FARRER, EDWARD, journaliste, né probablement en 1846 ou en 1850 de parents irlandais ; probablement vers 1873, il épousa Annie Carter Peters (ou Annie Carter), de Pickering, Ontario, et ils eurent un fils ; décédé le 27 avril 1916 à Ottawa.
Edward Farrer était un journaliste itinérant qui promut l’union politique du Canada et des États-Unis. Les détails de ses origines familiales, de sa naissance et de son éducation sont obscurs ; peut-être avait-il changé de nom et s’était-il inventé un passé. Les renseignements publiés à son sujet de son vivant, parfois par des gens qui le connaissaient bien, présentent de grandes divergences. Tantôt on dit qu’il était né en Irlande (dans le comté de Mayo ou de Donegal), tantôt en Angleterre, qu’il avait étudié d’abord dans un séminaire de Maynooth, près de Dublin, ou au Stonyhurst College en Angleterre. On croyait communément qu’il s’était préparé au sacerdoce avant de rompre avec l’Église : selon un rapport, il était le neveu d’un archevêque irlandais et avait quitté subitement un séminaire de Rome pour aller aux États-Unis, alors que selon une autre source, il avait quitté Rome pour devenir secrétaire d’un archevêque irlandais.
Apparemment, Farrer arriva au Canada en 1870, en provenance de New York, et travailla un temps au Daily Telegraph de John Ross Robertson, après quoi il entra comme rédacteur d’articles de fond au Toronto Daily Mail, organe du Parti conservateur lancé par sir John Alexander Macdonald* en mars 1872. En décembre 1873, le gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie* le nomma agent d’immigration en Irlande, mais dès 1875 il était de retour au Mail, où il se fit remarquer par ses articles au cours des élections de 1878, qui reportèrent Macdonald au pouvoir. Bien qu’il soit devenu rédacteur en chef du Mail, il quitta ce journal, probablement en 1881, afin de travailler au World de New York. Il rentra au Canada en 1882 pour aider Macdonald à se faire réélire et pour collaborer au Mail. Ensuite, il devint rédacteur en chef d’un autre journal conservateur, le Winnipeg Daily Times. Sous sa direction, ce journal prit un ton anti-impérial et s’attaqua sporadiquement à la politique conservatrice. En 1884, après avoir apparemment été congédié du Times parce qu’il avait fait la noce, Farrer devint rédacteur en chef du Winnipeg Daily Sun. Là encore, il suscita la controverse, prônant quelquefois la séparation de l’Ouest et son annexion aux États-Unis. Néanmoins, il retourna au Mail vers la fin de 1884 et en redevint rédacteur en chef l’année suivante.
En 1919, sir John Stephen Willison* écrirait, à propos du Mail des années 1885–1890 : « Je ne peux penser que le Canada ait jamais eu un plus grand journal. » Du temps de Farrer, le Mail était un journal bien écrit et bien conçu qui abordait des sujets très divers. Il attira des journalistes de talent, dont Kathleen Blake Watkins [Catherine Ferguson], et adopta une position réformiste sur les questions sociales. En outre, après avoir été jusque-là le principal organe conservateur, il prit, contre toute attente, le grand risque d’échapper à l’emprise de Macdonald, ce qui fut reconnu publiquement en janvier 1886. Farrer organisa plusieurs campagnes brillantes mais controversées qui reflétaient à la fois son propre anticléricalisme et les opinions anticatholiques et francophobes du directeur administratif du Mail, Christopher William Bunting*. À la suite de la rébellion du Nord-Ouest et de la pendaison de Louis Riel* en 1885, le journal lança une croisade contre le pouvoir des Canadiens français au gouvernement fédéral et l’influence de l’Église catholique sur les affaires séculières. Une campagne en faveur de l’union commerciale avec les États-Unis suivit en 1887–1888. La notoriété du Mail atteignit son point culminant pendant la controverse de 1889 sur les biens des jésuites, soit au moment où le journal aida à lancer le mouvement pour les « droits égaux », voué à l’abrogation des garanties constitutionnelles accordées aux Canadiens français et aux catholiques [V. D’Alton McCarthy*]. À l’instar de Goldwin Smith*, auteur de quelques-uns des éditoriaux les plus extrémistes du Mail, Farrer prévoyait l’éclatement d’un irréductible conflit entre la doctrine de l’Église catholique et la foi du Nouveau Monde en l’égalité religieuse, en la liberté d’opinion et en l’autonomie des tribunaux et des assemblées législatives face au pouvoir religieux. Aussi accusa-t-on les deux rédacteurs d’aggraver les tensions de « races et [de] croyances » au Canada en vue de briser la Confédération et d’encourager l’annexion.
Ces accusations circulaient toujours au début de 1890, même si le journal avait abandonné sa campagne en faveur de l’union commerciale. Le Globe et d’autres journaux accusèrent nommément Farrer de conspirer avec le comité du Sénat américain sur les relations avec le Canada, à qui il fournissait des documents de recherche. Pourtant, cet été-là, Farrer passa au Globe pour assumer la direction de la page éditoriale sous l’autorité nominale de Willison. Engagé avec l’encouragement de sir Richard John Cartwright, principal défenseur de la politique libérale de réciprocité totale, Farrer se vit confier la mission de promouvoir cette politique. Il se rendit plusieurs fois à Washington, officiellement pour obtenir un appui des États-Unis, et en profita, semble-t-il, pour laisser entendre que le Parti libéral était favorable à l’union politique. Pendant la campagne électorale de 1891, Macdonald utilisa, comme preuve du « manque de loyauté » des libéraux, un opuscule prétendument écrit par Farrer et indiquant aux États-Unis comment pousser le Canada à accepter l’union. Farrer reconnut la paternité de cet opuscule, tout en niant que le Parti libéral ait eu quelque chose à y voir. Cependant, après sa mort, un de ses amis intimes, George Henry Ham*, affirma que Farrer n’était pas l’auteur de ce texte, mais avait prétendu l’être pour protéger d’autres hommes en vue. Un autre de ses collègues laissa entendre que l’opuscule avait été parrainé par le secrétaire d’État des États-Unis, James Gillespie Blaine.
Farrer quitta le Globe en juillet 1892 par suite de pressions du premier ministre de l’Ontario, sir Oliver Mowat*, qui était convaincu qu’il « transform[ait] en annexionnistes actifs toute l’équipe de rédaction et toute l’administration du Globe ». Dès lors, Farrer promut ouvertement l’annexion, avec Smith et Walter Dymond Gregory. Pendant un temps, il signa des chroniques prônant l’union politique dans un journal new-yorkais, le Sun de Charles Anderson Dana, et travailla aussi pour une organisation parrainée par Smith, la Continental Union Association of Ontario. En outre, durant des années, il fut officieusement représentant du chef des libéraux fédéraux, sir Wilfrid Laurier, avec qui il entretenait, semble-t-il, des relations cordiales. Il enquêta à titre d’agent libéral sur le scandale concernant Thomas McGreevy* en 1893 et aida les libéraux à s’allier avec les Patrons of Industry et les disciples de D’Alton McCarthy en prévision des élections de 1896. Son travail pour les libéraux s’intensifia après leur victoire électorale. Par exemple, de 1900 à 1903, il se rendit souvent au Manitoba dans l’espoir de mettre en œuvre le compromis conclu par Laurier et Thomas Greenway* sur la question scolaire, et en 1904, il enquêta sur un complot impliquant Hugh Graham* et visant à déloger Laurier [V. Andrew George Blair*]. En plus, il fut mêlé au différend sur la frontière de l’Alaska et fit du lobbying à Washington. Il fut également correspondant d’un certain nombre de publications britanniques et américaines, dont l’Economist de Londres. Après son départ du Globe, il vécut tantôt à Washington, tantôt à Montréal avant de s’installer à Ottawa en 1905. Il demeura annexionniste, mais en 1911, il écrivit dans des journaux conservateurs des articles contre la nouvelle campagne de Laurier en faveur de la réciprocité.
Farrer était reconnu pour ses analyses économiques et ses écrits satiriques, mais on l’admirait surtout en tant que polémiste. Contrairement à la plupart des éditorialistes de l’époque, qui écrivaient sur un ton percutant et partisan, il avait un style sobre et rationnel de nature à convaincre les tièdes. Farrer savait défendre une cause sans en avoir l’air, en gagnant peu à peu l’opinion publique. Une bonne partie de ses textes du Mail, tout en reflétant les préjugés anticatholiques et francophobes de la direction du journal, semblent avoir été secrètement conçus pour créer un climat favorable à l’union politique avec les États-Unis. Farrer affirmait par exemple que la Confédération était seulement une solution de fortune, que l’union économique serait très profitable à l’Ontario et que le Canada anglais glissait vers les États-Unis à cause de sa peur de la domination canadienne-française et catholique.
Edward Farrer était pour ses collègues un « maître artisan » qui contribuait à l’indépendance de la presse et leur inspirait beaucoup de respect. Son influence fut considérable. Willison a écrit qu’il était « fantasque, joyeux, vif, sociable, sans prétention, cultivé, simple, profond, mystérieux et insaisissable ». « Je n’ai connu aucun homme qui ait été plus remarquable qu’Edward Farrer ou qui ait eu plus de talents ou de connaissances [...]. L’histoire de sa vie révélerait des relations remarquables et des influences d’une grande portée. Mais personne ne peut raconter cette histoire à partir des fragments qui restent. »
Dans la plupart des sources contemporaines, la femme d’Edward Farrer est désignée sous le nom d’Annie Peters, mais dans une lettre du 6 juill. 1914 adressée à J. S. Willison et conservée aux AN, MG 30, D29, 14, elle signait Annie Carter Farrer. Les efforts pour trouver un certificat de mariage sont demeurés vains. [c. c.]
AN, MG 26, A ; G ; MG 30, A4 ; RG 13, F7, 963.— QUA, W. D. Gregory papers.— R. T. Clippingdale, « J. S. Willison, political journalist : from liberalism to independence, 1881–1905 » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1970).— Carman Cumming, Secret craft : the journalism of Edward Farrer (Toronto, 1992) ; « The Toronto Daily Mail, Edward Farrer, and the question of Canadian-American union », REC, 24 (1989–1990), no 1 : 121–139.— G. H. Ham, Reminiscences of a raconteur between the ’40s and the ’20s (Toronto, 1921).— W. B. Harte, « Canadian journalists and journalism », New England Magazine (Boston), nouv. sér., 5 (1891–1892) : 411–441.— S. E. D. Shortt, « Social change and political crisis in rural Ontario : the Patrons of Industry, 1889–1896 », dans Oliver Mowat’s Ontario : papers presented to the Oliver Mowat colloquium, Queen’s University, Noventber 25–26, 1970, Donald Swainson, édit. (Toronto, 1972), 211–235.— G. R. Tennant, « The policy of the Mail, 1882–1892 » (mémoire de m.a., Univ. of Toronto, 1946).— D. F. Warner, The idea of continental union ; agitation for the annexation of Canada to the United States, 1849–1893 ([Lexington, Ky], 1960).— J. [S.] Willison, Reminiscences, political and personal (Toronto, 1919).
Carman Cumming, « FARRER, EDWARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/farrer_edward_14F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |