REGNARD DUPLESSIS, MARIE-ANDRÉE, dite de Sainte-Hélène, hospitalière de l’Hôtel-Dieu de Québec, annaliste, épistolière, supérieure, née à Paris le 28 mars 1687, fille de Georges Regnard* Duplessis et de Marie Le Roy, décédée à l’Hôtel-Dieu de Québec le 23 janvier 1760.
Marie-Andrée Regnard Duplessis avait deux ans lorsque ses parents décidèrent d’émigrer en Nouvelle-France. Elle fut alors confiée à sa grand-mère maternelle, qui demeurait à Chevreuse, près de Paris. Tout ce que nous savons de son éducation, c’est qu’à l’âge de 13 ans elle fut placée chez les Filles de la Croix, rue Saint-Antoine à Paris, où « résidaient bon nombre de Dames et de filles de toutes conditions et même des duchesses ». Si l’on en juge par ses écrits, elle dut y recevoir une instruction assez poussée, qui lui permit de remplir des charges importantes à l’Hôtel-Dieu de Québec.
En 1702, alors qu’elle est âgée de 15 ans, elle vient rejoindre ses parents à Québec et elle côtoie la haute société québécoise, où, semble-t-il, son entrée fit sensation. La chose est plausible puisque, selon un témoin, elle était « avantagée de la beauté du corps et d’un grand esprit ». Sa notice nécrologique mentionne qu’elle fut « recherchée par plusieurs personnes de condition ».
L’année 1707 constitue un tournant décisif dans la vie de Marie-Andrée Regnard Duplessis. Le 27 juillet, elle fait son entrée chez les hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Québec. Elle a 20 ans et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, elle est considérée comme assez âgée, puisque l’âge moyen des religieuses à leur entrée au noviciat se situe à cette époque entre 14 et 16 ans. Deux ans plus tard, le 27 juillet 1709, elle y fait profession sous le nom de Sainte-Hélène.
Nous avons très peu de renseignements sur ses premières années de vie religieuse. En 1713, sa sœur Geneviève était venue la rejoindre à l’Hôtel-Dieu. Plus tard, Marie-Andrée écrira : « Nous avons une grande sympathie et sommes très unies de sentiments. » On peut penser que cette présence contribua à adoucir l’austérité du cloître et l’amertume de voir sa famille réduite à une quasi-misère, après avoir occupé un rang des plus honorables [V. Georges Regnard Duplessis].
En 1718, la mère Sainte-Hélène est nommée maîtresse des novices, charge qu’elle exercera jusqu’en 1721 ; un peu plus tard, elle sera nommée dépositaire des pauvres. C’est durant cette période qu’elle rédige Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec 1636–1716, de concert avec la mère Jeanne-Françoise Juchereau* de La Ferté, dite de Saint-Ignace. Celle-ci fournit à la mère Sainte-Hélène les matériaux mais s’en remet à sa collaboratrice « pour le style, l’ordre, l’économie et la piété ». L’ouvrage resté à l’état de manuscrit jusqu’en 1751 raconte avant tout l’histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec depuis ses débuts mais, à travers le récit, c’est toute l’histoire de la Nouvelle-France qui revit, avec ses hauts et ses bas, avec ses problèmes sociaux et politiques, le tout vu dans la perspective d’une religieuse cloîtrée, cultivée, mais aux horizons forcément limités. Pour ce qui regarde l’histoire de l’Hôtel-Dieu, l’ouvrage offre un tableau exact, voire même minutieux, de la vie quotidienne des sœurs, de leurs préoccupations en tant que religieuses et hospitalières. Le lecteur moderne pourra trouver fastidieux, sinon naïfs, certains récits de faits « miraculeux », tel celui de la « barique de pois, dans laquelle on en prenait tous les jours plusieurs boisseaux, [et qui] dura plus de trois mois ». On est libre aussi de penser que la Providence n’intervint pas toutes les fois que le feu – toujours à craindre à cette époque où presque toutes les habitations étaient de bois – put être maîtrisé ou s’éteignit par lui-même. Il reste que l’ouvrage est plein d’informations extrêmement intéressantes sur la vie d’une importante communauté religieuse canadienne pendant 80 ans, sur les techniques médicales utilisées à l’époque, sur le travail artisanal des sœurs. Quant aux descriptions ou aux récits se rapportant à la vie de la colonie canadienne, ils offrent très souvent des renseignements de premier ordre qu’on ne trouve nulle part ailleurs et que ne peut négliger l’historien de l’époque. Il faut prendre avec un grain de sel les jugements portés sur certains personnages, surtout lorsque ceux-ci, tels Mme d’Ailleboust [Boullongne*], l’intendant Jean Talon* ou le gouverneur de Denonville [Brisay*] se trouvent à être les bienfaiteurs de la communauté. Une chose à ne pas oublier en lisant les Annales, c’est qu’elles étaient destinées à être lues par la communauté, d’où certaines réticences, certaines lacunes, qui autrement paraîtraient des faiblesses impardonnables. Dans cette optique, on ne doit pas s’étonner que toutes les sœurs décédées se voient décerner des éloges post-mortem laissant croire qu’elles n’avaient presque aucun défaut, ou de si petits qu’ils étaient à peine détestables. Cependant, il faut faire confiance à l’annaliste quand elle parle du dévouement des religieuses auprès des malades et des pauvres, Français ou Indiens. Les Annales témoignent d’un véritable talent de plume, tant par la qualité de l’expression que par la vivacité du récit. Elles apparaissent comme une des œuvres canadiennes les plus importantes de l’époque.
En même temps qu’elle écrivait les Annales, la mère Sainte-Hélène amorça une correspondance (qui se prolongea jusqu’en 1758) avec Mme Hecquet de La Cloche, résidant à Abbeville en France. Seules les lettres de la mère Sainte-Hélène, au nombre de 32, ont été conservées. Elles sont un peu le prolongement des Annales, en ce sens qu’elles contiennent une foule d’informations relatives à la vie de l’Hôtel-Dieu et aux événements survenus dans la colonie. L’auteur s’y montre beaucoup plus à l’aise pour porter des jugements, parfois contestables il est vrai, sur les hommes et les choses. Par exemple, elle entretient à l’égard des Canadiens en général les mêmes préjugés qu’on rencontre chez certains Français de l’époque. L’opinion qu’elle s’en fait est assez peu flatteuse. Elle juge médiocres les produits canadiens. Quant aux Indiens, « ce sont, d’après elle, de vilains Messieurs [...] ce sont des sauvages, c’est tout dire ». Elle attribue le peu de progrès de l’évangélisation aux mauvais exemples des Français. Sans avoir l’importance des Annales, ces lettres constituent une documentation intéressante et non négligeable concernant l’époque où elles ont été écrites. La forme littéraire en est plutôt pauvre comparée à celle des Annales. Il faut dire qu’elles ont été écrites à la hâte. Chose assez étonnante, sa correspondante était une janséniste rigide qui, à l’âge de 47 ans, écrivit une profession de foi où elle rejetait définitivement la bulle Unigenitus et où elle s’avouait hérétique, opiniâtre et rebelle à l’Église. Ou bien la mère Sainte-Hélène a fait preuve d’indulgence ou bien elle a tout ignoré des croyances de sa correspondante, ce qui, à l’examen des lettres, paraît plus vraisemblable. Nulle part en effet on n’y voit d’allusions à cet état de choses.
La mère Sainte-Hélène exerça la charge de supérieure à plusieurs reprises. Au total elle occupa ce poste pendant près de 16 ans, soit de 1732 à 1738, de 1744 à 1750 et de 1756 à 1760, année de sa mort. Dans les intervalles, elle remplit la charge d’assistante.
Le dernier supériorat de la mère Sainte-Hélène fut marqué par de cruelles épreuves pour la communauté. À peine relevées d’un désastreux incendie qui consuma entièrement l’Hôtel-Dieu le 7 juin 1755, les hospitalières eurent à subir les contrecoups de la guerre. En l’espace de cinq ans, de 1754 a 1759, plus de 15 religieuses décédèrent, la plupart des suites de maladies contractées au chevet des malades, en majeure partie des soldats. Puis ce fut l’invasion et la prise de Québec où la communauté se vit forcée de déménager à l’Hôpital Général, d’où elle revint après la bataille des Plaines d’Abraham presque entièrement ruinée, à tel point que la mère Sainte-Hélène envisageait même sa suppression. Accablée par le chagrin et les épreuves, la supérieure fut prise d’un frisson accompagnée d’une douleur au côté, dans la nuit du 17 janvier 1760. Malgré les soins d’un médecin français et d’un médecin anglais envoyé par James Murray*, elle mourut le 23 janvier suivant, après avoir reçu les derniers sacrements des mains du grand vicaire, Jean-Olivier Briand*.
Avec elle disparaissait la dernière religieuse de l’Hôtel-Dieu née en France et une des plus remarquables supérieures de cette institution. Dans la lettre de condoléances qu’il écrivit à la communauté, deux jours après la mort de la mère Sainte-Hélène, le grand vicaire loua « sa douceur, sa débonnaireté, sa prudence, sa modestie, son humilité, son amour pour la prière, sa mortification, sa régularité et fidélité entière à tout, même dans les plus petites choses ». Malheureusement, il ne nous est resté aucun portrait de la mère Duplessis de Sainte-Hélène.
La correspondance de la mère Sainte-Hélène avec Mme Hecquet de La Cloche, A.-L. Leymarie, édit., Nova Francia, II (1926–1927) : 66–78 ; III (1927–1928) : 35–56, 94–110, 162–182, 220–237, 279–300, 355–361 ; IV (1928–1929) : 33–58, 110–123.— Juchereau, Annales (Jamet) ; cet ouvrage a été publié à Montauban en 1751 par Louis Bertrand* de Latour, sous le titre d’Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec.— Casgrain, Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec.— M. L. Gies, Mère Duplessis de Sainte-Hélène, annaliste et épistolière (thèse de doctorat, université Laval, Québec, 1949).— Juliette Rémillard, Mère Marie-Andrée Duplessis de Sainte-Hélène, RHAF, XVI (1962–1963) : 388–408.
Jean-Pierre Asselin, « REGNARD DUPLESSIS, MARIE-ANDRÉE, dite de Sainte-Hélène », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/regnard_duplessis_marie_andree_3F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
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