LE GALLO, MARIE, dite Marie de Sainte-Élisabeth, fondatrice et supérieure provinciale de la congrégation des Filles de Jésus au Canada, née le 21 décembre 1857 à Quistinic, France, fille de Mathurin Le Gallo et de Mathurine Le Marrec, aubergistes ; décédée le 26 mars 1939 à Plumelin, France.

D’origine bretonne, Marie Le Gallo était la deuxième d’une famille de six enfants. Son père gérait un commerce de bois et exploitait une auberge, ainsi qu’une petite ferme. Sa mère assistait son mari et enseignait le catéchisme aux bergers et bergères du voisinage, dans la vaste salle de ferme du hameau de Pont-Augan, où la famille résidait. Dès sa tendre jeunesse, Marie gardait les brebis dans les prairies qui bordent le fleuve Blavet. À l’âge de huit ans, elle reçut l’instruction donnée par des tertiaires (lecture, écriture, orthographe et calcul). À partir de 1868, elle fréquenta les classes du couvent de Quistinic, dirigées par les Filles de Jésus ; elle dut quitter l’établissement après peu d’années afin d’aider ses parents à la ferme. Marie avait un caractère ouvert, franc, spontané, primesautier, ardent et généreux. Déjà, on percevait chez elle que l’action était son élément. Le 15 mai 1877, elle entra au noviciat des Filles de Jésus à Kermaria, dans la commune de Plumelin. Cette congrégation se consacrait à l’enseignement et au soin des malades indigents. L’année suivante, elle troqua le petit bonnet de postulante pour la coiffe et le voile de la novice et reçut le nom de sœur Marie de Sainte-Élisabeth. Elle fit sa profession le 25 novembre 1879. Après avoir obtenu son brevet de capacité pour l’enseignement primaire en novembre 1881, elle fut envoyée, au début de 1882, dans les écoles que dirigeait sa communauté, d’abord à Le Hézo, puis, en 1883, à Loctudy. Elle enseigna aux jeunes filles dans cet établissement, qu’elle administra également, durant près de 17 ans, jusqu’à la fin de 1899. Elle fut alors rappelée à la maison mère, où elle se prépara à sa nouvelle mission.

En cette fin de xixe siècle, un vent d’orage soufflait sur la France. Les républicains, s’inquiétant de l’influence de l’Église sur la jeunesse française, firent de l’école laïque leur cheval de bataille. Plusieurs lois ayant pour objet la laïcisation du système scolaire public français avaient déjà été adoptées durant les années 1880, dont celle de 1882, qui avait rendu l’école primaire publique obligatoire et laïque. Après une accalmie durant les années 1890, les tensions entre congréganistes et républicains atteindraient leur paroxysme entre 1902 et 1905, sous le gouvernement d’Émile Combes. Celui-ci mènerait une vigoureuse politique anticléricale, ponctuée de nombreuses mesures pour restreindre l’enseignement par les congrégations religieuses. Cette politique culminerait avec la loi du 7 juillet 1904, interdisant tout enseignement aux congrégations. Dans ce contexte, celles qui, parmi ces dernières, souhaitaient préserver leur vocation enseignante devaient se préparer à affronter une alternative déchirante : l’exil ou la clandestinité par la sécularisation.

Les Filles de Jésus ont fait face à la crise en jouant sur les deux tableaux. Sœur Marie de Sainte-Élisabeth fut chargée de l’établissement de sa congrégation hors de France durant ces heures difficiles. Nommée visiteuse en 1901, elle reçut d’abord la mission d’étudier les possibilités d’implantation en Belgique. En un an, sept fondations, d’un succès inégal, furent mises sur pied, petites communautés qui correspondaient au mode de présence familier aux Filles de Jésus. Le rare talent d’observation de sœur Marie de Sainte-Élisabeth, son courage, le tact et l’entregent dont elle faisait preuve incitèrent ses supérieures à lui confier un autre champ d’action. Elle et sa compagne, sœur Marie Sainte-Zénaïde, furent dépêchées en Amérique du Nord. Munies d’une lettre de recommandation de l’évêque de Vannes et d’un pécule de 2 000 francs, elles avaient pour mission de visiter les diocèses pour trouver des endroits où les Filles de Jésus pourraient s’établir et fonder des œuvres, école ou hôpital. Devant certains renseignements contradictoires provenant des évêchés canadiens, les dirigeantes de la communauté estimaient en effet qu’il serait préférable que des envoyées aillent sur place juger de la situation, entrer en contact avec les autorités religieuses locales et, à la lumière de leurs observations et de l’information obtenue, indiquer les décisions à prendre.

Le voyage de sœur Marie de Sainte-Élisabeth en Amérique fut une véritable épopée, dont elle fit le récit dans un journal. Du 21 octobre 1902 au 27 juillet 1903, elle parcourrait plus de 13 000 milles de la ville de New York au Montana en passant par les provinces Maritimes, la province de Québec et le district d’Alberta, dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle et sa compagne, parties du port du Havre, en France, le 10 octobre 1902, débarquèrent à New York le 18 suivant, où elles furent accueillies par les Petites Sœurs de l’Assomption. De quel côté se diriger ? Elles optèrent pour l’Acadie. Elles visitèrent les diocèses des Maritimes, observant de très près la vie et les activités des communautés religieuses qui les reçurent dans les villes où elles s’arrêtaient. Sans nouvelles de la maison mère, elles avaient l’angoissante responsabilité d’accepter ou de refuser, au nom de la congrégation, les propositions d’établissement qui leur étaient faites.

Les efforts de sœurs Marie de Sainte-Élisabeth et Marie Sainte-Zénaïde finirent par porter fruit. Les Filles de Jésus ouvrirent, de 1902 à 1904, plusieurs écoles au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, ainsi qu’un hospice et un orphelinat à Sydney. De plus, elles prirent en charge les services généraux au St Dunstan’s College de Charlottetown et à l’évêché du diocèse de Chatham, au Nouveau-Brunswick. Elles contribuèrent ainsi, à leur manière, au rayonnement de la culture française dans les Maritimes. La large sympathie manifestée à l’égard des Filles de Jésus au pays d’Évangéline (et plus particulièrement celle des évêques) serait un facteur déterminant dans la survie et l’enracinement de la congrégation au Canada.

Du Nouveau-Brunswick, sœur Marie de Sainte-Élisabeth et sa compagne passèrent à la province de Québec, dans le Bas-Saint-Laurent. Elles y établirent des relations avec les autorités du diocèse de Rimouski, qui conduisirent, de 1903 à 1910, à la fondation de quelques écoles. De plus, sœur Marie de Sainte-Élisabeth consentit, en 1903, à envoyer des Filles de Jésus assister les eudistes dans les hameaux de la Côte-Nord. Elles y furent chargées, entre autres, de sept petites écoles.

Toujours à la recherche de nouveaux refuges, les deux religieuses s’arrêtèrent à Montréal, le 11 novembre 1902. À la maison mère de la Congrégation de Notre-Dame, elles firent la connaissance d’une sœur de Mgr François-Xavier Cloutier, évêque de Trois-Rivières. Celle-ci les incita à rencontrer son frère qui, leur dit-elle, était en quête de religieuses pour enseigner dans les écoles paroissiales de son diocèse. C’est ainsi que, le 18 novembre 1902, elles firent la rencontre qui s’avéra la plus importante de leur voyage. Mgr Cloutier, estimant que la vocation des Filles de Jésus convenait bien à ses besoins, leur offrit d’établir à Trois-Rivières la maison provinciale de la communauté, un noviciat et une école primaire pour jeunes garçons, appelée jardin de l’enfance. Il leur confia le soin de l’enseignement dans les écoles rurales de son diocèse. Le 25 mars 1903, un décret d’autorisation émis par l’évêque reconnaissait canoniquement l’implantation de la congrégation française à Trois-Rivières. Devenue supérieure provinciale, sœur Marie de Sainte-Élisabeth pouvait, dès lors, diriger les religieuses émigrées, qui, au plus fort de la crise en France, affluaient, vers les postes obtenus. Grâce à ses efforts intenses, elle avait l’embarras du choix.

Au mois de juin 1903, sœur Marie de Sainte-Élisabeth se rendit dans l’Ouest canadien visiter les communautés que les Filles de Jésus y avaient établies en 1902, un peu avant son arrivée en Amérique. Ces communautés, les premières de la congrégation dans le Nouveau Monde, avaient été fondées à Calgary, Edmonton et Saint-Albert (Alberta) à la demande de Mgr Émile-Joseph Legal*, évêque du diocèse de Saint-Albert. Au cours de son voyage, sœur Marie de Sainte-Élisabeth reçut une dépêche de la maison mère lui demandant de se rendre à Lewistown, au Montana. Après un difficile trajet de quatre jours le long des Rocheuses, elle arriva enfin à destination et parvint à négocier une entente avec le curé de l’endroit pour la fondation d’une école et d’un hôpital, le St Joseph’s Hospital. En 1904–1905, elle fit ouvrir trois autres établissements dans ce qui deviendrait l’Alberta.

Il faudrait maintes années d’efforts tenaces pour donner à la congrégation son espace vital et des assises matérielles suffisantes en Amérique, tâche à laquelle se dévoua sœur Marie de Sainte-Élisabeth, qui fut supérieure provinciale jusqu’en 1911. Le bilan de cette religieuse, pleine de bonne volonté, de courage et de générosité, n’en demeure pas moins très éloquent. Elle jeta les bases des principaux foyers d’activité des Filles de Jésus au Canada. Elle établit une quarantaine de maisons durant son mandat ; la majorité d’entre elles furent fondées entre 1902 et 1905. Elle accueillit 234 religieuses françaises de 1902 à 1911, dont 180 de 1902 à 1904, et 39 recrues canadiennes entre 1906 et 1911. Le Canada devint dès lors le plus important centre de la congrégation après la Bretagne, berceau de la communauté.

Élue assistante générale, sœur Marie de Sainte-Élisabeth quitta le Canada si cher à son cœur en 1911 et reprit sa vie de pérégrinations, en France, en Belgique, en Angleterre et en Amérique. Le 18 juin 1928, elle fut élue huitième supérieure générale de l’institut, mais, en 1931, une congestion cérébrale l’obligea à se démettre de sa charge. Elle se retira à la maison de repos la Sainte-Famille, qu’elle avait fait construire au siège de la communauté durant son mandat à la tête de la congrégation. Après huit ans de claustration, la vaillante lutteuse s’éteignit doucement, le 26 mars 1939, à l’approche de ses noces de diamant de vie religieuse. Cette humble fille des landes bretonnes croyait fermement qu’il y avait quelque part un pays pour l’espoir ; le Canada était devenu comme une terre d’asile.


Alice Trottier

Sœur Marie de Sainte-Élisabeth a écrit le récit de son voyage en Amérique dans le journal qu’elle a tenu en 1902–1903. Conservé aux Arch. des Filles de Jésus à la maison mère de la congrégation, à Plumelin, en France, sous la cote 211-08-01, il a été publié sous le titre : « Nos premiers pas au Canada : récit de la fondatrice, mère Marie de Sainte-Élisabeth », dans Congrégation des Filles de Jésus ([Plumelin et Trois-Rivières, Québec, 1944]), 19–66. Nous tenons à remercier sœur Suzanne Le Rouzic, responsable des archives générales des Filles de Jésus à la maison mère, ainsi que sœur Madeleine Aylwin, archiviste des Filles de Jésus à la maison provinciale de Trois-Rivières, pour leur aide précieuse.

Arch. départementales, Morbihan (Vannes, France), État civil, Quistinic, 21 déc. 1857.— Congrégation des Filles de Jésus, diocèse de Vannes ; notice historique : état actuel des maisons d’Amérique (Rennes, France, 1914).— Henriette Danet et Brigitte Cholry, Signé d’une croix : une histoire de sœurs, les Filles de Jésus de Kermaria, 1834–1989 (Paris, 1990).— Guy Laperrière, les Congrégations religieuses : de la France au Québec, 1880–1914 (3 vol., Sainte-Foy [Québec], 1996–2005).— Mandements, lettres pastorales et circulaires de Mgr F. X. Cloutier : 3ième évêque des Trois-Rivières (5 vol., Trois-Rivières, 1905–1934), 1, 423–429.— Sœur Marie-Agnès-Joseph [Alice Trottier], « les Débuts de la congrégation des Filles de Jésus aux Trois-Rivières de 1902 à 1908 » (mémoire de l. ès l., [univ. Laval], 1958).— R[ené] Piacentini, les « Filles de Jésus » ([Plumelin] et Trois-Rivières, 1952).— Souvenir du cinquantenaire des Filles de Jésus au Canada, région des Maritimes (s.l., [1953 ?]).— Souvenir du cinquantenaire des Filles de Jésus au Canada, province de l’Ouest canadien (Alberta et Montana) (s.l., [1954 ?]).— Alice Trottier et Juliette Fournier, les Filles de Jésus en Amérique ([Trois-Rivières], 1986).

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Alice Trottier, « LE GALLO, MARIE, dite Marie de Sainte-Élisabeth », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. , Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/le_gallo_marie_16F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2013
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