baron, eugène (à sa naissance, il reçut les prénoms d’Eugène-François), dit frère Ulysse, fondateur et premier supérieur de la province nord-américaine des Frères de l’instruction chrétienne, né le 2 octobre 1856 à Erquy, France, fils de François-Guillaume Baron, douanier, et de Marie-Louise Cartier ; décédé le 15 juin 1932 à Ploërmel, France.
C’est à 16 ans qu’Eugène Baron fait son entrée au noviciat des Frères de l’instruction chrétienne à Ploërmel, en Bretagne, malgré la vive opposition de ses parents qui ne connaissent pas la congrégation. Le 21 octobre 1872, il revêt l’habit religieux et prend le nom de frère Ulysse qu’il rendra célèbre dans les pays où il exercera son apostolat. Cette congrégation est l’œuvre des abbés Gabriel Deshayes et Jean-Marie de La Mennais qui, en 1819, ont uni leurs efforts pour donner naissance à ces frères, voués à l’instruction et à l’éducation chrétiennes de la jeunesse, avec une prédilection pour les pauvres. Leur devise : Dieu seul.
Les qualités qui mettront en évidence la personnalité du frère Ulysse se font déjà jour chez lui : le goût du service et un leadership naturel. Son noviciat terminé, il reçoit comme première assignation, en 1873, l’école dite de la Caserne, à Ploërmel ; il y prend en charge la formation pédagogique de ses jeunes confrères. Mais l’année suivante on le dirige vers la mission des îles Saint-Pierre et Miquelon, où des frères de sa congrégation sont à l’œuvre depuis 1842 et où il travaillera pendant dix ans dans des conditions plutôt misérables, sans pour autant que son enthousiasme et son esprit d’initiative en soient diminués.
C’est de cette mission, grâce surtout à des pères jésuites qui, de passage aux îles, vantaient les avantages d’un établissement à Montréal, que l’idée d’essaimer au Québec fait son chemin. Après une tentative ratée, en 1878, d’ouvrir un premier établissement à Saint-Denis (Saint-Denis-sur-Richelieu), et devant les lois et décrets du Parlement français qui menacent notamment les religieux enseignants, les supérieurs des Frères de l’instruction chrétienne sont convaincus du bien-fondé de ce projet. On choisit le frère Ulysse pour fonder la province nord-américaine de la congrégation et on l’envoie dès 1885 perfectionner son anglais en Irlande.
En mai 1886, âgé de 29 ans, le frère Ulysse accompagne le frère Yriez-Marie, assistant général, au collège Sainte-Marie de Montréal, où l’évêque, Mgr Édouard-Charles Fabre*, participe à une fête. Cette rencontre entre le prélat, les autorités jésuites et les frères est de bon augure et comptera pour beaucoup dans le succès des premiers établissements des frères au Québec. La collaboration sur le plan scolaire entre les deux congrégations n’est pas nouvelle. Commencée en France pendant le xixe siècle, elle se poursuivra au Québec (1886–1948), aux États-Unis (1903–1910) et au Manitoba (1904–1907). Ils conviennent immédiatement que la congrégation enverra quatre frères en renfort au collège Sainte-Marie et deux pour prendre en charge l’école paroissiale de Chambly. Le frère Yriez-Marie rentre en France ; dès le mois d’août, le frère Ange, le frère Clarence-Marie, le frère Méleusippe, le frère Placide et le frère Simplice arrivent à Montréal pour prêter main-forte au frère Ulysse.
Après celui de Chambly en 1886, plusieurs autres établissements ouvrent bientôt leurs portes, notamment à Sainte-Scholastique (Mirabel) et Verchères en 1887, à Laprairie (La Prairie), Montréal et Saint-Henri-de-Mascouche (Mascouche) en 1888 et à Saint-Cuthbert en 1889. Seize écoles primaires particulièrement au service « des enfants du peuple » – conformément aux règles de la communauté – voient ainsi le jour en moins d’une décennie. Les frères s’occupent également d’autres œuvres (des cours du soir aux adultes, des équipes sportives, des mouvements pour les jeunes, par exemple) et plusieurs sont appelés vers les pays de missions.
Dans un poste de leader, le frère Ulysse est vraiment dans son élément. Établir de bonnes relations avec les curés et les commissions scolaires, juger de la pertinence d’accepter ou de refuser un nouvel établissement, obtenir des conditions raisonnables (c’est-à-dire qui permettent aux frères de fournir un travail de qualité), savoir refuser des demandes de services au rabais, voilà quelques-unes des tâches qui occupent le supérieur. Le siège social de la congrégation en terre nord-américaine est établi à Laprairie en 1890 ; le noviciat y ouvre ses portes en 1891. En attendant que les futurs enseignants soient prêts à embrasser la carrière, le supérieur réclame cependant de Ploërmel, année après année, les collaborateurs qui prendront la tête des classes ou qui remplaceront les malades. Entre 1886 et 1902, le frère Ulysse reçoit ainsi de France 93 confrères. Le noviciat de Laprairie accueille 93 sujets entre 1891 et 1902.
En France, la politique anticléricale du gouvernement d’Émile Combes entraîne en 1903 la dispersion des congrégations et des ordres religieux [V. Marie Le Gallo]. Les frères de Bretagne sont devant trois choix : se séculariser sur place tout en demeurant secrètement attachés à leurs obligations religieuses, rompre les liens avec la congrégation, ou quitter le pays et rester ouvertement fidèles à leurs engagements. Ils décident de s’expatrier. C’est ainsi que la maison provinciale de Laprairie accueille 108 religieux (novices, scolastiques et profès avec quelque expérience) au cours de 1903, la plupart dans la jeune vingtaine ; l’accueil et l’installation de ces arrivants occuperont le supérieur jusqu’à la fin de son mandat.
Le frère Ulysse et ses collaborateurs se mettent vite à la tâche pour loger et nourrir ces nombreux exilés, pour les consoler parfois, pour les initier aux mœurs du nouveau monde, pour leur trouver du travail (à la cuisine ou à l’imprimerie, par exemple) ou pour les préparer à leurs futures affectations (dans l’enseignement ou les missions, notamment). En même temps, le supérieur insiste pour que chacun élève son niveau intellectuel, augmente ses habiletés pédagogiques, et ce, sans négliger le maintien de sa spiritualité. Un bureau des études chargé de préparer les jeunes frères à l’obtention du brevet d’enseignement et des diplômes universitaires nécessaires a été mis sur pied en 1899 et poursuit ses activités. Se multiplient également les journées pédagogiques, les classes d’enseignement pratique et les cours de vacances. Le supérieur cherche, en somme, à implanter en terre québécoise les traditions qui ont fait la richesse et la force de la congrégation depuis sa fondation. Mais l’idée la plus lumineuse du frère Ulysse, la réalisation dont il sera très fier, c’est, dès 1903, l’ouverture d’une école à Plattsburgh et l’envoi de 23 jeunes frères au même endroit, d’où ils fréquentent l’école normale anglaise de l’État de New York. Ces derniers seront d’un secours inappréciable dès leur retour au Québec, deux ans plus tard, où le frère Ulysse a besoin d’enseignants qui maîtrisent cette langue.
À l’automne de 1910, les autorités de la congrégation ont un autre projet pour le frère Ulysse – qui dirige la mission depuis 24 ans et qui doit combattre les risques de la routine et de la lassitude chez lui et chez les autres –, soit celui de prendre la tête de l’œuvre d’Espagne, née en 1903 et qui vit dans une extrême pauvreté. Même s’il abandonne son œuvre nord-américaine le cœur gros, le religieux reprend avec générosité et enthousiasme son travail de bâtisseur. Il laisse à son successeur, le frère Louis-Arsène, un groupe de 250 profès : 147 Français et 103 Canadiens.
Grâce à sa facilité pour les langues et à sa faculté d’adaptation, le frère Ulysse se sent vite à l’aise en pays basque, qu’il quitte en 1923, après avoir été appelé par cooptation à siéger au conseil général, installé depuis peu dans l’île de Jersey. En 1927, dégagé de toute responsabilité majeure, il retourne travailler en Espagne, où il effectue des tâches légères ou temporaires, qui conviennent mieux à son âge. Mais le temps a fait son œuvre : en février 1932, une crise cardiaque le terrasse. De retour à Ploërmel, il décède le 15 juin 1932 après 58 ans de service actif en territoire de missions.
Les Frères de l’instruction chrétienne du Canada et des États-Unis, pour qui le nom du frère Ulysse a toujours suscité l’affection et l’admiration, sont fiers de l’œuvre commencée par leur fondateur. Administrateur de talent, le frère Ulysse a mis en place les éléments qui ont permis à ses successeurs de poursuivre le développement de la congrégation et d’écrire une page importante en éducation populaire.
Arch. des Frères de l’instruction chrétienne (La Prairie, Québec), 6101–6102 (reg. des entrées au noviciat de La Prairie, 1891– ).— Arch. des Frères de l’instruction chrétienne (Rome), 422/016 (corr. du frère Ulysse (1890–1910) et corr. administrative du frère Ulysse (1911–1922).— Frère Symphorien-Auguste [Émile Durand], « le Très Cher Frère Ulysse (Eugène Baron, 1856–1932) », Chronique des Frères de l’instruction chrétienne de Ploërmel (Ploërmel, France), no 118 (novembre 1933) : 689–706 ; no 119 (janvier 1934) : 778–789 ; no 120 (mars 1934) : 855–868 ; no 121 (mai 1934) : 934–939.— Études mennaisiennes (Rome), 21 (1998) ; 22 (1998) ; 28 (2002).— Jean Laprotte, les Frères de l’instruction chrétienne en Amérique du Nord, 1886–1986 (La Prairie, 1988).
Jean Laprotte, « BARON, EUGÈNE (Eugène-François), dit frère Ulysse », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/baron_eugene_16F.html.
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Auteur de l'article: | Jean Laprotte |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2013 |
Année de la révision: | 2013 |
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