CREVIER, JOSEPH-ALEXANDRE, médecin et naturaliste, né à Cap-de-la-Madeleine, Bas-Canada, le 26 février 1824, fils de Frédéric-François Crevier, dit Bellerive, marchand, et de Louise Rocheleau ; en 1850, il épousa à Saint-Hyacinthe Zoé-Henriette Picard, dit Destroismaisons, et ils eurent deux fils et quatre filles ; décédé à Montréal le 1er janvier 1889.
D’abord élève de son oncle Édouard-Joseph Crevier, futur vicaire général du diocèse de Saint-Hyacinthe et fondateur du collège de Sainte-Marie-de-Monnoir, Joseph-Alexandre Crevier fit ses études classiques au collège de Chambly, puis au séminaire de Saint-Hyacinthe. Un des premiers étudiants de l’école de médecine et de chirurgie de Montréal, il fut admis à la pratique en 1849 et s’établit d’abord à Saint-Hyacinthe. De 1861 à 1872, il pratiqua à Saint-Césaire où il commença la longue série de ses publications scientifiques et de vulgarisation. De forte taille, le front large et la barbe bien fournie, ce personnage original et timide, sans doute à cause d’une difficulté d’expression, était plus à l’aise dans son laboratoire, dans son atelier, où il travaillait le bois et les métaux et polissait les miroirs de ses télescopes, et sur le terrain, où il fit de fréquentes excursions géologiques, que dans le monde. Dans un style plutôt négligé, il a écrit sur presque toutes les sciences car sa curiosité et son érudition s’étendaient des infiniment petits à l’astronomie. Léon Provancher*, qui lui reprochait amicalement de trop se disperser, l’estimait ; il le fit membre de son éphémère Société d’histoire naturelle de Québec et dédia au découvreur de l’Ichneumon Marianapolitensis deux insectes du même genre : le Meniscus et l’Epyrhissa Crevieri. La collection Crevier comptait 1443 spécimens, principalement de minéraux, de fossiles, de mollusques, d’insectes et de plantes du Canada et 656 préparations microscopiques.
Une réputation de savant due à ses publications dans le Naturaliste canadien de Québec et à ses articles dans les journaux précédait Crevier quand il arriva à Montréal en 1872. En fait, il était un vulgarisateur et un naturaliste dont les connaissances en taxinomie n’étaient pas comparables à celles de son compatriote Augustin De Lisle*. Dans la pratique de son art cependant, il avait une vocation de chercheur quoique, autodidacte, il ne fût pas rompu à la rigoureuse discipline de la méthode scientifique. C’est pourquoi son étude sur la bufotoxine, venin contenu dans les pustules du crapaud, dont il disait avoir démontré la toxicité par des injections sous-cutanées à des animaux qui en moururent, est intéressante sans être probante. Il avait publié en 1866 une Étude sur le choléra asiatique, aussi remarquable que discutable. L’observation au microscope des déjections de victimes de ce fléau durant l’épidémie de 1854 lui avait révélé la présence d’un micro-organisme qu’il ne connaissait pas. Quatre années d’observation de microzoaires et de microphytes recueillis dans les rivières, les lacs et les étangs ne lui en firent trouver aucun qui lui ressemblât. Cela confirma son opinion qu’il s’agissait d’une bactérie et qu’elle était l’agent du choléra. Ses contemporains, tel Jean-Gaspard Bibaud, attribuaient la contagion à des émanations impondérables de végétaux ou d’animaux malades. On ne distinguait pas toujours le choléra morbus, infiniment plus grave, des infections diarrhéiques relativement bénignes, et la remarquable efficacité thérapeutique des « Célèbres gouttes anticholériques et antidyspeptiques du Dr Crevier » rend plus douteux encore le diagnostic de la maladie et l’identification de sa cause. Mais l’affirmation de l’origine microbienne d’une maladie contagieuse fait de ce modeste médecin de campagne un des nombreux et obscurs précurseurs de Louis Pasteur.
En 1873, Crevier signala la présence d’animalcules pathogènes dans les eaux stagnantes de certains quartiers de Montréal, donna une conférence sur les infusoires et fit un cours de « micrologie » à l’école de médecine. Dans l’Album de la Minerve, il dit avoir découvert le Bacterium variolare, agent de la variole qui est de fait une maladie virale. Elle sévit bientôt à Montréal et Crevier se prononça contre la vaccination que l’on voulait rendre obligatoire. Au plus fort de l’épidémie de 1875, il proposa même la fondation d’une ligue pour s’y opposer. Comme on la pratiquait souvent « de bras à bras » ou avec un vaccin non atténué, il avait des raisons de craindre qu’elle transmît, outre la variole, des maladies plus graves. Peu lui importait l’avis contraire de ses collègues, surtout ceux qui avaient fondé la Société médicale de Montréal et publiaient l’Union médicale du Canada, revue dont le rédacteur en chef était le docteur Jean-Philippe Rottot, et qui rappelait à l’ordre les médecins qui avaient recours à la publicité pour faire vendre les remèdes qu’ils avaient fait breveter.
Ses conférences et ses articles sur la géologie et l’origine de la terre firent passer Crevier pour un matérialiste et un esprit fort, qui se joignit à l’Institut canadien de Montréal lors des derniers soubresauts de l’affaire Guibord [Joseph Guibord*]. Avec le journaliste Auguste Achintre, il publia une intéressante monographie de l’île Sainte-Hélène. Avec le docteur Guillaume-Sylvain de Bonald et quelques autres Français, il enseigna à l’Institut national des beaux-arts du mystérieux abbé Joseph Chabert*. Il était au faîte de sa renommée locale quand Elkanah Billings*, paléontologiste de la Commission géologique du Canada, mourut en 1876. On le proposa pour succéder à celui auquel il avait fourni de nombreux spécimens de fossiles, dont une espèce nouvelle de gastéropode qu’il avait appelée Pleurotomaria Crevieri. Malgré l’éloge exagéré de Chabert, qui le voyait déjà nommé, et l’appui unanime de la presse française de Montréal, le gouvernement choisit Joseph Frederick Whiteaves*, que soutenait la presse de langue anglaise et qui, déjà au service de la commission, était le candidat d’Alfred Richard Cecil Selwyn*, son directeur.
L’année suivante, l’école de médecine et de chirurgie de Montréal décida de créer une chaire d’histologie et de microscopie. Crevier rédigea une partie de la leçon requise pour l’examen mais, l’annonce de la mise au concours tardant à venir, il s’en désintéressa. Son activité scientifique ralentit en même temps qu’augmentait la publicité de ses gouttes et de ses rénovateurs du sang et de la chevelure. Il se proposait de présenter à l’Académie nationale de médecine de Paris son remède contre le choléra et réédita son étude sur ce sujet. Louis-Honoré Fréchette*, son ami d’un quart de siècle, l’incita à communiquer ses travaux à la Société royale du Canada, récemment fondée. Quelque temps avant son décès, il cultivait et étudiait le microbe de la tuberculose. Deux ans après sa mort, une espèce de mollusque découverte par lui fut appelée Unio Provancheriana.
Fréchette sut bien caractériser Crevier : « Il était comme certains artistes incultes obligés de se former eux-mêmes en devinant jusqu’aux plus vulgaires procédés du métier et qui arrivent parfois au chef d’œuvre, sans devenir jamais entièrement maîtres de leur art. »
La collection Crevier fut léguée au collège Saint-Laurent, Montréal. Toutefois, celle-ci semble avoir été perdue car il n’en est pas fait mention dans l’ouvrage Sainte-Croix au Canada, 1847–1947 (Montréal, 1947), au chapitre consacré au musée de ce collège.
Outre ses articles parus dans la Minerve, le Monde canadien (Montréal), le National (Montréal), le Naturaliste canadien (Québec), l’Opinion publique, la Patrie, la Presse, l’Union médicale du Canada (Montréal), etc., au cours des années 1859 à 1885, Joseph-Alexandre Crevier a publié deux brochures : Etude sur le choléra asiatique ([Saint-Césaire, Québec], 1866) ; le Choléra, son historique, son origine, sa nature [...] (Montréal, 1885). En collaboration avec Auguste Achintre, il a écrit : l’Île Ste. Hélène : passé, présent et avenir ; géologie, paléontologie, flore et faune (Montréal, 1876). [l. l.]
J.-G. Bibaud, Quelques considérations sur les causes et l’hygiène des maladies contagieuses et le choléra en particulier (Montréal, 1866).— Joseph Chabert, Le premier Canadien nommé à l’éminente charge de paléontologiste de la Commission géologique du Canada (Montréal, 1877).— L.-H. Fréchette, « Mémoires intimes ; le docteur Crevier », Le Monde illustré (Montréal), 10 nov. 1900 : 434s. ; 17 nov. 1900 : 450 ; 24 nov. 1900 : 467.— Jacques Rousseau, « Le docteur J.-A. Crevier, médecin et naturaliste (1824–1889) », Assoc. canadienne-française pour l’avancement des sciences, Annales (Montréal), 6 (1940) : 173–269.
Léon Lortie, « CREVIER, JOSEPH-ALEXANDRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/crevier_joseph_alexandre_11F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
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