SUTHERLAND, ROBERT FRANKLIN, avocat, homme politique et juge, né le 5 avril 1859 à Newmarket, Haut-Canada, fils de Donald Sutherland, magasinier, et de Jane Boddy ; le 4 septembre 1888, il épousa à Windsor, Ontario, Mary Bartlet, et ils eurent deux filles ; décédé le 23 mai 1922 à Toronto.

D’ascendance irlando-écossaise, Robert Franklin Sutherland s’installa à l’âge de 14 ans à Windsor, chez sa sœur, qui était mariée au ministre de l’église presbytérienne St Andrew. Il étudia à la Western University of London et à la University of Toronto. Son admission au Barreau de l’Ontario eut lieu pendant le trimestre de Pâques 1886 ; la même année, il s’intégra au cabinet d’avocats Cameron and Cleary à Windsor. Nommé conseiller de la reine en 1898, il serait en 1905 le doyen des associés du cabinet Sutherland, Kenning, and Cleary. Tout en plaidant de nombreuses affaires, il était actif au conseil municipal, au conseil de la bibliothèque et sur le terrain de cricket. Dans ses moments de loisir, peut-être en vue de s’engager politiquement sur une scène plus vaste, il apprenait le français.

En 1900, lorsque le premier ministre du pays, sir Wilfrid Laurier*, visita Windsor au cours de sa tournée électorale, Sutherland fut le premier orateur à l’accueillir. À peine dix jours auparavant, il avait reçu l’investiture libérale dans Essex North. Détenue par les libéraux depuis 1891, cette circonscription englobait Windsor, les localités frontalières voisines et la moitié nord du comté, rurale et majoritairement franco-catholique. Tout en faisant l’éloge de Laurier, Sutherland souligna que, si lui-même était élu, il respecterait toutes les confessions religieuses et toutes les nationalités. Cette impartialité acquit une importance particulière au fil de la campagne. Ses adversaires l’accusaient d’être anticatholique et lui reprochaient d’avoir déjà appartenu à la Protestant Protective Association. Irrité, il répondait que, même s’il était presbytérien, il s’était toujours montré juste envers les catholiques. Pendant qu’il appartenait au conseil municipal de Windsor et en présidait le comité des finances, il avait recommandé d’exempter l’Hôtel-Dieu, catholique, de payer la taxe d’eau. On l’avait alors qualifié, rappelait-il, de « demi-catholique et [de] mauvais protestant ». Il soutenait en outre que son refus de renouveler son adhésion à la Protestant Protective Association lui avait déjà coûté la mairie. Même si cet organisme n’existait plus, il avait raison de s’inquiéter : en 1900, les catholiques de langue française pouvaient déterminer l’issue d’une élection. Finalement, il l’emporta sans difficulté sur Solomon White*. Son succès comme celui de Mahlon K. Cowan dans Essex South confirmaient que les libéraux, en réunissant les citadins protestants et les ruraux catholiques, pouvaient former une structure politique durable dans le comté d’Essex.

Bien qu’il ait été l’un des membres les moins volubiles du gouvernement Laurier, Sutherland s’employait avec diligence à raffermir ses appuis locaux. Il discutait de nominations régionales au Sénat avec le premier ministre. En 1905, il lui demanda d’appuyer les gens de sa région qui tentaient de convaincre la United States Steel Corporation de construire une immense usine près de Windsor, mais Laurier lui répondit qu’on ne pouvait consentir de faveurs à aucun manufacturier. Au Parlement, il obtint en 1903 des modifications à l’Acte des chemins de fer. Les sociétés ferroviaires seraient tenues de drainer leurs propriétés (la chose avait son importance puisque le comté d’Essex est fait de basses terres) et d’installer des barrières anglaises « adéquates ». Elles ne pourraient plus recourir à des parades juridiques pour éviter les demandes d’indemnisation et seraient responsables des morts d’animaux causées par leurs trains. Sutherland vit sa cote grimper auprès des agriculteurs, mais non auprès des électeurs urbains. Dans son seul long discours à la Chambre des communes, en 1902, il avait vanté la « protection accessoire » assurée par les mesures tarifaires du gouvernement en disant que la région de Windsor leur devait sa croissance industrielle. Les citoyens de cette région n’en furent pas impressionnés. Au scrutin de novembre 1904, il perdit dans la ville mais remporta la victoire grâce à l’appui des électeurs ruraux.

Quand la Chambre des communes se réunit, en janvier 1905, Sutherland en fut nommé président. Ses antécédents n’avaient rien de remarquable, mais l’Evening Record de Windsor déclara que « son expérience parlementaire lui assurait beaucoup d’amis et peu d’ennemis ». De plus, il continuait d’entretenir des contacts étroits avec sa région. En août par exemple, il informa le conseil municipal de Windsor que la société qui exploitait le service de bac entre cette ville et Detroit tentait d’obtenir un renouvellement de permis à des conditions avantageuses. La municipalité s’adressa donc à Ottawa pour que la société en question paie un droit et réduise ses tarifs. Après sa réélection en 1908, Sutherland refusa un second mandat à la présidence des Communes. Le 21 octobre 1909, il accéda à la fonction de juge puîné à la division de la Haute Cour de la Cour suprême de l’Ontario.

Terne dans l’ensemble, la carrière de Sutherland dans la magistrature fut marquée par des invitations occasionnelles à prononcer des conférences et par quelques procès qui eurent un retentissement modeste. En 1919, dans une cause qui reposait sur la définition du terme « lieu public », il donna raison à un magistrat torontois qui, en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, avait imposé une amende à un ouvrier reconnu coupable d’avoir dit, au sujet de l’effort de guerre, que « le Parlement britannique saignait le Canada à blanc ; que le roi George était aussi méchant que le Kaiser ».

En 1917, le paisible juge Sutherland avait dû se plonger dans un dossier complexe à caractère hautement politique : la réglementation en matière d’hydroélectricité. En effet, on l’avait nommé à la commission chargée de déterminer la quantité et le prix de l’énergie que l’Electrical Development Company of Ontario Limited devait fournir à la Commission d’énergie hydroélectrique de l’Ontario. À la suite de la formation d’un gouvernement par les Fermiers unis de l’Ontario en 1919, des affrontements opposèrent le premier ministre, Ernest Charles Drury*, et le dynamique président d’Ontario Hydro, sir Adam Beck. La question était de savoir qui était responsable des hausses prodigieuses du financement accordé à cet organisme et de l’ampleur de plus en plus extravagante de ses ouvrages. Aux prises avec un surplus énergétique, Hydro envisageait la construction d’un réseau de chemins de fer hydroélectriques en étoile. En juillet 1920, dans l’espoir de neutraliser les pressions de Beck, Drury forma une commission royale d’enquête sur la faisabilité de ce projet et en confia la présidence à Sutherland.

Un an plus tard, dans un rapport majoritaire fondé sur l’expérience américaine et sur la situation financière de l’Ontario en cette période d’après-guerre, la commission condamna les chemins de fer hydroélectriques en avançant les arguments suivants : ils nécessiteraient constamment des fonds gouvernementaux ; ils concurrenceraient la Canadian National Railway Company, propriété publique ; leur coût ne se justifierait pas tant qu’une centrale coûteuse à Queenston ne serait pas terminée et ne se serait pas révélée rentable ; enfin, à cause de la multiplication des véhicules à moteur, le gouvernement avait déjà lancé un vaste programme de voirie. La commission s’opposait donc à ce que la province donne quelque garantie que ce soit aux municipalités désireuses de financer des chemins de fer hydroélectriques. Drury, on le devine, accueillit fort bien les conclusions de la commission, à l’encontre des partisans de ce type de chemin de fer. Une des recommandations du rapport – doter Toronto d’un réseau contrôlé par la municipalité – aurait pu apaiser le maire, Thomas Langton Church*, et le préfet du comté d’York, Len Wallace, mais ce ne fut pas le cas. De l’avis de Church, la commission Sutherland n’était qu’une « machination ».

Robert Franklin Sutherland mourut dans sa maison de Chestnut Park Road, à Toronto, en mai 1922, neuf mois après le dépôt de ce rapport controversé. Cependant, ses conclusions continueraient d’être étudiées. Conçu en désespoir de cause par Beck, un plan en vertu duquel le réseau torontois aurait été sous contrôle mixte fut rejeté aux élections municipales de janvier 1923. L’année suivante, une deuxième commission nommée par Drury pour mettre Hydro en échec et présidée par Walter Dymond Gregory appuya les conclusions de Sutherland. Des expériences ultérieures démontreraient que, du point de vue économique, les chemins de fer hydroélectriques auraient été un désastre. Même un de leurs défenseurs, William Rothwell Plewman, conseiller municipal de Toronto, finit par donner raison à la commission Sutherland.

Patrick Brode

AO, RG 3-5-0-26, 3-5-0-28 ; RG 22-305, nº 45416 ; RG 80-5-0-158, nº 3524.— BAC, MG 26, G, Sutherland à Laurier, 26 juill. 1905 ; Laurier à Sutherland, 28 juill. 1905.— City of Windsor Municipal Arch. (Windsor, Ontario), RG 2, AIV 1/8 (City Council minutes), 14 août 1905.— Border Cities Star (Windsor), 24 mai 1922.— Evening Record (Windsor), 20 oct., 3, 8 nov. 1900, 26 oct. 1904, 7 janv. 1905, 28 oct. 1909.— Globe, 17 juill. 1920, 13 août 1921, 24 mai 1922.— Canada, Chambre des communes, Débats, 25 mars 1902, 11 janv. 1905.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— CPG, 1905.— Encyclopaedia of Canadian biography, 3.— C. M. Johnston, E. C. Drury : agrarian idealist (Toronto, 1986).— The King c. Watson (1919), Ontario Weekly Notes (Toronto), 15 : 417s.— Ontario, Commission appointed to inquire into hydro-electric railways, Reports (Toronto, 1921) ; paru aussi dans Ontario, Legislature, Sessional papers, 1922, nº 24.— W. R. Plewman, Adam Beck and the Ontario Hydro (Toronto, 1947).

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Patrick Brode, « SUTHERLAND, ROBERT FRANKLIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sutherland_robert_franklin_15F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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