DRAPER, FRANCIS COLLIER, avocat, officier de milice et fonctionnaire ; né le 3 mars 1837 à Toronto, fils de William Henry Draper* et d’Augusta White ; il épousa Mary Catherine Baines (décédée en 1872), et ils n’eurent pas d’enfants, puis une prénommée Elsie, veuve de Henry Routh, et de ce mariage naquit une fille ; décédé le 25 juillet 1894 dans sa ville natale.

Fils cadet du solliciteur général William Henry Draper, l’un des avocats les plus habiles de son temps, Francis (Frank) Collier Draper suivit les traces de ses frères aînés en entrant à l’Upper Canada College en 1844, et il termina ses études en 1854 au Rensselaer Polytechnic Institute de Troy, dans l’état de New York. Il semble avoir mis des années à se fixer, car ce n’est qu’en 1867, à l’âge de 30 ans, qu’il est inscrit au barreau après un stage de formation au cabinet de John Willoughby Crawford*, à Toronto. Draper exerça le droit d’abord à Kingston, puis à Toronto, mais il semble que le domaine juridique ne lui convenait pas. On peut supposer que la milice et le sport occupaient beaucoup de son temps. À l’époque de l’affaire Trent, en 1861 [V. sir Charles Hastings Doyle*], il s’était engagé dans le 2nd Battalion Volunteer Militia Rifles (qui devint plus tard le Queen’s Own Rifles), au sein duquel il atteignit le grade de major. Au milieu des années 1860, Draper était lanceur régulier pour le Toronto Cricket Club, où il était réputé « manier puissamment » la batte. Également franc-maçon, membre de l’Ionic Lodge, il remplit les fonctions de secrétaire de la grande loge provinciale en 1866.

Lorsque William Stratton Prince démissionna de son poste de chef de police de Toronto pour devenir directeur de la Central Prison de Parkdale (Toronto), Draper sollicita l’emploi, en même temps que 17 autres candidats. C’est lui que le Bureau des commissaires de police choisit, et il entra en fonction le 16 janvier 1874 à titre de chef adjoint. Quatre mois et demi plus tard, soit le 1er juin, il prit la tête du service de police ; il devait y rester 12 ans. Durant cette période, de 1874 à 1886, les effectifs firent plus que doubler : ils passèrent de 75 à 162 agents et employés.

À titre de chef de police (appellation changée pour celle de directeur de police en 1876), Draper respecta le compromis politique établi dans les années 1860 au sujet des liens entre l’ordre d’Orange et la force policière. On continua de recruter des orangistes malgré l’interdiction officielle pour les agents de police de faire partie de sociétés secrètes. En 1885, l’Irish Canadian qualifiait le service de police de  « refuge [...] de nombreuses personnes ayant comme seules références le signe et le mot de passe », et la liste du personnel ne laisse guère de doute sur le fait que la police demeurait un bastion de l’orangisme. On y retrouvait d’anciens membres de la Royal Irish Constabulary, et la grande majorité des recrues d’origine irlandaise, toujours supérieures en nombre dans les années 1880, étaient protestantes. La police s’était tout de même passablement soustraite à l’influence orangiste et elle contenait les émeutes sectaires avec une impartialité calculée. Au plus fort de ces affrontements violents, soit pendant les émeutes qui marquèrent le jubilé papal en 1875, et à l’occasion de la manifestation contre la visite du fénien américain O’Donovan Rossa en 1878, la police fit preuve de retenue et d’efficacité et confirma sa réputation de rempart contre la violence sectaire. Les catholiques, en particulier, félicitèrent Draper dans l’Irish Canadian pour sa conduite intrépide au moment du pèlerinage du 3 octobre 1875, lorsque des émeutiers orangistes attaquèrent des catholiques à l’extérieur de la cathédrale St Michael puis assiégèrent la taverne d’Owen Cosgrove, rue Queen Ouest, dans un quartier en majorité catholique.

Draper maintint donc la police à l’écart de la politique et contribua à accroître sa crédibilité en tant que force de maintien de la paix. Il soutint également la campagne contre le désordre et l’immoralité publique qu’avait énergiquement réclamée la bourgeoisie torontoise, appuyée par tout un réseau d’organisations religieuses, de sociétés de tempérance et d’organismes philanthropiques ainsi que par des réformistes du conseil municipal et de la presse. Dès ses premières années à la tête de la police, Draper organisa de nouvelles rondes dans le but de sévir contre les maisons de jeux et les débits de boissons illégaux, et il appliqua rigoureusement les restrictions relatives à la consommation d’alcool en fin de semaine. Par la suite, comme les couches respectables de la société commençaient à se préoccuper des bonnes mœurs et du caractère sacré de la vie de famille, il ordonna des descentes de grande envergure dans les maisons de prostitution, fit jouer à la police un rôle de bureau d’assistance provisoire auprès des enfants abandonnés de la ville et accueillit favorablement les projets de fondation d’une école professionnelle (à l’origine de la Victoria Industrial School) qui amènerait, espérait-il, plus d’un gamin des rues « à mener une vie laborieuse et utile plutôt qu’à grossir les rangs des criminels ». Autrement dit, le major Draper, toujours sensible au courant dominant de l’opinion publique qui favorisait des réformes en matière sociale, accentua le rôle capital de missionnaire dévolu à la police dans l’édification de « Toronto la pure ». À cet égard, Draper fut sans doute influencé par le zèle philanthropique de sa mère. Ses initiatives reflétaient certainement et renforçaient le processus de réforme morale en cours, qui reçut un appui officiel majeur sous le maire William Holmes Howland en 1886. Même si ce n’est qu’après le remplacement de Draper par Henry James Grasett* que l’on organisa la section de la moralité, c’est sous sa direction que furent posées les bases du rôle des policiers comme champions de la moralité.

En s’abstenant de toute partisanerie et en se faisant le défenseur des vertus victoriennes, Draper se conformait essentiellement à la volonté de réforme qu’avait déjà exprimée le Bureau des commissaires de police au cours des deux premières années de son mandat (1858–1860). Il fit cependant preuve d’un esprit novateur dans un autre domaine : celui des conditions de vie des policiers. Les premiers efforts pour promouvoir la discipline et la respectabilité au sein des forces policières n’avaient pas toujours été bien acceptés par les hommes, qui devaient travailler de longues heures et subir un isolement social considérable contre un salaire relativement modeste. Ces frustrations avaient fait surface en 1872 : une grande partie du personnel s’était révolté contre le régime policier et avait réclamé le licenciement du chef, le capitaine Prince. Quand Draper prit le commandement, deux ans plus tard, il tint compte de ces griefs. Pour favoriser la vie sociale des policiers, il fit aménager une salle de jeux et une bibliothèque au quartier général. Il insista également sur l’importance de la bonne condition physique des policiers, organisa des concours de tir au pistolet, mit sur pied une association athlétique et chercha à rendre la police plus visible, pour améliorer à la fois le moral des policiers et leur légitimité dans l’opinion publique. Son but était essentiellement de contribuer à l’efficacité du service et au bon moral des hommes afin d’attirer plus de candidats et de contrer le roulement élevé de personnel et les nombreux congédiements. L’exemple qui illustre le mieux ses initiatives est la création, en 1880, d’une caisse de prévoyance en cas d’invalidité, pour la retraite ou comme assurance-vie. D’abord mal accepté de certains policiers, ce système s’avéra finalement fort populaire. Par d’autres mesures comme la diminution des heures de travail, l’obtention de congés supplémentaires, l’établissement d’une indemnité de maladie, et une approche plus rationnelle des tâches et des perspectives d’avancement, Draper visait à offrir aux policiers une carrière plutôt qu’un simple emploi. Il se rendit à Londres et dans diverses villes américaines pour voir comment fonctionnaient les forces policières ailleurs. D’après ses constatations, il codifia les ordonnances et règlements de la police de Toronto, recommanda l’utilisation des voitures cellulaires et introduisit un service télégraphique et téléphonique destiné à faciliter les communications au sein de la police. Il n’est sans doute pas étonnant qu’en mai 1881 on ait élu Draper premier président de la Chief Constables Association of Canada formée depuis peu.

Deux ans plus tard, Francis Collier Draper dut prendre un congé de six mois, en Floride et aux Caraïbes, à cause d’une « affection pulmonaire », sans doute la tuberculose. Comme la maladie persistait, il démissionna le 26 novembre 1886. À son départ, le Bureau des commissaires de police recommanda qu’on lui verse une indemnité équivalente à son salaire annuel, mais le conseil municipal, après avoir envisagé de lui offrir une allocation de retraite de 1 000 $, rejeta finalement cette éventualité. On ne sait pas si des raisons politiques furent à l’origine de cette décision. Chose certaine, cet homme affable et aristocratique avait gagné le respect de la police en la faisant évoluer vers le professionnalisme. Il ne resta plus longtemps à Toronto. Sur les conseils de son médecin, il partit vivre sous des cieux plus cléments et s’installa dans la région de Los Angeles, avec sa femme et sa fille. Mais en 1892 il revint seul à Toronto, où il mourut le 25 juillet 1894 « de la plus fatale des maladies ».

Nicholas Rogers

AN, RG 31, C1, 1861, Yorkville (Village) : 20 ; 1871, Yorkville (Village) : 33–34 (mfm aux AO).— AO, MU 2581.— CTA, RG 1, A, 1876, app. 62 ; 1877, app. 115 ; 1880, app. 4 ; 1883, app. 16 ; 1884, app. 10 ; 1886, nos 1197, 1220 ; app. 47 ; 1887, no 1196 ; RG 5, F, 1884.— Metropolitan Toronto Police Museum Arch., Board of Police Commissioners, minute-book, 1868–1878 : 198.— Rensselaer Polytechnic Institute Arch. (Troy, N. Y.), Reg. of officers and students, août 1854.— St James’ Cathedral Arch. (Anglican) (Toronto), Reg. of baptisms, 1841–1842.— St James’ Cemetery and Crematorium (Toronto), Burial records, Draper family plot.— [L. W. V.] Smith, Young Mr Smith in Upper Canada, M. L. Smith, édit. (Toronto, 1980).— Toronto police force ; a brief account of the force since its re-organization in 1859 up to the present date [...] (Toronto, 1886), 15 (copie à la MTRL).— Globe, 27 nov. 1886.— Irish Canadian (Toronto), 6 oct. 1875, 12 nov. 1885.— Toronto Daily Mail, 3 juill. 1872, 27 sept. 1887, 26 juill. 1894.— Toronto World, 27 nov. 1886, 26 juill. 1894.— Death notices of Ont. (Reid), 162.— Dominion annual reg., 1880–1881.— Landmarks of Canada ; what art has done for Canadian history [...] ([nouv. éd.], 2 vol. en 1, Toronto, 1967), 69.— Roll of U.C. College (A. H. Young), 217.— Toronto directory, 1874 : 365.— Hist. of Toronto, 1 : 305–307.— G. S. Kealey, Toronto workers respond to industrial capitalism, 1867–1892 (Toronto, 1980), chap. 7.— Nicholas Rogers, « Serving Toronto the Good : the development of the city police force, 1834–84 », Forging a consensus : historical essays on Toronto, V. L. Russell, édit. (Toronto, 1984), 116–140.— Bill Rawling, « Technology and innovation in the Toronto police force, 1875–1925 », OH, 80 (1988) : 53–71.

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Nicholas Rogers, « DRAPER, FRANCIS COLLIER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/draper_francis_collier_12F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
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