STABB, HENRY HUNT, médecin et administrateur d’hôpital, né le 21 décembre 1812 à Torquay, Angleterre, fils de Thomas Stabb ; probablement en 1854, il épousa à Philadelphie une prénommée Fanny Elizabeth, et ils eurent 11 enfants, dont 5 seraient parvenus à l’âge adulte ; décédé le 17 mai 1892 à St John’s.

Henry Hunt Stabb naquit dans une famille de marchands du sud-ouest de l’Angleterre qui faisaient du commerce avec Terre-Neuve depuis le xviiie siècle. Son père, associé résidant de l’entreprise britannique Hunt, Stabb, Preston and Company, était en poste à St John’s. Deux des frères aînés de Henry, Ewen et Nicholas, fondèrent des commerces sur la rive sud de la péninsule d’Avalon dans les années 1820, avant de s’établir à St John’s où ils devinrent des piliers de l’élite commerçante. Son troisième frère, Thomas, était chirurgien à Ilfracombe, dans le Devon.

En 1835, pendant ses études en médecine, Henry visita la colonie et, à la demande du gouvernement, vaccina des gens de la région de la baie Conception. Deux ans plus tard, il obtint un diplôme en médecine de la University of Edinburgh. Sa thèse était intitulée : « On influenza ». Il partit immédiatement pour Terre-Neuve afin d’ouvrir un cabinet de médecine générale à St John’s. Vers décembre 1854, il épousa à Philadelphie une jeune fille de 18 ans, prénommée Fanny Elizabeth, récemment immigrée de Gotha (République démocratique allemande), qu’il avait rencontrée l’automne précédent, peu après le naufrage qu’elle avait subi au large des côtes de Terre-Neuve.

Au moment où Stabb arriva à St John’s en 1837, l’exécutif et la chambre d’Assemblée à tendance réformiste, dominée par les libéraux catholiques impatients de promouvoir leurs coreligionnaires, étaient enlisés dans une lutte acharnée au sujet des nominations. En 1838, ils acceptèrent pourtant la nomination de Stabb à l’un des quatre postes de médecin de district, malgré le fait qu’il était anglican et que ses frères étaient étroitement liés au clan opposé des conservateurs. Les conditions de vie épouvantables des « lunatiques » gardés dans des cellules du sous-sol et des salles du St John’s Hospital incitèrent Stabb à devenir l’instigateur de réformes dans le traitement de l’aliénation mentale. En novembre 1847, il réussit, presque sans aide, à persuader le gouvernement d’établir dans une résidence louée depuis peu pour le traitement des maladies contagieuses un asile provisoire pour les aliénés. On put ainsi libérer de leurs entraves ceux qui vivaient au St John’s Hospital et dans les prisons locales, et faire sortir ceux qui étaient gardés dans des pensions ou des maisons privées, où on ne leur offrait aucune possibilité de traitement ou de réhabilitation.

Pendant ce temps, Stabb continua à pratiquer la médecine à son cabinet, tout en exerçant des pressions en faveur de la construction d’un asile permanent d’après le modèle des établissements spécialisés qui existaient en Grande-Bretagne et aux États-Unis. En 1853, il réussit finalement à faire entreprendre les travaux de construction sous la direction d’une commission formée par le gouvernement, et dont il était à la fois le secrétaire et l’âme dirigeante. L’asile, l’un des premiers du genre en Amérique du Nord britannique [V. Joseph Workman], ouvrit ses portes en décembre 1854 ; il serait agrandi plusieurs fois entre 1858 et 1877 sous la surveillance de Stabb. En août 1846, on l’avait nommé médecin du futur asile, puis en juin 1857 il en devint le surintendant médical résidant permanent. Il continua d’assumer seul la responsabilité de l’administration et des services médicaux auprès de la population internée à cause de problèmes mentaux, pour laquelle il se dévoua sans compter durant 43 ans. Dans sa vie privée comme en public, c’était un homme à l’esprit humanitaire, conscient des problèmes sociaux. En 1849 et 1854, il fut secrétaire de bureaux de santé spéciaux et, en 1867, on l’élut président de la Medical Society of St John’s, nouvellement fondée.

Stabb préconisait la méthode relativement récente qui consistait en un traitement moral des malades mentaux et, comme en Grande-Bretagne, il évitait toute forme de contention. Son régime thérapeutique comprenait une bonne alimentation, de l’air frais et de l’exercice, des périodes de récréation et du travail sous la direction d’un personnel compétent et bienveillant, bref, tous les éléments susceptibles de créer un environnement sain sur les plans physique et mental et d’inciter les malades à remodeler leur comportement d’après des critères socialement acceptables, ce qui permettrait leur rétablissement. En 1847, Stabb visita les asiles publics les plus connus en France et en Angleterre, dont la Salpêtrière et le Bicêtre de Paris, le Bethlehem et le Guy’s de Londres, l’asile du comté de Devon ainsi que celui du comté de Middlesex destiné spécialement aux pauvres et situé à Hanwell (Londres). Son rapport sur sa visite, intitulé « Notes on the Parisian lunatic asylums », fut publié dans le premier numéro du Journal of Psychological Medicine and Mental Pathology, qui parut à Londres en janvier 1848. Dans cet article, il faisait ressortir l’aspect négatif de l’usage français qui privilégiait la contention par rapport à la méthode opposée qui avait cours en Grande-Bretagne.

La méthode de traitement préconisée par Stabb était basée sur celle de son ami le docteur John Conolly, médecin résidant à l’asile de Hanwell et principal défenseur de la non-contention. Stabb était aussi un ami personnel de la réformatrice américaine Dorothea Lynde Dix, qui fut à l’origine d’importants progrès en matière de soins psychiatriques, et qui lui fit visiter, en 1853, des asiles publics en Amérique du Nord. Il eut le plaisir d’entretenir avec elle une correspondance très suivie entre 1853 et 1876, qui s’avéra pour lui une importante source d’inspiration et de soutien. À trois occasions différentes, Dorothea Lynde Dix appuya personnellement les efforts que Stabb déploya en vue d’établir, d’agrandir et d’administrer l’asile d’aliénés de St John’s. Même si ce dernier était membre de l’Association of Medical Superintendents of American Institutions for the Insane, fondée en 1844, jamais il n’obtint du gouvernement de Terre-Neuve l’autorisation d’assister aux assemblées annuelles ; il se sentait donc isolé à la fois sur les plans géographique et professionnel. Il entretenait cependant des relations avec quelques membres de cet organisme, notamment avec le docteur Thomas Story Kirkbride, l’un des fondateurs les plus influents de l’association et la figure dominante dans la conception architecturale des asiles d’aliénés américains du xixe siècle.

Tout au long de sa carrière, Stabb souffrit personnellement et professionnellement de devoir dépendre de ceux qui, à Terre-Neuve, doutaient des avantages d’un traitement coûteux en asile pour les malades mentaux (y compris les alcooliques, les fous criminels, les épileptiques et les retardés mentaux), mais il ne perdit jamais foi en sa mission et ses méthodes. En outre, il déploya tous ces efforts à une époque où la plupart des services sociaux et médicaux de l’île étaient loin derrière ceux qui existaient partout ailleurs en Amérique du Nord. Pendant les années 1860 et au début des années 1870, Stabb reçut de nombreux éloges pour ses talents d’administrateur et son habileté à dispenser des soins dans des conditions difficiles, et il bénéficia de la reconnaissance et de l’appui du milieu médical à l’extérieur de la colonie. Par ailleurs, ses relations avec les gouvernements qui se succédèrent ne furent pas toujours cordiales, et il vécut toute une série de tragédies personnelles : la fragilité mentale de sa femme, la démence de sa sœur ainsi que la mort de six de ses enfants, dont quatre périrent dans une épidémie de scarlatine en 1866. L’accumulation graduelle de cas chroniques à l’asile, l’accroissement constant du nombre d’admissions et les rétablissements de plus en plus rares donnèrent lieu à un affaiblissement du soutien moral et financier accordé par le gouvernement à la fin des années 1870 et dans les années 1880. Ces facteurs, ajoutés à la détérioration des facultés mentales de Stabb à partir de 1885, amenèrent la formation en 1890 d’une commission d’enquête sur l’administration de l’hôpital, qui jeta le discrédit à la fois sur Stabb et sur son établissement. Il dut finalement prendre sa retraite et alla vivre avec sa femme chez leur fils Frederick A., médecin, qui revenait de l’étranger. Son état physique demeura satisfaisant pendant environ un an, jusqu’à ce que des troubles cérébraux se manifestent sous forme de légères crises d’aphasie accompagnées d’une paralysie du côté droit. Le 9 mai 1892, victime d’une hémorragie cérébrale, il sombra dans le coma ; il mourut huit jours plus tard.

Au début de sa carrière, Stabb avait créé la controverse dans son milieu en persistant à affirmer que l’on devait traiter de façon décente les aliénés et qu’ils avaient des chances de se réhabiliter. Il considérait que l’asile était d’abord un lieu de traitement, puis un établissement de charité publique pour les séjours prolongés. On perçut ensuite l’utilité sociale de son action, car il tenait les malades mentaux à l’écart. Même s’il ne fut jamais un théoricien innovateur en matière de médecine et de psychiatrie, il appliquait les pratiques les plus humaines et, semble-t-il, les plus éclairées de l’époque ; il réclama un niveau minimal de soins pour les malades mentaux à charge, requête peu susceptible d’attirer la sympathie d’une société non habituée à d’importantes dépenses dans le domaine de la santé et de l’assistance publiques. Comme il n’existait pas de loi à cet égard à Terre-Neuve, les malades, les gens âgés, les infirmes, les déficients mentaux, les orphelins et les chômeurs pouvaient compter seulement sur des services d’aide aux indigents administrés sans discernement et à partir de fonds qui provenaient du trésor public et qui étaient accordés selon le bon vouloir des membres de l’exécutif. Il n’y avait ni hospice des pauvres ni prison au moment de la fondation de l’asile. Les soins médicaux étaient souvent dispensés par des personnes non compétentes, et le seul hôpital général qui existait desservait une population qui s’élevait à plus de 122 000 âmes en 1857.

Dans ce contexte, la réalisation initiale de Stabb, soit la fondation de l’asile, prend toute sa dimension. Sa prise de position en faveur de la méthode britannique de la non-contention le distingua en outre de la majorité de ses collègues nord-américains, qui continuèrent d’avoir recours à des moyens mécaniques pendant la majeure partie du siècle. Sa principale erreur, cependant, commune à d’autres surintendants médicaux des deux côtés de l’Atlantique, fut d’insister pour que les malades chroniques, incurables, demeurent dans un établissement qui était censé les guérir (donc coûteux à entretenir) ; ce fut aussi de sous-évaluer le nombre de malades qui, pour une raison ou une autre, ne réagissaient pas au traitement et ne pouvaient être guéris par des méthodes uniquement « morales ». Dépourvus de connaissances dans des domaines comme l’immunologie, l’endocrinologie, la pharmacologie, les diagnostics en laboratoire et la génétique, ceux qui travaillaient auprès des aliénés parvenaient difficilement à s’appuyer sur une base médicale ou scientifique. De plus, leur insistance sur le fait que les désordres mentaux étaient de nature somatique et pouvaient être traités par la gestion des habitudes de vie les plaçait dans une position gênante, sinon insoutenable, et leur vision de l’asile comme outil thérapeutique indispensable était peu judicieuse à tout point de vue. Stabb n’avait pas prévu non plus avec quelle désinvolture les responsables gouvernementaux en viendraient à y faire interner des personnes gênantes, considérant l’asile comme un moyen de plus en plus commode pour les mettre à l’écart.

Le débat révisionniste sur la raison d’être sous-jacente des asiles d’aliénés – à savoir s’ils étaient issus de préoccupations humanitaires et de la foi en la science au prétendu Siècle des lumières (le point de vue des traditionalistes), ou s’ils s’intégraient à un vaste mouvement destiné à maîtriser et à enfermer des déviants à une époque d’industrialisation et d’urbanisation croissantes (la théorie du contrôle social) – ne s’est ouvert que depuis peu. Toutefois, Henry Hunt Stabb n’était pas doué de prescience et n’a donc pu prévoir le rôle que sa réalisation serait ultimement appelée à jouer.

Patricia O’Brien

Harvard College Library, Houghton Library (Cambridge, Mass.), D. L. Dix papers, lettres de H. H. Stabb à Dix, 1853–1876 (photocopies à la Waterford Hospital Library, St John’s).— MHA, Stabb name file.— PANL, GN 2/1/A, 1832–1870 ; GN 2/2, 1825–1859, 1863–1864, 1866–1868 ; GN 2/22/A, 1841–1877 ; GN 2/23, 1849–1850.— PRO, CO 194/170–171 (mfm aux PANL).— T.-N., Acts, 1833–1890 ; General Assembly, Journal, 1845–1846 ; House of Assembly, Journal, 1848–1890.— Courier (St John’s), 1845–1867.— Newfoundlander, 1838–1845.— Patriot and Terra-Nova Herald, 1855–1857.— Public Ledger, 1839–1855.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 1855–1894.— Times and General Commercial Gazette (St John’s), 1845–1881.— List of the graduates in medicine in the University of Edinburgh from MDCCV to MDCCCLXVI (Édimbourg, 1867).— Albert Deutsch, The mentally ill in America : a history of their care and treatment front colonial times (2e éd., New York, 1949).— S. R. Godfrey, Human rights and social policy in Newfoundland, 1832–1982 : search for a just society (St John’s, 1985).— Gunn, Political hist. of Nfld.— H. M. Hurd et al., The institutional care of the insane in the United States and Canada, H. M. Hurd, édit. (4 vol., Baltimore, Md., 1916–1917 ; réimpr., New York, 1973).— Patricia O’Brien, Out of mind, out of sight : a history of the Waterford Hospital (St John’s, 1989).— D. W. Prowse, A history of Newfoundland from the English, colonial and foreign records (Londres et New York, 1895 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972).— A. T. Scull, Museums of madness : the social organization of insanity in nineteenth-century England (Londres, 1979).— T. E. Brown, « Foucault plus twenty : on writing the history of Canadian psychiatry in the 1980s », Canadian Bull. of Medical Hist. (St John’s), 2 (1985) : 23–49.

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Patricia O’Brien, « STABB, HENRY HUNT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/stabb_henry_hunt_12F.html.

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Auteur de l'article:    Patricia O’Brien
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    28 novembre 2024