GIBB, BENAIAH, homme d’affaires, né le 6 mai 1755 dans le comté de Northumberland, Angleterre, d’une famille d’origine écossaise ; le 3 septembre 1790, il épousa à Montréal Catherine Campbell, et ils eurent quatre fils et deux filles, puis le 26 décembre 1808, au même endroit, Eleanor Pastorius, fille d’Abraham Pastorius, et de ce mariage naquirent un fils et une fille ; décédé le 18 mars 1826 à Montréal.

Formé au métier de tailleur en Angleterre et peut-être issu d’une famille d’artisans, puisque son frère établit une maison spécialisée dans la confection à Londres, le jeune Benaiah Gibb immigra dans la province de Québec en 1774. Les débuts de sa carrière au pays font l’objet de récits contradictoires. Selon certains, Gibb se serait installé à Montréal dès son arrivée et aurait ouvert sa première boutique en 1775. D’autres prétendent qu’il est venu à Montréal pour s’associer à Peter McFarlane qui y tenait déjà boutique, et qu’il lui succéda à sa mort.

Les avis publiés par Gibb lui-même pour attirer la clientèle indiquent cependant que son cheminement professionnel fut plus compliqué que cela. Entre son arrivée et l’été de 1784, Gibb semble avoir travaillé seul, peut-être à son propre compte, et il passa au moins une partie de ce temps à Sorel. Ce n’est que le 19 août 1784 que fut fondée la société McFarlane and Gibb, qui se spécialisa dans la confection de vêtements pour hommes. La firme fut dissoute le 1er octobre 1790 et McFarlane se retira des affaires au profit de Gibb. Il exerça sans doute une influence importante sur la carrière de Gibb. Les relations entre les deux hommes dépassaient le strict cadre économique, puisque McFarlane logea chez Gibb dans ses vieux jours. Sauf une brève association avec Thomas Prior, qui dura de 1795 à 1797, Gibb veilla seul aux affaires de son établissement jusqu’à sa retraite en 1815. Sous la direction de ses fils Thomas, James Duncan et Benaiah, puis de divers autres membres de sa famille, la maison Gibb continua à servir l’élite montréalaise tout au long du xixe siècle.

Un inventaire effectué en 1804, lors du décès de Catherine Campbell, la première femme de Gibb, fournit de précieux renseignements sur les activités de la maison Gibb à l’apogée de la carrière de Benaiah. La boutique et le magasin de la rue Notre-Dame contenaient alors une immense variété de tissus et de fournitures devant servir à la confection de vêtements pour hommes, le tout évalué à £1 392 9s 11d, On y retrouvait des milliers de verges d’étoffe prête à être transformée en habits pour toutes les occasions. Aux velours, satin, lainage, nankin, coton et flanelle s’ajoutaient plus de 100 livres de fil, 40 livres de cire d’abeille, 800 douzaines de boutons et d’importantes quantités de dentelle, d’extra-fort, de galon de soie, de ganse argentée, de passementerie dorée et argentée, et d’épaulettes d’or et d’argent. Dans son magasin, Gibb mettait aussi à la disposition du public un choix restreint de prêt-à-porter et d’accessoires indispensables à la clientèle, tels les bas de soie blancs et les gants de chevreau et d’angora. Il est malheureusement impossible, à partir de cet unique document, d’évaluer le nombre d’apprentis et de compagnons tailleurs qui maniaient les aiguilles, les 18 paires de ciseaux et les 4 paires de cisailles qui constituaient les seuls outils de la boutique.

En 1804, les affaires de Gibb semblaient très florissantes. L’actif de £8 820 17s 11d, composé du stock de la boutique et du magasin, et des comptes à recevoir £7 428 8s, dont £2 275 10d de créances douteuses), dépassait largement les £2 499 16s 10d de dettes que l’entreprise avait accumulées. L’examen de la liste des principaux créanciers révèle certains aspects du fonctionnement de cette boutique de confection. Pour un marchand tailleur, le tissu constituait la matière première essentielle et, par conséquent, représentait le plus important coût de production. Gibb importait ses cotons et ses lainages de Grande-Bretagne, le plus souvent en faisant affaire directement avec des maisons anglaises. Plus de la moitié de ses dettes étaient évaluées selon le cours d’Angleterre de la livre sterling, et la société Edward and Thomas Sheppard de Londres était son principal créancier. Mais parfois Gibb achetait des produits mis en vente par les importateurs montréalais. Ainsi la liste des créanciers comprend également les sociétés Parker, Gerrard, Ogilvy and Company, McTavish, Frobisher and Company, James and Andrew McGill and Company de même que John et William Porteous.

La prospérité de la maison Gibb reposait sur la capacité de son fondateur de répondre aux exigences d’une clientèle bien particulière. Parmi ses clients figuraient de nombreux officiers de la garnison, mais Gibb habillait aussi des notaires (Louis Chaboillez*, John Gerbrand Beek, Jonathan Abraham Gray, Louis Guy*), des seigneurs (Jean-Baptiste-Toussaint Pothier*, Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu, Jacob Jordan*) et des princes du commerce (Simon McTavish*, Joseph Frobisher*, William Maitland, George McBeath*, William McGillivray, George Garden, John Ogilvy*, Thomas Blackwood*).

Gibb entretenait des relations complexes avec l’élite montréalaise qu’il servait. Comme artisan, il appartenait à une autre catégorie sociale, mais il était situé au sommet de la pyramide artisanale et participait à ce groupe restreint d’artisans qui fabriquaient des produits de luxe. Avec le temps, la prospérité de son entreprise lui permit de se doter d’un mode de vie qui le distinguait davantage de ses confrères et le rapprochait de la bourgeoisie montréalaise. Déjà en 1804, il était propriétaire d’une maison de pierre à deux étages sise à l’intérieur des remparts de la ville, de même que d’un emplacement au nord du faubourg Saint-Laurent à Près-de-Ville, complanté d’arbres fruitiers et où s’élevait un pavillon d’été de style chinois. Les activités sociales de Gibb contribuèrent également à hausser son rang. Il fut un membre très actif de l’église presbytérienne St Gabriel Street ; il siégea pendant plusieurs années au comité des affaires temporelles, où il occupa le poste de vice-président en 1804. En 1820, il devint administrateur de la Banque d’épargne de Montréal.

Lors de son décès en 1826, Gibb était devenu un Montréalais très à l’aise. Les dettes actives de sa succession se chiffraient à plus de £25 482 alors que les dettes passives atteignaient seulement £1 112. II avait aussi accru considérablement ses investisse ments fonciers à Montréal et ailleurs, notamment par l’acquisition de nombreuses concessions dans les cantons d’Ashton, de Sutton, d’Elsmley, d’Ely, d’Eardley et de Clifton ainsi que dans celui de Roxborough, au Haut-Canada. L’intégration progressive de Benaiah Gibb à la bourgeoisie montréalaise fut confirmée par les carrières et les mariages de certains de ses enfants. Sa fille Elizabeth épousa le marchand James Orkney, de la société J. and R. Orkney. Le plus célèbre de ses fils, prénommé. lui aussi Benaiah, consacra l’ascension sociale amorcée par son père. Il veilla aux affaires de la maison Gibb tout en se consacrant à sa passion pour l’art. Il profita de voyages d’affaires à Londres pour acheter des toiles de jeunes peintres « qui étaient généralement fauchés [et] désireux de vendre [leurs œuvres] à des prix raisonnables ». Sa collection de 90 peintures et de 8 bronzes, de même qu’un emplacement rue Sherbrooke et une somme d’argent prévue pour la construction d’une galerie furent légués à l’Association des beaux-arts de Montréal. Ainsi le fils d’un marchand tailleur joua-t-il un rôle fondamental dans la création d’un établissement étroitement lié à la bourgeoisie montréalaise, le Musée des beaux-arts de Montréal.

Joanne Burgess

L’auteur tient à remercier Mme Mary Anne Poutanen qui a partagé les résultats de ses recherches sur Beniah Gibb et sur les marchands tailleurs montréalais. [a. b.]

ANQ-M, CE1-63, 3 sept. 1790 ; CE1-126, 10 févr. 1796, 27 juin 1798, 29 avril 1800, 26 déc. 1808, 11 oct. 1813, 16 janv. 1817 ; CN1-121, 24 avril 1804 ; CN1-134, 15 févr. maison de Glasgow. 1822, 28 juill. 1823, 14–15 mars, 12 avril 1826, 12 déc. 1828 ; CN1-185, 23 déc. 1808.— APC, MG 22, A9, 4 38–39 ; MG 24, K61 ; L3: 25425, 26369–26390.— Musée McCord, Gibb account-books, Ledger P (1906–1912) ; Kollmyer papers, 29 juill. 1795.— Canadian Courant and Montreal Advertiser, 1er, 5 nov. 1815.— La Gazette de Québec, 19 août 1784, 9 juill. 1795, 29 juin, 19 août 1797. – Montreal Gazette, 13, 27 janv. 1791, 21 août 1832.— Montreal Herald, 29 avril 1815.— F. W. Terrill, A chronology of Montreal and of Canada from A.D. 1752 to A.D. 1893 [...] (Montréal, 1893).— R. Campbell, Hist. of Scotch Presbyterian Church, 113–116.

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Joanne Burgess, « GIBB, BENAIAH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gibb_benaiah_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    28 novembre 2024