CAMPBELL, JAMES, spécialiste de la culture du chanvre ; circa 1806–1817.

Les James Campbell abondent dans la province de Québec, de 1783 à 1824 : trois d’entre eux, un loyaliste, un officier réformé du 84e d’infanterie et un soldat réformé du 78e d’infanterie, demandent des terres dans différents cantons, puis un quatrième est condamné pour agression. James Campbell, spécialiste de la culture du chanvre, émigre d’Écosse en 1806, peu après Charles Frederick Grece*, également spécialiste dans ce domaine. Selon les documents officiels (mais non d’après les prétentions de ces deux entrepreneurs), le gouvernement anglais leur avait promis une avance de £400 chacun pour introduire la culture du chanvre dans le Bas-Canada ; le tout était assorti d’un droit de retrait, le cas échéant. Cet effort s’inscrivait dans un train de mesures adoptées à Londres et dans la colonie depuis les années 1790.

Voyant les choses en grand, Campbell débarque à Québec dès l’automne de 1806 avec 18 ouvriers qualifiés (des fermiers, des constructeurs de moulins, des menuisiers et des forgerons) et les membres de sa famille. Peu après son arrivée, Thomas Dunn, administrateur du Bas-Canada, lui promet toute l’aide possible du gouvernement. Les promesses réelles ou imaginées de Londres ne se réalisent pas : il n’y a pas de terre défrichée qu’on puisse lui donner immédiatement et pas de semence non plus. Le Conseil exécutif consent toutefois à lui rembourser une partie de ses dépenses, jusqu’à concurrence de £300, sur présentation de reçus « satisfaisants ». Au début de 1807, le gouvernement achète une terre à Bécancour que Campbell pourra occuper gratuitement durant cinq ans, quitte à se faire rembourser équitablement pour les améliorations qu’il pourrait y apporter. Isaac Winslow Clarke, agent du gouvernement, s’engage à lui procurer 300 minots de semence pour qu’il commence la culture du chanvre au plus tôt. Dunn fait état de ces efforts auprès des autorités métropolitaines. John Lambert, neveu de Campbell, bien connu pour son récit de voyage au Bas-Canada, soutient pourtant que le Conseil exécutif aurait refusé une aide financière supplémentaire à Campbell avant qu’il n’érige des bâtiments et ne produise du chanvre, et qu’en plus, on lui aurait procuré de la semence stérile. Campbell revient à la charge auprès du conseil. Conscient du risque de perdre les avances déjà consenties à Campbell et soucieux de rentabiliser les £2 400 investies dans la culture du chanvre, celui-ci lui accorde un autre prêt, avec réticence, et songe à se faire rembourser en utilisant le bénéficiaire pour transformer à un taux raisonnable tout le chanvre produit dans la région de Trois-Rivières, que le gouvernement s’est engagé à acheter. D’ailleurs, peut-on faire démarrer cette culture sans promettre à la population que le gouvernement fera l’acquisition de tout le chanvre brut à un prix déterminé ?

En 1807, le chanvre de Campbell ne pousse guère, en raison de la mauvaise qualité de la semence. L’année suivante, le gouverneur Craig louange les efforts de Grece, mais traite Campbell de fainéant et de spéculateur qui ne remplit pas ses engagements, malgré ses fréquentes demandes de fonds. Il n’en reste pas moins qu’en septembre Campbell annonce l’ouverture d’un moulin à chanvre sur sa terre. Le gouvernement faisant la sourde oreille à ses doléances, Campbell présente une longue pétition au Conseil exécutif en 1811, dans laquelle il donne sa version des faits. À Londres, on l’aurait d’abord nommé agent pour l’inspection du chanvre dans les districts de Trois-Rivières et de Québec – même si la métropole interdisait formellement d’être producteur et inspecteur en même temps – et on lui aurait promis l’octroi d’une terre défrichée de 150 acres dans le Bas-Canada avec certains instruments mis gratuitement à sa disposition ; du point de vue de la rémunération, il devait recevoir une somme pour payer son voyage, une avance de £400, un salaire à vie de £200 par année s’il remplissait ses obligations et £43 par tonne de chanvre marchand récolté. En fait, il avait obtenu une terre de qualité médiocre qui ne pouvait produire avant trois ou quatre années d’efforts ; il avait perdu également ses 18 experts, en plus des avances de plusieurs mois de salaire, vu l’impossibilité de se mettre à la tâche immédiatement et compte tenu de la demande très forte de main-d’œuvre qualifiée dans la colonie. Après avoir été forcé d’hypothéquer ses biens, il avait fait l’objet d’une saisie de l’ordre de £2 000 au moment où il touchait au but. Dans l’ensemble, il aurait perdu plus de £2 168.

Impassible, le conseil consent tout au plus à une prolongation du salaire de Campbell jusqu’au 1er novembre 1811, décision entérinée par le comité de commerce du Conseil privé de Londres. Puis la trace de Campbell s’estompe : peut-être est-ce lui qui signe une adresse au gouverneur Prevost en 1813. Quoi qu’il en soit, il soumet avec Grece un nouveau projet au gouvernement en 1814, et son nom est mentionné une dernière fois lors de la vente d’une terre par le shérif de Trois-Rivières en 1817.

Craig impute l’insuccès des efforts de Grece et de Campbell à la forte demande de main-d’œuvre dans le commerce du bois et, par le fait même, à une hausse généralisée des salaires qui rend la culture du chanvre peu payante. Pour sa part, Campbell blâme l’inaction du gouvernement colonial et la mauvaise semence. Quant à Lambert, observateur perspicace, il note que les Canadiens n’ont connu que des échecs dans ce domaine depuis 20 ans : pourquoi abandonneraient-ils la culture du blé, plus rémunératrice, pour une spéculation douteuse qui exige des connaissances, du capital et un marché stimulé artificiellement par des primes élevées ? Il mentionne même l’existence d’un présumé complot impliquant des membres et des agents du Conseil exécutif qui auraient gaspillé la semence. Voilà, selon lui, les vraies raisons de l’échec de la culture du chanvre, et l’on aurait tort de l’attribuer, ainsi que l’avait fait William Vondenvelden, aux préjugés des Canadiens ou à l’opposition des marchands, des seigneurs et du clergé. Mais le principe demeure : « Les Canadiens français, comme tous les autres peuples, aiment bien faire de l’argent en y mettant le moins d’effort possible. »

Jean-Pierre Wallot

APC, MG 11, [CO 42] Q, 99 : 249 ; 101-1 : 2 ; 101-2 :372 ; 102 : 44 ; 103 : 20, 35s. ; 107 : 159, 373 ; 117-1 :104–138, 141–143, 146 ; 117–2 : 185 ; 120 : 7 ; 128–1 : 196 ; RG 1, E1 ; L3L- : 27–42, 283, 538, 563, 575, 577, 641–646, 686–704, 2084, 2971–2974, 3075–3082, 3797, 3906, 5320–5326, 5341–5348, 15218–15233, 22162, 30960–31018, 31095–31112, 65819–65822, 72579–72583, 78473–78476, 81241–81360, 83434–83439, 85235–85244, 88284–88303, 90996–91013, 96388 ; RG 4, A1.— John Lambert, Travels through Lower Canada, and the United States of North America, in the years 1806,1807, and 1808 [...] (3 vol., Londres, 1810), 1 : xiv-xviii, 183, 198, 232, 468–495 ; 2 : 57.— La Gazette de Québec, 1er sept. 1808, 30 déc. 1813, 24 avril 1817, 18 janv. 1821, 1er avril 1824.

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Jean-Pierre Wallot, « CAMPBELL, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/campbell_james_5F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
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