DENYS, JOSEPH (baptisé Jacques), prêtre, premier récollet canadien, commissaire provincial, né à Trois-Rivières le 7 novembre 1657, fils de Pierre Denys de La Ronde et de Catherine Leneuf de La Poterie, décédé à Québec le 25 janvier 1736.
Joseph Denys est le descendant d’illustres familles canadiennes. Son aïeul maternel, Jacques Leneuf* de La Poterie, était arrivé au Canada depuis 1636 ; en 1640 il se fixa définitivement à Trois-Rivières. Son aïeul paternel, Simon Denys* de La Trinité, vint en Acadie en 1632. En 1650, il installa sa famille sur l’île du Cap-Breton ; il y demeura un an, puis il s’établit à Québec. Son père, après son mariage, en 1655, demeura quelques années à Trois-Rivières et vint s’installer lui aussi à Québec vers 1661.
Jacques, deuxième enfant d’une famille qui devait en compter 12, naît à Trois-Rivières le 7 novembre 1657. Il est baptisé le lendemain par le jésuite Pierre Bailloquet*, et reçoit le prénom de son grand-père maternel. À 11 ans, soit le 21 août 1669, il entre au petit séminaire de Québec qui avait ouvert ses portes l’année précédente. Songeait-il déjà à la prêtrise ? L’arrivée des Récollets en 1670 lui fit, sans doute, penser à la vie religieuse, car à 20 ans il entre au noviciat franciscain, devenant ainsi le premier novice clerc canadien.
C’est le père Potentien Ozon, supérieur du couvent de Notre-Dame-des-Anges, qui lui donne l’habit. Il reçoit le nom de Joseph, sans doute en mémoire du patron que les Récollets de 1615 avaient donné au pays. L’année suivante, soit er 1678, le père Valentin Leroux reçoit la profession religieuse du frère Joseph, qui passe aussitôt en France pour ses études théologiques et y est ordonné prêtre en 1682. Ses supérieurs le renvoient au Canada où il s’adonne à la prédication, au ministère de la confession et au service religieux des habitants.
Le temps de fourbir ses armes de jeune prêtre, et le voilà lancé, dès 1683, dans la grande aventure des fondations et des supériorats successifs, qui le conduiront à la tête de sa province. Depuis une dizaine d’années, Pierre Denys, son père, était associé à une entreprise de pêche à Percé avec Charles Aubert de La Chesnaye. Tous deux étaient propriétaires de la seigneurie de l’île Percée depuis le décès d’un troisième copropriétaire, Charles Bazire*, mort en 1677. Sans doute le père de Joseph suggéra-t-il aux autorités récollettes la venue de son fils à Percé et peut-être leur promit-il de faciliter la construction d’une église à cet endroit. Quoi qu’il en soit, le récollet arrive à Percé en 1683, accompagné du frère Didace Pelletier*, charpentier de son métier. Sitôt sur les lieux, ils s’occupent de construire une église et de parachever la résidence des missionnaires où demeurait, depuis une dizaine d’années, le père Exupère Dethunes*, récollet. Le Clercq* affirme que c’était la première église du lieu. Elle fut dédiée à saint Pierre, apôtre. Face à Percé, sur l’île Bonaventure, les Récollets avaient également une mission avec église dédiée à sainte Claire. L’architecte en fut peut-être le père Joseph.
Durant les six années de son apostolat à Percé, Denys assure un double ministère : auprès des résidents, peu nombreux et relativement fervents, et auprès de la population flottante et fort hybride de la saison de la pêche. Il avait alors à combattre les abus que signalait Mgr de Saint-Vallier [La Croix] lors de sa visite de 1686 : défaut d’assistance et manque de respect aux offices divins, travail le dimanche, vol, ivrognerie, dérèglement des mœurs, querelles.
En septembre 1689, les Récollets ouvrent une mission à Plaisance (Placentia), Terre-Neuve. Le père Xiste Le Tac en est le supérieur et Joseph Denys est nommé curé avec le titre et l’office de vicaire général. Sa tâche n’est pas plus facile qu’à Percé. En février 1690, 45 flibustiers anglais surprennent Plaisance. Le récollet se fait, auprès du ministre, l’écho de l’anxiété générale ; il le supplie d’avoir pitié de près de 30 familles exposées non seulement à la cruauté ordinaire des Anglais, mais encore à l’inhumanité de misérables qui n’ont ni foi ni loi. Lui-même risque sa vie pour désarmer un meurtrier ‘qui menaçait de tuer quiconque oserait l’approcher.
En mars 1692, Louis XIV reconnaît officiellement tous les établissements présents et futurs des Récollets du Canada, de l’Acadie et de Terre-Neuve, y compris ceux des îles Saint-Pierre et de Plaisance. La même année, le père Joseph reçoit de ses supérieurs une autre mission : celle de fonder à Montréal un établissement pour les Récollets. M. Tronson, supérieur général des Sulpiciens, en précise les raisons à M. de Frontenac [Buade*] : « oter de notre part tous sujets de plaintes et enlever toute gêne aux consciences ». Le père Denys devenait donc le fondateur du premier couvent des Récollets de Ville-Marie. En collaboration avec le syndic des Récollets, Bertrand Arnaud, marchand de Montréal, il acquiert environ quatre arpents et demi de terrain et, en deux mois, résidence et chapelle sont construites. Ce n’est qu’une construction temporaire ; 12 ans plus tard, on rebâtit le couvent en pierre.
L’année suivante, en 1693, la communauté est complètement installée, et Mgr de Saint-Vallier peut écrire le 15 octobre : «Le terrain que les récollets ont acquis est si beau qu’il y a de quoi faire un des plus beaux et des plus grands couvents ; le jardin est dans sa perfection, et je ne crois pas qu’il y en ait un autre plus beau en Canada ».
En mars 1694, le père Joseph prend part, ainsi que ses religieux, au premier synode de Montréal que tient Mgr de Saint-Vallier. En mai de la même année éclate à son couvent l’incident connu sous le nom de « l’affaire du prie-Dieu ». Le 10 mai a lieu dans l’église des Récollets de Montréal la prise d’habit de deux novices [V. La Frenaye] ; Mgr de Saint-Vallier et M. de Callière assistent à cette cérémonie. L’évêque juge que le prie-Dieu destiné au gouverneur est en place plus honorable que le sien et demande au père Denys, le supérieur du couvent, de le faire enlever ; ce dernier obéit à l’évêque. Ignorant tout de l’incident, les officiers qui entrent. à l’église remettent le prie-Dieu du gouverneur à sa place accoutumée. L’évêque se fâche, veut obliger le gouverneur à prendre place ailleurs et, sur le refus de ce dernier, quitte l’église.
Le lendemain, l’évêque ordonne aux Récollets d’enlever tous les prie-Dieu, y compris le sien. Le gouverneur les ayant fait replacer par ses soldats, l’évêque jette l’interdit sur l’église qui devient fermée aux fidèles. Sachant qu’ils n’étaient en rien responsables de ce différend entre les autorités civiles et religieuses, les Récollets obéissent pourtant, croyant que leur soumission serait une satisfaction suffisante à la prétendue insulte reçue chez eux, et que l’évêque lèverait l’interdit au bout de quelques jours. Deux mois se passent au cours desquels toutes tentatives de conciliation se butent aux exigences de l’évêque. Convaincus que les choses allaient traîner en longueur, les Récollets s’appuient sur leurs privilèges et exemptions canoniques, dressent un procès-verbal de l’affaire, protestent devant l’évêque et rouvrent leur église. L’évêque lance trois monitions pour amener les religieux à se soumettre. Ces derniers refusent obstinément. Alors Mgr de Saint-Vallier recourt au moyen suprême : l’interdit personnel sur chaque religieux de Montréal sous peine d’excommunication. Les Récollets n’en ont cure et continuent de tenir leur église ouverte et d’exercer leur ministère. Le Conseil souverain de Québec, devant qui l’affaire est portée, la renvoie au Conseil d’État. Ce dernier déclare que l’évêque, ayant outrepassé ses pouvoirs et agi sans informations suffisantes, il y avait lieu de donner gain de cause à ceux qui se plaignaient d’abus. Ces démêlés avaient duré de mai 1694 à la fin d’octobre 1695.
Il ne semble pas que le père Joseph Denys ait été blâmé par ses supérieurs en cette affaire, car en 1696 il est désigné pour prendre la direction de la communauté de Québec, la plus importante mission canadienne des Récollets.
Durant ces années à Québec, il éprouve une double douleur : le décès de sa mère âgée d’environ 60 ans, le 24 octobre 1697, et l’année suivante, le 28 novembre, le décès du comte de Frontenac, syndic des Récollets. Le père Joseph se rend aux dernières volontés du gouverneur qui exprimait le vœu dans son testament d’être inhumé dans l’église des Récollets. Il se proposait également de transporter le cœur du comte en France, mais on ignore s’il put le faire.
Comme supérieur il assiste le 27 février 1698 au troisième synode convoqué par Mgr de Saint-Vallier, au cours duquel on adopte 23 statuts. Il prend part également, le 3 octobre 1699, à l’assemblée des représentants des trois États en vue de mieux réglementer l’affermage du castor.
En 1699, le père Joseph cesse d’être gardien du couvent de Québec et se rend alors en France pour les affaires de la mission. Il en revient avec le titre de commissaire provincial de la mission, succédant au père Goyer. Il exerce ces hautes fonctions durant cinq ans et redevient par la suite simple religieux. Il s’adonne au ministère paroissial à Cap-Saint-Ignace et à Saint-Michel jusqu’à l’automne de 1707, alors qu’il effectue un autre voyage en France et en revient avec la charge de maître des novices au couvent de Québec. Deux ans plus tard, soit en 1709, il est nommé gardien et curé de la paroisse de Trois-Rivières, où il demeurera jusqu’en 1717. Il y fait bâtir une église en pierre qui restera debout jusqu’à la conflagration du 24 juin 1908. Durant son séjour à Trois-Rivières, il assume un certain temps la direction spirituelle des Ursulines.
Ancien commissaire provincial, le père Joseph, qui est Canadien d’origine, s’intéresse à l’avenir des Récollets du Canada. Aussi, le 6 novembre 1716, signe-t-il une requête adressée au provincial et au définitoire de la province de la Nouvelle-France. Il suggère notamment que le commissaire provincial ne soit attaché à aucune communauté afin qu’il soit toujours juste et équitable dans la répartition des religieux et dans la distribution des aumônes que le roi fait à la mission ; il suggère encore que le commissaire provincial ait un conseil composé des supérieurs locaux et des trois plus anciens du couvent où siégera ce conseil, et que le dit conseil ait autorité pour décider sur place, sans recourir au définitoire de France, des affaires qui regardent la mission.
Libéré de ses fonctions de supérieur et de curé de Trois-Rivières, Joseph Denys se consacre alors à la cause du frère Didace Pelletier, mort en odeur de sainteté le 21 février 1699, et dont le corps est inhumé dans la chapelle des Récollets à Trois-Rivières. Il avait été son confesseur durant 14 ans, et son compagnon de route plus longtemps encore. En 1718, il se rend en France avec tout un dossier comprenant un abrégé de la vie du frère Didace, ainsi que des procès-verbaux de faits dits miraculeux attribués au religieux. Il entreprend des démarches pour introduire sa cause de béatification à Rome et se propose même d’écrire une biographie détaillée de son confident, mais on ignore s’il mit son projet à exécution.
Alors qu’il revenait d’un de ses nombreux voyages en France, le père Joseph s’arrête à l’île Royale et y séjourne du mois d’octobre 1722 au printemps de l’année suivante. En 1727 il y retourne, cette fois en qualité de grand vicaire de Mgr de Saint-Vallier, avec résidence à Louisbourg. Dans un acte du 8 avril 1728, il s’intitule « commissaire provincial des Récollets de Paris et vicaire général dans toute la nouvelle colonie de l’Île Royale ».
C’est à Louisbourg qu’il apprend la mort de son évêque, Mgr de Saint-Vallier, survenue le 26 décembre 1727. Vieillards tous les deux, comptant parmi les plus anciens prêtres du pays, ils avaient l’un et l’autre grandement contribué à l’édification de la jeune Église canadienne. Le père Joseph retourne à Québec en 1729 ; il a 71 ans. C’est là qu’il finira ses jours, dans la tranquillité et la prière. Après trois jours de maladie, il meurt le 25 janvier 1736. On écrivit alors qu’il était mort en odeur de sainteté. Il laissait des traces tangibles de son œuvre à Montréal, Trois-Rivières, Québec, Percé, l’île Royale et Plaisance.
AN, Col., B, 38, ff.166,195 ; Col., C11A, 120, f. 150.— AQ, NF, Documents de la juridiction des Trois-Rivières, 18.— ASQ.— BN,
Jacques Valois, « DENYS, JOSEPH (baptisé Jacques) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/denys_joseph_2F.html.
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Auteur de l'article: | Jacques Valois |
Titre de l'article: | DENYS, JOSEPH (baptisé Jacques) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |