RAZILLY (Rasilly), ISAAC DE, capitaine dans la marine, colonisateur et gouverneur de l’Acadie ; né en 1587 au château d’Oiseaumelle, en Touraine (France), fils de François de Razilly et de Catherine de Valliers, et frère de Claude, capitaine de navire et commodore, de Gabriel, membre de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, tué à Montpellier en 1622, et de François, qui dirigea l’expédition de Maragnan ; mort en 1635 à La Hève.

A l’âge de 18 ans, Isaac était armé chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Il fit carrière dans la marine française et se fit remarquer par diverses actions d’éclat. En 1621, il était nommé commandant de l’Isle-Bouchard, en Touraine. La même année, il commandait une escadre de 13 navires pendant le siège du port de Saint-Martin qu’occupaient les huguenots, s’emparant de 30 bâtiments ennemis au cours de cette action. Lors de l’attaque contre les huguenots de La Rochelle, en 1625, il fut sérieusement blessé et perdit un œil par suite de l’explosion d’un des bâtiments de sa flotte. Par ailleurs, son service dans la marine lui fit connaître plusieurs parties du monde et lui donna d’autres occasions de faire ses preuves.

Le cardinal de Richelieu en vint à rechercher son avis sur les questions maritimes. En 1626, il lui demande d’exposer ses idées sur le commerce intérieur et extérieur du pays. Dans le mémoire qu’il rédige à cet effet, Razilly affirme en toute franchise que le commerce extérieur du royaume reste dans la stagnation à cause de la notion erronée du gouvernement selon laquelle le commerce n’est pas essentiel au bien-être du pays. Pour réfuter cette notion, Razilly exprime l’avis que la maîtrise de la mer vaudrait à la France la puissance sur terre. Dans le chapitre relatif à la Nouvelle-France, il propose de former une grande compagnie de commerce au capital de 300 000#, d’agir pour empêcher tout empiètement des Anglais au nord du 36e parallèle et d’établir de 3 000 à 4 000 colons sur des terres, aussi bien pour exploiter les ressources que pour affermir la possession du territoire.

Ce mémoire, provenant d’un homme de renom et de grande réputation, est bien accueilli par Richelieu qui se met en devoir d’y donner suite. Le résultat le plus important en fut sans doute la fondation, l’année suivante, de la Compagnie de la Nouvelle-France, ou Compagnie des Cent-Associés, ainsi qu’on la nomme souvent. Les associés comprenaient Richelieu lui-même, Champlain et Razilly, nommé commandant maritime pour le compte de la compagnie. Le premier geste de la compagnie fut d’affréter quatre navires qu’elle chargea de colons, de bétail, de vivres et d’autres approvisionnements destinés à Champlain, à Québec, et à Charles de Saint-Étienne de La Tour, au cap de Sable. Les navires mirent à la voile au printemps de 1628, mais ils furent interceptés par une escadre anglaise, et seule une minime partie du ravitaillement put passer. L’année suivante, on décidait de dépêcher trois bâtiments de guerre sous le commandement de Razilly, et notamment celui du capitaine Charles Daniel, pour convoyer les navires de ravitaillement à travers l’Atlantique. Mais, comme on était à la veille de la signature de la paix entre la France et l’Angleterre, Richelieu donna à Razilly l’ordre de se diriger plutôt contre les pirates barbaresques qui s’attaquaient aux navires français dans la Méditerranée.

Au début de 1632, Richelieu offrit à Razilly la lieutenance générale de la Nouvelle-France, mais Razilly refusa et demanda plutôt à commander un navire sous les ordres de Champlain, en alléguant que celui-ci était «plus compétent en affaires coloniales ». Le 27 mars, Razilly et Richelieu signaient un accord selon lequel le premier devait prendre possession de Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.) au nom de la compagnie et de la France, en vertu du traité de Saint-Germain-en-Laye, et faire de l’Acadie une colonie française. Une commission du roi, en date du 10 mai, accordait à Razilly l’autorité nécessaire pour entreprendre cette expédition. La compagnie aurait aussi voulu que Razilly commence à coloniser le pays, mais les pertes qu’elle avait subies au cours de la guerre contre l’Angleterre la laissaient sans fonds suffisants. La solution consista à accorder une partie du monopole de traite à des compagnies privées à condition que ces groupes participent à la constitution du capital nécessaire. C’est ainsi que Razilly et certains de ses amis formèrent une association particulière de négoce qu’on nomma par la suite la Compagnie Razilly-Condonnier. La Compagnie de la Nouvelle-France fournissait un navire armé et la somme de 10 000# pour l’expédition de 1632 en Acadie, mais le consortium de Razilly avançait la plus grande partie des sommes nécessaires. Le 19 mai, la compagnie nomma Razilly lieutenant général du roi en Nouvelle-France et lui concéda à Sainte-Croix un territoire de 20 lieues sur 12.

On affréta trois navires et, en plus des marins et des soldats, on recruta des journaliers et des artisans, ainsi que de 12 à 15 familles de colons. En tout, « 300 hommes d’élite », notamment 6 capucins et un certain nombre de gentilshommes, formaient l’expédition. Le départ eut lieu d’Auray, port de Bretagne, le 23 juillet 1632. Un navire de La Rochelle les rejoignit et tous arrivèrent en Acadie le 8 septembre. Razilly, en marin qu’il était, choisit La Hève (La Have), port situé sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse, pour y établir son quartier général et la capitale de l’Acadie, choix déterminé probablement à cause de son havre excellent et des avantages qu’il offrait à la navigation. Sur l’emplacement du village actuel de Riverport, Razilly construisit une habitation composée de sa propre maison, d’un magasin et du fort Sainte-Marie-de-Grâce. On éleva dans les environs une chapelle pour les capucins et d’autres bâtiments à l’intention des familles et des ouvriers célibataires. C’est à La Hève également que les capucins ouvrirent le premier pensionnat de la Nouvelle-France, pour les colons et plus particulièrement pour les Indiens.

Une fois les travaux d’établissement en bonne voie, Razilly songea à reprendre possession de Port-Royal. Vers la mî-décembre, le commandant de la garnison, le capitaine Andrew Forrester, lui rendit ce poste sans combat. Si quelques colons de Port-Royal se joignirent probablement aux colons de Razilly, la plupart acceptèrent son offre de les ramener en Angleterre où ils arrivèrent en février 1632/1633.

Soucieux d’établir la colonie sur des bases solides, ce qui était son but véritable, Razilly emploie certains hommes à la culture. À cette fin, il fait défricher des terres à la Petite-Rivière (Green Bay), où, éventuellement, s’établissent une quarantaine de personnes. En même temps, il entreprend l’exécution d’autres projets importants. Comme la région de La Hève se prête bien à la pêche, Razilly, de concert avec un de ses lieutenants, Nicolas Denys, établit une pêche sédentaire à Port-Rossignol. Il aide en outre Denys dans son entreprise de coupe de bois en vue de l’exportation en Europe. Toutefois, il se rend compte que c’est l’expansion fructueuse de la traite des fourrures qui fournira les fonds nécessaires au progrès continu de l’aventure, et il considère la colonisation de l’Acadie comme son objectif principal. De fait, écrit Denys : « Il n’avoit point d’autre passion que de faire peupler le pays, & tous les ans il faisoit venir du monde le plus qu’il pouvoit à ce dessein ». Dans ses lettres à Richelieu, Razilly parlait en termes enthousiastes de la terre d’Acadie et du nombre de gens, qui, végétant en France, pourraient vivre dans l’aisance sur cette « terre bénie ». « Le sol, écrit-il, est riche aussi bien à la surface que dessous ; la mer abonde en poisson que nous exportons vers le sud de la France ». En 1634, il écrivait à Marc Lescarbot pour se plaindre amèrement qu’il ne disposât pas des moyens nécessaires pour hâter la colonisation et il ajoutait que, s’il avait eu des revenus personnels, il les aurait volontiers consacrés à la réussite de ce projet.

La même année, Razilly propose à Richelieu qu’il demande au roi l’argent nécessaire à l’affrètement de cinq navires destinés à l’Acadie. Deux serviraient à la traite des fourrures et les trois autres, à la pêche de la morue. Ils transporteraient ces produits en France et ils en ramèneraient des marchandises européennens. Les bénéfices permettraient d’augmenter chaque année le nombre des navires. Ce projet, estimait-il, serait avantageux pour le pays, en ce qu’il hâterait la colonisation, stimulerait le commerce, diminuerait la contribution financière de l’État et donnerait une plus grande sécurité contre les pirates.

Afin d’augmenter les débouchés de la traite, Razilly construit un port fortifié à Canseau, qu’il nomme fort Saint-François. Il en confie le commandement à Nicolas Le Creux Du Breuil. Cet endroit a la distinction d’avoir été le théâtre de la première tentative de révolte en Acadie, en 1635. Cette année-là, en effet, Jean Thomas incitait son équipage et une bande de Micmacs de la région à attaquer le fort Saint-François pour s’en emparer. Avec son énergie habituelle, Razilly étouffe la rébellion, fait arrêter et poursuivre Thomas.

Pendant tout ce temps, Razilly entretenait de bonnes relations d’affaires avec Charles de La Tour qui partageait avec lui, en vertu des commissions délivrées par la Compagnie de la Nouvelle-France, le gouvernement des terres et des côtes de l’Acadie. La compagnie dépêchait régulièrement à Razilly des navires chargés de colons et d’approvisionnements. Au début de 1635, il se sent assez fort pour tenter de reprendre le fort de Pentagoet, sur la rivière Penobscot, que le traité a rendu à la France mais que les gens de la Nouvelle-Angleterre n’ont jamais vraiment abandonné. Razilly confie à l’un de ses lieutenants, Charles de Menou d’Aulnay, le commandement d’une troupe et lui ordonne de s’emparer du fort de Pentagoet et d’avertir les Anglais qu’ils doivent libérer toutes les terres situées au nord de Pemaquid. Le poste est pris au mois d’août et ses occupants en sont chassés.

Razilly a désormais la satisfaction de savoir que tous les intérêts de la France en Acadie ont été restaurés. La paix règne et les nombreux projets qu’il a mis en train progressent de façon satisfaisante. Sa mort soudaine à La Hève, survenue en décembre 1635, porte un coup désastreux dont les effets se feront longtemps sentir sur le pays.

Pendant les années qu’il avait passées en Acadie, Isaac de Razilly avait reçu l’appui sans réserve de son frère Claude de Launay-Rasilly (c’est ainsi qu’il signait), non seulement membre de la Compagnie Razilly-Condonnier et de la Compagnie de la Nouvelle-France, mais aussi de deux sociétés privées qui poursuivaient leurs opérations dans la région du Saint-Laurent. Quand, en 1634, la Compagnie de la Nouvelle-France se vit dans l’impossibilité de rembourser aux Razilly l’argent qu’ils avaient prêté, la compagnie accorda à Claude de Rasilly les forts de La Hève et de Port-Royal, ainsi que la moitié des bénéfices que produirait la traite des pelleteries au cours des dix années suivantes. À la suite de la mort de son frère, célibataire, Claude de Rasilly devint responsable de la colonie de l’Acadie. Vu que ses affaires l’obligeaient à demeurer en France, il autorisa Menou d’Aulnay à agir en son nom en Acadie. Toutefois, il continua à s’intéresser activement aux affaires de la colonie et, selon toute probabilité, c’est lui qui s’occupa surtout de mener à bonne fin l’entreprise de son frère en vue d’établir des cultivateurs en Acadie. S’il est difficile de déterminer le chiffre total, il semble raisonnable d’évaluer à environ 120 le nombre des habitants que les frères Razilly amenèrent en Acadie à titre permanent. Au début de 1642, Claude de Rasilly vendit à M. d’Aulnay sa part d’intérêt dans la Compagnie Razilly-Condonnier et, par cet acte, mettait fin aux affaires des Razilly en ce pays.

Même si Isaac de Razilly n’a guère vécu plus de trois ans en Acadie, il a contribué à sa mise en valeur d’une façon importante et durable. Il a été l’un des premiers Européens à s’intéresser plus à la colonisation du pays qu’à l’exploitation de ses autres ressources. C’est sous sa direction qu’un bon nombre des premiers Acadiens, dont les descendants comprennent quelque 300 000 des habitants des provinces de l’Atlantique, se sont établis sur des terres. Se rendant compte que le commerce était également nécessaire au succès de l’entreprise, il réussit à faire progresser la traite des fourrures, l’exploitation forestière et les entreprises de pêche sédentaire. Au surplus, il gouvernait le territoire dépendant de lui avec vigueur, intelligence et largeur de vues. Champlain a dit de lui qu’il était « prudent, sage & laborieux, poussé d’un sainct desir d’accroistre la gloire de Dieu, & porter son courage au pays de la Nouvelle France, pour y arborer l’estendart de Jesus Christ, & y faire florir les lys sous le bon plaisir de Sa Majesté ».

George MacBeath

BN, mss, Fr. 13 423, ff.349v–350, lettre de Razilly à Lescarbot du 16 août 1634.— Champlain, Œuvres (Biggar).— Coll. de manuscrits relatifs à la Nouv.-France, I, II.— Denys, Description and natural history (Ganong).— JR (Thwaites).— René Baudry, Charles d’Aulnay et la Compagnie de la Nouvelle-France, RHAF, XI (1957–1958) : 218–241.— Roger Comeau, Origine des Acadiens, MSGCF, VI (1955) : 243–256.— Couillard-Després, Saint-Étienne de La Tour.— Léon Deschamps, Un Colonisateur au temps de Richelieu : Isaac de Razilly (Paris, 1887) (reproduit en partie de la Revue de Géographie (1877)).— La Roncière, Histoire de la marine française, IV.— Michel-Gustave de Rasilly, Généalogie de la famille de Rasilly (Laval, 1903).— J.-E. Roy, Le Commandeur de Rasilly, BRH, XIX (1913) : 345–349.

Deux documents qui peuvent indiquer que Claude de Launay-Rasilly est venu en Acadie se trouvent dans AN (Archives d’Outre-mer), Dépôt des fortifications des colonies, 134, f.28 (Mémoire de Lhermitte, 1716), et dans ACM, B.203, 206 (9 avril 1662).

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George MacBeath, « RAZILLY (Rasilly), ISAAC DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/razilly_isaac_de_1F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
Date de consultation:    28 novembre 2024