SUTHERLAND, ALEXANDER, ministre méthodiste, rédacteur en chef et auteur, né le 13 septembre 1833 dans le canton de Guelph, Haut-Canada, fils de Nicolas Sutherland et de Mary Henderson ; le 10 juin 1859, il épousa Mary Jane Moore, de Dundas, Haut-Canada, et ils eurent quatre fils, dont deux atteignirent l’âge adulte, et trois filles ; décédé le 30 juin 1910 à Toronto.

À 13 ans, Alexander Sutherland devint imprimeur à Guelph. Collaborateur d’une école méthodiste du dimanche, il militait aussi dans des sociétés de tempérance. En 1852, il fut converti par George Goodson, chanteur de cantiques et organisateur de revivals, et entra dans l’Église méthodiste wesleyenne. En 1855, on le nomma exhorter dans la circonscription ecclésiastique de Clinton. L’année suivante, il fut pris à l’essai comme ministre et affecté à la circonscription de Galt et Berlin. Il passa l’année 1858–1859 au Victoria College de Cobourg, mais l’Église avait tant besoin de prédicateurs itinérants qu’il dut abandonner ses études et retourner dans une circonscription. L’Église méthodiste wesleyenne en Canada l’ordonna ministre en 1859.

Pasteur à Hamilton de 1864 à 1866, à Toronto de 1867 à 1872 puis à Montréal de 1873 à 1874, Sutherland se fit connaître comme l’un des prédicateurs « les plus limpides et les plus puissants » de son Église. Sa théologie s’enracinait dans la doctrine évangélique. Suivant le libéralisme et le sentimentalisme qui gagnaient alors les mentalités, il rejetait la « monstrueuse perversion » de l’orthodoxie qui faisait de Dieu « un impitoyable tyran ». L’enseignement chrétien mettait de plus en plus l’accent sur l’amour de Dieu, la vie du Christ et l’universalité de l’expiation, ce qu’il approuvait. Sur l’épineuse question de l’« issue finale du péché », il adopta une position modérée, à savoir que le péché exilait définitivement de Dieu, mais n’entraînait pas le châtiment éternel.

Tout comme son collègue le prédicateur Henry Flesher Bland*, Sutherland considérait d’un point de vue progressiste la relation des enfants avec l’Église. Ceux-ci, soutenait-il, n’étaient pas foncièrement mauvais ; s’ils recevaient une solide éducation chrétienne et morale, ils pouvaient éviter de tomber dans le péché. Il défendait donc avec vigueur le mouvement des écoles du dimanche, et pendant un moment, il dirigea le Sunday School Banner, de Toronto. Selon lui, la formation chrétienne offrait un moyen plus sûr de constituer une Église forte que les conversions subites.

Convaincu que « Dieu a[vait] suscité le méthodisme en vue d’une œuvre particulière », c’est-à-dire « pour étendre par toute la contrée la sainteté des Écritures », Sutherland estimait que le méthodisme canadien manquait à cette mission parce qu’il ne définissait pas assez clairement le sens de la Bible. En 1873, il lança le périodique Earnest Christianity à Toronto « afin d’empêcher l’Église de s’enfoncer dans une totale paralysie spirituelle ». Toutefois, obtenir des articles sur la Bible se révéla difficile. Le périodique perdit de l’argent et, en 1876, après de longues négociations avec William Henry Withrow et le comité des publications de l’Église, il fusionna avec le Canadian Methodist Magazine (Toronto et Halifax). Pour Sutherland, cet échec indiquait que son Église était de plus en plus terre à terre.

Après cet épisode, Sutherland mit ses espoirs de renouveau dans les œuvres missionnaires. En 1874, à la création de l’Église méthodiste du Canada, il avait été nommé secrétaire-trésorier de la société missionnaire que dirigeait Enoch Wood*. En cette qualité, il entreprit une série de tournées dont l’une des plus longues le mena au Manitoba et dans le Nord-Ouest. Après avoir passé l’été de 1880 dans les Prairies, il écrivit que l’Église avait « la chance de résoudre sur une terre absolument vierge les problèmes [que pose] une civilisation chrétienne ». Toutefois, le trafic d’alcool florissant et le manque de respect pour le dimanche qui sévissaient dans l’Ouest lui firent comprendre qu’il faudrait procéder à une évangélisation dynamique.

Sutherland liait le programme missionnaire de l’Église au peuplement. À l’instar d’autres ministres méthodistes et entrepreneurs laïques tels John Jacob Withrow*, il investit dans la Saskatchewan Land and Homestead Company Limited, entreprise créée en 1882 « pour inciter les méthodistes à s’établir [là] où ils seraient plus facilement et promptement soutenus par des services religieux ». Environ 80 méthodistes s’installèrent à Crescent Lake (Saskatchewan), mais la dépression économique, des retards dans la construction des chemins de fer et la rébellion du Nord-Ouest firent échec au plan prévu [V. Louis Riel*]. À titre de vice-président, Sutherland fit tout son possible pour retenir les investisseurs, mais la compagnie ne parvint pas à vendre d’autres terres.

Devant la difficulté d’amasser des fonds et de recruter des missionnaires, Sutherland en vint à défendre résolument l’idée d’une union élargie des Églises méthodistes. Il était convaincu que ces problèmes découlaient de l’absence d’une autorité centrale. L’Église méthodiste, demandait-il, « se cristallisera-t-elle en un corps solide, compact, ou se dissoudra-t-elle en un brouillard nébuleux, sans cohésion et sans force ? » Pour lui, l’union n’était qu’une question administrative, car sur les grands points de doctrine, « l’unité absolue existait déjà ». Au début des années 1880, il participa aux négociations qui se tinrent en vue de l’union, et à la conférence générale de 1882, il réussit à convaincre ses collègues qu’il fallait créer une surintendance administrative générale [V. Albert Carman*].

Dans les comités ecclésiastiques, Sutherland discutait ferme et montrait une grande faculté de persuasion. Cependant, quand il se retrouvait dans le camp des perdants, il avait un penchant pour le ridicule et le sarcasme. Par exemple, quand on parla d’affilier le Victoria College à la University of Toronto, vers 1885, il attaqua aigrement Nathanael Burwash* et Edward Hartley Dewart. Une fédération signiferait que les importantes questions relatives aux programmes et aux nominations seraient envisagées d’un point de vue complètement séculier. Or, Sutherland était absolument convaincu que les établissements méthodistes d’enseignement supérieur devaient être dotés et soutenus par l’intermédiaire de l’Église.

Sur les questions sociales, Sutherland maintint toujours des positions conservatrices et fondées sur la doctrine évangélique. Il considérait l’alcool comme le produit d’une « alchimie satanique » et ne doutait pas que la Bible en interdisait la consommation. Infatigable partisan de l’abstinence totale, il exhortait « tous les prédicateurs du pays » à puiser dans l’arsenal de la parole divine pour « donner l’assaut avec plomb et cartouches » à cette funeste habitude. En 1887, déçu qu’aucune loi fédérale n’impose encore la prohibition, il réussit à persuader une faible majorité des participants de l’assemblée de la Dominion Alliance de se lancer dans l’action politique en fondant le Canada’s New Party. Outre l’interdiction absolue du commerce de l’alcool, le programme que défendait farouchement Sutherland comprenait une série de réformes sociales et critiquait l’influence du catholicisme dans la vie canadienne. Même lorsque, dans les années 1890, l’Église méthodiste commença à se donner un évangile social, le réformisme de Sutherland demeura enraciné dans la tradition évangélique. Il soutenait que la création du royaume de Dieu commençait par la régénération des individus, non de la société. Ce n’était pas en « bricolant perpétuellement les lois et les institutions », disait-il, que l’on obtiendrait des changements fondamentaux. En fait, Sutherland était inquiet : le Social Gospel lui semblait se limiter aux aspects matériels du royaume de Dieu et représentait, pour lui, une dangereuse sécularisation de la pensée chrétienne.

Sutherland s’occupa des missions tout au long de son sacerdoce. Ayant succédé à Enoch Wood, en 1878, au secrétariat général de la Methodist Missionary Society, il présida au mouvement d’expansion au cours duquel son Église établit des territoires de mission dans tout le Nord-Ouest, parmi des communautés d’immigrants du Canada ainsi qu’en Chine, au Japon [V. George Cochran], en Inde, en Afrique, en Guyane britannique et en Corée. Il s’était donné une éthique administrative qu’il estimait conforme au méthodisme. « Gardez-vous de la seule impulsion, écrivait-il à un collègue en octobre 1880. Rappelez-vous que nous sommes méthodistes ; veillez donc à ce que rien ne soit fait au hasard ; mais prévoyez avec soin et travaillez avec méthode. » Malgré sa poigne de fer, il ne put éviter les controverses et les crises. La plus grave survint en 1895 : les missionnaires canadiens affectés au Japon démissionnèrent en alléguant que le conseil des missions (tel était le nom qu’avait pris la société missionnaire), et lui en particulier, ne les avaient pas soutenus assez, financièrement et moralement. En 1906, le clergé et les laïques méthodistes en arrivèrent à la conclusion que, pour continuer à progresser, il fallait réformer le conseil de fond en comble. On limita les attributions de Sutherland à la supervision des missions étrangères. À la conférence générale de 1906, qui se tint dans un climat acerbe, Sutherland tenta de défendre son régime en proclamant : « Quelle que soit aujourd’hui la société missionnaire de l’Église méthodiste, c’est moi qui l’ai faite, avec l’aide de Dieu, et que personne ne me prive de m’en vanter. »

La longue période au cours de laquelle Alexander Sutherland s’était dévoué pour les missions se termina donc de triste manière, mais il n’en laissa pas moins un précieux héritage dans les dernières années de sa vie. En effet, son ouvrage intitulé Methodism in Canada : its work and its story, publié à Toronto en 1904, reflète l’interprétation de l’histoire du méthodisme canadien qui dominait à la fin de l’époque victorienne et qui a influencé des générations d’érudits. Il y affirme que, grâce aux efforts des missionnaires, l’histoire du méthodisme au Canada a été faite de progrès. Non seulement l’Église était-elle devenue une institution nationale, mais elle avait aussi établi l’égalité religieuse, la liberté civile et le progrès intellectuel de la population.

David B. Marshall

Les papiers personnels d’Alexander Sutherland aux EUC-C, 3182, comprennent nombre de ses sermons datant de la période entre 1883 et 1910, ainsi que sa correspondance générale et ses cahiers de correspondance privée. Sa correspondance officielle à titre de secrétaire général de la Methodist Missionary Soc. se trouve aussi aux EUC-C, à la cote 14/2/2 (cahiers d’écriture de la correspondance sortante d’Alexander Sutherland) et à la cote 14/2/4 (correspondance entrante de Sutherland). Pour trouver les papiers relatifs à la Saskatchewan Land and Homestead Company, consulter les AO, F 1006, n° 29.

Les écrits de Sutherland peuvent être retrouvés par ses éditoriaux dans le Sunday School Banner, l’Earnest Christianity, et le Missionary Outlook, tous de Toronto ; il a aussi rédigé de nombreux articles sur des questions missionnaires et théologiques pour des périodiques comme le Canadian Methodist Magazine (Toronto et Halifax). Outre les travaux mentionnés dans la biographie, ses publications comprennent : Erring through wine : a discourse delivered in the Richmond Street Church, Toronto [...] (Toronto, 1871) ; A plea for total abstinence (Toronto, s.d.) ; A summer in prairie-land : notes of a tour through the North-West Territory (Toronto, 1881) ; « Shall the Methodism of the future be connexional or congregational ? » Canadian Methodist Magazine, 16 (juill.–déc. 1882) : 137–144 ; The proposed plan of college federation (Toronto, 1885) ; The final outcome of sin : a homiletical monograph (Toronto, 1886) ; The kingdom of God and the problems of to-day (Toronto, 1898) ; et The Methodist Church and missions in Canada and Newfoundland : a brief account of the Methodist Church in Canada (Toronto, 1906). D’autres livres et brochures de Sutherland sont énumérés dans le Répertoire de l’ICMH.

Nathanael Burwash, The history of Victoria College (Toronto, 1927).— J. W. Caldwell, « The unification of Methodism in Canada, 1865–1884 », EUC, Committee on Arch., Bull. (Toronto), n° 19 (1967).— J. [S.] Carroll, « The Rev. Alexander Sutherland, D.D. », Canadian Methodist Magazine, 12 (juill.–déc. 1880) : 14.— Cook, Regenerators.— Dent, Canadian portrait gallery.— Église méthodiste (Canada, Terre-Neuve, Bermudes), Toronto Conference, Minutes, 1911 : 13.— A.-N. Lalonde, « Settlement in the Northwest Territories by colonization companies, 1881–1891 » (thèse de ph.d., univ. Laval, Québec, 1970).— D. B. Marshall, Secularizing the faith : Canadian Protestant clergy and the crisis of belief 1850–1940 (Toronto, 1992).— J. T. Moore, The settler’s guide to homesteads in the Canadian north-west (Toronto, 1884).— Neil Semple, « The nurture and admonition of the Lord » : nineteenth-century Canadian Methodism’s response to « childhood », HS, 14 (1981) : 157–175.— R. E. Spence, Prohibition in Canada ; a memorial to Francis Stephens Spence (Toronto, 1919).

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David B. Marshall, « SUTHERLAND, ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sutherland_alexander_13F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    28 novembre 2024