GAGNON, LUCIEN (prénommé parfois Julien), cultivateur et patriote, né le 8 janvier 1793 à Laprairie (La Prairie, Québec), fils de Pierre Gagnon, cultivateur, et de Marie-Anne Longtin ; décédé le 7 janvier 1842 à Corbeau, New York, et inhumé le 11 janvier suivant à Saint-Valentin, Bas-Canada.

La famille de Lucien Gagnon habite Laprairie depuis plusieurs générations. Ces cultivateurs se rattachent très vraisemblablement à cette minorité paysanne qui vit dans une certaine aisance. Lucien s’initie très tôt aux tâches agricoles et, à l’instar de ses deux frères, il souhaite devenir propriétaire d’une exploitation qui le rende indépendant. Dans son dernier testament, rédigé en 1811, Pierre Gagnon fait de ses trois fils les héritiers universels de ses biens par égales parts et portions. Le jeune Lucien connaîtra donc rapidement la sécurité matérielle et il pourra s’établir facilement.

Le 18 septembre 1815, Gagnon épouse Catherine Cartier, fille d’un riche cultivateur de Sainte-Marguerite-de-Blairfindie (L’Acadie). Le jour de son mariage, il est déjà propriétaire de deux terres et il dispose de biens s’élevant à plus de 14 000ll. Sa femme, munie d’une grosse dot, ajoute d’autres richesses à son avoir en apportant argent, biens matériels et bestiaux évalués à 5 000ll À la suite de ce mariage, on reconnaît Gagnon comme un cultivateur aisé.

Jusqu’en 1828, la vie de Gagnon n’offre pas d’événements spectaculaires. C’est le décès de son épouse, survenu au printemps de 1828, qui va bouleverser sa vie et celle de ses enfants. Le 8 septembre de la même année, Gagnon se marie avec Sophie Régnier, de Napierville. Ce deuxième mariage l’incite alors à vendre ses terres à Laprairie et à s’installer dans la paroisse Saint-Valentin où la terre est encore abondante mais les redevances seigneuriales fort élevées. Gagnon devient rapidement l’un des cultivateurs importants de l’endroit. Vers 1830, ses terres produisent 200 minots de blé et une quantité aussi considérable d’avoine et d’orge, et son cheptel est impressionnant.

Accablé cependant par la lourdeur des charges seigneuriales et endetté envers Napier Christie Burton, propriétaire de la seigneurie de Léry, Gagnon se joint dès 1834 au mouvement patriote de sa paroisse. Il se lie d’amitié avec le docteur Cyrille-Hector-Octave Côté, partisan d’une baisse substantielle des redevances seigneuriales au Bas-Canada. La contestation seigneuriale est donc l’élément essentiel qui rapproche Gagnon de l’aile radicale du parti patriote.

En 1837, Gagnon figure parmi les membres les plus actifs de l’organisation révolutionnaire de sa région. Le 17 juillet, il participe à l’assemblée populaire tenue à Napierville. En septembre, avec l’appui d’un groupe de patriotes, il obtient, par la menace et l’intimidation, la démission des juges de paix et des capitaines de milice du comté de L’Acadie, tous partisans reconnus du gouvernement britannique. Un mois plus tard, à Saint-Charles-sur-Richelieu, il prend part à l’importante assemblée des six comtés. Il parcourt par la suite les paroisses du comté de L’Acadie pour tenter de rallier les cultivateurs à la cause révolutionnaire. Il possède de plus en plus l’étoffe d’un leader : il est réaliste, tenace, inflexible, cruel même, car il n’hésite pas à faire des gestes difficiles et compromettants lorsque la situation l’exige.

Dès le mois de novembre 1837, Gagnon est fermement convaincu que les patriotes de sa région doivent passer à l’action. À cet effet, il organise chez lui une importante réunion à laquelle assistent notamment le docteur Côté, Édouard-Étienne Rodier et Ludger Duvernay*. Ensemble, ils projettent d’attaquer le village de Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu) à la fin de novembre. Mais, informés que les militaires britanniques connaissent leur projet, les quatre hommes décident plutôt de traverser la frontière canado-américaine en attendant une occasion propice. À la fin de novembre, à peine installé à Swanton, au Vermont, Gagnon franchit de nouveau la frontière et pousse la témérité jusqu’à se rendre à Saint-Valentin et dans les paroisses environnantes afin d’y recruter des sympathisants. Accompagné d’une soixantaine d’hommes, il parvient à contourner la baie Missisquoi et à retourner à Swanton, où l’attend le gros des effectifs patriotes. Le 6 décembre, les réfugiés, avec Gagnon en tête, tentent une nouvelle incursion, cette fois à Moore’s Corner (Saint-Armand-Station). Blessé deux fois pendant la bataille, Gagnon réussit à s’enfuir grâce à l’appui de deux compagnons de combat. Cet affrontement militaire, le dernier de la rébellion de 1837, se solde par un autre échec des patriotes. Ramené à Swanton, Gagnon n’est pas au bout de ses peines. À la fin de décembre, il apprend que les volontaires rattachés à l’armée britannique ont brûlé sa ferme et jeté sur le pavé sa femme et ses huit enfants qui viennent d’ailleurs le rejoindre à Corbeau, dans l’État de New York, où il est installé depuis quelques semaines.

Après l’échec de la rébellion de 1837, Gagnon joue un rôle de premier plan parmi les réfugiés installés aux États-Unis. De simple leader local qu’il était, il devient en 1838 une figure prédominante dans la haute direction du mouvement patriote. C’est qu’à cette époque l’organisation révolutionnaire est prise en main par les docteurs Robert Nelson* et Côté qui font de Gagnon leur homme de confiance sur le plan militaire. La puissance de Gagnon est renforcée par l’appui qu’il obtient d’une minorité de cultivateurs qui réclament non seulement l’indépendance du Bas-Canada mais aussi l’abolition de la dîme et du régime seigneurial.

Le 28 février 1838, à la tête de 300 à 400 hommes, Nelson, Côté et Gagnon partent en une folle équipée à la conquête du Canada. À peine ont-ils foulé le territoire canadien qu’ils sont cernés et forcés de retourner aux États-Unis. Les autorités américaines emprisonnent Gagnon et plusieurs de ses compagnons pour avoir violé la loi de la neutralité du pays. Néanmoins, ils sont rapidement libérés par un jury sympathique à leur cause. C’est à la suite de cet échec que Nelson, Côté et Gagnon mettent sur pied une organisation militaire secrète, l’Association des frères-chasseurs, dont les ramifications s’étendent aux États-Unis et au Canada.

Au printemps de 1838, Gagnon se rend incognito au Bas-Canada afin d’y établir des loges de chasseurs et d’y recruter des membres. Il profite de l’occasion pour visiter sa femme et ses enfants qui se sont réinstallés à Saint-Valentin. Au cours de l’été, malgré une prime de £100 offerte pour sa capture, il parcourt les comtés de Laprairie, de Chambly, de Beauharnois et de L’Acadie dans le but de rallier des cultivateurs à l’Association des frères-chasseurs. Sûr de lui et convaincu qu’il a réussi à mettre sur pied une organisation efficace de chasseurs dans les comtés qu’il a sillonnés, il retourne aux États-Unis à la fin d’août.

Nelson, Côté et Gagnon fixent alors le deuxième soulèvement au 3 novembre 1838. À la tête de réfugiés et de volontaires américains, ils se donnent comme objectifs d’attaquer les paroisses situées sur la rive sud du Saint-Laurent puis de s’emparer de Montréal, de Trois-Rivières et de Québec. L’opération conduit encore à un échec total. Tout au plus, les patriotes réussissent-ils à traverser la frontière canado-américaine où ils sont repoussés par les troupes et les volontaires rattachés à l’armée britannique. Le 5 novembre, Côté, Gagnon et Philippe Touvrey, officier français recruté par Nelson, dirigent un détachement d’environ 500 patriotes vers Rouses Point, dans l’État de New York, pour y prendre des armes et des munitions. Même s’ils parviennent à repousser un piquet de volontaires de l’armée britannique au pont de Lacolle, à leur retour ils sont facilement battus par des miliciens britanniques qui les attendaient. Gagnon réussit à s’enfuir et à regagner Napierville où est cantonné le gros des effectifs patriotes. Informés de l’arrivée prochaine des troupes régulières commandées par sir John Colborne*, Nelson, Côté et Gagnon mènent alors leurs hommes à Odelltown où s’engage le combat décisif. Le 9 novembre, la bataille se termine par la défaite des patriotes. Jusqu’à la fin des hostilités, Gagnon a fait preuve de courage, et ce n’est que dans les derniers moments, après avoir constaté q’il n’y avait plus aucun espoir, qu’il a regagné les États-Unis.

Il s’avère plus difficile de suivre la trace de Gagnon après l’échec du mois de novembre. Une chose est certaine : à la fin du mois de décembre, Gagnon assiste à une réunion tenue à Swanton, mais il n’y manifeste aucun enthousiasme. Au cours de l’année 1839, les mésententes, les débats orageux, les conflits de personnalité se multiplient parmi les insurgés. L’organisation révolutionnaire s’affaiblit sans que Gagnon puisse faire quoi que ce soit. Amèrement déçu par la tournure des événements, il abandonne le mouvement patriote à l’été de 1840 et parcourt pendant plusieurs mois les villages de l’État du Vermont dans le but de se trouver du travail. Au début de l’année 1841, il s’installe à Champlain, dans l’État de New York. Sans argent, seul. poursuivi par le gouvernement britannique qui ne veut pas l’amnistier, Gagnon se trouve dans l’impossibilité de se refaire une vie intéressante. Miné par la fièvre et atteint de tuberculose, il s’éteint à Corbeau le 7 janvier 1842. Prévenue de son décès, sa femme répond à ses vœux en faisant transporter son corps à Saint-Valentin, vêtu de la tuque bleue et des vêtements patriotes faits d’étoffe du pays.

Tout compte fait, le rôle important joué par Lucien Gagnon durant les troubles de 1837–1838 témoigne de l’influence marquante d’une minorité paysanne sur les orientations idéologiques du mouvement patriote. L’importance de la question seigneuriale dans le programme de 1838 est fort révélatrice à ce sujet. L’ascendant qu’exerce Gagnon sur l’organisation patriote dénote aussi la présence d’un important leadership populaire au cours des événements de 1837–1838.

Richard Chabot

ANQ-M, CE1-2, 9 janv. 1793 ; CE4-1, 18 sept. 1815 ; CE4-6, 8 sept. 1828 ; CE4-16, 11 janv. 1842 ; CN1-200, 12 févr. 1807, 28 févr. 1811, 13 févr. 1815, 28 févr. 1817 ; CN1-299, 9 août 1832, 15 sept. 1837 ; CN4-14, 14 sept. 1815.— ANQ-Q, E17.— APC, MG 24, B2 : 2973–2978, 3243–3246 ; B78 ; C3, 2 : 867–868, 904–906, 1726–1727 ; RG 1, E1, 41 : 410 ; 62 : 345 ; RG 4, B20, 25 : 11290–11292 ; B37, 1 : 607–608 ; RG 31, C1, 1831, L’Acadie.— BVM-G, Fonds Ægidius Fauteux, notes compilées par Ægidius Fauteux sur les patriotes de 1837–1838 dont les noms commencent par la lettre G, carton 5.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1835–1836.— Canada, prov. du, Assemblée législative, App. des journaux, 1852–1853, app. VV.— Le Canadien, 26 janv. 1842.— North American, 1er mai, 4 sept. 1839, 5 mai, 17 juill. 1841.— F.-D. Brosseau, Essai de monographie paroissiale : St-Georges d’Henryville et la seigneurie de Noyan (Saint-Hyacinthe, Québec, 1913), 128–129, 136–137.— Mario Gendron, « Tenure seigneuriale et Mouvement patriote : le cas du comté de L’Acadie » (thèse de m.a., univ. du Québec à Montréal, 1986), 90–91, 107, 112, 115, 148–149, 161–162, 168, 175.— Rumilly, Papineau et son temps.— Joseph Schull, Rebellion : the rising in French Canada, 1837 (Toronto, 1971), 56, 88, 133–135, 153, 167, 169, 210.— Victor Morin, « Clubs et Sociétés notoires d’autrefois », Cahiers des Dix, 15 (1950) : 199–203 ; « la « République canadienne » de 1838 », RHAF, 2 (1948–1949) : 491–492.— Marcelle Reeves-Morache, « la Canadienne pendant les troubles de 1837–1838 », RHAF, 5 (1951–1952) : 106–107.

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Richard Chabot, « GAGNON, LUCIEN (Julien) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gagnon_lucien_7F.html.

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Auteur de l'article:    Richard Chabot
Titre de l'article:    GAGNON, LUCIEN (Julien)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
Date de consultation:    28 novembre 2024