GRAY, RALPH, soldat, tailleur, homme d’affaires, seigneur et homme politique, né probablement entre 1736 et 1740, vraisemblablement en Écosse ; décédé le 27 décembre 1813 à Beauport, Bas-Canada.

Ralph Gray passa au Canada pendant la guerre de Sept Ans, à titre de tailleur régimentaire et de simple soldat dans les troupes du major général Amherst*. Il se battit à Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), et à Québec, où il servit comme sergent de jour. Il fut blessé lors de l’attaque du camp de Montmorency le 31 juillet 1759 et au cours de la bataille des plaines d’Abraham le 13 septembre. Il acheta plus tard son licenciement, mettant ainsi fin à dix années de service militaire, et, en mai 1761, il était établi comme tailleur, rue des Pauvres (côte du Palais), à Québec. En mars 1764, avec sa femme, Mary Ann Scott, il acquit une maison de pierre sise rue de la Fabrique, qu’il paya près de £600 comptant. Le 23 janvier 1765, il fut nommé par le gouverneur Murray* l’un des quatre sous-baillis de Québec, pour un mandat d’un an ; il occupait officieusement ce petit poste relatif à la police depuis la fin de 1764, soit depuis la création des cours de justice. Pendant ses premières années comme tailleur, Gray fournit une clientèle largement britannique et urbaine de vêtements faits d’une variété de lainages et de cotons importés mais de qualité commune. Son entreprise prospéra, et, en 1769, il annonçait dans la Gazette de Québec un assortiment plus considérable et plus varié de tissus : toiles irlandaises, soies, élégants velours européens, et un plus grand choix de tissus de laine et de coton ; il importait aussi certains accessoires, comme des mouchoirs, des chapeaux et des nappes.

Au début des années 1770, Gray chercha à donner de l’expansion à son entreprise et à diversifier ses intérêts. En février 1773, il présenta une requête, apparemment sans succès, pour obtenir une terre à l’arrière des seigneuries de Lachenaie et de L’Assomption, dans la région de Montréal. Le 25 août 1774, il acheta du marchand québécois William Grant (1744–1805) l’arrière-fief de Grandpré, autrefois connu sous le nom de La Mistanguienne ou de Montplaisir, à La Canardière, à l’est de Québec. Il paya entièrement le prix de cet achat, soit £1 500, en moins de quatre ans. Gray se joignait ainsi au petit groupe des marchands-seigneurs britanniques de la province. Entre-temps, il avait acquis des propriétés à Québec : une maison sise rue Saint-Jean, par voie d’adjudication, en avril 1774, et une autre en août, sise rue des Pauvres, qu’il acheta au prix de £200 du marchand Samuel Jacobs*. Probablement en 1774, Gray s’associa au marchand québécois Duncan Munro, et, en avril 1775, tous deux acquirent d’un autre marchand de Québec, John Bondfield, une propriété et des dettes à recouvrer dans la région de Chambly. L’association de Gray et de Munro prit fin dès le 1er juin 1775. Devenu un importateur d’expérience, Gray donna de l’expansion à son entreprise et annonça, en juin 1777, qu’il avait ouvert un nouveau magasin pour le commerce en gros d’une « variété complète de marchandises » – draperie, bonneterie, mercerie, papeterie, coutellerie et épicerie.

En février 1778, Gray était suffisamment riche pour se retirer du commerce à Québec et aller vivre dans une maison appelée New Garden, à La Canardière ; de là, il géra la location de ses maisons de Québec et accrut ses transactions immobilières. Ce mois-là, il vendit sa maison de la rue Saint-Jean pour la somme d’environ £550. En janvier, il avait loué la plus grande partie de l’arrière-fief de Grandpré au notaire québécois Charles Stewart, pour le prix de £132 ; en février 1779, Stewart acheta cette propriété au coût de £2 000 (cours d’Angleterre). Le mois suivant, Gray vendit pour la somme de £600 une autre maison acquise par voie d’adjudication, rue de la Montagne, et, en avril, il paya plus de £400 une ferme à La Canardière et un lot sur lequel s’élevaient deux maisons de pierre, rue Saint-Louis. En mai 1781, il échangea une ferme sise dans la paroisse de l’Immaculée-Conception, à Saint-Ours, qu’il avait acquise lors d’une vente par shérif, pour un lot et une maison sis rue Saint-Vallier.

En plus de tirer des profits de ses transactions foncières et de la location de ses maisons, Gray, à l’instar d’autres marchands, fit fonction d’exécuteur testamentaire, d’agent de ventes immobilières et de financier. En 1781, la firme des tailleurs locaux Ritchie and Ferguson lui devait £1 058, et la succession de George Hipps £703. En août 1784, il prêta £500 au maître de poste de Berthier-en-Haut (Berthierville), Alexander McKay. En avril 1789, Gray et huit autres associés, dont David Lynd, obtinrent des lettres patentes pour l’exploitation d’un pont à péage, appelé pont Dorchester, enjambant la rivière Saint-Charles.

Au début des années 1790, Gray se départit de plusieurs de ses propriétés de Québec, mais, en octobre 1792, il dut reprendre de Stewart une bonne partie de l’arrière-fief de Grandpré, en paiement partiel d’une dette de £1 650. Gray concéda plusieurs pièces de terre, selon la tenure seigneuriale, dans une tentative pour mettre son arrière-fief en valeur ; en février 1800, il vendit une grande ferme, dont une partie dépendait de Grandpré, au juge Pierre-Amable De Bonne, au prix de £3 150 (cours d’Angleterre). Au mois d’avril suivant, Gray acheta une maison et trois lots à Beauport ; mais, à partir de ce moment, il paraît avoir vécu des revenus provenant de ses transactions foncières, investissant en partie les capitaux qu’il en tirait dans des prêts.

Quand Gray rédigea son testament, en mars 1807, il était de toute évidence un homme qui avait de grands moyens et qui songeait aux legs qu’il ferait. À son jeune neveu Benjamin Ritchie, fils de feu le tailleur Hugh Ritchie, dont la succession était lourdement endettée envers lui, il laissait £600 et un certain nombre d’effets. À des parents – la plupart en Écosse – il laissait £1 600 et deux actions dans l’hôtel de l’Union, à Québec. Mais la plus grande bénéficiaire de ses largesses était Ann Ritchie, sœur de Benjamin, qui s’occupait depuis quelque temps déjà de la femme invalide de Gray et qui devait recevoir £2 000, deux actions dans le pont Dorchester, l’arrière-fief de Grandpré (dès lors nommé Montplaisir) et une ferme située dans la paroisse de Beauport. Ce legs était fait à la condition qu’elle continuât de vivre avec la femme de Gray et de la soigner, en plus de remplacer Gray en prenant soin de la femme indigente d’un ancien censitaire, et d’un vieil esclave, Néron Bartholomy, advenant qu’il décidât de demeurer en servitude après la mort de Gray ; s’il choisissait d’être affranchi et de rester avec Ann, celle-ci devait lui payer £12 par année pour ses services comme homme libre.

Jusqu’en 1808, Gray avait pris peu de part à la politique, bien qu’il eût à l’occasion manifesté de la sympathie pour certaines aspirations politiques de la communauté des marchands locaux, mais, en mai 1808, il invoqua les 48 années qu’il avait vécues à Québec, son âge, sa situation personnelle et sa fortune pour briguer les suffrages comme candidat à la chambre d’Assemblée. Il s’était peut-être laissé gagner par l’atmosphère politique de plus en plus chargée de la colonie ; au sein de l’Assemblée, la plupart des Canadiens, qui formaient la majorité, se montraient sérieusement dissidents, et le gouvernement de la colonie n’avait l’appui que d’un petit groupe de députés, composé surtout de marchands britanniques. Le 16 mai, Gray et De Bonne, partisan connu du parti des bureaucrates et homme politique influent, furent élus dans la circonscription de Québec, grâce au fort appui qu’ils obtinrent à Beauport et à Charlesbourg.

Un litige d’envergure survint à l’Assemblée quand la majorité canadienne affirma que De Bonne, en sa qualité de juge, était inéligible comme député ; Gray appuya sans relâche les arguments des bureaucrates, qui défendaient le droit de De Bonne de siéger à l’Assemblée. Les contestations de l’éligibilité de De Bonne amenèrent le gouverneur Craig à dissoudre l’Assemblée à plusieurs reprises, en 1808 et 1809. Au cours des élections durement contestées de 1809, Gray et 16 autres furent identifiés par le Canadien comme un groupe favorable au gouvernement. Ce journal avait été fondé en 1806 pour être le porte-parole avoué des intérêts politiques des Canadiens. Si le nombre des membres de ce groupe fut réduit d’une façon significative lors des élections de novembre 1809, Gray et De Bonne furent néanmoins réélus dans la circonscription de Québec. À l’Assemblée, Gray réaffirma son appui à Craig lors du vote sur le contrôle des dépenses civiles et sur l’éligibilité des juges à l’Assemblée.

Ayant à faire face au renvoi de De Bonne, décidé de façon indépendante par l’Assemblée au plus fort de la crise, Craig proclama de nouveau la dissolution de la chambre en février 1810. Gray, qui était l’un des rares députés à respecter le gouverneur, chercha à se faire réélire, malgré sa mauvaise santé et la mort de sa femme survenue le 27 février. Dans un climat électoral tendu, encore accru par la saisie du Canadien par Craig en mars, Gray exprima clairement les craintes des Britanniques face à la domination sociale et politique des Canadiens. Ne comprenant pas la position complexe des Canadiens et soupçonnant quelque motivation révolutionnaire, il dénonça les chefs canadiens comme étant des « démagogues et des factieux », et condamna leurs aspirations nationalistes comme étant les « machinations » séditieuses et « méchantes de quelques personnes mal intentionnées ». Dans une adresse publique, le 27 mars, l’ancien marchand témoigna des « rapides progrès » faits par les Canadiens depuis la Conquête, « sous la puissante protection du gouvernement britannique ». Il défia en outre le groupe canadien en établissant un parallèle entre la prospérité ininterrompue et la stabilité politique, d’une part, et l’assimilation et l’appui électoral apporté aux candidats favorables au gouvernement, d’autre part. Aux élections, qui durèrent du 29 mars au 3 avril, Gray et Joseph-François Perrault*, fonctionnaire du gouvernement et pionnier de la réforme de l’éducation au Canada, furent tous deux défaits. Le 5 avril, la Gazette de Québec reproduisait une lettre signée par Gray et Perrault, qui protestaient contre des irrégularités du scrutin et poussaient l’imprudence jusqu’à dénoncer « les Congréganistes, Sacristains et Bedeaux des Églises Romaines » et certaines familles canadiennes influentes comme les responsables de leur défaite. Gray nia avoir participé à la rédaction de cette lettre irréfléchie, déclarant qu’il n’avait autorisé que l’expression de sa gratitude envers ses partisans.

Après sa défaite, Gray retourna à Millbank, maison qu’il habitait à Beauport. Le 22 août 1810, il épousait Phoebe (Phébé) Wallen, veuve de James Frost, ancien capitaine du port de Québec. Mais ils se séparèrent en février 1813 ; en vertu des clauses de l’acte de séparation, Gray, afin de satisfaire à son « obligation naturelle », en tant que mari, « de trouver à fournir à la dite Phoebe Wallen Gray les moyens de vivre d’une façon convenable », promettait de lui verser £100 par année pour la durée de leur séparation. Gray, apparemment, n’avait point d’enfants de l’un ou l’autre de ses mariages, mais, le 21 février 1810, il avait adopté un orphelin, qu’il avait baptisé Frost Ralph Gray et pour qui il fut, selon Craig, un « bon père ».

Ralph Gray mourut subitement à Beauport le 27 décembre 1813 et fut enseveli trois jours plus tard après un service dans l’église presbytérienne St Andrews, à Québec. Il avait été, selon le Quebec Mercury, « fort estimé pour sa bonté naturelle et ses actes de charité ». Il avait dû, en 1811, supprimer les noms de ses parents écossais de son testament et réduire la part d’autres héritiers, pour tenir compte d’une fortune amoindrie et de sa seconde femme. Seule sa nièce dévouée, Ann, qui avait épousé le colonel John Thomas Zouch l’année précédente, ne subit pas de diminution d’héritage, si bien qu’elle entra en possession de ce qui était probablement des biens considérables. Quant à Phoebe Wallen, après avoir touché son premier et seul montant de £100 en conséquence de sa séparation d’avec Gray, elle reçut annuellement, par la suite, la gratification de £126 prévue dans son contrat de mariage, bien que, dans les clauses de l’acte de séparation, elle eût accepté de renoncer aux privilèges qui en découlaient.

David Roberts

ANQ-Q, CE1-61, 22 août 1810 ; CE1-66, 30 déc. 1813 ; CN1-25, 4 oct. 1781 ; CN1-26, 21 nov. 1807, 14 mai 1808, 23 mars 1810 ; CN1-83, 25, 29, 30 janv., 15 févr., 31 juill. 1782, 23 mars 1785, 3 févr., 3 mars 1787, 15 oct. 1788, 29 avril, 5 sept. 1789, 19 avril, 2 juill. 1790, 22 mars, 4 nov. 1791, 26 janv., 22 févr. 1793 ; CN1-178, 20 juill. 1796, 9 nov. 1797, 6 déc. 1802, 8, 26 mars 1803, 3 mars 1804 ; CN1-205, 17 nov. 1775, 3 janv., 12 févr. 1778, 6 févr., 13, 16 mars, 13 avril 1779, 18 janv. 1780, 26 mars, 30 mai, 2 oct. 1781, 1er mai 1783, 10 mars 1784 ; CN1-207, 21 juin 1773, 2 mai, 25 août, 5 nov. 1774, 13 avril 1775 ; CN1-224, 14 juin 1779, 12 août 1784 ; CN1-230, 28 juill. 1798, 15 févr., 30 avril, 21 nov. 1799, 14 févr., 7 mai 1800 ; CN1-248, 31 mars 1764 ; CN1-250, 5 avril 1761, 5 mars, 14 juill. 1762 ; CN1-253, 28 janv., 11, 12, 15 févr., 6 juill. 1814 ; CN1-256, 17 janv. 1782 ; CN1-262, 16 janv. 1796, 20 févr., 15 avril 1797, 5, 17 avril 1800, 7 mars 1801, 24 sept. 1804, 1er sept. 1806, 6, 18 mars, 21 juin, 7 juill. 1807, 29 juin, 6, 14 août 1810, 9 mars, 21 sept., 14 oct. 1811, 14 mai 1812, 25 févr. 1813 ; CN1-284, 22 mars 1791, 1er févr., 18 sept., 20 oct., 23 nov. 1792, 16 avril 1793, 6, 23 mai 1795, 19 févr. 1797, 7 oct. 1801, 17 avril 1802, 28 juin 1803, 20 mai 1804, 14 août, 30 oct. 1810.— APC, RG 1, L3L : 2951, 47653s. ; RG 4, A1, 149 : 37.— PRO, CO 42/66 : 176–181 ; 42/141 : 32.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1806–1813.— Gentleman’s Magazine, janv.–juin 1818 : 645.— Le Canadien, 9 oct., 29 nov. 1809, 6 janv. 1810.— La Gazette de Québec, 24 janv., 28 févr. 1765, 21 mai 1767, 17 août 1769, 15 juin 1775, 19 juin, 10 juill. 1777, 4 févr., 1er avril 1779, 20 déc. 1781, 24 juill. 1794, 15 janv. 1801, 5, 19 mai 1808, 5 oct., 30 nov. 1809, 1er, 15 mars, 5, 12 avril 1810, 22 avril, 30 déc. 1813, 25 mai 1818.-QuebecMercury, 28 déc. 1813.-Christie, Hist. of L.C., 1.— F. M. Greenwood, « The development of a garrison mentality among the English in Lower Canada, 1793–1811 » (thèse de ph.d., Univ. of B.C., Vancouver, 1970).— Manning, Revolt of French Canada, 41–62.— Neatby, Quebec, 229s.— Philéas Gagnon, « Le premier pont sur la rivière Saint-Charles », BRH, 4 (1898) : 55.— Hare, « L’Assemblée législative du B.-C. », RHAF, 27 : 381–386.— L. A. H. Smith, « Le Canadien and the British constitution, 1806–1810 », CHR, 38 (1957) : 93–108.

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David Roberts, « GRAY, RALPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gray_ralph_5F.html.

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Auteur de l'article:    David Roberts
Titre de l'article:    GRAY, RALPH
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    28 novembre 2024