GRECE, CHARLES FREDERICK, spécialiste de la culture du chanvre, cultivateur et juge de paix ; décédé le 12 mars 1844 à Sainte-Thérèse-de-Blainville (Sainte-Thérèse, Québec).
L’immigration de Charles Frederick Grece à Montréal à l’automne de 1805 se situe dans la série d’efforts coûteux et infructueux des gouvernements métropolitain et colonial pour lancer la culture du chanvre dans le Bas-Canada au début du xixe siècle. Diverses raisons stimulent cet intérêt : la raréfaction des approvisionnements européens par suite de la guerre et du blocus continental, le besoin pressant de chanvre pour les cordages de la marine britannique et la nécessité de diversifier la production agricole canadienne pour mieux l’insérer dans l’économie de marché atlantique.
Après une tentative modeste qui échoue sous lord Dorchester [Carleton*], des velléités resurgissent sous des pressions externes et internes : déjà, en 1800, on songe à offrir des primes et des terres incultes. En 1801, tout en constatant la difficulté d’obtenir de la bonne semence, le Conseil exécutif recommande de mener des expériences sur une petite échelle et de donner des primes. Nommés agents pour l’achat du chanvre par le lieutenant-gouverneur sir Robert Shore Milnes, Isaac Winslow Clarke et William Grant* poursuivent des expériences ; le premier expédie même 2 584 livres de chanvre marchand en Angleterre en 1802. Milnes, pressé par Londres, constitue deux comités permanents, l’un à Montréal et l’autre à Québec, encourage les agents – Clarke obtiendra une médaille d’or en 1804 de la Society for the Encouragement of Arts, Manufactures, and Commerce de Londres –, fait voter une somme de £1 200 par la chambre d’Assemblée (loi reconduite en 1804), distribue de petites quantités de semence et assure un « prix généreux » aux producteurs. En réalité, les candidats sont peu nombreux : outre Clarke et Grant, il y a Philippe Robin, de l’île de Jersey, et Philemon Wright, qui exigent des subventions et de vastes étendues de terres (20 000 et 10 000 acres respectivement). Cependant, diverses études circulent dans la province, dont celle de John Taylor, à compter de 1802, et celle de Charles Taylor, à partir de 1806, et les journaux encouragent les cultivateurs à entreprendre cette culture. Le gouvernement multiplie les pressions, même auprès des sulpiciens. Les agents, voire des seigneurs comme Charles-Louis Tarieu* de Lanaudière, font de la publicité, et deux spécialistes en la matière, Charles Frederick Grece et James Campbell*, arrivent de Londres.
Charles Frederick Grece est le frère de John William Grece qui a fait le commerce des céréales entre l’Angleterre et la Prusse et qui, en 1804, a offert de lancer la culture du lin et du chanvre au Canada en échange d’un canton ou de 50 000 acres le long de la rivière des Outaouais. Les lords du commerce ont offert une avance de £400 et apparemment une terre défrichée de 150 acres à Charles Frederick Grece et à James Campbell, avance sujette à remboursement si les conditions de l’entente ne sont pas remplies. À son arrivée à Montréal, Grece ne trouve pas la terre défrichée promise, mais il touche depuis son embarquement, le 17 octobre, £200 par année en plus de recevoir 75 minots de mauvaise semence et 100 exemplaires de la brochure de Charles Taylor. En 1806, le Conseil exécutif, qui ne se considère pas autorisé à acheter une terre défrichée, recommande une avance de £300 et une allocation de 10s l’acre pour la location d’une terre appropriée.
Cette inaction dans la colonie pousse Grece à faire intervenir son frère auprès du gouvernement britannique. Charles Frederick demande une compensation, car il a acheté une terre près de Montréal et y a érigé des bâtiments à un coût très élevé. Londres donne instructions au gouvernement colonial d’acheter une terre de 150 acres à Grece ou de le dédommager en proportion, si ce dernier a rempli les conditions de son engagement. En septembre 1807, après une première et minutieuse enquête, le Conseil exécutif conclut que Grece a bel et bien rempli ses engagements, compte tenu des circonstances, dont la mauvaise qualité de la semence. Une seconde enquête, cette fois sur le coût de l’érection des bâtiments, amène le conseil à recommander l’achat de 75 acres de terre à Grece, à un coût maximum de £75, quitte à ce que ce dernier acquitte le solde en marchandises et reçoive du gouvernement une indemnité annuelle de £20. Le conseil considère, en effet, que Grece n’a pas à se plaindre, puisqu’on lui paie le loyer de sa terre en plus de lui verser un salaire annuel de £200. En 1808, le gouverneur sir James Henry Craig* exprime sa satisfaction à l’endroit de Grece. Pourtant, encore en 1811, ce dernier doit quémander les 150 acres promises par Londres et une compensation pour les £346 qu’il a investies dans l’érection des bâtiments. Le Conseil exécutif se contente de préconiser la location pour cinq ou sept ans, à un prix modique, de la terre cultivée par Grece, de façon à lui permettre de présenter ses doléances devant les lords du commerce. Ceux-ci entérinent cette proposition, mais les réclamations de Grece traînent encore en 1814. Puis, la trace de cet homme s’estompe, et seuls quelques faits épars sont connus. Ainsi, en 1820 et 1824, il fait des demandes en vue d’obtenir de nouvelles terres à Longue-Pointe (Montréal), où il est déjà établi. D’autre part, il reçoit diverses commissions de juge de paix, plus précisément en 1831, 1833 et 1837. La dernière est reconduite le 31 décembre 1838, date à laquelle on perd la trace de Grece jusqu’à son décès survenu le 12 mars 1844.
Malgré l’injection de capitaux privés et publics de plus de £40 000 entre 1806 et 1809, les efforts pour stimuler la culture du chanvre ont tous échoué. Charles Frederick Grece attribue cet échec à l’explosion de l’industrie du bois et du commerce en général, d’où l’excessive cherté de la main-d’œuvre. Craig est du même avis. Campbell et John Lambert* parleront de complot et d’importation volontaire de mauvaise semence. On ne peut éluder la responsabilité des gouvernements métropolitain et colonial qui refusent de s’astreindre à un effort financier adéquat. Ces facteurs comptent bien davantage que la prétendue opposition des Canadiens causée par leur ignorance et leurs préjugés.
Charles Frederick Grece est l’auteur de : Essays on husbandry, addressed to the Canadian farmers, publié à Montréal en 1817, et de Facts and observations respecting Canada and the United States of America : affording a comparative view of the inducement to emigration in those countries [...], paru à Londres en 1819.
APC, MG 11, [CO 42] Q, 87–1 : 243–250 ; 87–2 : 424 ; 88 : 2, 90, 150–155, 175 ; 89 : 4, 70, 75, 79, 90, 249 ; 90 : 334–345 ; 91 : 15–18 ; 97A : 44 ; 100 : 10, 241–265 ; 101–2 : 369 ; 102 : 44, 256 ; 103 : 20 ; 104 : 210–211 ; 105 : 80–86 ; 106–2 : 305, 395, 400–401 ; 107 : 159, 322 ; 117–1 : 104–109, 144–146 ; 117–2 : 185 ; 119 : 211 ; 128–1 : 196 ; MG 17, A7–2, 5 ; RG 1, E1, 31 ; 33 ; L3L : 5428–5431 ; 47829–47910, 47913–47936 ; RG 7, G1, 1–2 ; RG 68, General index, 1651–1841.— UCC, Montreal Presbytery, St. Therese de Blainville (Sainte-Thérèse), reg. of burials, 16 mars 1844.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1800–1812.— John Lambert, Travels through Lower Canada, and the United States of North America, in the years 1806, 1807, and 1808 [...] (3 vol., Londres, 1810), 1 : 468–469.— Charles Taylor, Remarks on the culture and preparation of hemp in Canada [...] (Québec, 1806).— Le Courier de Québec, 1807–1808.— La Gazette de Québec, 1792–1824.— Hare et Wallot, les Imprimés dans le B.-C., nos 35, 123, 137, 201(E), 250(E), 264.— « Papiers d’État – B.-C. », APC Rapport, 1892.— Maurice Séguin, la « Nation canadienne » et l’Agriculture (1760–1850) : essai d’histoire économique (Trois-Rivières, Québec, 1970).— Douglas Brymner, « Rapport sur les Archives du Canada », APC Rapport, 1891 : xlii.
Jean-Pierre Wallot, « GRECE, CHARLES FREDERICK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/grece_charles_frederick_7F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
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