MICHIKINAKOUA (Michikiniqua, Me-She-Kin-No-Quah, Meshecunnaqua, Little Turtle), chef de guerre miami, né au milieu du xviiie siècle, fils d’Aque-Noch-Quah, également chef de guerre miami ; la rumeur voulait qu’il eût du sang loup (mohican) ou même français ; il épousa en secondes noces Polly Ford, une captive blanche ; décédé le 14 juillet 1812 au fort Wayne (Fort Wayne, Indiana).
C’est à l’époque de la Révolution américaine que les Blancs remarquèrent pour la première fois Little Turtle qui, à l’instar d’autres chefs miamis, était allié aux Britanniques. En 1780, il était à la tête de ses guerriers à Miamis Towns (Fort Wayne, Indiana), lors de la destruction d’une force armée aux ordres d’Augustin Mottin de La Balme, qui tentait de reprendre au profit des Français la maîtrise de la vallée de l’Ohio. Les Britanniques ravitaillaient les tribus vivant au sud des Grands Lacs ; après 1780, ils les encouragèrent à se regrouper au sein d’une ligue pour résister à l’expansion américaine [V. Thayendanegea]. Lorsque, en dépit des promesses officielles, des colons américains allèrent s’installer dans la région au nord de l’Ohio, des partis de guerre de la ligue les attaquèrent. Little Turtle, pour sa part, mena plusieurs de ces raids, et, en 1790, il était devenu le chef des partis de guerre unis de la ligue.
Après 1789, la création, aux États-Unis, d’un gouvernement central plus fort, résultant d’une nouvelle constitution, permit de mettre au point des projets de représailles contre les tribus de la ligue. Little Turtle commanda les Indiens dans deux des trois importantes batailles qui s’ensuivirent. En octobre 1790, il décima les troupes qui, sous les ordres de Josiah Harmar, étaient venues attaquer les villages miamis, chaouanons et loups (delawares), à Miamis Towns. Au commencement de l’hiver, Harmar brûla 300 cabanes et 20 000 boisseaux de maïs, et d’autres attaques américaines, de moindre envergure, suivirent celle-là ; les Indiens, pourtant, n’en furent point démoralisés. En novembre 1791, près de Miamis Towns, Little Turtle infligea à l’expédition d’Arthur St Clair de lourdes pertes : 630 morts et 264 blessés. Jamais les Américains n’avaient perdu tant d’hommes au cours d’une seule offensive contre des Indiens. On a rapporté qu’après cette victoire Little Turtle se serait rendu dans la région de Montréal, en vue d’y recruter d’autres Indiens pour la campagne du printemps.
Britanniques et Indiens nourrissaient dès lors de grands espoirs que les Américains accepteraient de limiter leur expansion et permettraient la formation d’un état indien au sud du lac Érié. Mais, plus déterminés que jamais, les Américains étaient à préparer une nouvelle expédition. Encouragée par les propos incendiaires de lord Dorchester [Guy Carleton] et de Simcoe, qui paraissaient lui promettre, si nécessaire, une aide militaire, la ligue se mit en état d’affronter l’armée qui, sous les ordres d’Anthony Wayne, s’ébranla à l’automne de 1793. Beaucoup d’habitants des environs de Miamis Towns étaient allés se fixer à Glaize (Defiance, Ohio), en retrait de la frontière américaine. Little Turtle lui-même avait laissé le village où il vivait habituellement, sur la rivière Eel (Indiana), pour s’établir à Glaize. Après avoir harcelé pendant des mois, sans grand résultat, les lignes de ravitaillement et les voies de communication de Wayne, et après avoir sondé les Britanniques de Detroit sur la possibilité d’obtenir de l’aide, Little Turtle fit savoir à la ligue qu’on gagnerait plus à négocier qu’à se battre. Son avis ayant été rejeté, Little Turtle passa le commandement au chef chaouanon Weyapiersenwah, ne gardant sous ses ordres que ses guerriers miamis. Quelques jours plus tard, le 20 août 1794, Weyapiersenwah vit la stratégie de son adversaire l’emporter à la bataille de Fallen Timbers (près de Waterville, Ohio). Les pertes furent à peu près égales des deux côtés, mais les Indiens abandonnèrent le champ de bataille. Leur plus grand déboire, c’était de s’être alliés aux Britanniques qui refusèrent de les aider et de leur prêter refuge au fort Miamis (Maumee), situé tout près.
Wayne ne fut pas sans remarquer le caractère agricole des établissements de Glaize ; il écrivit « les champs et les jardins, fortement exploités et s’étendant sur de grandes superficies, laissent voir le grand nombre de ceux qui ont dû y travailler. Les rives de ces magnifiques rivières [Maumee et Auglaize] donnent l’impression d’un seul village, sans discontinuité, sur plusieurs milles, tant au-dessous qu’au dessus de ce lieu ; et jamais n’ai-je vu, en quelque partie que ce soit de l’Amérique, du Canada à la Floride, d’aussi vastes champs de maïs. » Cette région n’était pas comprise dans les terres qui furent exigées par les Américains lors du traité de Greenville, l’été suivant, mais les Indiens, dont la ligue était abattue, leur remirent la plus grande partie de l’Ohio d’aujourd’hui et une partie de l’Indiana, de même que d’autres territoires. Little Turtle tenta, avec éloquence mais sans succès, d’obtenir de meilleures conditions de paix, et c’est à contrecœur qu’il signa l’accord. Jamais, toutefois, il ne viola les promesses de paix qu’il contenait. En retour, les Américains lui construisirent une maison dans son ancien village, sur la rivière Eel, lui fournirent les moyens de s’acheter un esclave noir et lui payèrent un long voyage dans l’Est. En 1797, le peintre Gilbert Stuart fit son portrait à Philadelphie. Dans la même ville, en 1798, Little Turtle impressionna un philosophe français, le comte de Volney, par son esprit et sa sagesse. Au cours d’une série d’entrevues qu’il eut avec lui, Volney lui demanda ce qui le surprenait le plus à Philadelphie. Il répondit : « l’extrême différence des visages et la nombreuse population des blancs [...] Ils s’étendent comme l’huile sur une couverture ; nous fondons comme la neige devant le soleil du printemps ; si nous ne changeons de marche, il est impossible que la race des hommes rouges subsiste. » À Washington, en 1802, Little Turtle émut les fonctionnaires par ses plaidoyers : il réclamait la prohibition de l’alcool et l’initiation de ses compatriotes aux techniques de l’agriculture et de la transformation des métaux.
Après l’effritement de la ligue, en 1795, Little Turtle, comme beaucoup de ses contemporains, abandonna l’espoir de voir naître un mouvement panindien, et il porta toute son attention sur sa seule tribu. Son opposition, après 1806, à la nouvelle ligue qu’étaient à organiser Prophet [Tenskwatawa*] et Tecumseh se fondait sur plusieurs considérations. En proclamant que les terres indiennes étaient la propriété commune de toutes les tribus, la ligue menaçait les réclamations territoriales des Miamis, et, en prônant la destitution des chefs qui avaient déjà vendu des terres aux Américains, elle mettait son poste de chef en danger. Il était, en outre, convaincu de l’impossibilité, pour quelque alliance de tribus que ce fût, de faire échec aux Américains. Mieux que la plupart des chefs, il réussit à empêcher ses guerriers de se joindre à la ligue ; pourtant, les Américains ne lui firent jamais entièrement confiance. Son prestige fut quelque peu ravivé au sein des tribus quand, en 1811, le gouverneur de l’Ohio, William Henry Harrison, dévasta le quartier général de la ligue, à Tippecanoe (près de Lafayette, Indiana).
Little Turtle mourut au fort Wayne le 14 juillet 1812, après avoir été traité pour la goutte par un médecin de l’armée. Comme c’était la coutume chez les Miamis, il fut enseveli avec ses bijoux d’argent, dont plusieurs portaient le poinçon du Montréalais Robert Cruickshank. Après sa mort, les chefs qui avaient eu moins d’autorité que lui ne purent empêcher les jeunes guerriers miamis de se rallier de plus en plus nombreux à la nouvelle ligue. En septembre, les Américains brûlèrent le village de la rivière Eel, mais, par respect, ils épargnèrent la propriété de Little Turtle. Celui-ci s’était révélé, dans la force de l’âge, un puissant défenseur des droits des aborigènes, et les Miamis se souvenaient de lui comme d’un héros.
C.-F. Chassebœuf, comte de Volney, Œuvres complètes de Volney (Paris, 1837), 715–717.— Corr. of Lieut. Governor Simcoe (Cruikshank).— É.-U., Congress, American state papers (Lowrie et al.), class II, vol. [1–2].— Fort Wayne, gateway of the west, 1802–1813 : garrison orderly books, Indian agency account book, introd. de B. J. Griswold, édit. (Indianapolis, Ind., 1927 ; réimpr., New York, 1973).— Letter book of the Indian agency at Fort Wayne, 1809–1815, Gayle Thornbrough, édit. (Indianapolis, 1961).— Messages and letters of William Henry Harrison, Logan Esarey, édit. (2 vol., Indianapolis, 1922).— S. G. Drake, Biography and history of the Indians of North America, from its discovery to the present time [...] (5e éd., Boston, 1836).— Handbook of North American Indians (Sturtevant et al.), 15 : 681.— Bert Anson, The Miami Indians (Norman, Okla., 1970).— C. M. Young, Little Turtle (Me-she-kin-no-quah), the great chief of the Miami Indian nation ; being a sketch of his life, together with that of William Wells and some noted descendants ([Greenville, Ohio], 1917).— H. H. Tanner, « The Glaize in 1792 : a composite Indian community », Ethnohistory (Tucson, Ariz.), 25 (1978) : 15–39.
Herbert C. W. Goltz Jr, « MICHIKINAKOUA (Michikiniqua, Me-She-Kin-No-Quah, Meshecunnaqua) (Little Turtle) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/michikinakoua_5F.html.
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Année de la publication: | 1983 |
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