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RINDISBACHER, PETER, peintre, né le 12 avril 1806 à Eggiwil, Suisse, fils cadet de Pierre Rindisbacher et de Barbara (Barbe) Ann Wyss ; décédé le 12 ou le 13 août 1834 à St Louis, Missouri.
Peter Rindisbacher était issu d’une famille de luthériens germanophones. Son père, fermier de la classe moyenne, commença de travailler comme vétérinaire en 1806. Dès un âge très précoce, Peter dessinait constamment, avec l’encouragement et les conseils de ses parents. En 1818, Jakob Samuel Weibel, miniaturiste de l’école de Berne qui influença fortement son style, lui enseigna les rudiments de la peinture de paysages. L’autre centre d’intérêt de Peter était l’armée ; il avait été à l’âge de dix ans tambour volontaire dans une compagnie bernoise de grenadiers.
Le père de Peter était de ces hommes qui ne peuvent pas rester en place. Aussi fut-il séduit quand il entendit Rudolph von May, capitaine du régiment de De Meuron venu à Berne au nom de lord Selkirk [Douglas*] recruter des colons pour l’établissement de la Rivière-Rouge (Manitoba), décrire en termes fabuleux les perspectives agricoles de la colonie. Le 30 mai 1821, le Lord Wellington quittait Dordrecht, aux Pays-Bas, pour York Factory (Manitoba), dans la baie d’Hudson ; il avait à son bord la famille Rindisbacher et un contingent de plus de 160 émigrants, surtout suisses.
La traversée fut pénible. En chemin, le Lord Wellington rencontra deux navires de la Hudson’s Bay Company, le Prince of Wales et l’Eddystone, ainsi que le Hecla et le Fury, de la marine royale, confiés au commandant William Edward Parry* pour une expédition visant à découvrir le passage du Nord-Ouest. Peter, alors âgé de 15 ans, dessina les navires, les impressionnants icebergs qui s’avançaient vers eux et les Inuit venus faire de la traite avec les Blancs. Le Lord Wellington jeta l’ancre à York Factory le 17 août. Peu après, non sans avoir dû abandonner une grande partie de leurs provisions et de leurs biens à cause de la rareté des embarcations, les Suisses entreprirent l’épuisant et dangereux voyage, vers Norway House (Manitoba) puis le fort Douglas (Winnipeg), siège du gouvernement de la colonie. Ils arrivèrent à destination en novembre, juste avant le gel. En cours de route, Rindisbacher avait fait des dessins représentant des postes de la Hudson’s Bay Company, des Indiens et les efforts déployés par ses compatriotes pour franchir les portages et remonter les rivières. Au fort Douglas, les Suisses, épuisés, apprirent que rien n’avait été préparé pour les accueillir et qu’ils devraient passer l’hiver avec leurs maigres provisions et ce qu’ils pourraient trouver. À la fin de l’hiver, le gouverneur George Simpson* rapporta qu’ils présentaient « bien le plus affligeant spectacle de famine qui se puisse concevoir ».
En 1822, Pierre Rindisbacher construisit une maison et se mit à cultiver la terre. Peter ajoutait aux revenus de sa famille les gains provenant de son travail à titre de commis au magasin de la Hudson’s Bay Company au fort Garry (Winnipeg) et le produit de la vente de ses peintures. En 1823, James Hargrave*, commis de la compagnie au même endroit, commença de recevoir pour lui des commandes de trafiquants et de fonctionnaires qui, charmés par la vivacité et la véracité de ses scènes de la vie dans le Nord-Ouest, voulaient en garder en souvenir ou en envoyer à des parents. Peter se constitua un répertoire de sujets populaires ; les originaux étaient faits à la plume et à l’encre après quoi des copies étaient tracées et finies à l’aquarelle. En novembre 1824, George Barnston*, à York Factory, commanda à Hargrave plusieurs œuvres représentant des Indiens des Plaines et des bisons, sujets « dans lesquels, je crois, le jeune homme excelle », disait-il. En 1826, dans une autre commande, il précisa à Hargrave de laisser Rindisbacher « fixer lui-même le prix des dessins » car il le tenait pour« un jeune homme consciencieux ».
En 1823, le gouverneur intérimaire d’Assiniboia, Andrew H. Bulger*, avait commandé au jeune Rindisbacher une série de six aquarelles qui le montreraient voyageant par divers moyens de transport et rencontrant des délégations indiennes. Ayant vu des copies de la série, le successeur de Bulger, Robert Parker Pelly, s’en fit faire et les emporta en Angleterre en 1825. Là-bas, il en fit réaliser des copies à l’huile dans lesquelles il apparaissait à la place de Bulger ; des lithographies en couleur en furent tirées et vendues par jeux de six en Grande-Bretagne, où les expéditions de John Franklin* éveillaient un intérêt pour les œuvres de Rindisbacher, et dans le Nord-Ouest, où les « livres d’images de Pelly » se vendaient bien aussi. Rindisbacher ne fut ni reconnu comme auteur des originaux ni rémunéré pour les ventes. De même, le révérend John West*, missionnaire anglican de la colonie de la Rivière-Rouge, emporta six dessins à Londres et les fit publier en 1825 ou 1826 sous forme de lithographies où lui-même, plutôt que Rindisbacher, était identifié comme artiste.
Les Métis, les fonctionnaires de la compagnie et la vie des colons faisaient partie des thèmes du jeune peintre, mais c’était surtout la vie exotique, colorée et pleine d’action des Indiens qui l’inspirait (et qu’on lui demandait de peindre). On dit que Bulger organisa une expédition hivernale pour lui donner l’occasion de faire des esquisses d’une chasse au bison. Par contre, seules quelques peintures rendent compte de la situation de plus en plus désespérée qui était celle des compatriotes de Rindisbacher. Étant pour la plupart des artisans, ils n’étaient absolument pas préparés à affronter les privations d’une existence de fermiers à la colonie de la Rivière-Rouge. Les catastrophes d’origine humaine ou naturelle déjouaient les efforts maladroits qu’ils déployaient pour assurer leur subsistance. Petit à petit, ils se mirent à descendre vers le sud. Au printemps de 1826, une crue dévastatrice et une invasion de larves découragèrent les quelques irréductibles qui restaient, dont Pierre Rindisbacher. Le 11 juillet 1826, en compagnie de sa famille et d’autres colons suisses, il quitta la Rivière-Rouge ; il s’établit dans un endroit appelé Gratiot’s Grove (près de Darlington, Wisconsin).
Peter Rindisbacher continua d’enrichir son répertoire de scènes indiennes mais élargit aussi son éventail de sujets en faisant des portraits miniatures d’amis et de citoyens de l’endroit. Il visita St Louis en juin 1829 puis se rendit à Prairie du Chien (Wisconsin) pour immortaliser la cérémonie de signature d’un traité et faire des études de Sauks et de Renards. Dès la fin de l’année, il vivait à St Louis, où il faisait des miniatures au crayon, au pastel et à l’aquarelle. Il ne s’était jamais désintéressé de la vie militaire et, tant à la Rivière-Rouge que dans les prairies américaines, il était constamment en compagnie de soldats ; à St Louis, il devint volontaire dans les St Louis Grays. Les officiers, grâce à leurs relations au sein de la bonne société américaine, firent connaître leur jeune ami au public amateur. Dans les journaux de la région, des officiers le louaient en disant qu’il avait « un génie aussi fertile et une imagination aussi éclatante que les paysages au milieu desquels il s’[était] installé ». Ils affirmaient en outre : « voilà qui lui permettra, en cultivant ses talents raffinés, de mettre de côté les sujets rebattus des écoles et de donner au monde des thèmes aussi neufs que le sol sur lequel il a grandi, éclatants comme la nature vierge et aussi pittoresques que ce que peut produire la rencontre d’un paysage audacieux et d’un homme à la manière plus audacieuse encore ». Ses amis envoyèrent de ses œuvres à l’American Turf Register and Sporting Magazine, de Baltimore, qui les publia dans ses pages. Cependant, le succès qui s’annonçait ne put pas venir : en 1834, à l’âge de 28 ans, Rindisbacher mourut, peut-être du choléra. Apparemment, il était marié et père de deux enfants.
Peter Rindisbacher a plu à son époque par la nouveauté de ses thèmes, l’exactitude de leur rendu et le caractère attrayant de son style. Ses premières peintures sont d’une exécution naïve, mais les œuvres qu’il réalisa ensuite à la Rivière-Rouge sont peintes dans des couleurs claires et harmonieuses tandis que ses sujets, composés en tableaux aérés et baignant dans une lumière calme et diffuse, dégagent de la sérénité. Elles conservent toutefois une certaine rigidité, et ce n’est que dans les œuvres postérieures à 1826 que, par des lignes élancées, une palette plus sobre et une netteté d’exécution presque métallique, Rindisbacher capte toute l’âme de ses sujets. L’amélioration constante du rendu des muscles reflète peut-être les connaissances anatomiques de son père ; elle reflète certainement le développement de son style. Comme l’observait un admirateur en décembre 1829 : « L’apparence de gonflement et de contraction qu’il sait donner à la musculature de ses personnages produit un effet de vie et de mouvement qui révèle beaucoup d’observation, de jugement et de maîtrise. »
Très peu connu avant les années 1940, Peter Rindisbacher occupe maintenant une place importante dans l’histoire de l’art canadien. Bien que d’origine européenne, il a pu, grâce à sa jeunesse et à son manque de formation classique, élaborer un style qui s’enracinait dans son pays d’adoption. Premier artiste professionnel résidant à l’ouest des Grands Lacs, il était un dessinateur plus habile et sentait mieux ses thèmes que son plus proche contemporain américain, George Catlin, mieux connu que lui. Il compte, avec Catlin, John Mix Stanley et Paul Kane*, au nombre des artistes renommés de l’Ouest qui voulurent avant tout immortaliser la vie des Indiens. Très attentif au détail, possédant une technique de plus en plus sûre pour saisir ses sujets et leur terre, Rindisbacher a laissé sur son époque et les lieux qu’il a connus un témoignage digne de considération. Historiens, anthropologues et géographes tireront de son œuvre des enseignements précieux tandis que les amateurs d’art apprécieront le caractère distinctif, évolutif et authentique de sa peinture.
En collaboration avec J. Russell Harper
Grâce au travail de promotion fait par ses amis officiers, la popularité dont Peter Rindisbacher commençait à jouir au moment de sa mort continua quelques années après. Ses œuvres furent publiées, habituellement par lithographie, dans James Otto Lewis, Aboriginal port folio : a collection of portraits of the most celebrated chiefs of the North American Indians (Philadelphie, 1835–1836) ; Thomas Lorraine McKenney et James Hall, History of the Indian tribes of North America with biographical sketches and anecdotes of the principal chiefs (3 vol., Philadelphie, 1836–1844) ; Augustus Murray, Travels in North America during 1834, 1835, & 1836 (Londres, 1839) ; et dans l’American Turf Register and Sporting Magazine (Baltimore), 11 (1840) : 495–496. Depuis que l’historienne Grace Lee Nute a ressuscité l’intérêt pour Rindisbacher en 1933, des reproductions de ses œuvres ont illustré bon nombre de publications sur l’art canadien et américain, sur l’Arctique et l’Ouest ainsi que sur les Indiens.
E. H. Bovay, le Canada et les Suisses, 1604–1974 (Fribourg, Suisse, 1976), énumère 187 œuvres faites par ou attribuées à Rindisbacher et fournit le nom du dernier détenteur connu de chacune. Au Canada ses œuvres se trouvent principalement aux APC, au Glenbow-Alberta Institute, Calgary, et aux PAM.
Un autoportrait de Rindisbacher peint en 1833–1834 a été reproduit dans Bovay et dans Alvin M. Josephy, The artist was a young man : the life story of Peter Rindisbacher (Fort Worth, Tex., 1970), qui contient aussi une bibliographie complète sur Rindisbacher.
Lauperswil Registry Office (Lauperswil, Suisse), Reg. of baptisms for the commune of Lauperswil, 1806.— J. R. Harper, Painting in Canada, a history (Toronto et Québec, 1966).— F. [J.] Lindegger, Bruder des roten Mannes ; das abenteuerliche liben und einmalige werk des Indianermalers Peter Rindisbacher (1806–1834) (Aare, Suisse, 1983).— Barry Lord, The history of painting in Canada : toward a people’s art (Toronto, 1974).— Karl Meuli, « Seythia Vergiliana : ethnographisches, archäologisches und mythologisches zu Vergils Georgica », Beiträge zur Volkskunde (Basel, Suisse, 1960), 140–175.— Painters in a new land : from Annapolis Royal to the Klondike, Michael Bell, édit. (Toronto, 1973).— F. J. Lindegger, « Wie der Eggiwiler Peter Rindisbacher zum Indianermaler wurde », Berner Nachrichten (Berne, Suisse), 24, 29 août 1978.— J. F. McDermott, « Further notes on Peter Rindisbacher », Art Quarterly (Detroit), 26 (1963) : 73–76.
En collaboration avec J. Russell Harper, « RINDISBACHER, PETER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/rindisbacher_peter_6F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
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Date de consultation: | 28 novembre 2024 |