DUBERGER, JEAN-BAPTISTE (il signait John B., Jean B. ou J. B. Duberger), arpenteur, cartographe et dessinateur, né le 7 février 1767 à Detroit, fils de Jean-Baptiste Duberger, dit Sanschagrin, boulanger, et de Louise Courtois ; décédé le 19 septembre 1821 dans la paroisse Saint-Thomas (à Montmagny, Québec).
Né d’un père originaire de Vivonne, en France, Jean-Baptiste Duberger se révéla dès son jeune âge un élève doué. Envoyé de Detroit au petit séminaire de Québec, il y suivit les trois dernières années du cours classique entre octobre 1785 et l’été de 1788. En juin 1792, il décrocha un emploi temporaire d’arpenteur adjoint et travailla sous la surveillance de l’arpenteur général Samuel Johannes Holland*. Deux ans plus tard, sous la direction de Samuel Gale, il fit l’ébauche d’une carte du Bas-Canada qui allait devenir l’un des éléments majeurs de la grande carte topographique de la province publiée en 1803 par William Vondenvelden* et Louis Charland*. Duberger reçut de Holland une formation très précieuse et développa son sens esthétique en fréquentant un cercle d’amis, qui comprenait l’artiste et architecte François Baillairgé et les peintres Louis Dulongpré* et William Berczy*. On peut constater ces influences en comparant cinq gravures relativement grossières, qu’il exécuta pour un livre de piété publié en 1796, aux cartes et aux plans réalisés plus tard. Ornés de belles guirlandes et de titres inscrits dans d’élégants cartouches, ceux-ci se distinguent par une précision remarquable et un grand souci du détail.
Le 8 janvier 1793, Duberger avait épousé Geneviève Langlais ; les deux amis qui avaient été témoins à la signature de son contrat de mariage étaient l’avocat Alexis Caron et Roger Lelièvre, qui devint un important notaire de la ville. Entre 1795 et 1798, Duberger quitta la basse ville pour la haute ville avec sa petite famille ; laissant la rue de la Canoterie, où les commerces étaient nombreux, il s’installa dans une rue respectable et tranquille, la rue Sainte-Ursule, où habitaient plusieurs hommes employés dans la construction d’ouvrages militaires, dont James Thompson. En 1794, après avoir travaillé à des levés de terrain, Duberger avait obtenu un autre emploi temporaire, celui de dessinateur adjoint dans le génie royal. En 1799, il grava une plaque de plomb pour le palais de justice et, plus tard, une autre pour la nouvelle cathédrale anglicane, dont il dessina aussi un plan et une élévation en 1801. À titre de dessinateur adjoint, poste qu’il occupa pendant neuf ans, Duberger se fit remarquer par le colonel Gother Mann, ingénieur en chef ; en juin 1803, à l’âge de 36 ans, il obtint son premier poste permanent, dans la seconde classe du Corps royal des arpenteurs-dessinateurs militaires du génie royal. Son travail consistait à faire des levés sur le terrain et à s’occuper de la salle de dessin adjacente à la porte Saint-Louis.
En 1804, Duberger termina un plan détaillé de la ville de Québec et de ses ouvrages de défense, document qui devait accompagner un rapport de Mann sur l’état des fortifications. Mann eut alors l’idée de faire construire une maquette de Québec pour aider le Board of Ordnance à planifier des améliorations majeures aux ouvrages de défense de ce qui était alors la plus importante base militaire de la Grande-Bretagne en Amérique du Nord. Cette tâche fut confiée à Duberger ; il fut placé sous la surveillance du capitaine John By*, qui devait aussi l’aider. Commencée en novembre 1806, la maquette suivait le plan de 1804 et son échelle était de 25 pieds au pouce. Profitant de ce que, pendant les longs mois d’hiver, ses autres activités étaient réduites, Duberger fabriquait une à une les sections de la maquette chez lui et les transportait à un coin de rue plus à l’ouest, chez By, rue d’Auteuil, où la maquette était assemblée. Pour la loger, By dut abattre les murs qui séparaient quatre pièces. La maquette fut terminée à la fin de 1807. Selon By, quand le gouverneur sir James Henry Craig* la vit pour la première fois, il « exprim[a] sa grande satisfaction en constatant l’exactitude du plan », mais il demanda qu’on ajoute à l’ouvrage les hauteurs stratégiques des plaines d’Abraham. Duberger se remit à la tâche. Comme le logement de By était trop petit, la maquette fut apparemment transportée dans la salle de bal du château Saint-Louis, où elle fut achevée en 1808.
Une fois terminée, la maquette, qui comprenait 18 sections et mesurait environ 27 pieds sur 20, représentait la ville de la rivière Saint-Charles au fleuve Saint-Laurent et de la basse ville aux plaines, « jusqu’à l’endroit où Wolfe [James Wolfe*] (était] mort ». Le voyageur John Lambert* la trouva « magnifique » et déclara que son créateur était « un génie autodidacte ». Mais d’autres l’apprécièrent moins : Duberger nota qu’elle avait suscité des craintes chez plusieurs civils qui s’étaient tranquillement approprié des terres de la couronne et la voyaient comme une preuve de leur stratagème. Il avait fallu la terminer presque dans le secret pour que son envoi en Angleterre ne provoque pas d’opposition ouverte. Enfin, en 1811, Craig l’expédia sous la garde de By à l’inspecteur général des fortifications
Entre-temps, le malheur s’était acharné sur Duberger. En 1808, il avait fait une demande pour être promu à la première classe. Il avait l’appui de l’ingénieur en chef, le lieutenant-colonel Ralph Henry Bruyères*, selon qui « il arpent[ait] et dessin[ait] fort bien » et selon qui Craig souhaitait voir récompensées « la grande attention et la grande assiduité dont il a[vait] fait montre [...] en plus de la très lourde surcharge de travail et de devoirs qu’il [devait alors] assumer sans assistance d’aucune sorte ». Mais la promotion n’allait pas venir immédiatement. En mars 1810, la femme de Duberger mourut dans un accident de voiture ; il resta seul avec six enfants. Au début de 1811, par suite d’une ordonnance du tribunal, sa maison de la rue Sainte-Ursule, qu’il avait achetée en 1801, fut vendue aux enchères pour £300 seulement. C’était une maison de pierre à un étage et à pignons, bien meublée, qui abritait même quelques objets de luxe comme un piano d’acajou, sept tableaux et de l’argenterie. Duberger possédait aussi une vingtaine d’ouvrages de mathématiques et d’arpentage. À l’époque, il n’avait aucune autre propriété et devait environ £250, dont £100 à James Fisher. Le 27 mai 1812, Duberger épousa Mary Plumby, avec qui il aurait au moins trois enfants. Cette union ne le fit probablement pas monter dans l’échelle sociale puisque sa femme, bien que fille d’un bourgeois décédé, ne savait pas signer son nom. L’année suivante, Duberger obtint sa promotion. La chance ne dura guère, cependant, car sa santé commença à se détériorer. Exposé au froid et à l’humidité pendant les années où il avait fait des levés à l’extérieur, il souffrait de rhumatismes et de problèmes visuels et, même si depuis il travaillait surtout à l’intérieur, il devait souvent s’absenter. Au début de 1815, il se trouvait à Montréal, où il dessinait des plans pour le canal Lachine ; à son retour à Québec, aux environs du mois d’avril, il était si gravement malade qu’il dut confier la plus grande partie de son travail à son fils Jean-Baptiste. En avril 1817, un bureau médical le déclara « tout à fait incapable de remplir ses devoirs professionnels, sans grand espoir de guérison ». Il prit un congé de maladie mais, en octobre, reconnaissant qu’il lui serait « à peu près impossible de dessiner ou de copier quelques plans que ce soit », il quitta le service du génie royal.
L’état de santé de Duberger n’était pas son unique motif d’irritation ; il était humilié qu’on ne lui ait pas témoigné toute la reconnaissance que méritait son travail. En avril 1817, il se plaignit aux autorités de l’armée britannique que la carte du Bas-Canada publiée en 1815 par Joseph Bouchette* était une copie de celle qu’il avait dressée pour la salle de dessin du génie royal. En même temps, il affirma que sa maquette de Québec avait été emportée en Angleterre sans son consentement et que « quelqu’un d’autre s’[était] attribué le mérite de cette œuvre ». Sa première accusation à propos de la maquette était certainement fausse car, en 1807, il avait craint que son œuvre ne soit pas envoyée en Angleterre ; mais sa seconde accusation était bien fondée, puisque By avait manœuvré pour qu’on lui reconnaisse le mérite de l’ouvrage.
Même si Jean-Baptiste Duberger se retira avec le sentiment amer d’avoir été méconnu, il avait noué avec les autorités et la population britanniques, au cours de sa carrière, des relations qui allaient assurer l’avenir d’au moins quelques-uns de ses enfants. En 1812, Jean-Baptiste était entré lui aussi dans le génie royal comme arpenteur-dessinateur, et deux de ses filles contractèrent en 1817 d’excellents mariages avec des Britanniques de la ville. Néanmoins, il semble que Duberger n’avait pas rompu ses attaches religieuses et sociales avec la population canadienne. Même s’il vécut peut-être quelque temps avec une de ses filles et son mari anglophone dans la seigneurie de Mount Murray, près de La Malbaie, il passa presque toutes ses années de retraite à la campagne, dans la paroisse Saint-Thomas. C’était un père extrêmement dévoué qui, de Saint-Thomas, correspondait régulièrement avec ses filles, en français. En 1818, par exemple, il écrivait à l’une d’elles : « au nom de Dieu fais nous savoir comment tu es et soulage moi ». Il terminait sa lettre en lui disant : « Je suis ton père pour toujours et ami sincère. » Cette année-là, il fit une crise qui lui paralysa le côté droit. Il mourut en 1821 dans la paroisse Saint-Thomas.
Jean-Baptiste Duberger finit par bénéficier de la reconnaissance qui lui avait été refusée de son vivant. L’histoire des manœuvres de John By fit le tour de Québec et, au fil des ans, quelques écrivains l’enrichirent et l’embellirent beaucoup. C’est ce que fit par exemple le romantique Français Xavier Marmier dans Lettres sur l’Amérique (2 vol., Paris, [ 1851 ]), 1 : 115–118. Récemment, toutefois, deux ouvrages ont jeté un éclairage plus sobre sur Duberger et son œuvre célèbre. Il s’agit de Jean Ménard, Xavier Marmier et le Canada, avec des documents inédits : relations franco-canadiennes au XIXe siècle (Québec, 1967), et de Bernard Pothier, la Maquette de Québec (Ottawa 1978), étude critique de l’histoire de la maquette aussi bien que de la genèse de la légende enchevêtrée à laquelle elle a donné lieu. À son arrivée en Angleterre, la maquette fut reconstituée au Royal Military Repository, plus tard le Rotunda Museum, à Woolwich (Londres). Elle y demeura exposée pendant près d’un siècle et fut renvoyée au Canada en 1908 à titre de présent au Dominion. Il y manquait toutefois la partie des plaines d’Abraham, endommagée en 1860. On la confia à la Direction fédérale des archives, qui allait devenir les APC, jusqu’à la création des Musées nationaux du Canada, en 1967, où elle fut remise au Musée canadien de la guerre, à Ottawa. En 1981, l’ouvrage fut transféré à titre de prêt permanent au Parc de l’artillerie de Québec, où il est exposé. Les cartes et dessins de Duberger se trouvent dans la Coll. nationale des cartes et plans des APC. Cinq de ses premières gravures ont été reproduites dans Amable Bonnefons, le Petit Givre de vie [...] (Québec 1796).
La présente biographie s’inspire largement de la Maquette de Québec, qui contient une bibliographie détaillée et critique sur le sujet. Les sources suivantes peuvent s’ajouter à celles qui y figurent. [b.p.]
ANQ-Q, P-267.— APC, MG 23, K7, 3 ; RG 1, E1, 30 : 71 ; E15, A, 277-1 ; 282.— « Les Dénombrements de Québec » (Plessis), ANQ Rapport, 1948–1949 : 87, 118, 169.— la Gazette de Québec, 17 nov. 1785, 5 juin. 1798, 18 juill. 1799, 26 mai 1803, 30 juin 1808, 8 mars, 27 sept., 8 nov. 1810, 31 janv. 1811, 6 nov., 18 déc. 1817, 27 sept. 1821.— Jean Bruchési, « le Journal de François Baillairgé », Cahiers des Dix, 19 (1954) : 120.
Bernard Pothier, « DUBERGER, JEAN-BAPTISTE (John B., Jean B., J. B.) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/duberger_jean_baptiste_6F.html.
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Auteur de l'article: | Bernard Pothier |
Titre de l'article: | DUBERGER, JEAN-BAPTISTE (John B., Jean B., J. B.) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |