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FOURNIER, JULES (baptisé Georges-Jules), journaliste, essayiste, propriétaire de journal et traducteur, né le 23 août 1884 à Coteau-du-Lac, Québec, fils d’Isaïe Fournier, cultivateur, et de Marie Durocher ; le 22 avril 1912, il épousa à Montréal Thérèse Surveyer, et ils eurent un fils ; décédé le 16 avril 1918 à Ottawa et inhumé le 18 au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal.
Jules Fournier, aîné d’une modeste famille de quatre enfants, est remarqué à l’école de son village natal par un instituteur d’origine lorraine, Michel Weber. En 1897, le vicaire de sa paroisse lui ayant enseigné les rudiments du latin, il entre en classe de syntaxe au collège de Valleyfield. L’abbé Lionel Groulx*, qui est son professeur de rhétorique et lui accorde le premier prix d’histoire en 1902, le présente dans Mes mémoires comme un élève brillant, « difficile », exigeant et un peu frustré, « infatigable liseur » en avance sur ses condisciples et « la plupart de ses professeurs », d’où « cet esprit frondeur qui s’était développé en lui ». En décembre 1902, toutefois, le directeur, l’abbé Pierre-Avila Sabourin, dont Fournier s’est moqué, l’invite à quitter le collège.
Fournier continue de s’instruire par lui-même, ayant toujours dans sa poche « quelque chef-d’œuvre de la littérature classique française », selon Olivar Asselin*, qui l’a connu d’abord à la Presse, où Fournier est engagé comme reporter à l’automne de 1903. L’année suivante, il passe au Canada (Montréal), d’abord comme courriériste parlementaire à Ottawa, puis, en 1906, comme rédacteur politique. Il parcourt la Nouvelle-Angleterre pour enquêter sur la situation économique, politique et religieuse des Franco-Américains ; ses 18 articles, lucidement pessimistes, paraissent entre le 30 octobre 1905 et le 18 janvier 1906. Dès 1906, Fournier, sous le pseudonyme de Pierre Beaudry, collabore au Nationaliste (Montréal) de son ami Asselin ; il en devient directeur en 1908.
Le journaliste, qui revendique son rôle de « libelliste », doit faire face à plusieurs poursuites judiciaires. Des ministres, entre autres, l’attaquent en justice : Adélard Turgeon* en 1907, puis, en 1909, Louis-Alexandre Taschereau* et surtout sir Lomer Gouin*, qui, à titre de procureur général, l’accuse de « mépris de cour » pour avoir affirmé que les jugements rendus depuis quelque temps à Québec constituaient une « prostitution de la justice » et avoir traité d’« ex-voyous » trois anciens politiciens libéraux, soit le juge François-Xavier Lemieux*, Charles Langelier, shérif du district de Québec, et son frère le juge François Langelier, qui le condamne à trois mois de prison. Libéré après 17 jours d’emprisonnement à Québec, Fournier est fêté au cours d’une assemblée publique au marché Saint-Jacques de Montréal, en juin 1909. Sa détention lui fournit matière à de savoureux Souvenirs de prison sur l’alimentation et l’hygiène, et à des personnages comme le gouverneur ou le « médecin malgré moi ». Ce vif petit récit sera reproduit et imité par Jacques Hébert dans Trois jours en prison à la suite de la controverse qui entourera l’exécution, en 1956, de Wilbert Coffin*, condamné pour meurtre.
Fournier fait un premier voyage en Europe du 15 août au 17 septembre 1909. L’année suivante, après avoir travaillé au Devoir (Montréal) pendant les trois premiers mois, il s’embarque de nouveau à titre d’envoyé spécial de la Patrie. Il visite plusieurs provinces françaises, assiste aux assemblées électorales de Maurice Barrès, rencontre Anatole France, Jules Lemaitre, Frédéric Mistral et le pamphlétaire Henri Rochefort.
En avril 1911, Fournier fonde à Montréal son propre journal, l’Action. Parmi les collaborateurs de cet hebdomadaire de haute tenue, on compte Asselin, Arthur Beauchesne*, Ferdinand Paradis, Édouard Montpetit*, de nombreux écrivains (Marcel Dugas*, Robert La Roque* de Roquebrune) et poètes (René Chopin, Albert Lozeau*, Paul Morin), sans oublier les plus grands classiques et modernes français. Dès la première année, le directeur de la Patrie, Louis-Joseph Tarte, engage sans succès une poursuite de 45 000 $ contre le journal, que Fournier propose avec humour d’appeler désormais « l’Action pour libelle » ou « l’Action en dommages ». En 1915, le maire de Montréal, Médéric Martin*, traité de « gros voleur » par Fournier, intente une action mais, après s’être ridiculisé lui-même au tribunal, il perd son procès. Au début de janvier 1916, Fournier est élu représentant du quartier Saint-Jacques au conseil municipal, mais il n’occupera son siège que trois mois, car il est défait aux élections municipales du 3 avril, qui reportent Martin à la mairie. Le 29 avril 1916, l’Action publie son dernier numéro.
Fournier accepte un poste de traducteur au Sénat à l’été de 1917. Au printemps suivant, il meurt en quelques jours seulement, soit d’une pneumonie, soit de ce qu’on appellera bientôt la grippe espagnole. « Je suis trop jeune ! » avait été sa réaction, selon sa femme. Il n’a en effet que 33 ans, une carrière journalistique brusquement interrompue, une carrière littéraire à peine commencée.
Le collégien qui correspondait déjà en classe de versification avec Jules Lemaitre avait fait insérer dans le Monde illustré (Montréal), en 1899 et 1900, trois compositions d’inspiration patriotique et romantique, dont une évocation de l’exil d’Octave Crémazie*. En 1904, Fournier écrit en une semaine un « roman populaire canadien », parodique, « le Crime de Lachine », qui paraîtra en feuilleton dans le Canada, un an plus tard. En juillet 1906, la Revue canadienne publie l’importante préface qu’il avait préparée pour ce roman. Intitulée « Comme préface », celle-ci est adressée « À son Altesse Sérénissime la Critique ; à ses amis ; à ses ennemis » ; Fournier y exprime des idées originales sur la littérature, son institution, et en particulier la « signature » de l’œuvre.
Trois mois après, dans la même revue, le critique français Charles ab der Halden engage avec Fournier, qui lui a adressé son article et un billet, une discussion sur la situation et l’avenir de la littérature au Québec. Fournier reproche à l’auteur d’Études de littérature canadienne française (Paris, 1904) – qui publiera à Paris de Nouvelles Études de littérature canadienne française en 1907 – d’être complaisant envers une « littérature » qui n’existe pas comme telle malgré quelques œuvres valables (dues à la plume, entre autres, de Crémazie, François-Xavier Garneau*, Arthur Buies* et Émile Nelligan*). Ce débat intelligent, auquel finiront par participer Lozeau, Fernand Rinfret*, Robertine Barry*, dite Françoise, et Camille Roy*, porte sur la langue et la mentalité (d’« esprit anglais », selon Fournier) aussi bien que sur la littérature. Fondamentalement, elle oppose moins le francophile Fournier à Halden qu’au programme régionaliste du Bulletin du parler français au Canada (Québec) [V. Stanislas-Alfred Lortie].
Fournier intitule d’ailleurs Anthologie des poètes canadiens – et non de la poésie – le choix des textes qu’il prépare dès 1913. L’année suivante, il adresse aux poètes vivants un questionnaire dont les réponses serviront à ses textes de présentation, dont le modèle méthodologique est celui de l’Anthologie des poètes français contemporains [...] (Paris, 1906), de Gérard Walch. Ce « document unique », qui, selon Jacques Blais, « permet de suivre pas à pas l’évolution du mouvement poétique québécois », depuis Joseph Quesnel* jusqu’à Jean Nolin, et qui a été publié en 1920 puis en 1933 avec une mise à jour et une préface d’Asselin, mériterait une édition critique.
Asselin et Mme Fournier font paraître en 1922 Mon encrier, recueil en deux volumes des articles politiques et littéraires de ce journaliste à la jonction de l’éditorial et de la chronique, de la polémique et de l’essai. Les comptes rendus sévères, ironiques, de Jules Fournier tranchent sur la critique lénifiante de l’époque. Ses portraits (Honoré Mercier*, sir Wilfrid Laurier, Henri Bourassa*, par exemple) et caricatures (sir Adolphe-Basile Routhier, entre autres), ses « Impressions de traversée », ses interviews, ses « lettres ouvertes », ses fables, paraboles, parodies ou satires sont d’un écrivain. En hommage à ce talent littéraire, le Conseil de la langue française a créé en 1980 le prix Jules-Fournier, décerné annuellement à un journaliste pour la qualité de son écriture.
Jules Fournier est l’auteur de Souvenirs de prison ; la cellule no 14 (Montréal, 1910), reproduit dans Écrits du Canada français (Montréal), 7 (1960) : 237–297 et dans Jacques Hébert, Trois jours en prison (Montréal, 1965), 63–119. Ses autres ouvrages sont posthumes : Anthologie des poètes canadiens, Olivar Asselin, édit. (Montréal, 1933) ; Mon encrier : recueil posthume d’études et d’articles choisis, dont deux inédits, Mme Jules Fournier [Thérèse Surveyer], édit. (2 vol., Montréal, 1922 ; nouv. éd., introd. d’Adrien Thério, Montréal, 1965, et réimpr., 1970). Il existe aussi une liste des livres de sa bibliothèque préparé par Fournier lui-même sous forme d’opuscule dactylographié, « la Cité des livres » (s.l., s.d.).
Pour une bibliographie détaillée (dont la liste des articles de Fournier), des photographies, une étude de l’homme et de l’œuvre), on consultera Adrien Thério, Jules Fournier, journaliste de combat (Montréal et Paris, 1954). Pour les comptes rendus de ses trois livres, on se réferrera au deuxième volume du DOLQ. Sous le titre de Jules Fournier, on trouvera une présentation et un choix de textes préparés par Adrien Thério (Montréal et Paris, 1957). Alonzo Le Blanc a rédigé une biographie et fait un choix de textes sous le titre Jules Fournier : biographie et textes choisis (Québec, 1980).
AC, Montréal, État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-des-Neiges (Montréal), 18 avril 1918 ; Saint-Jacques (Montréal), 22 avril 1912.— ANQ-M, CE1-31, [23] août 1884.— Édouard Montpetit, « Jules Fournier », l’Ordre (Montréal), 11 janv. 1935 : 4.— Hermas Bastien, Ces écrivains qui nous habitent (Montréal, 1969), 31–52.— M.-A. Beaudet, Langue et Littérature au Québec, 1895–1914 (Montréal, 1991), 59–85.— Harry Bernard, Essais critiques (Montréal, [1929]), 125–134.— Renald Bérubé, « Jules Fournier : trouver le mot de la situation », dans l’Essai et la Prose d’idées au Québec [...] (Montréal, 1985), 367–378.— Roger Duhamel, « Jules Fournier », Académie canadienne-française, Cahiers (Montréal), 7 (1963) : 87–103.— L.-P. Gagnon, « Essai sur le caractère et les idées de trois maîtres d’escrime de notre journalisme : Arthur Buies (1840–1901) ; Olivar Asselin (1875–1937) ; Jules Fournier (1884–1918) » (mémoire de m.a., univ. d’Ottawa, 1941), 108–146.— Lionel Groulx, Mes Mémoires (4 vol., Montréal, 1970–1974).— J. Hamelin et al., la Presse québécoise.— Les Heures littéraires ([Montréal, 1929]), 67–84.— Adrien Thério, « les Grands Procès de Fournier », l’Action nationale (Montréal) 41, (1953) : 474–493.
Laurent Mailhot, « FOURNIER, JULES (baptisé Georges-Jules) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/fournier_jules_14F.html.
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Auteur de l'article: | Laurent Mailhot |
Titre de l'article: | FOURNIER, JULES (baptisé Georges-Jules) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |