RODIER, JOSEPH-ALPHONSE, typographe, dirigeant syndical et chroniqueur ouvrier, né le 22 mars 1852 à Troy, New York, fils de Benjamin Rodier ; le 8 avril 1872, il épousa à Montréal Catherine David, et ils eurent cinq enfants ; décédé le 19 avril 1910 dans cette ville et inhumé le 22 suivant au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal.

Joseph-Alphonse Rodier représente une figure dominante du syndicalisme québécois au début du xxe siècle. Typographe de métier, il joue un rôle de premier plan dans la direction des Chevaliers du travail, organisation américaine qui propose une réforme en profondeur de la société, puis devient un ardent partisan du syndicalisme international. Convaincu de l’importance pour les syndicats de dépasser l’action économique, il est le principal promoteur de la formation, en 1899, du Parti ouvrier à Montréal. Ses chroniques quotidiennes au journal la Presse de 1898 à 1903 et à la Patrie ensuite lui permettent d’exercer une forte influence dans les milieux syndiqués.

Fils de Benjamin Rodier, qui s’est réfugié aux États-Unis après les rébellions de 1837–1838, Joseph-Alphonse apprend le métier de typographe au Courrier de Saint-Hyacinthe et passe au journal la Minerve de Montréal comme chef d’expédition. N’ayant reçu qu’une mince instruction sur les bancs d’école, il prend goût à la lecture et acquiert une solide connaissance des questions ouvrières. Encore jeune, il participe à la fondation à Montréal, en 1870, de l’Union typographique Jacques-Cartier, affiliée à l’Union internationale des typographes. Président de son syndicat de 1891 à 1893, il devient plus tard organisateur pour la province de Québec.

En 1886, le syndicat de Rodier le délègue à la fondation du Conseil central des métiers et du travail de Montréal, première organisation chargée de représenter les aspirations des syndiqués auprès des pouvoirs municipaux. Son intérêt pour les questions politiques se manifeste dès cette époque, puisqu’on le retrouve par la suite régulièrement comme délégué au conseil. En ces années où la bonne entente règne entre les syndicats internationaux et les Chevaliers du travail, Rodier est élu, en 1892, maître travaillant (président) de l’assemblée de district n° 19 des Chevaliers du travail de la métropole ; on le délègue aussi au congrès des Chevaliers du travail à La Nouvelle-Orléans en 1894. Quelques années plus tard, il se fait un adversaire acharné de cette organisation en proposant que ses assemblées soient exclues du Congrès des métiers et du travail du Canada parce qu’elles ne « représentent rien, ni personne » ; il est membre du comité chargé de réviser la constitution de ce congrès en 1902, ce qui entraîne l’exclusion des assemblées des Chevaliers du travail et place la centrale canadienne sous l’emprise des seuls syndicats internationaux.

À la même époque, déçu particulièrement du Parti libéral qui n’a pas réalisé les réformes promises, Rodier se fait l’avocat de la formation d’un parti ouvrier. Pour obtenir justice, les travailleurs doivent, à son avis, élire certains des leurs au Parlement pour infléchir les lois dans un sens favorable à la classe ouvrière. En mars 1899, il est choisi comme organisateur du Parti ouvrier, qui présente un premier candidat aux élections fédérales de novembre 1900. Il fait campagne quatre ans plus tard en faveur de nouvelles candidatures et devient président du comité de direction du parti. Un de ses candidats, Alphonse Verville*, est finalement élu à une élection partielle dans la circonscription de Maisonneuve, le 23 février 1906. Le programme du parti, qui s’inspire de celui du Parti travailliste anglais et des réclamations politiques des syndicats canadiens, comprend des mesures qui apparaissent comme des idées radicales à l’époque : assurance-maladie, assurance-vieillesse, nationalisation des entreprises de services publics, impôt progressif sur le revenu, suffrage universel, création d’un ministère de l’Instruction publique et autres. Ce sont toutes des idées que Rodier défend dans ses chroniques au journal la Presse, puis à la Patrie.

Au moment où Rodier est engagé comme chroniqueur en 1898, la Presse se présente comme le journal du peuple sans attache partisane. Ami personnel de Trefflé Berthiaume*, propriétaire du journal, il donne libre cours à ses opinions dans sa chronique quotidienne. En décembre 1903, il quitte la Presse pour la Patrie, remercié de ses services par Olivar Asselin*, récemment nommé chef de l’information, qui n’apprécie pas ses fautes de français ni son style. Les deux hommes ont des tempéraments qui ne laissent pas place aux accommodements.

Accusé d’être radical et socialiste, Rodier a une pensée bien articulée qui s’apparente à ce qu’on appellerait aujourd’hui le courant social-démocrate. Même s’il dénonce les trusts et les monopoles, il ne prêche pas le renversement du système capitaliste. Reconnaissant que les intérêts du capital et du travail sont opposés, il croit néanmoins possible pour les travailleurs de s’entendre avec les patrons. Afin de faire contrepoids à la puissance patronale, les travailleurs doivent cependant se regrouper dans des syndicats, même américains si cela leur permet un meilleur rapport de force, et se servir de leur droit de vote pour infléchir les pouvoirs publics, qu’il accuse d’être dominés par les hommes d’affaires et les membres des professions libérales. Des gouvernements plus sensibles à la volonté populaire limiteraient la puissance des trusts, nationaliseraient les entreprises de services publics, élimineraient « la plaie militariste », instaureraient le suffrage universel (incluant celui des femmes), permettraient l’élection des juges par le peuple, et aboliraient le Sénat et le Conseil législatif. Pour voir les gouvernements changer d’orientation, il n’en tient qu’aux travailleurs d’élire des députés issus du milieu ouvrier, membres d’un parti voué à la défense de leurs intérêts.

Reflet de l’importance que Joseph-Alphonse Rodier a acquise à Montréal, Mgr Paul Bruchési*, archevêque de la métropole, se rend à son chevet peu avant sa mort, et plus de 2 000 ouvriers accompagnent sa dépouille en cortège au cimetière. En hommage à son dévouement pour la cause ouvrière, ses amis font une collecte pour lui élever un monument, dévoilé en 1916 au cimetière Notre-Dame-des-Neiges : une grande croix, sur laquelle on inscrit ces mots : « Les unions ouvrières reconnaissantes ».

Jacques Rouillard

AC, Montréal, État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-des-Neiges (Montréal), 22 avril 1910.— ANQ-M, CE1-51, 8 avril 1872.— Rodolphe Girard, « J.-A. Rodier, homme très sincère, fut un véritable chef ouvrier », le Petit Journal (Montréal), 28 août 1949, suppl. : 15.— La Patrie, 19 avril 1910.— La Presse, 19 avril 1910 : 1s., 10.— Canadian directory of parl. (Johnson)- Jacques Rouillard, « l’Action politique ouvrière, 1899–1915 », Idéologies au Canada français, 1900–1929, sous la dir. de Fernand Dumont et al. (Québec, 1974) : 267–312.— André Vidricaire, « la Philosophie devant le syndicalisme : un typographe et un philosophe ou le conflit de deux discours en 1900 », Objets pour la philosophie [...], sous la dir. de Marc Chabot et André Vidricaire (2 vol., Québec, 1983), 1 : 227–289.

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Jacques Rouillard, « RODIER, JOSEPH-ALPHONSE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/rodier_joseph_alphonse_13F.html.

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Auteur de l'article:    Jacques Rouillard
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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