi sur l’immigration adoptée par le gouvernement libéral en 1910, Verville cessera ses interventions sur cette question à partir de ce moment. En 1907, le Parlement canadien promulgue la Loi des enquêtes en matière de différends industriels, qui prévoit la conciliation obligatoire dans les entreprises de services publics et dans le secteur minier. Si le CMTC approuve cette mesure à son congrès de 1907, Verville déclare en Chambre avant même l’adoption de la loi : « je suis fortement en faveur de l’adoption d’une telle mesure ; car j’ai toujours préconisé le rapprochement du patron et de l’ouvrier comme seul moyen d’éviter les grèves ». C’est toutefois sur la question de la limitation des heures de travail pour les employés des travaux publics (ils travaillent de 9 à 12 heures par jour) que Verville concentre la majeure partie de ses énergies. Il présente son projet de loi sur la journée de huit heures pour la première fois à la session de 1906–1907, mais celle-ci se termine avant que le projet ne soit présenté en deuxième lecture. Il revient à la charge aux deux sessions suivantes, sans plus de succès. À la session de 1910–1911, le projet atteint finalement la troisième lecture, mais il subit des modifications substantielles qui en affaiblissent la portée. Jugeant que le principe général de son projet est respecté, Verville accepte la nouvelle version sans consulter les dirigeants du CMTC, qui le critiquent sévèrement pour sa conduite. Adopté par la Chambre le 13 février 1911, le projet est finalement rejeté par le Sénat. La décision de Verville d’appuyer les modifications n’est pas surprenante si l’on tient compte de ce qu’il a affirmé à la session de 1906–1907 au moment d’un débat sur les différends industriels : « Ce que je demande, c’est qu’on légifère. Qu’on légifère à tort s’il le faut, mais qu’on légifère ; car il vaut mieux avoir des lois défectueuses que de n’en avoir d’aucune sorte ; on est toujours à même de modifier une loi défectueuse, mais une loi inexistante ne saurait être améliorée. » Verville présente de nouveau son projet en 1912 et en 1914, sous le gouvernement conservateur de Robert Laird Borden*, et le retire définitivement en 1914, puisque le projet n’atteint pas l’étape de la deuxième lecture. Enfin, au printemps et à l’été de 1917, au moment du débat sur la conscription, Verville affirme que les ouvriers ne veulent pas de conscription et prédit la grève générale au Canada si cette mesure est adoptée.

Malgré ses promesses réitérées depuis sa campagne électorale de 1904 de demeurer indépendant des « vieux partis politiques », Verville s’est aperçu très tôt qu’il était isolé à Ottawa à titre de seul représentant ouvrier. La solidité du système politique à base bipartite ne lui laissait guère d’autre choix que de s’allier à l’un des partis en place. Il a donc opté pour faire cause commune avec les libéraux de Laurier, considérant que leurs positions se rapprochaient le plus des intérêts qu’il défendait. Dans les cercles ouvriers montréalais, les attentes suscitées par son élection étaient élevées. Les critiques n’ont pas tardé et elles sont devenues virulentes à partir de 1907. Si certains étaient satisfaits du travail accompli par Verville à Ottawa, d’autres considéraient qu’il se comportait « tout simplement comme un député libéral » et qu’il ne défendait pas le programme du Parti ouvrier. Aux élections fédérales de 1908, afin d’assurer la réélection de Verville, Laurier a demandé à son candidat Victor Gaudet de se retirer de la campagne. À partir de ce moment, le Parti libéral n’opposerait jamais plus de candidat officiel à Verville. En 1911, l’alliance a été rendue officielle : Verville a fait campagne en faveur du principe de réciprocité commerciale avec les États-Unis cher à Laurier et sous l’étiquette de travailliste-libéral.

Tout en siégeant à Ottawa, Verville accepte de faire partie de la Commission administrative de la cité de Montréal, créée par le premier ministre Gouin le 9 février 1918, à la suite de l’abolition du Bureau des commissaires. Composée de cinq membres et dirigée par le notaire Ernest-Rémi Décary*, la commission a pour mandat de gérer l’ensemble de l’administration municipale et de redresser les finances de la municipalité. Limitant les pouvoirs du maire et du conseil municipal, sabrant dans les dépenses en congédiant un certain nombre de fonctionnaires et augmentant le pouvoir de taxation de la ville, elle devient très vite impopulaire au sein de la population et des élus municipaux. Devant cette situation, le gouvernement provincial doit mettre un terme aux travaux de la commission en 1921, un an avant la fin de son mandat. Verville n’en était pas à son premier poste dans les affaires municipales : en 1916, il a été nommé membre de la Commission des tramways de Montréal, qui devait préparer un nouveau contrat de transport en commun entre la Compagnie des tramways de Montréal et la ville de Montréal. Son travail au sein des deux commissions a été vertement critiqué par certains militants ouvriers. On lui reprochait, entre autres, de ne pas défendre le principe de la nationalisation des services publics cher aux partisans des milieux ouvriers. C’est en raison de son comportement politique que Verville a finalement été expulsé de la section de la province de Québec du Parti ouvrier du Canada au moment de l’assemblée du 1er décembre 1918.

L’année 1921 marque donc la fin des travaux de la Commission administrative de la cité de Montréal, mais aussi la fin de la carrière politique de Verville, qui choisit de ne pas se porter candidat aux élections fédérales du 6 décembre 1921. Après une retraite de neuf ans, Verville meurt le 20 juin 1930 à Montréal, à l’âge de 65 ans, des suites d’une opération à l’estomac.

En définitive, la carrière politique d’Alphonse Verville n’aura pas été un franc succès. Isolé à titre de seul député ouvrier à Ottawa, il s’est rapidement joint au camp des libéraux, d’une part parce qu’il lui fallait l’appui du parti au pouvoir pour faire accepter son projet de loi sur la journée de huit heures et, d’autre part, parce qu’il y avait convergence d’intérêts entre les idées qu’il défendait et les préceptes libéraux. Par ailleurs, le cheminement politique de Verville rejoint celui d’autres syndicalistes canadiens – le mineur Ralph Smith*, de Nanaimo, en Colombie-Britannique, par exemple – élus sous la bannière du Parti ouvrier au début du xxe siècle et qui passeront aussi dans le camp des libéraux de Laurier. Déçus de la position de Verville, qui n’a pas réussi à concilier les attentes des milieux ouvriers et les exigences de la politique, plusieurs militants du Parti ouvrier délaissent la scène politique à l’échelle provinciale et fédérale à partir de la fin des années 1910 et optent pour une intervention plus active sur la scène municipale. Verville n’est pas le seul responsable de ce changement d’orientation. Les nombreuses défaites des candidats ouvriers aux élections provinciales et fédérales, jumelées à la victoire éclatante du charpentier-menuisier Joseph Ainey* au Bureau des commissaires de la ville de Montréal en 1910 et à l’abolition de la qualification foncière en 1912, encouragent ce virage vers les affaires municipales.

Éric Leroux

ANQ-M, CE601-S6, 29 oct. 1864.— Le Monde ouvrier (Montréal), 28 juin 1930.— La Voix du peuple (Montréal), 23 déc. 1905.— BCF, 1922.— Canada, Chambre des communes, Débats, 1906–1907.— Congrès des métiers et du travail du Canada, Rapport des délibérations de la convention annuelle (Montréal), 16 (1900)–25 (1909).— Geoffrey Ewen, « International unions and the workers’ revolt in Quebec, 1914–1925 » (thèse de ph.d., York Univ., North York [Toronto], 1998).— Éric Leroux, « la Carrière polyvalente de Gustave Francq, figure marquante du syndicalisme international au Québec (1871–1952) » (thèse de ph.d., univ. de Montréal, 1999) ; « les Syndicats internationaux et la commission royale d’enquête sur l’éducation de 1909–1910 », RCHTQ [Regroupement des chercheurs-chercheuses en hist. des travailleurs et travailleuses du Québec], Bull. (Montréal), 23 (1977), no 1 : 5–28.— P. K. Malloy, « Alphonse Verville, “Liberal-Labour” member of parliament, 1906–1914 » (mémoire de m.a., univ. d’Ottawa, 1970).— Jacques Rouillard, « l’Action politique ouvrière au début du 20e siècle », dans le Mouvement ouvrier au Québec, sous la dir. de Fernand Harvey (Montréal, 1980), 185–213.

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Éric Leroux, « VERVILLE, ALPHONSE (baptisé Joseph-Alpha Varville) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/verville_alphonse_15F.html.

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Auteur de l'article:    Éric Leroux
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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