PETERS (Petters), THOMAS, soldat et leader noir, né vers 1738, décédé le 25 juin 1792 à Freetown, Sierra Leone.

Suivant la légende, Thomas Peters serait né de sang noble en Afrique occidentale où, jeune homme, il fut censément enlevé et emmené comme esclave dans les colonies américaines. Le premier document qui le mentionne le donne, en 1776, à Wilmington, Caroline du Nord, esclave âgé de 38 ans de William Campbell. Cette année-là, enhardi par la proclamation de 1775 du gouverneur lord Dunmore de Virginie promettant la liberté aux esclaves dont les maîtres étaient des insurgés, et qui se rallieraient aux troupes loyalistes, Peters s’enfuit de la plantation de Campbell et s’enrôla dans les Black Pioneers à New York. En 1779, en réponse à une nouvelle invitation faite aux esclaves des rebelles de se placer sous la protection britannique, s’ils voulaient ou non porter les armes pour la couronne, une femme de 26 ans nommée Sally, de Charleston en Caroline du Sud, se présenta dans un camp britannique et se joignit, elle aussi, aux Black Pioneers. Ce fut là qu’elle rencontra Peters qui, à cette époque, avait été promu sergent, et elle l’épousa.

Quand le traité de paix provisoire fut signé à Paris le 30 novembre 1782 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, les Peters se trouvaient à New York, attendant d’être évacués. Le bateau qui les emportait à l’abri du danger fit escale aux Bermudes en 1783 avant d’accoster à Annapolis Royal, Nouvelle-Écosse, où ils débarquèrent en mai 1784. Ils faisaient partie des 3 500 Loyalistes noirs libres amenés en Nouvelle-Écosse après la Révolution américaine. Peters fut chargé des Noirs du comté d’Annapolis et il s’établit avec plus de 200 anciens Black Pioneers à Brindley Town, près de Digby. Les Loyalistes avaient droit, pour trois ans, aux provisions nécessaires à leur subsistance pendant la construction de leurs maisons et l’établissement de leurs fermes ; néanmoins, ce que les Noirs du comté d’Annapolis reçurent n’était suffisant que pour 80 jours ; en outre, à la différence des Blancs, il leur fallut gagner leurs moyens d’existence en travaillant sur les routes.

Le 21 août 1784, Peters et un compagnon d’armes, le sergent Murphy Still (Steele), adressèrent une requéte au gouverneur John Parr concernant les concessions auxquelles tous les Loyalistes avaient droit. En réponse, l’arpenteur du gouvernement, Charles Morris*, fils, donna ordre à Thomas Millidge* de tracer des emplacements d’une acre pour 76 familles noires à Brindley Town. Toutefois, lorsque les Noirs tentèrent de s’établir sur des parcelles agricoles plus grandes, ils en furent par deux fois délogés à cause de revendications foncières opposées. Sans provisions ni terres suffisantes pour l’exploitation agricole, ils subsistèrent grâce à des potagers, à la pêche dans la baie de Fundy, grâce aussi aux voisins blancs et aux bonnes œuvres anglaises. Rapidement ils constituèrent des groupes religieux méthodistes et anglicans et, en janvier 1785, les Associates of the Late Dr Bray financèrent une école. Une vie communautaire s’élaborait donc mais il manquait aux colons les moyens de subvenir à leurs propres besoins. N’ayant pas réussi une nouvelle fois à obtenir des terres en juillet 1785, Peters alla au Nouveau-Brunswick où, le 25 octobre, il présenta une requête au gouverneur Thomas Carleton* afin d’obtenir des fermes pour les Noirs du comté d’Annapolis. On lui fit savoir que ses compatriotes seraient traités de la même façon que les autres Loyalistes, mais sa demande échoua. En réalité, en dépit du fait qu’on avait promis aux esclaves qui s’étaient joints à la cause britannique des récompenses et des compensations analogues à celles des Loyalistes blancs, seulement un tiers environ de ceux qui allèrent en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick reçurent quelques lopins de terre.

En 1790, au bout de six ans d’attente stérile et après cinq requêtes différentes adressées aux fonctionnaires de la colonie, Peters décida d’en appeler directement au gouvernement britannique. Mandaté par plusieurs centaines de Noirs de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick pour exposer leur cas, il réussit à se rendre à Londres en novembre « au prix de beaucoup de difficultés et de risques ». Il y rencontra l’abolitionniste Granville Sharp, qui fit en sorte qu’il puisse présenter sa requête au ministre de l’Intérieur (responsable aussi des colonies), Henry Dundas. L’un des documents que Peters adressa à Dundas esquissait les divers griefs des Noirs, et faisait remarquer qu’ils s’étaient vu refuser les droits des sujets britanniques libres, tels que ceux de voter, d’être jugés par un jury et d’avoir accès aux tribunaux. Un autre donnait un récit détaillé de leurs vains efforts pour obtenir des terres. Ce dernier document précisait que Peters avait été délégué pour procurer à ses compatriotes « une colonie quelconque où ils pourraient trouver des emplacements convenables », et signalait que, même si certains Noirs désiraient demeurer en Amérique du Nord, d’autres étaient « disposés à aller à n’importe quel endroit où la sagesse du gouvernement jugera[it] bon de répondre à leurs besoins de libres sujets de l’Empire britannique ». Cette possibilité était sans nul doute inspirée par les relations que Peters avait avec les administrateurs de la Sierra Leone Company dont la colonie d’esclaves affranchis d’Afrique occidentale avait été anéantie l’année précédente lors d’un raid d’indigènes. Peters accepta promptement l’offre que lui firent les administrateurs de mener son groupe dans la colonie, et ceux-ci réussirent, après négociations, à faire payer le coût du transport des Noirs en Sierra Leone par le gouvernement. Le lieutenant John Clarkson de la marine royale, frère de l’abolitionniste Thomas Clarkson, fut nommé pour recruter les émigrants et assurer leur traversée.

À la suite des accusations de Peters, le gouverneur Parr reçut l’ordre d’ouvrir une enquête sur la question agraire de la région d’Annapolis. Si la description de Peters se révélait exacte, les Noirs devaient être aussitôt installés sur de bonnes terres. Ceux qui choisiraient de ne pas accepter de concessions pourraient soit s’engager dans une unité militaire noire pour servir aux Antilles, soit partir pour la Sierra Leone. À l’automne de 1791, Peters se rendit à Annapolis Royal et à Saint-Jean pour promouvoir le projet de colonisation ; Clarkson qui arriva en octobre fit, dans le même but, le tour des établissements noirs dans les comtés de Halifax et de Shelburne. Au Nouveau-Brunswick, Peters rencontra une opposition résolue de la part des Blancs qui ne voulaient ni perdre leur main d’œuvre bon marché ni voir corroborer ses accusations par une émigration massive. On forgea des créances et des contrats d’apprentissage ; des fonctionnaires harcelèrent Peters et ses recrues en exigeant des preuves de leur affranchissement, et la rumeur circula suivant laquelle Peters recevrait une rétribution pour tout Noir qu’il attirerait en Afrique afin d’y être vendu comme esclave. La situation au Nouveau-Brunswick n’était pas exceptionnelle. Des fonctionnaires nommés par les gouvernements des deux colonies pour faire connaître les possibilités offertes aux Noirs interprétèrent mal, délibérément, les intentions de la Sierra Leone Company. Cependant, les Noirs répondirent avec enthousiasme aux offres de terres gratuites, d’égalité raciale et de pleins droits britanniques en Sierra Leone. Quelque 1 200 émigrants s’assemblèrent à Halifax, dont près de 500 venaient des régions où Peters avait fait le recrutement.

En sa qualité d’auteur du projet et en tant que chef naturel de près de la moitié des émigrants, Peters devint, officieusement, le commandant en second de Clarkson. Ensemble ils inspectèrent les bateaux et firent les préparatifs du voyage. Dans le but de canaliser les plaintes individuelles, Clarkson nomma Peters ainsi que les prédicateurs David George* et John Ball surintendants des émigrants. Peters, naturellement, s’attendait à un statut particulier, et, selon Clarkson, il fut dépité de n’avoir pas reçu la charge exclusive de l’émigration. Il était moins disposé que les autres à accepter comme parole d’évangile tout ce que Clarkson disait ; un différend s’éleva entre les deux hommes. Il ne s’ensuivit pas toutefois de bouleversements d’importance et, le 15 janvier 1792, une flotte de 15 bateaux quittait Halifax pour l’Afrique occidentale.

Pendant ce temps, Parr avait nommé Alexander Howe* et Job Bennet Clarke commissaires ayant qualité pour examiner les accusations de Peters. Sans nul doute Dundas voulait-il que leur enquête comprît les griefs que Peters avait formulés au nom de tous les Noirs ; néanmoins les commissaires choisirent d’interpréter leur mandat de façon à étudier uniquement la situation de Peters, qui n’avait pas de terre. Après avoir entendu la déposition de Peters et des fonctionnaires que la distribution des terres concernait, ils confirmèrent les faits exposés dans la description de Peters mais conclurent que s’il n’avait pas obtenu de terre c’était à cause de son départ « précipité » pour le Nouveau-Brunswick en 1785. On ne tint aucun compte du fait crue les Noirs qui étaient restés en Nouvelle-Ecosse n’avaient pas reçu de terres, et l’on ne présenta aucune mesure de redressement.

Dès leur arrivée en Sierra Leone au début de mars, les Loyalistes noirs se mirent à défricher un emplacement, Freetown, pour s’y établir, mais la terre promise à laquelle ils s’attendaient ne devait pas se matérialiser. Pendant la mission de recrutement de Clarkson, la Sierra Leone Company avait fait adopter pour la colonie une constitution prévoyant un gouvernement composé de fonctionnaires blancs nommés par Londres. Clarkson fut fait surintendant et, plus tard, gouverneur. Pour ajouter à la déception des colons, les rations étaient maigres, la saison des pluies causa des fièvres entraînant des décès, et la distribution des terres fut retardée par la maladie, l’inexpérience du gouvernement et l’ingérence de la population indigène. Au lieu de devenir de libres propriétaires fonciers, les Loyalistes noirs se retrouvèrent simples salariés de la compagnie. Ils exprimèrent leur mécontentement lors d’une réunion le 7 avril, au cours de laquelle ils choisirent Peters pour faire valoir leurs revendications auprès de Clarkson. Celui-ci interpréta la démarche comme une tentative de remplacer son gouvernement par un gouvernement noir dirigé par Peters. Homme aux sentiments humanitaires et abolitionniste sincère, Clarkson était convaincu que la réussite d’une colonie dans la Sierra Leone profiterait aux Noirs du monde entier, et que l’anarchie et le désordre la détruiraient. Le lendemain, il rassembla la population tout entière et, s’adressant à Peters comme à un traître, il annonça que « l’un ou l’autre parmi [eux] serait pendu à cet arbre avant que ce palabre ne soit terminé ». Après qu’il eut mis les gens en demeure d’opter pour lui ou pour Peters, personne ne passa dans le camp de Peters. Afin de se dégager de cette confrontation, Clarkson choisit d’accepter l’explication de Peters suivant laquelle il avait agi uniquement dans le but de représenter les colons mais, dans le privé, il appréhendait les desseins de Peters et affecta des espions pour surveiller ses faits et gestes. De son côté, Peters continuait à rappeler aux gens, lors des assemblées méthodistes, les promesses qui leur avaient été faites et leur situation réelle.

Le 1er mai 1792, Peters fut accusé d’avoir volé quelque chose dans la malle d’un colon mort de la fièvre. Sa défense selon laquelle il n’avait fait que reprendre son dû ne fut pas acceptée, et il fut condamné à rendre la marchandise et à être blâmé publiquement. Cette humiliation ébranla la confiance que l’on avait placée en lui et qui ne se ranima pas avant qu’il ne tombât victime, lui aussi, de la fièvre dans la nuit du 25 juin 1792. Il mourut déshonoré, privé du respect de ceux qu’il avait conduits en Afrique.

La fin de la carrière de Peters, comme sa jeunesse, est enfouie dans la légende. D’après des histoires posthumes, il serait allé en Angleterre en 1793 porter les plaintes des colons devant les administrateurs de la compagnie, serait devenu le premier maire élu de Freetown, et aurait fait face même à la reine Victoria en lui présentant la trahison de ses compatriotes par les Britanniques. Ces embellissements ultérieurs, bien qu’erronés, correspondent davantage à l’héritage qu’a laissé Peters. Son image véritable n’était pas celle d’un chapardeur ni d’un chef déçu. Mieux vaut plutôt se le rappeler comme un adversaire courageux de l’injustice et de la discrimination, et comme une source d’inspiration pour les Noirs d’Amérique du Nord et d’Afrique occidentale en quête de leur affirmation et de leur autodétermination. Il reflète de précieuses valeurs dans la mosaïque des races qui constituent le Canada.

James W. St G. Walker

BL, Add. mss 41 262A, 41 262B ; 41 263, 41 264.— PANB, RG 10, RS108, Land petitions, bundle 16, Thomas Peters, 18 mars 1789 ; sér. I, York County, no 386, Thomas Peters, 18 avril [1789] ; sér. II, Thomas Peters, in Council, 25 oct. 1785.— PANS, RG1, 359, no 65 ; 376, pp.73–77.— PRO, CO 217/63 ; CO 267/9 ; FO 4/1 ; PRO 30/55, Book of Negroes (copie aux PANS).— USPG, Dr Bray’s Associates, minute books, 3 ; unbound papers, box 7.— [John Clarkson], Clarkson’s mission to America, 1791–1792, C. B. Fergusson, édit. (Halifax, 1971) ; Diary of Lieutenant J. Clarkson, R. N. (governor, 1792), Sierra Leone Studies ([Freetown, Sierra Leone]), nVIII (mars 1927).— A. M. Falconbridge, Two voyages to Sierra Leone during the years 1791–2–3, in a séries of letters [...] (Londres, 1794).— F. W. Butt-Thompson, Sierra Leone in history and tradition (Londres, 1926).— C. [H.] Fyfe, A history of Sierra Leone (Londres, 1962).— E. G. Ingham, Sierra Leone after a hundred years (Londres, 1894).— J. W. St G. Walker, The black loyalists : the search for a promised land in Nova Scotia and Sierra Leone, 1783–1870 (Londres, 1976) ; The establishment of a free black community in Nova Scotia, 1783–1840, The African Diaspora : interpretive essays, M. L. Kilson et R. I. Rotberg, édit. (Cambridge, Mass., et Londres, 1976).— R. W. Winks, The blacks in Canada : a history (Montréal, 1971).— [A. G.] Archibald, Story of déportation of Negroes from Nova Scotia to Sierra Leone, N.S. Hist. Soc., Coll., VII (1891) : 129–154.— C. H. Fyfe, Thomas Peters : history and legend, Sierra Leone Studies (Freetown), nouv. sér., 1 (1953–1955) : 4–13.-A. F. Walls, The Nova Scotian settlers and their religion, Sierra Leone Bull. of Religion (Freetown), 1 (1959) : 19–31.

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James W. St G. Walker, « PETERS (Petters), THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/peters_thomas_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
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