Provenance : Avec la permission de Wikimedia Commons
CRERAR, HENRY DUNCAN GRAHAM, officier de la milice, homme d’affaires et officier de l’armée, né le 28 avril 1888 à Hamilton, Ontario, deuxième enfant et fils aîné de Peter Duncan Crerar et de Marion Elizabeth Stinson*, veuve de Cuthbert John Ottaway ; le 14 janvier 1916, il épousa à Toronto Marion Verschoyle Cronyn, et ils eurent deux filles, dont l’une mourut en bas âge, et un fils ; décédé le 1er avril 1965 à Ottawa et inhumé dans cette ville au cimetière Beechwood.
Henry Duncan Graham Crerar, surnommé Harry, naquit au sein d’une famille de la haute bourgeoisie où l’impérialisme et l’esprit civique étaient des valeurs importantes. Son père, immigrant écossais, avait de fortes racines libérales et admirait beaucoup Wilfrid Laurier*, chef du parti libéral fédéral ; les Stinson, quant à eux, étaient conservateurs. La jeunesse de Crerar fut ordinaire, mais privilégiée ; il ne l’aurait cependant pas décrite de cette façon et n’aimait pas attirer l’attention sur le rang social de sa famille. Des photographies de l’époque montrent des scènes de somptueuses réceptions, des parties de billard en après-midi et des goûters dînatoires, ainsi que des groupes de femmes gantées de blancs et d’hommes sirotant leur brandy, réunis dans les jardins bien entretenus de Dunedin, la demeure familiale depuis au moins 1906, dont le rythme était soutenu par trois domestiques qui y étaient nourris et logés. Selon la section mondaine des journaux, les Crerar aimaient le théâtre et l’opéra, et recevaient souvent des invités du milieu des arts dramatiques. Les voyages au Canada et à l’étranger faisaient également partie de leur vie ; ils se rendirent à la maison ancestrale des Crerar, en Écosse, et visitèrent l’Europe plusieurs fois. La famille passait ses étés à pêcher, chasser et faire du bateau dans le district de Muskoka, lieu de villégiature prisé des Ontariens fortunés, où elle possédait une maison de vacances sur l’île Loon, au lac Joseph. Cavalier accompli, Crerar attribua son attirance précoce pour l’armée en partie à son amour pour les chevaux et l’équitation, qu’encouragèrent ses congés passés à London, chez sa demi-sœur Lillian Ottaway et son mari Adam Beck*, futur dirigeant d’Ontario Hydro. Ces derniers étaient en effet d’enthousiastes propriétaires de chevaux.
Le père de Crerar, membre de la Royal Golf Society of Canada et de la Canadian Association of Amateur Oarsmen, transmit à son garçon sa passion pour le sport. Homme réservé, il était cependant toujours là, selon son fils, pour donner « des conseils judicieux ». Ce fut toutefois de sa mère que Crerar reçut l’empreinte la plus profonde. Pendant une visite dans sa ville natale en 1945, il dirait : « Tout ce que j’ai accompli, je le dois principalement à mon enfance à Hamilton, et, en particulier[,] à l’influence et à l’inspiration de ma mère. » Celle-ci avait un sens aigu du devoir, qui se manifestait dans des œuvres philanthropiques locales et son soutien à l’Empire britannique. Crerar hériterait du civisme de sa mère, même s’il l’exprimerait de façon différente, et adopterait aussi sa réserve et son respect des convenances.
Crerar conservait de très bons souvenirs de Hamilton. En 1899, alors âgé de 11 ans, il partit étudier non loin de là, à l’Upper Canada College, à Toronto. Sa mère lui offrit, en cadeau de départ, un guide de méditation quotidienne écrit par Eleanor Plumptre et intitulé The words of the Son of God […] (Londres, 1877) ; il garda ce livre jusqu’à sa mort, mais rien n’indique qu’il le lut. Il vécut des hauts et des bas dans cet établissement. Stephen Butler Leacock*, qui y enseignait, se souviendrait de sa rencontre avec le nouveau pensionnaire. « Il ne se sentait pas très bien, écrirait-il de nombreuses années plus tard, il était assis sur le bord du lit et avait l’air abattu. » Pour le consoler, Leacock lui parla de son admiration pour Hamilton, ce qui fit venir les larmes aux yeux du jeune Crerar. Dans un discours qu’il prononcerait à son ancienne école en novembre 1945, ce dernier avouerait : « Ni mes résultats scolaires ni mes performances sportives à UCC ne donnèrent de réelle satisfaction ou de fierté ni à mes parents ni à mes maîtres. » Néanmoins, il participait avec enthousiasme au programme de sport. Son esprit de compétition, sa faible corpulence et sa stature peu impressionnante (il finirait par mesurer cinq pieds huit pouces) le rendaient sujet aux blessures : il se cassa une jambe au cours d’un match de rugby durant sa deuxième année et se fractura une cheville, l’année suivante, pendant une partie de hockey. Comme il l’expliquerait en 1940 au journaliste Michael Grattan O’Leary*, « ces accidents [l’]éliminèrent, en effet, de la course pour faire partie des équipes de [son] école », mais ils ne réussirent aucunement à le décourager.
Grâce à son expérience à l’école la plus prestigieuse de l’Ontario, voire du Canada, Crerar acquit la conviction que le sport et l’éducation étaient d’une grande importance pour former le caractère et mener au succès. Au tournant du siècle, sous la direction de George Robert Parkin*, éminent éducateur et défenseur de l’Empire britannique, l’Upper Canada College était prospère. Crerar fut tout particulièrement influencé par deux professeurs renommés : William Lawson Grant* et Edward Robert Peacock. La loyauté de ces derniers envers la Grande-Bretagne était véritable, mais pragmatique ; ils comprenaient que l’Empire évoluait et que ses relations avec les dominions seraient limitées par leur autonomie et leur nationalisme grandissants. Crerar entretenait avec Grant des liens protocolaires ; il parlait de lui avec respect et citait souvent ses opinions sur l’organisation de l’Empire et l’éducation. Les rapports que Crerar avait avec Peacock étaient plus chaleureux, et, pendant les deux conflits mondiaux, il se retirerait fréquemment chez celui-ci, en Angleterre, pour échapper à la pression de ses responsabilités. Reprenant le point de vue de ses anciens professeurs, il souligna les avantages dont le Canada et l’Empire pourraient profiter s’il y avait un resserrement de leurs liens fondé sur une connaissance et une compréhension mutuelles des périodes communes et distinctes de leur passé.
En 1904, Crerar quitta l’Upper Canada College pendant un an pour aller étudier en Suisse, peut-être afin d’améliorer ses notes et d’élargir ses horizons. En 1905, il suivit des cours à la Highfield School de Hamilton pour bonifier son dossier scolaire et, au mois d’août de cette année-là, il fit une demande d’inscription au Royal Military College of Canada à Kingston. Les trois années que Crerar passa dans cet établissement, où il apprit la discipline et la persévérance qui le caractériseraient, comptèrent parmi les plus importantes de sa vie. Le collège avait été fondé en 1874 [V. Edward Osborne Hewett*] pour fournir à la milice active des officiers qui commanderaient et instruiraient des hommes dans la milice active non permanente, mais aussi pour former des chefs de file dans les domaines du génie civil, de l’arpentage et de la physique. Le Royal Military College of Canada se distinguait par l’importance qu’il accordait à la formation de civils productifs, tout comme de soldats potentiels ; néanmoins, l’accent mis sur l’instruction militaire ne suffisait pas pour changer l’opinion générale selon laquelle la force de caractère primait plutôt que l’intelligence chez ceux qui apprenaient à exercer le commandement. Le collège était populaire auprès des familles de la haute bourgeoisie canadienne-anglaise qui désiraient offrir à leurs fils une éducation comportant une préparation morale et physique, de la discipline et un niveau de connaissances élevé. À la fin de la deuxième année, Crerar avait manifesté des aptitudes pour les exercices militaires, la signalisation, la gymnastique et le tir à la cible, ainsi que pour le français et les sciences appliquées.
Le rituel initiatique, par lequel les cadets supérieurs imposaient certaines mesures disciplinaires aux nouveaux élèves, marqua également Crerar. En 1938, quand il serait commandant de collège, il déclarerait que « le but de ce rituel initiatique [… était] d’inculquer la maîtrise de soi et la discipline personnelle, de même que de développer progressivement des qualités de chef chez les élèves officiers ». La maîtrise de soi et la discipline personnelle seraient en effet des principes fondamentaux de sa manière d’aborder la vie, et ses idées sur l’entraînement des officiers correspondraient à l’importance qu’il accordait à ces principes. Grâce au Royal Military College of Canada, il acquit un très grand respect pour l’éducation en tant qu’outil essentiel, non seulement pour la formation individuelle, mais aussi pour éduquer la société ; tout aussi importantes furent les amitiés qu’il noua au collège et qui dureraient une bonne partie de sa vie adulte, comme celle qu’il entretint avec Arthur Edward Grasett, qui s’enrôlerait dans l’armée britannique. Des photographies montrent un Crerar à l’air impudent, portant une casquette sans visière inclinée sur le côté ; sur l’une d’elles, sa tête est légèrement penchée, à cause d’une fracture à la mâchoire survenue lors d’une folle descente en traîne sauvage sur les pentes du fort Henry, non loin de Kingston. Crerar meublait un grand nombre de ses heures libres en faisant de l’équitation et de la voile dans le port de la région.
Crerar finit treizième dans une classe de 30 élèves et reçut des médailles en français, en équitation, en artillerie et en gymnastique. Après avoir obtenu son diplôme en 1909 et avoir passé les vacances d’été dans le district de Muskoka, il suivit le conseil de ses parents et prit un emploi à titre de surintendant dans la Canadian Tungsten Lamp Company Limited de Hamilton (son père avait siégé au conseil d’administration de cette entreprise). Ce choix ne correspondait pas tout à fait à ses goûts. Comme de nombreux élèves officiers, il rêvait des aventures et des voyages que vivait la cavalerie au service de l’Empire britannique, mais cette voie était réservée aux diplômés les meilleurs qui en avaient les moyens. Cependant, comme Crerar ne voulait pas être un fardeau pour son père et que ses notes étaient peu remarquables, il dut s’engager dans la branche d’artillerie, un peu plus banale, de la 4th (Hamilton) Field Battery de la milice active non permanente, où il accepta une commission de lieutenant. Son service ultérieur coïncida avec une période plutôt dynamique au sein de la défense du Canada. L’efficace ministre de la Milice et de la Défense de Laurier, sir Frederick William Borden*, élargissait alors la milice, et ses politiques furent poursuivies par l’énergique Samuel Hughes*, du gouvernement conservateur de Robert Laird Borden*, après les élections de 1911. La popularité de tout ce qui était militaire et la menace grandissante d’une guerre en Europe se traduisirent par l’amélioration des installations, des équipements et des formations pour soldats à temps partiel. Dans des villes comme Hamilton et Toronto, un officier de milice obtenait un certain degré de respectabilité.
Crerar était « suffisamment passionné par [son] travail dans la milice » pour participer fidèlement, à ses propres frais, au camp d’entraînement d’été de Petawawa de 1910 à 1914, à l’exception de 1912 ; il devint capitaine en 1911. Sa batterie était invariablement qualifiée de « très bonne » ou de « bien au-dessus de la moyenne » en matière d’efficacité, de rassemblement des soldats et d’entretien de l’équipement. Il fit lui-même l’objet d’éloges dans les rapports annuels de la Canadian Field Artillery, où on le disait « passionné, actif et énergique » ; par ailleurs, en 1919, on le décrirait dans un article du Hamilton Spectator comme « l’un des officiers les plus populaires de l’ancienne 4th Field Battery ». Son expérience au sein de la milice ne l’avait peut-être pas préparé au conflit qui était sur le point d’engloutir l’Europe, mais elle lui laissa une ferme impression de l’importance, et des limites, du service militaire à temps partiel. Faire partie de la milice était un devoir, une éducation et une contribution à la défense du Canada et de l’Empire.
La mort subite de son père, le 9 juin 1912, après une rupture d’anévrisme, changea l’univers d’avant-guerre de Crerar. La santé de sa mère, déjà fragile, déclina. À cause de ces circonstances, il manqua, cette année-là, les exercices d’entraînement d’été de la milice. Il partit vivre à Toronto, attiré par son beau-frère Adam Beck qui tint sa promesse de lui trouver un poste administratif à l’Ontario Hydro, en plein essor. La mort de son père avait affaibli ses liens avec sa ville natale ; en outre, il avait hâte de mettre à contribution les connaissances qu’il avait acquises à la Canadian Tungsten Lamp Company Limited. Quand il n’était pas à l’étranger afin de faire des recherches pour son travail ou en vacances à Muskoka, Crerar avait une vie sociale active. Membre du University Club of Toronto, il profitait de toutes les occasions pour jouer au golf ; parmi ses partenaires fréquents se trouvait un jeune étudiant en droit, Reginald John Orde, qui deviendrait juge-avocat général dans les forces armées. Il courtisait aussi une jolie débutante pleine d’entrain qui était sa cadette de sept ans, Marion Verschoyle Cronyn. Verse, comme on l’appelait, était l’arrière-petite-fille de Benjamin Cronyn*, ministre de l’Église d’Angleterre et premier évêque du comté de Huron. Le père de la jeune femme, Benjamin Barton Cronyn, était un homme d’affaires prospère de Toronto.
Quand la guerre fut déclarée contre l’Allemagne en août 1914, Crerar s’engagea comme volontaire dans le Corps expéditionnaire canadien pour défendre l’Empire britannique. Il se montra enthousiaste, voire chauvin, mais son expérience du conflit viendrait rapidement émousser son ardeur à combattre « les Boches » ; cette transition était visible dans le journal qu’il tint pendant les 15 premiers mois de la Première Guerre mondiale. Malgré les difficultés liées au transport des hommes, de l’équipement et des chevaux de Hamilton jusqu’à la base militaire de Valcartier, près de Québec, l’ambiance d’excitation contagieuse fut le souvenir le plus net que Crerar garda de cette période. Beaucoup de gens se rassemblèrent pour voir les trains partir ; les troupes furent acclamées à tous les arrêts. « Je n’ai jamais vu une telle foule, nota-t-il le 31 août, et les quelques minutes où nous sommes restés là demeureront longtemps gravées dans ma mémoire. » En effet, le contraste entre son enthousiasme du départ et la tristesse qu’il éprouverait à son retour, un peu moins de cinq ans plus tard, lui insufflerait une détermination de faire reconnaître la contribution militaire et de conserver sa mémoire ; cette détermination animerait une bonne partie de ses intentions professionnelles d’après-guerre.
Crerar avait quitté le chaos lié à la réorganisation de sa batterie uniquement pour se fiancer à Verse, puis il s’embarqua pour l’Europe au début d’octobre 1914. Après un hiver froid et pluvieux passé dans la plaine de Salisbury, en Angleterre, Crerar et ses troupes – alors la 11th Battery – arrivèrent dans les Flandres en février 1915 pour se joindre à la 1re division canadienne. Il combattit et vit la mort de près pour la première fois à la deuxième bataille d’Ypres, en avril–mai 1915 [V. sir Edwin Alfred Hervey Alderson* ; sir Arthur William Currie*], où plus de 6 000 hommes, parmi lesquels de nombreux amis de Hamilton, furent blessés ou tués. Le 22 avril, il fut gazé puis renversé par une explosion pendant qu’il filait à toute allure sur un vélo pour déplacer ses hommes ; étourdi, mais indemne, il se releva en chancelant et, ce faisant, empoigna un caillou qu’il garderait pour le reste de sa vie comme porte-bonheur. Lorsqu’il fit une pause pour réfléchir à ce carnage, il fut horrifié. « Je ne crois vraiment pas, nota-t-il dans son journal le 29 avril, qu’aucun de nous ne s’attendait à endurer une semaine de bataille comme celle-là. » Les combats brutaux et la perte de nombreux hommes de sa compagnie marquèrent Crerar de manière indélébile. Ce qu’il écrivit dans son journal le 15 juin met en évidence certains de ses sentiments : « La guerre est vraiment infernale, et ces combats où l’on avance pas à pas en sont le pire exemple. Les gains sont si minimes en matière de distance que nous en sommes réduits à compter les cadavres ; si nous en avons moins qu’eux, c’est une “victoire”. » Cette expérience fit aussi naître en lui une haine profonde pour l’Allemagne : « Nous les battrons un jour, mais ils ne seront jamais en mesure d’acquitter leur juste dette, ces salauds, du moins pas dans ce monde. » Son aversion resterait inchangée tout au long de la Deuxième Guerre mondiale ; en 1945, il refuserait de rencontrer quelque commandant allemand que ce soit, mais permettrait à ses subordonnés d’accepter leur capitulation.
Après le choc de son baptême du feu, Crerar se battit avec grande distinction au sein du Corps d’armée canadien. L’artillerie dans laquelle il servit reçut des éloges au sein d’une formation qui mérita un nombre non négligeable d’honneurs parmi les forces de l’Empire britannique. Au cours des années 1915 et 1916, sa loyauté envers ses troupes et sa ville natale influença ses actions. Questionné de manière non officielle, peu après la deuxième bataille d’Ypres, sur la façon dont il voyait son avenir après la « fin permanente de l’affrontement », il nota dans son journal que, bien que réticent à refuser un avancement en grade, il « détestait l’idée de quitter la bande de Hamilton ». Néanmoins, il fut recommandé par son officier commandant, le lieutenant-colonel James Henry Mitchell, qui le disait particulièrement qualifié pour occuper un poste au sein de l’état-major. En août 1915, Crerar fut affecté à l’état-major général divisionnaire « à des fins d’instruction ». Quand sa mission se termina, à la fin du mois, il choisit d’assumer temporairement le commandement de la 10th Battery, même si un poste à l’état-major était la voie la plus rapide pour obtenir une promotion. Il demeura en fonction jusqu’à l’automne et, le 25 mars 1916, retourna commander la 11th Battery en tant que major.
Crerar passa le reste de l’année auprès de ses hommes et entama la suivante avec eux. En avril 1917, durant la bataille de la crête de Vimy [V. Julian Hedworth George Byng*], il fut nommé commandant à titre temporaire avec le rang de lieutenant-colonel suppléant de la 3rd Brigade de la Canadian Field Artillery, quand l’officier commandant fut blessé ; il eut droit à une mention dans les dépêches et fut décoré de l’ordre du Service distingué. Sa situation personnelle – son mariage avec Marion Verschoyle en 1916 et la naissance de leur fille Margaret Elizabeth (surnommée Peg), la mort de son frère cadet Malcolm Charlton en août 1917 (son autre frère, Alastair John, serait grièvement blessé l’année suivante), les effets cumulatifs de la perte de la majorité de ses amis partis à la guerre, ainsi qu’un désir de pouvoir intégrer l’armée permanente après la guerre – l’incita à commencer à chercher un poste au sein de l’état-major divisionnaire. En juillet 1917, après avoir suivi un cours de sept semaines au Staff College de Camberley, en Angleterre, il fut recommandé comme major de brigade de la 5e unité d’artillerie divisionnaire canadienne, formée depuis peu, et il retourna au front en septembre pour remplir ses nouvelles fonctions. Travailleur, méthodique et soucieux du détail, Crerar gravit rapidement les échelons au sein de l’effectif réduit de l’état-major du Corps d’armée canadien pour devenir l’officier d’artillerie clé au quartier général, où il arriva le 21 juin 1918. Crerar s’était déjà fait remarquer par deux personnalités montantes, le lieutenant-colonel Andrew George Latta McNaughton, officier d’état-major de la contrebatterie du corps d’armée, et le major Alan Francis Brooke, officier supérieur de la Royal Artillery britannique. Il noua des liens d’amitié avec les deux hommes, mais ce furent les conseils de McNaughton qui auraient le plus d’importance pour l’avancement de Crerar. Ce dernier fit rapidement ses preuves : son travail d’organisation, ses plans de défense et de barrage d’artillerie pour l’offensive d’Amiens lancée le 8 août – le « jour noir de l’armée allemande » – lui valurent des éloges de la part de ses collègues, en particulier de Brooke, généralement acerbe et critique, ainsi qu’une promotion au grade de lieutenant-colonel. Le 10 novembre, la veille de l’armistice, Crerar succéda à McNaughton, et reçut de ce fait encore plus de marques d’approbation et de reconnaissance.
La Première Guerre mondiale fut traumatisante pour Crerar et les siens, malgré ses succès professionnels. Le stress que vécut sa mère en raison du service de ses trois fils en Europe et de la perte de Malcolm Charlton contribua à la mort de celle-ci, en mai 1919. À cause de sa maladie, Crerar était revenu plus tôt au pays, en mars. Il garderait cependant un souvenir amer du retour de sa batterie. En 1946, il relaterait cet événement : « À la fin de l’été de 1919, je me rendis à la vieille gare du Grand Tronc de Hamilton, pour y accueillir mon ancienne batterie – la onzième. Quand le train régulier arriva, assez tard, lors d’une nuit pluvieuse, une douzaine d’artilleurs épuisés descendirent d’un wagon de deuxième classe. Ce petit groupe fut le seul qui revint à Hamilton de cette excellente batterie, qui comptait quelque deux cents hommes quand elle était partie à la guerre […] Cet épisode me serra la gorge et [fit naître] une pensée dans mon esprit […] J’étais déterminé à ce qu’aucun soldat de la Première Armée canadienne [qu’il commanderait pendant la Deuxième Guerre mondiale] ne vive cette expérience à nouveau. »
Après la guerre, Crerar était tout à fait persuadé que la mise en place d’une armée forte, ou, du moins, formée de soldats de métier, était nécessaire à la protection des intérêts du Canada et à la promotion de sa souveraineté. Il était fier des résultats du Corps d’armée canadien, mais bouleversé par ce qu’il en coûtait pour les obtenir ; ses sentiments influeraient sur sa perception des deux décennies suivantes, où il observerait une diminution dans le nombre de soldats de métier, malgré le désir de sir Arthur William Currie, et d’autres officiers, de garder des hommes expérimentés dans l’armée d’après-guerre. Crerar était également préoccupé par la distance grandissante qui séparait les armées britannique et canadienne, ainsi que par ses effets possibles sur les préparatifs de défense du Canada. Il mettrait en évidence ce qu’il considérait comme un dilemme dans un discours qu’il prononcerait le 31 mars 1926 devant la Royal United Services Institution à Londres, et qui serait publié dans le Canadian Defence Quarterly : « À la fin de la Grande Guerre, les forces armées de l’Empire constituaient une organisation de combat unie. [Malgré les divisions actuelles…] quand la guerre menacera à nouveau […] notre responsabilité en tant que soldats est claire : en prévision de ce jour, [nous devons] préparer l’appareil militaire de l’Empire pour [qu’il soit] le plus efficace possible. » Sa frustration s’intensifierait en raison des tensions internationales qui caractériseraient la fin des années 1930 et du vide laissé dans les politiques militaires et de défense à cause de l’autonomie grandissante du Canada par rapport à la Grande-Bretagne.
En 1919, grâce à un bien reçu de sa mère par voie de succession, qui lui permit de « penser davantage à ce qu’[il] aimerai[t] faire et moins à ce qu’[il] serai[t] autrement obligé de faire », Crerar avait décidé de poursuivre une carrière dans l’armée permanente, et, en mars 1920, il devint officier d’état-major auprès du sous-inspecteur général de l’artillerie, sir Edward Whipple Bancroft Morrison*, à Ottawa. Il travailla dur à l’exercice de ses responsabilités, qui comprenaient la mise en œuvre de la réorganisation des milices permanente et non permanente, ainsi que des écoles royales d’artillerie. En 1922, il irrita quelques personnes quand il proposa de donner à la Royal Canadian Horse Artillery Brigade le nom de 1st Brigade, Royal Canadian Field Artillery. D’abord acceptée, son idée fut finalement rejetée, en grande partie pour des raisons d’attachement sentimental. Bien que mécontent de ses perspectives d’avenir dans les années 1920, Crerar eut la chance de passer une partie de la décennie au Royaume-Uni. Il y noua de nouvelles amitiés et renforça celles qu’il entretenait déjà avec certains des plus hauts dirigeants de l’armée britannique qui joueraient un rôle important dans la Deuxième Guerre mondiale. Le Staff College de Grande-Bretagne réservait deux places pour les Canadiens ; Crerar et Georges-Philéas Vanier arrivèrent à Londres à la fin de 1922, puis commencèrent le cours de deux ans en janvier 1923. Après avoir obtenu son diplôme, Crerar reçut une affectation de deux ans au ministère de la Guerre. À cette époque, il vivait avec sa femme et ses deux enfants (Peter Duncan était né en 1922) à Londres, ou dans ses environs. Attaché aux opérations militaires, il dirigeait la section qui s’occupait de la défense nationale, et sa responsabilité principale était l’organisation des batteries côtières. Son supérieur, le colonel Archibald Percival Wavell, le décrivit comme « un excellent officier doué de très grandes aptitudes ». Crerar espérait obtenir une place au sein de l’état-major général à Ottawa ; en avril 1927, en attendant la libération d’un poste, il assuma le commandement de la B Battery de la Royal Canadian Horse Artillery à Kingston. Au lieu de cela, il fut nommé, en octobre, professeur de tactiques au Royal Military College, et devait entrer en fonction à partir de janvier 1928. Sa réaction à cette nomination donne une petite idée à la fois de l’ambition et des démons qui animaient Crerar. Considérant cette affectation comme une rétrogradation et un jugement défavorable de ses capacités, il écrivit des lettres d’indignation à McNaughton, qu’on préparait à assumer le poste de chef d’état-major général. Crerar eut la sagesse de décharger la plus grande partie de sa colère dans un brouillon ; à la maison, on avertit les enfants de le laisser tranquille. Il rédigea des versions plus modérées de ces lettres qu’il envoya, avec des copies d’évaluations positives récentes, à d’autres amis du ministère de la Défense nationale. Même s’il insista sur le fait qu’il aimait son travail au Royal Military College, il croyait que le rang associé à cette position signifiait que ses supérieurs ne le considéraient pas « aussi méritant qu’[il] l’avai[t] été » et suggéra que, « dans l’intérêt général, mis à part le [s]ien, le dossier devrait être examiné ». La réaction exagérée de Crerar illustrait son besoin continuel d’être rassuré. « Il sous-estimait plutôt ses capacités, se rappelait son ami Orde. Parfois, il me donnait l’impression qu’il avait besoin d’encouragements pour être à la hauteur. »
Calmé par les assurances que cette nomination n’était pas une rétrogradation, Crerar s’habitua à la vie au collège. Il était un maître de conférences direct et efficace, mais quelque peu ennuyeux. Sa carrière dans le domaine de l’enseignement se termina brusquement quand McNaughton devint chef d’état-major général, au début de 1929. « Après de nombreuses années d’attente, écrivit-il à Crerar, nous serons maintenant en mesure de mettre en application certaines des idées sur la réorganisation d’après-guerre qui nous amenèrent, toi et moi, à nous joindre à l’armée permanente. » Il nomma son collègue de l’époque de la guerre officier supérieur d’état-major au Directorate of Military Operations and Intelligence ; Crerar assuma ce poste à partir du 1er mai. Ses responsabilités principales consistaient à élaborer des mesures stratégiques et à organiser les préparatifs de guerre du pays, des tâches qui incluaient la production d’articles sur la mobilisation, de résumés sur les positions stratégiques du Canada dans divers endroits, de l’Arctique au canal de Panama, et d’analyses sur les conséquences des développements internationaux.
Crerar jouait un rôle important dans le plan de McNaughton, qui visait à augmenter l’influence de l’armée sur la politique de défense. Il se distinguait au sein d’un petit groupe : l’effectif de la section de l’armée, qui se trouvait dans le Woods Building au quartier général du ministère de la Défense nationale à Ottawa, passa de 48 personnes en 1929 à seulement 69 au début de 1939. À cette étape de sa carrière, il commença à acquérir de l’expertise en matière d’affaires internationales et interimpériales. Des conférences publiques et des travaux sur des sujets abordés à des fins politiques tempérèrent les idées de Crerar sur un certain nombre de questions. Son point de vue sur les liens du Canada avec l’Empire changea considérablement sur le plan intellectuel. Dans ses discours et sa correspondance, il mit les responsabilités de l’armée canadienne à l’échelle internationale dans le contexte des événements des années 1920, puis appuya la vision pragmatique qui se dégagea, en 1926, de la Conférence impériale, ainsi que du rapport Balfour sur l’autonomie et l’égalité des dominions et de la Grande-Bretagne. Il acceptait le principe selon lequel les dispositions du dominion en matière de défense locale faisaient partie de la défense de l’Empire, mais continuait de croire que la première ligne de défense du Canada était la Grande-Bretagne, surtout parce que le pays tirait avantage de la possibilité de se servir des ressources et des institutions militaires britanniques. Percevant qu’il était important que Whitehall reconnaisse les avantages de l’égalité, Crerar insista, particulièrement de façon non officielle, pour établir des liens plus personnels avec des officiers britanniques. Sa participation en 1931–1932 à un sous-comité interdépartemental qui examina les implications du statut de Westminster sur les liens militaires entre la Grande-Bretagne et le Canada lui permit d’approfondir sa compréhension des changements dans la relation entre les deux pays et le persuada encore plus que ces liens étaient précieux. Pendant les années 1930, il se décrirait comme étant à la fois un « sujet britannique et un ressortissant canadien ».
En 1931, McNaughton suggéra à Crerar d’orienter son avenir vers le domaine diplomatique plutôt que vers l’armée, peut-être parce qu’il voulait des liens plus solides avec le ministère des Affaires extérieures. Il lui proposa un poste sous les ordres du major William Duncan Herridge, ministre représentant le Canada à Washington. Crerar, qui n’était pas convaincu, fournit une longue justification rationnelle sur sa décision de rester dans l’armée ; il mentionna notamment les difficultés professionnelles et financières liées à un changement de carrière à l’âge de 43 ans. Il indiqua clairement qu’il espérait accéder, un jour, au poste qu’occupait McNaughton. En 1932, il devint conseiller technique sur les questions militaires auprès de la délégation canadienne qui assista à la première, et aussi la plus grande, Conférence internationale sur le désarmement de la Société des nations, à Genève. Grâce à cette nomination, Crerar rencontra de futures sommités, comme les fonctionnaires Norman Alexander Robertson et Lester Bowles Pearson*, tous deux des Affaires extérieures, l’érudit Escott Meredith Reid* de l’Institut canadien des affaires internationales [V. Newton Wesley Rowell*] et le professeur Francis Reginald Scott* de la McGill University à Montréal. Même si l’armée accordait les promotions avec une extrême lenteur, Crerar fut reconnu comme un homme d’avenir ; ce statut se confirma quand McNaughton le désigna pour fréquenter l’Imperial Defence College de Grande-Bretagne en 1933–1934. En mai 1933, Crerar et sa femme eurent un troisième enfant, Susan Anna, mais le bébé mourut le mois suivant, aussi le couple était-il heureux de changer d’endroit. La famille quitta Rockcliffe, en banlieue d’Ottawa, pour aller s’installer dans une petite maison située à 20 milles au sud de Londres (Peg était déjà pensionnaire dans une école anglaise).
La mission de l’Imperial Defence College, fondé en 1927, était de favoriser une plus grande compréhension du haut commandement militaire et de faciliter de bonnes relations entre les forces armées et les ministères civils responsables de la défense, des domaines où des faiblesses s’étaient révélées durant la Première Guerre mondiale. Au cours d’une année, les étudiants examinaient des problèmes stratégiques concernant la sécurité impériale en Europe, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient en se penchant sur les forces et les faiblesses de l’Empire, ainsi que sur celles de ses adversaires les plus probables. Le thème central du programme d’enseignement correspondait au point de vue de Crerar relativement aux grandes leçons tirées de la guerre. Pourtant, même si l’Imperial Defence College ne le dissuada pas de croire en l’importance des rapports avec l’Empire, Crerar fut troublé par la vision étroite des Britanniques en matière de défense impériale. Il trouvait que la Grande-Bretagne n’appréciait pas à sa juste valeur le nouvel arrangement constitutionnel officialisé par le statut de Westminster en 1931.
Malgré ses inquiétudes, Crerar réussit bien au collège. Le commandant responsable de l’établissement, le vice-amiral sir Lionel George Preston, dit de Crerar qu’il était populaire et qu’il figurait « parmi les trois premiers des vingt-six [étudiants] du collège », tandis que le rapport confidentiel écrit à la fin de l’année indiquait qu’il était « un étudiant sérieux et intelligent dans tous les aspects des affaires extérieures et des relations interimpériales. Sa détermination discrète et ses analyses judicieuses [avaient] beaucoup impressionné tant le personnel que les étudiants, ce qui lui [avait] grandement servi pour mettre en évidence […] la vraie position du Canada en matière de défense. » Les éloges faits par des officiers supérieurs britanniques garantirent presque la nomination de Crerar au poste de directeur des opérations et du renseignement militaires à son retour au Canada, au début de 1935. Il occuperait cette position influente jusqu’en 1938 ; pendant cette période, il établirait les plans qui orienteraient l’armée pendant la Deuxième Guerre mondiale et apprendrait les leçons politiques qui guideraient son approche en matière d’expansion de l’armée. Son programme était ambitieux. Comme la situation internationale se détériorait, il préconisa la mise en œuvre de préparatifs de défense plus efficaces, ce qui nécessiterait des changements dans les politiques gouvernementales et dans le rôle de l’armée relativement à ces dernières. Son empressement à entretenir une bonne communication avec la Grande-Bretagne dépassait parfois les connaissances qu’il avait acquises à Ottawa et à Londres. Il pressa notamment McNaughton d’encourager le premier ministre Richard Bedford Bennett* à faire une visite à l’Imperial Defence College quand il serait à Londres, une rencontre qui aurait horrifié le sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Oscar Douglas Skelton*, qui exerçait beaucoup de pouvoir et se méfiait depuis longtemps de l’enthousiasme de Crerar pour la coopération et l’engagement au sein de l’Empire.
Travaillant sous l’autorité du major-général Ernest Charles Ashton, nouveau chef d’état-major général, et aidé par des officiers exemplaires, comme le major Maurice Arthur Pope*, Crerar continua d’aller de l’avant. Dans des écrits successifs sur les besoins militaires du Canada, Crerar et Pope rétablirent les priorités de l’état-major général. Le projet de l’armée qui consistait à envoyer un corps expéditionnaire se battre à l’étranger faisait partie du plan de défense no 3, que Pope avait commencé à réviser en 1934 ; ce projet devint rapidement un élément central de la stratégie de mobilisation. Il devint fondamental de réorganiser la milice, de nouer des liens plus solides avec les Affaires extérieures, d’échanger des renseignements avec des homologues du ministère britannique de la Guerre et, par-dessus tout, d’élaborer des politiques gouvernementales relatives aux préparatifs de défense.
Au milieu et à la fin des années 1930, Crerar travailla durement à créer un sentiment d’urgence, pendant que le pays renversait peu à peu la situation de déclin de la défense, qui résultait de nombreuses années de laisser-aller. Il était calculateur. Pour faire contrepoids à l’impression que l’armée mettait davantage l’accent sur la défense de l’Empire que sur celle du pays, la dépendance du Canada envers la Grande-Bretagne sur le plan de l’expertise fut présentée, avec exactitude, comme de plus en plus nécessaire pour le domaine militaire, limité par des contraintes d’ordre budgétaire et politique, et comme la solution logique à la stagnation totale. Bien que désagréable pour le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King*, qui avait pris le pouvoir en 1935, la certitude du Joint Staff Committee (dont Crerar était le secrétaire) que le Canada s’impliquerait dans la crise qui s’annonçait en Europe montrait une compréhension des changements survenus dans la relation du pays avec la Grande-Bretagne et de ses conséquences sur la politique militaire, qui échappait parfois aux représentants officiels des Affaires extérieures, comme Skelton ou le conseiller juridique du ministère, Loring Cheney Christie*. Les évaluations de Crerar sur la détérioration de la situation internationale s’avérèrent également intelligentes. L’analyse des ambitions nazies, qu’il fit après une courte visite en Allemagne, en juin 1937, en était un exemple. Il conclut que l’Allemagne était une « nation extrêmement dynamique, déterminée à dépasser d’ici peu ses limites actuelles et, par conséquent, de plus en plus dangereuse pour les Européens, et même, pour la paix mondiale ». En privé, il déclara qu’il était « à la fois impressionné et déprimé par ce qu’[il avait vu] ». En octobre, il prédit que, malgré les problèmes présents en Europe, comme la menace nazie contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie, une « grande guerre » dans laquelle l’Empire britannique serait entraîné était peu probable dans les deux années à venir ; elle éclaterait pourtant.
Les actions de Crerar révélaient à l’occasion un manque d’intuition politique surprenant. Vers la fin de 1936, il accorda un entretien privé sur les problèmes du Canada en matière de défense et la possibilité d’une guerre contre le Japon, dont une version plus dramatique fit l’objet d’une fuite dans les médias. Crerar et d’autres officiers de l’armée permanente furent muselés, et il dut présenter des excuses officielles à l’ambassadeur du Japon. Durant la Conférence impériale à Londres en 1937, les liaisons entre les autorités militaires canadiennes et britanniques qui avaient été encouragées par Crerar devinrent un enjeu après que Skelton eut attiré l’attention de King sur le fait que la Grande-Bretagne était très informée sur les plans du Canada. Le premier ministre consulta le ministre de la Défense Ian Alistair Mackenzie*, mais confia la gestion des renseignements militaires aux Affaires extérieures. King avertit également ses officiers haut gradés, particulièrement Crerar, d’éviter « toute conversation […] qui pourrait être interprétée […] comme un engagement d’ordre militaire ». Crerar remarquerait plusieurs années plus tard qu’il faillit démissionner en 1937 en raison de la frustration que lui causait l’ingérence du major-général Léo Richer La Flèche*, sous-ministre de la Défense. L’armée était tenue à distance des discussions sur les politiques et les stratégies. Skelton et Christie s’opposèrent vigoureusement aux efforts de l’état-major général visant à établir des sous-comités interdépartementaux conçus selon le modèle du Committee of Imperial Defence de Grande-Bretagne.
Malgré des hauts et des bas sur le plan professionnel, la qualité de vie des Crerar dans les années 1920 et 1930 était, en général, largement supérieure à celle de la plupart des Canadiens. Peg se souviendrait des années 1930 comme étant une période « idyllique » et « surréaliste ». Crerar et sa femme aimaient tous les deux la voile, la pêche et le tennis. En été, soit ils allaient rendre visite à la sœur de Crerar, Violet Marie, à l’île Loon, soit ils passaient du temps avec des membres de la famille Cronyn au lac Simcoe. Le rassemblement d’oncles, de tantes, de cousins et de cousines comptait souvent une trentaine de personnes ou plus. Pendant les séjours chez Violet Marie, on prenait le thé, on dînait en tenue de ville et on soupait en tenue de soirée, des éléments qui rappelaient les rituels des jeunes années de Crerar dans sa famille, mais que ce dernier n’adopta pas dans son propre foyer. Il se passionna de plus en plus pour le golf ; on le disait d’un abord difficile après une mauvaise partie.
Crerar fut nommé commandant du Royal Military College en août 1938. Après avoir été lieutenant-colonel pendant 20 ans, la promotion de Crerar au rang de brigadier par intérim était la bienvenue, et était méritée. La période où il fut en fonction fut marquée par la visite du roi George VI et de son épouse, la reine Elisabeth, le 21 mai 1939, et par le fait qu’il prit conscience qu’il ne resterait pas à ce poste bien longtemps. Son travail au collège fut influencé par l’approche de la guerre et sa participation à l’élaboration de plans de mobilisation. Après la crise de Munich, en octobre 1938, Crerar avait recommandé d’officialiser le rôle du collège durant un conflit. Dans les mois suivants, pour participer aux préparatifs de défense, il devrait passer, selon ses calculs, trois jours par semaine à Ottawa.
Quand la guerre éclata en septembre 1939, Crerar, craignant d’être oublié, écrivit à quiconque pourrait l’aider à trouver un poste à l’étranger. Il s’inquiétait à tort. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il occuperait successivement des positions supérieures dans l’état-major et des postes opérationnels. Dans de nombreux cas, il conçut lui-même la description de tâches. Après avoir fait pression, en vain, pour obtenir une promotion au grade de major-général, il fut envoyé en Angleterre, en octobre, à titre de brigadier d’état-major général ; il serait ensuite nommé officier combattant supérieur au quartier général de l’armée canadienne. McNaughton devint l’officier général commandant la 1re division canadienne d’infanterie et arriva à Londres en décembre. Crerar fut un élément stabilisateur mais énergique pendant la drôle de guerre, à l’hiver de 1939–1940. Il établit de bons rapports avec le haut-commissaire du Canada, Charles Vincent Massey, qui communiquait les politiques adoptées par le gouvernement à Ottawa. Responsable de la transmission des renseignements militaires au commissaire, Crerar avait une idée claire de ce qu’il fallait pour vaincre l’Allemagne et ne se faisait aucune illusion sur la durée de la guerre ni sur les efforts énormes que les armées alliées devraient déployer. Son état-major incluait le colonel Percival John (Price) Montague et le lieutenant-colonel Eedson Louis Millard (Tommy) Burns*. Conscient de l’importance de bien travailler avec les Britanniques, Crerar acquit plus de reconnaissance et d’influence. Son équilibre contrastait avec la versatilité de McNaughton ; néanmoins, les deux hommes croyaient à la nécessité de défendre l’autonomie du Canada.
En juillet 1940, Crerar retourna à Ottawa en tant que sous-chef d’état-major général de l’armée ; il aurait cependant préféré avoir un commandement en campagne, selon ce qu’il affirma à McNaughton. Le major-général Thomas Victor Anderson, chef d’état-major général, prit sa retraite ce mois-là, ce qui mit Crerar à la tête de l’organe de planification et de gestion de l’armée, où il poursuivit avec dynamisme des idées d’agrandir les troupes et de réorganiser la formation, la logistique et le quartier général afin d’améliorer leur efficacité. Il voulait également poser les bases pour établir une armée qui serait davantage formée de soldats de métier après la guerre et estimait que tout changement qui n’aborderait pas cet objectif serait inutile. Il dit à James Layton Ralston*, devenu ministre de la Défense nationale en juillet 1940 après la mort de Norman McLeod Rogers*, qu’« [ils] ne dev[aient] plus perdre un seul instant dans la mise en œuvre d’une analyse approfondie des exigences militaires d’après-guerre du Canada et dans la planification d’une organisation de défense qui répondr[ait] aux futurs besoins [du pays] en matière de service avec un maximum d’efficacité et un minimum de dépenses ». En privé, il maintenait catégoriquement que « les forces armées du Canada […] ne ser[aient] pas laissées à l’abandon [et] ne retourner[aient] pas à leur état de stagnation d’avant-guerre ». Pendant qu’il occupait le poste de chef d’état-major général, l’un de ses obstacles fut le premier ministre King, qui craignait que le nombre de morts et de blessés ne mène à la conscription, question qui avait divisé le pays durant la Première Guerre mondiale [V. sir Robert Laird Borden]. Les efforts que Crerar faisait pour s’assurer que Ralston tienne compte de ses conseils et lui accorde son soutien étaient liés à cette question problématique.
Les réalisations de Crerar en tant que chef d’état-major général révélaient un homme au sommet de sa forme. La chute de la France, en juin 1940, accéléra tous les aspects de l’effort de guerre du Canada. Sous Clarence Decatur Howe*, le ministère des Munitions et des Approvisionnements, fortement soutenu par des sociétés de la couronne, commença à fournir de grandes quantités d’équipement et de matériel. Durant l’été, Crerar réussit à convaincre Ralston de créer le 1er corps d’armée canadien en réunissant les deux divisions d’infanterie qui se trouvaient déjà en Angleterre et une division blindée qui devait être mise sur pied sous peu ; il proposa d’ajouter en 1941 une quatrième division d’infanterie et d’autres forces blindées. Il insista sur le fait que les recrues avaient besoin de quatre mois d’entraînement obligatoire plutôt que de 30 jours, une idée qui fut acceptée, en principe, en octobre. Le mois suivant, Ralston partit pour Londres afin de s’entretenir avec le gouvernement britannique de la manière dont le Canada pourrait le mieux contribuer à l’effort de guerre global. À son retour, au début de 1941, Ralston appuya les recommandations de Crerar concernant l’expansion de l’armée, à la plus grande satisfaction de ce dernier, et le comité de guerre accorda son approbation lors d’une réunion le 8 janvier. Ses initiatives en matière de politiques furent complétées par sa consolidation du poste de chef d’état-major général en tant que principal conseiller militaire du gouvernement, rôle qu’il croyait crucial pour la stabilité à long terme.
Toutefois, le travail de Crerar à titre de chef d’état-major général mit aussi en évidence ses faiblesses. Malgré ses succès, ou peut-être à cause d’eux, l’importance qu’il accordait à son autorité donnait surtout l’impression que Crerar cherchait à augmenter son pouvoir personnel en s’efforçant de devenir le « premier parmi ses pairs », ceux-ci étant les chefs des divisions administratives de l’état-major général, tels que le maître général de l’artillerie et le quartier-maître général. Pour les hommes politiques canadiens, il était sans importance que les homologues de Crerar en Grande-Bretagne et aux États-Unis eussent l’influence que ce dernier cherchait à obtenir, car il y avait des différences d’ordre organisationnel et des commandants en chef bien disposés dans ces pays. Le contrôle qu’exerçait Crerar sur la sélection des candidats pour les postes d’état-major créés par l’expansion de l’armée et son insistance à réclamer une promotion au grade de lieutenant-général dans le but avoué d’affermir sa position alimentèrent l’impression qu’il désirait se mettre en valeur. Wilfred Victor Sifton, qui devint maître général de l’artillerie grâce aux recommandations de Crerar, confia au journaliste Alexander Grant Dexter, en mars 1941 : « [Ralston] pense que Crerar est peut-être un soldat aussi valable [que les autres] pour le poste au Canada, mais [il] trouve qu’il a de grandes faiblesses de caractère. Il est extrêmement ambitieux et cherche constamment à s’arroger toutes les affaires du ministère. » Le ministre était contrarié, mais se sentait impuissant. En juin, Dexter laissa entendre que Ralston « détest[ait] Crerar [et qu’il] mépris[ait] l’état-major général dans sa totalité ». Consterné par le fait que l’armée demandait continuellement des hommes, Ralston aurait admis en octobre qu’« il était ministre, mais [qu’il] devait suivre les conseils de son état-major formé de soldats de métier. En tant que civil, il ne pouvait pas écarter ses conseillers simplement parce qu’il n’était pas du même avis qu’eux. Ils étaient au courant et lui ne savait rien. » De plus, Ralston prétendait que « Crerar refusait de lui donner des conseils qui permettraient d’utiliser à bon escient les recrues actuelles ». Néanmoins, le ministre finit par appuyer les suggestions de Crerar.
Crerar se fit des ennemis dans sa lutte fructueuse pour l’expansion de l’armée et l’amélioration de sa situation. En définitive, le soutien qu’il accorda à la décision, à l’automne de 1941, de faire partir deux bataillons canadiens pour la garnison britannique de Hong Kong fut encore plus controversé. La requête venait de Whitehall, qui tenait à envoyer un message de dissuasion aux Japonais. Les services de renseignements britanniques surestimèrent l’effet qu’aurait une démonstration de la disponibilité opérationnelle de l’armée et sous-estimèrent la probabilité que Hong Kong soit attaquée. Selon Crerar, entre autres, il existait des considérations d’ordre moral et politique : le Canada ne pouvait pas se détourner des missions potentiellement dangereuses que ses alliés étaient prêts à entreprendre, et l’on pensait qu’une démonstration de la solidarité au sein du Commonwealth aurait un effet dissuasif qui diminuerait les chances de guerre contre le Japon. Crerar croyait aussi que les troupes canadiennes devaient se lancer dans la lutte. Sous le commandement du brigadier John Kelburne Lawson*, des soldats des Winnipeg Grenadiers et des Royal Rifles of Canada arrivèrent à Hong Kong le 16 novembre. La garnison tomba aux mains des Japonais le 25 décembre, et tous les Canadiens furent capturés ou tués. George Alexander Drew*, chef des conservateurs de l’Ontario, accusa le gouvernement fédéral d’incompétence, déclarant que les hommes envoyés n’avaient pas été suffisamment formés. Crerar, qui était alors en Angleterre, fut rappelé au Canada au printemps de 1942 pour se présenter devant la commission royale mise en place afin de faire une enquête sur ce désastre ; seule l’intervention de commandants en chef britanniques et canadiens lui permit de rester à Londres, où il répondit à des questions écrites. Le rapport du juge en chef sir Lyman Poore Duff* innocenta presque toutes les personnes impliquées dans l’affaire, y compris Crerar ; Drew et d’autres gens prétendirent que cela n’avait servi qu’à étouffer l’affaire.
Crerar avait fait pression sur McNaughton pour obtenir un poste opérationnel qui le placerait auprès de troupes en Grande-Bretagne qui attendaient d’être envoyées au combat. Le 19 novembre 1941, il avait reçu en récompense le commandement de la 2e division canadienne d’infanterie, qui se trouvait dans le sud-est de l’Angleterre, après la retraite du major-général Victor Wentworth Odlum*. À Ottawa, le lieutenant-colonel Kenneth Stuart* prit la relève à l’état-major général. Le 23 décembre, Crerar, promu au grade de lieutenant-général, était devenu commandant intérimaire du 1er corps d’armée canadien, en remplacement du major-général George Randolph Pearkes*, qui avait pris temporairement la place de McNaughton, épuisé. Ce dernier voulut d’abord que Pearkes reste à son poste un peu plus longtemps, pour que Crerar puisse acquérir plus d’expérience à la tête d’une division, mais la promotion de Crerar et les préoccupations des Britanniques au sujet de Pearkes le firent changer d’avis. Le 6 avril 1942, le quartier général de la 1re armée canadienne fut établi sous McNaughton (revenu à ses fonctions depuis peu) ; Crerar fut alors nommé officier général commandant du corps d’armée, qui devint le 1er corps d’armée canadien. La première (et la seule) armée de campagne du Canada, elle représentait une réalisation remarquable pour un pays comptant seulement 11 millions d’habitants ; sa création était attribuable principalement aux efforts de Crerar. La période où il occupa son poste dans ce corps d’armée se terminerait le 19 mars 1944 et fut caractérisée par des progrès constants en matière d’efficacité. Crerar adopta un certain nombre d’approches pour rendre la formation plus réaliste et éliminer les officiers inefficaces, en suivant de nombreux conseils et politiques recommandés par le lieutenant-général britannique Bernard Law Montgomery, commandant en chef du South Eastern Command, auquel avait été rattaché le 1er corps d’armée canadien. Montgomery, qui était alors le supérieur immédiat de Crerar, proposa le renvoi d’un certain nombre d’officiers canadiens, dont Pearkes. Crerar cherchait des possibilités d’expérience d’opérations pour ses hommes et lui afin de maintenir le moral, garder l’armée à la vue du public et satisfaire le désir du Canada de passer à l’action (beaucoup d’hommes se trouvaient en Grande-Bretagne depuis presque trois ans). Plus important encore, il voulait aguerrir ses troupes inexpérimentées et améliorer ses propres connaissances du commandement sur un champ de bataille.
Ces raisons guidèrent le soutien de Crerar pour la participation canadienne à des raids de petite envergure, qui mena au déploiement de près de 5 000 Canadiens sous les ordres du major-général John Hamilton Roberts à Dieppe, en France, le 19 août 1942, l’un des jours les plus sanglants de l’histoire militaire canadienne. Environ 68 % des hommes qui s’étaient embarqués furent tués, blessés ou faits prisonniers. Crerar estimait, et il n’était pas le seul, que les leçons apprises pendant cet événement valaient bien son coût tragique : en mai 1944, King noterait que Crerar lui avait dit qu’« une bonne partie du plan actuel [pour le débarquement de Normandie] était fondée sur l’expérience acquise à Dieppe ». Crerar sortit encore une fois indemne, sur le plan professionnel, d’un fiasco militaire. D’ailleurs, sa réputation crût au fur et à mesure de l’évolution du 1er corps d’armée canadien en une formation de combat exceptionnelle. Montgomery, qui n’était pas un admirateur du haut commandement canadien, déclara que Crerar avait réussi « à merveille » durant l’important exercice militaire Tiger (19–31 mai 1942) ; pour l’exercice Spartan (4–12 mars 1943), il reçut des éloges de la part de son vieil ami Brooke, alors chef de l’état-major général impérial. En raison des événements de Dieppe, l’amélioration de la formation était devenue la priorité de Crerar et son désir d’acquérir de l’expérience opérationnelle fut renforcé ; il tenta, en vain, d’être envoyé en Afrique du Nord sous les ordres de Montgomery, qui avait pris là-bas le commandement de la 8e armée le 13 août.
Continuant de croire que les Canadiens devaient participer à un théâtre d’opérations actif, Crerar se convainquit que le principal obstacle était son mentor, McNaughton : ce dernier avait perdu la confiance des dirigeants britanniques qui considéraient comme médiocre sa performance au cours de l’exercice Spartan. Le fossé grandissant entre les deux hommes devint évident à l’automne de 1942, où Crerar se montra totalement en désaccord avec son commandant, qui insistait pour que les troupes canadiennes se battent en une seule formation plutôt qu’en petites unités, comme le dictaient les besoins des Alliés. En outre, Crerar, qui ne se contentait plus d’être un protégé, était contrarié par les tentatives de McNaughton de le garder à l’écart des questions d’ordre politique. Les rapports s’envenimèrent lorsque Crerar participa de plus en plus activement à la campagne britannique (et canadienne) visant à destituer McNaughton. Stuart et d’autres gens au Canada étaient au courant de ses préoccupations. Le 31 mars 1943, Crerar discuta du sujet avec Brooke et exprima clairement ses inquiétudes à Massey et à Ralston. Quand le gouvernement canadien autorisa l’envoi de la 1re division canadienne d’infanterie et d’un groupe de chars d’assaut pour participer à l’invasion de la Sicile, McNaughton accepta après avoir reçu l’assurance que les troupes seraient de retour avant le début des opérations d’invasion du continent. La décision, prise ultérieurement, d’envoyer plus d’hommes contribua à provoquer une crise. McNaughton estimait qu’il ne pouvait pas appuyer ce choix et, blâmant Ralston et Stuart pour leur conduite qu’il trouvait sournoise, il démissionna le 31 décembre 1943, puis retourna au Canada. Crerar, qui accordait beaucoup d’importance à la loyauté, s’était montré déloyal, mais, comme il croyait que McNaughton n’était plus en mesure d’accomplir son travail, son choix était clair. Néanmoins, sa nomination pour succéder à McNaughton n’était pas assurée. Sa candidature était appuyée par des officiers supérieurs britanniques, dont Brooke ; Montgomery refusait toutefois de donner son approbation, parce que Crerar n’avait pas encore montré ses capacités en situation de combat et parce que d’autres membres des cercles militaires britanniques, dont le général sir Bernard Charles Tolver Paget, doutaient de l’utilité de conserver un quartier général pour l’armée de campagne canadienne. Ils s’inclinèrent cependant devant le sentiment des Canadiens et soutinrent Crerar. Brooke dit à Montgomery : « J’ai eu des liens étroits pendant environ un an et demi avec les Canadiens durant la dernière guerre et je sais bien quels sont leurs sentiments. Ils insisteront pour que les forces canadiennes soient commandées par des Canadiens. » Laissant entendre que les Canadiens étaient « très susceptibles et puérils », il poursuivit en disant que « [Montgomery] devr[ait] instruire [Crerar] », mais qu’il était sûr que ce dernier ne le laisserait pas tomber. Montgomery se montrait plus sceptique, même s’il appréciait toujours Crerar sur le plan personnel à ce moment-là.
La libération de la Sicile se termina au début d’août 1943. La décision d’utiliser la 1re division canadienne d’infanterie et la 1re brigade blindée canadienne dans l’invasion de l’Italie continentale avait été confirmée ; les propositions canadiennes d’envoyer Crerar, le quartier général de son corps d’armée et des blindés supplémentaires (finalement la 5e division blindée canadienne) furent débattues pendant deux mois. L’envoi du 1er corps d’armée canadien en Italie fut une décision politique peu populaire chez les Alliés. Le général Dwight David Eisenhower, commandant suprême des forces alliées en Méditerranée, jugeait qu’il n’avait pas immédiatement besoin d’un autre quartier général de corps d’armée, tandis que ses deux adjoints, le lieutenant-général britannique Harold Rupert Leofric George Alexander, qui n’avait pas été consulté, et Montgomery se plaignaient qu’une autre division d’infanterie ait été préférable à une division blindée. En fin de compte, il fut décidé d’accepter les troupes canadiennes, et Crerar arriva le 29 octobre. Son quartier général et ses hommes suivirent peu de temps après. Devenu complètement opérationnel le 1er février 1944, le 1er corps d’armée canadien comprenait la division d’infanterie sous les ordres du major-général Christopher Vokes* et la 5e division blindée canadienne, alors sous le commandement du major-général Burns. Le mauvais temps et l’attention prioritaire que portaient les Alliés sur les opérations dans l’ouest de l’Italie empêchèrent Crerar de mener ses hommes dans l’action avant son départ, le 4 mars. Le corps d’armée continuerait les combats en Italie pendant une autre année.
Crerar acquit une solide réputation grâce à la réorganisation et à la stabilisation du quartier général du corps d’armée, mais il était aussi perçu comme quelqu’un de pointilleux en matière de procédures et de discipline qui fit augmenter considérablement les tâches administratives ; il était également vu comme un « oncle Harry » bienveillant dont l’autorité ne ressemblait pas à celle d’un commandant de campagne. Il travailla sous les ordres du lieutenant-général sir Oliver William Hargreaves Leese, qui avait succédé à Montgomery à la tête de la 8e armée et qui, comme lui, se méfiait du manque d’expérience du Canadien. Crerar entretenait aussi des rapports tendus avec son subordonné, le brillant, quoique très nerveux, major-général Guy Granville Simonds*, qui était l’un des protégés de Montgomery et qui, selon ce dernier, possédait plus d’aptitudes que Crerar pour le haut commandement. En décembre 1943, un incident mineur causa un échange acrimonieux de lettres bizarres : Crerar avait envoyé un officier mesurer la roulotte de Simonds pour se faire construire un véhicule semblable à celui-ci, et Simonds, qui dirigeait sa division au combat dans la partie centrale de l’île depuis environ six mois, réagit avec colère. Inquiet des aptitudes de son subordonné à assumer d’importantes responsabilités, Crerar ordonna une évaluation psychiatrique de Simonds, qui fut déclaré apte à poursuivre ses activités. Aucun des deux officiers ne sortit indemne de cette dispute, mais les actions de Crerar ne laissèrent aucun doute dans l’esprit de Montgomery quant aux capacités respectives des deux hommes.
Crerar retourna en Angleterre, prit le commandement de la 1re armée canadienne le 20 mars 1944 et commença à se préparer pour le rôle qu’elle allait jouer dans le débarquement de Normandie, prévu en juin, qui marquerait le début de l’invasion alliée dans la France occupée par les nazis. Il s’imposa au sein de l’état-major du quartier général de l’armée, duquel il exigea beaucoup, et se concentra de nouveau essentiellement sur la stabilisation, la formation et la planification, processus entamé avec hésitation par le brigadier Clarence Churchill Mann et d’autres officiers supérieurs. Sans grand enthousiasme, une campagne fut mise en œuvre pour calmer les inquiétudes au sujet du changement de commandement ; il y eut notamment des tentatives avortées de présenter Crerar comme le « tigre de Hamilton ». Ce dernier n’était cependant pas à l’aise avec le côté public de son poste. D’un physique peu imposant, il était réservé, correct et préoccupé par la forme et le détail ; sa froideur cachait un homme timide, conscient de son image. Son apparence impeccable, qu’il soignait de façon presque trop recherchée, et sa manière calme et lente de s’exprimer – « un peu comme s’il donnait un cours plutôt ennuyeux », remarqua un subordonné – renforcèrent son image guindée. Il insistait pour que ses officiers et ses soldats se donnent autant de mal que lui pour soigner leur apparence, convaincu que cela reflétait et renforçait la discipline, le moral et l’estime de soi. Cependant, le major Charles Perry Stacey*, qui le vit réprimander sévèrement l’un de ses hommes, estimait qu’il y avait « un élément de terreur » dans sa manière de commander. Mann, chef d’état-major au quartier général de la 1re armée canadienne, se rappelait que Crerar ne tolérait jamais moins que « l’effort maximal de la part de l’un ou l’autre de ses proches subordonnés ». À ces caractéristiques venaient s’ajouter son esprit caustique et son franc-parler, qui lui valurent l’amitié et le respect de nombreux collègues. De plus, il était dévoué à ses troupes, même si celles-ci ne l’aimaient pas.
Crerar livra une chaude lutte pour faire respecter l’autonomie du Canada par la Grande-Bretagne et les autres pays alliés. Cette attitude créa des problèmes politiques pour Brooke, qui était bien au courant de la susceptibilité nationale ; Montgomery, qui dirigeait alors le 21e groupe d’armées, duquel faisait partie la 1re armée canadienne, aurait préféré traiter les forces armées venant des dominions comme des troupes britanniques. Montgomery favorisait Simonds entre autres parce que ce dernier se concentrait sur les considérations militaires et laissait de côté les questions politiques. Ce même trait de caractère était une source d’inquiétudes pour Crerar, qui nota que « le principal intérêt de Monty [était] le commandement en campagne, et non la politique et les affaires canadiennes » ; il trouvait également que Simonds n’était pas suffisamment sensible au fait que les officiers supérieurs canadiens devaient agir à la fois en tant que représentants nationaux et commandants militaires. Tout au long du printemps de 1944, Crerar mena un combat d’arrière-garde contre les tentatives de Montgomery visant à le remplacer, lutte qui coïncida avec la période où le premier ministre King se montra le plus nerveux quant aux risques d’obtenir en Normandie des résultats semblables à ceux de Dieppe. À quelques semaines seulement de l’invasion, Montgomery essaya d’abord de convaincre King, qui était alors en Grande-Bretagne, que les exigences militaires devaient passer avant le désir du Canada de conserver l’intégrité de son armée et de son commandant ; il mentionna tout particulièrement Crerar comme étant une source de préoccupations. King concéda ce point, mais soutint davantage son commandant d’armée à son retour au Canada.
Malgré le succès du débarquement, la campagne visant à libérer la Normandie de la domination allemande évoluait lentement. La 3e division d’infanterie canadienne, sous les ordres du major-général Rodney Frederick Leopold Keller*, avait participé à la prise de Juno Beach le 6 juin 1944, mais la 1re armée canadienne devint opérationnelle en tant qu’armée unifiée seulement le 23 juillet. Crerar déploya beaucoup d’efforts pour influencer la poussée dans le territoire occupé par l’ennemi, mais il manquait d’assurance en matière d’opérations militaires. Cette situation causa, entre autres, une autre dispute avec un subordonné, le lieutenant-général John Tredinnick Crocker cette fois-ci, qui commandait le 1er corps d’armée britannique sous les ordres de Crerar. Montgomery arrangea les choses, mais cette querelle lui donna une autre raison de se méfier des aptitudes du Canadien. Le rôle de Crerar dans les opérations finales en Normandie fut limité. Montgomery était le commandant en chef des forces terrestres alliées durant cette campagne ; il dirigeait la bataille et communiquait directement avec Simonds et d’autres subordonnés, tout en énumérant les faiblesses de Crerar dans sa correspondance régulière avec Brooke. Le 9 août, il écrivit : « [Crerar] si anxieux [de réussir sa première bataille] qu’il se fait du mauvais sang toute la journée !! Je vais le voir souvent et je le calme […] Il semble s’être mis dans la tête que tout ce qu’il nous faut est un bon plan de feux initial, et ensuite les Allemands s’enfuir[ont] tous !! » Quand les opérations Totalize et Tractable, destinées à percer la position des Allemands en Normandie, débutèrent en août, Crerar établit quelques principes généraux relatifs aux objectifs et à la stratégie pour Simonds, qui compléta les plans en détail et les fit fonctionner, et donna des instructions sur la nécessité de poursuivre sur la lancée. Durant la campagne de Normandie et les suivantes, Crerar joua un rôle qui fut influencé par son obligation de rendre des comptes à Montgomery, son officier supérieur, et au gouvernement canadien ; il jongla également avec ses nombreuses responsabilités, parfois incompatibles, de façon admirable, quoique son insistance à vouloir conserver l’autonomie de son pays l’empêchait de se concentrer sur les questions d’ordre opérationnel. Au cours de l’été et au début de l’automne, il se rendit régulièrement au front et s’occupa de la pénurie d’hommes au sein de l’infanterie, ce qui affaiblissait sérieusement ses formations, dont faisaient alors partie des unités polonaises, pendant que les Alliés usaient de leur avantage sur les armées ennemies qui s’écroulaient. Il visita les lieux commémoratifs canadiens de la Première Guerre mondiale ; son retour à la crête de Vimy avait pour lui une signification particulière sur les plans personnel et professionnel.
Montgomery, promu feld-maréchal le 1er septembre, se montra extrêmement critique à l’égard de Crerar et de l’état-major de son quartier général durant la poursuite des forces allemandes, quand elles battirent en retraite en Belgique. L’emprise qu’exerçait Crerar sur l’armée diminuait de plus en plus ; d’après ses dires, il souffrait d’anémie, causée par une dysenterie prolongée, et sa capacité à prendre des décisions s’amenuisait. La conviction très répandue selon laquelle les Allemands étaient presque anéantis influa sur sa façon d’aborder les opérations le long du flanc gauche des armées alliées : dans un message qu’il écrivit le 24 août au brigadier Sherwood Lett, qui avait été blessé pendant qu’il commandait la 4e brigade d’infanterie canadienne, il déclara qu’« [il] cro[yait] que les combats les plus difficiles [étaient alors] terminés. D’ailleurs, s’[ils] n’[avaient] pas [été] en guerre contre un gouvernement de fanatiques, une capitulation sans condition aurait été annoncée environ une semaine auparavant. » Aux complications liées à son commandement s’ajouta le besoin de renforts, qui se transformait en une crise qui deviendrait politique et provoquerait la tenue d’une importante réunion du cabinet le 1er novembre, où King relèverait Ralston de ses fonctions à titre de ministre de la Défense. Il serait remplacé par McNaughton.
Les problèmes auxquels devaient faire face Crerar et la 1re armée canadienne étaient aggravés par un terrain inhospitalier et des difficultés à obtenir de l’approvisionnement pendant que les troupes, qui se trouvaient du côté ouest des forces alliées, se dirigeaient vers le nord pour avancer le long de la côte et commencer à traverser la Seine en dépit de la résistance opiniâtre des Allemands. Les tensions qui couvaient entre Crerar et Montgomery explosèrent après que l’officier canadien, revendiquant sa prérogative de commandant national, décida d’assister à un service commémoratif à Dieppe plutôt qu’à une réunion des commandants d’armée le 2 septembre. Le lendemain, au cours d’une séance orageuse, Montgomery insista sur le fait que leurs « chemins [devaient] se séparer ». Il revint sur sa position lorsque Crerar menaça de faire de cette dispute un enjeu politique. (Au sujet de tels incidents, Crerar dirait à Stacey que « Monty passait toujours sur un feu jaune ; mais, quand le feu devenait rouge, il s’arrêtait. ») Le 4 septembre, dans le rapport qu’il fit à Brooke, Montgomery se plaignit que les opérations canadiennes étaient « mal gérées et lentes » ; il s’excuserait cependant auprès de son subordonné de s’être mis en colère. Néanmoins, Montgomery insista auprès des Canadiens, multipliant leurs tâches pendant qu’il réaffectait des hommes et du matériel en vue de l’opération Market Garden : le 13 septembre, il demanda si les Canadiens pouvaient prendre Boulogne, Dunkerque et Calais, et ouvrir le chemin en direction d’Anvers, en Belgique. Luttant pour sa santé qui se détériorait, Crerar cherchait à trouver l’équilibre entre les besoins de la coalition et ceux de sa propre armée, mais il ne fit pas pression sur son commandant pour obtenir plus de ressources. Il cultivait de bonnes relations avec ses homologues des forces alliées et des autres services canadiens ; cette approche diplomatique aida à promouvoir la coopération. Il orchestra une série d’attaques organisées délibérément qui permirent la prise de ports, dont Le Havre et Boulogne, en France, avec l’aide de forces aériennes, navales et côtières. Les historiens critiqueraient Crerar d’avoir adopté cette stratégie, malgré l’importance de ces ports et la nécessité de ménager ses ressources qui s’amenuisaient.
Vers la fin du mois de septembre, Crerar était épuisé. Il reçut l’ordre de rentrer en Angleterre pour y être traité et quitta son poste le 26. Simonds assuma le commandement de l’armée et la responsabilité de prendre l’Escaut en Belgique et aux Pays-Bas. Pendant son rétablissement, Crerar lutta contre ce qui pourrait être qualifié de dernière attaque britannique contre le principe du commandement national canadien. L’enjeu résidait dans l’aptitude de Burns à diriger le 1er corps d’armée canadien en Italie, question qui s’était présentée plus tôt au cours de l’année. Burns abandonna le commandement le 5 novembre ; il fut remplacé par le lieutenant-général Charles Foulkes, qui arriva le 16 novembre, après que Crerar eut reçu des preuves concluantes de l’inaptitude de Burns de la part de ses subordonnés, les majors-généraux Vokes et Bertram Meryl Hoffmeister*. Cette décision était toutefois canadienne et Crerar fut en mesure de profiter de l’occasion pour désamorcer les tensions entre ses commandants en envoyant Vokes à la 4e division blindée canadienne et le major-général Harry Wickwire Foster à la 1re division canadienne d’infanterie en Italie. Pendant ce temps, Montgomery tentait d’empêcher Crerar de reprendre son poste, soulignant des doutes sur sa santé et ses capacités dans des messages transmis à Ottawa et à Londres. Prévenu par Mann, Crerar consulta deux spécialistes, qui lui confirmèrent sa guérison. Reconnaissant qu’il était préférable de reprendre le commandement de Simonds quand il aurait dégagé l’estuaire de l’Escaut, Crerar, à la demande de Brooke, remit son retour au mois de novembre. Quand Crerar fut promu général, le 16 novembre, Montgomery, dans un geste mesquin, télégraphia à Brooke pour lui demander de ne pas donner l’impression à Crerar que son nouveau grade lui était accordé « de quelque manière en reconnaissance de services distingués en campagne ». La reprise du commandement par Crerar fut l’un des facteurs qui poussèrent Montgomery à ordonner une étude de faisabilité sur le déplacement de l’armée canadienne après l’achèvement de ses opérations dans la région de l’Escaut, pour que le lieutenant-général sir Miles Christopher Dempsey et son quartier général de la 2e armée britannique, et non Crerar, dirigent la prochaine bataille pour prendre la Rhénanie. Ce transfert s’avéra impossible sur le plan logistique.
Revigoré, Crerar exerça un contrôle ferme sur l’état-major de son quartier général et le plan visant à libérer la Rhénanie. Il resta silencieux durant la crise politique de la conscription en novembre 1944 [V. William Lyon Mackenzie King], mais il élabora un plan pour assurer l’intégration la plus harmonieuse possible des conscrits. Cependant, il portait son attention en grande partie sur la campagne de la Rhénanie. L’opération Veritable appartenait à Crerar autant qu’à n’importe qui. Elle avait pour but de détruire les armées allemandes du nord, à l’est du Rhin. Crerar aurait finalement sous ses ordres 13 divisions, dont neuf britanniques, et un amalgame d’unités polonaises, néerlandaises et belges, soit la plus grande armée jamais dirigée en campagne par un Canadien. Conscient de la nature historique de cette bataille, de la contribution de l’Empire britannique à la campagne d’hiver et de ce qui pourrait être décrit comme la dernière armée impériale britannique, Crerar donna l’instruction à son état-major de conserver minutieusement les données et les statistiques. L’assaut devait débuter dans les premières heures du 8 février 1945. Formant le front nord du 21e groupe d’armées de Montgomery, la 1re armée canadienne lancerait son attaque en même temps que l’offensive Grenade de la 9e armée américaine, dans l’espoir de détruire les positions allemandes au moyen de plus d’un millier de canons pendant le bombardement préliminaire et de repousser rapidement les survivants par le poids des forces aériennes et des véhicules blindés alliés, ainsi que par la menace de les coincer entre les Canadiens et les Américains. Dans l’éventualité où le temps et l’état du terrain ne seraient pas favorables, Crerar avait prévu une opération plus réfléchie en trois étapes, fondée sur une préparation méthodique et une puissance de feu redoutable : bref, une bataille d’usure acharnée. Dans les deux cas, son armée était prête.
La pluie, la boue et la résistance tenace de l’ennemi firent de l’opération Veritable et de celles qui suivirent, Blockbuster I et Blockbuster II, des batailles d’infanterie coûteuses. Les Américains ne furent pas en mesure d’engager le combat, car les nazis avaient saboté des barrages et causé le débordement de la rivière Roer sur tout le front de l’armée américaine ; l’inactivité de cette dernière augmenta la pression sur les forces canadiennes. Crerar était une présence fiable et calmante. Son avion de modèle Vigilant, criblé de trous par les feux ennemis, devint un spectacle familier en raison des visites qu’il rendait à ses commandants subordonnés. Le lieutenant-général Brian Gwynne Horrocks, qui dirigeait le 30e corps d’armée britannique, se souviendrait ainsi de lui : « […] tous les jours après le début des combats, il […] venait me voir, où que je sois. J’ai fini par beaucoup l’apprécier même si, j’en ai peur, je fus sans doute très insupportable [avec lui], car durant une partie de cette bataille interminable, je n’allais pas bien du tout […] Je devins extrêmement irritable et de mauvaise humeur, signes extérieurs et visibles [de mon état], mais Crerar se montra très patient à mon égard. » Malgré son comportement imperturbable, Crerar paraissait visiblement vieilli et épuisé par ses responsabilités. Grand fumeur depuis de nombreuses années, il fumait chaque jour un peu plus, et sa toux chassait son officier d’ordonnance de sa roulotte. Après quatre années passées à l’étranger, il était exténué et se sentait isolé par ses fonctions. Ses lettres de plus en plus fréquentes à sa famille et à ses amis étaient pleines de descriptions de ses rêves sur son petit-fils, le golf, la pêche, la voile et Muskoka. Sa correspondance avec des collègues militaires diminua.
Au début de mars 1945, la lutte pour la Rhénanie en était à ses dernières étapes et Crerar gardait l’équilibre entre la nécessité de maintenir la pression sur les Allemands et les terribles coûts que devait supporter son armée. Il accepta le combat, tel celui de la campagne de Normandie, comme une autre pénible bataille visant à épuiser l’ennemi. Le 21 février, il avait écrit à Pope, à Ottawa : « si notre tâche s’est alourdie, pour d’autres, elle sera allégée. La situation n’est pas sans rappeler celle qu’a dû vivre l’armée en juillet–août de l’année dernière. » Deux jours plus tard, la 9e armée américaine lança finalement son assaut et fit rapidement des progrès contre la résistance amoindrie, quoique toujours acharnée, des Allemands. Le 10 mars, les armées alliées du nord avaient atteint le Rhin. Le temps et l’état du terrain avaient été horribles, réduisant à néant la supériorité en nombre et en équipement des Alliés. Pendant presque deux semaines, les soldats britanniques et canadiens luttèrent pour progresser dans des conditions aussi effroyables que celles du front de l’Ouest pendant la Première Guerre mondiale. L’issue de cette bataille fut une revanche pour le général qui, seulement quelques mois auparavant, avait repoussé Montgomery dans ses nombreuses tentatives pour le destituer. La planification et la gestion des opérations permirent à Crerar de connaître ses plus belles heures de gloire en tant que commandant d’armée. « Probablement aucun assaut durant cette guerre, écrivit Eisenhower dans sa note de félicitations du 26 mars, n’a été donné dans des conditions de terrain aussi épouvantables. Le fait que vous ayez mené [cet assaut] à bonne fin avec succès en dit long sur vos aptitudes et le courage de vos soldats. » Dans sa réponse, Crerar attribua le mérite de cette réussite à ses hommes : « Je crois qu’aucune troupe n’aurait pu faire preuve d’une bravoure et d’une détermination plus tenaces que celles montrées pendant ces semaines de combats [livrés] dans l’acharnement, le sang et la boue. » Il était plus réservé en privé, indiquant que, malgré les conditions et les coûts affreux, « [ils avaient] accompli [leur] tâche […] et […] permis à d’autres armées d’avancer de façon spectaculaire avec un minimum d’ennemis à combattre ».
Les opérations ultérieures de l’armée canadienne se concentrèrent sur la libération des Pays-Bas et l’alimentation de leur population affamée. En mars, le 1er corps d’armée canadien fut retiré d’Italie, ce qui permit de réunir toutes les unités canadiennes qui se trouvaient alors en Europe. Comme les hostilités tiraient à leur fin, Crerar ordonna de négocier des cessez-le-feu partiels, afin de pouvoir livrer de la nourriture aux Néerlandais. Son rôle dans cette mission ne serait pas oublié. Quand il retourna aux Pays-Bas en 1948 pour représenter le Canada au couronnement de la reine Juliana, il fut accueilli partout par des défilés et des foules en liesse.
Crerar pensait à l’avenir. Il voulait s’assurer que ni la connaissance de la contribution de l’armée canadienne ni son professionnalisme ne sombreraient dans l’oubli, comme cela avait été le cas après la Première Guerre mondiale. Puisque son approbation ou son accord était nécessaire pour la plupart des questions en matière de politique, les aspects relatifs à la démobilisation et au rapatriement, la participation du Canada à la guerre dans le Pacifique et à l’occupation de l’Allemagne, ainsi que les nominations au sein du commandement supérieur liées à cette participation, furent tous influencés par cet objectif. Entre autres, il recommanda avec insistance que la démobilisation soit fondée sur les unités plutôt que sur les soldats, une idée controversée, quoique compréhensible, en raison du souvenir qu’il conservait du triste retour à la maison de 1919. Les préoccupations du gouvernement canadien sur les questions économiques et politiques amenèrent les dirigeants du pays à accepter sa suggestion sur la démobilisation en partie seulement. Finalement, la guerre froide ferait davantage que Crerar dans la mise en œuvre de son projet visant à créer une armée formée de soldats de métier, même s’il exerça une certaine influence sur le choix de ses successeurs ; plus particulièrement, il veilla à ce que Foulkes, diplomate, devienne le premier chef d’état-major général d’après-guerre, plutôt que Simonds. Cette nomination ne fit pas l’unanimité, mais Foulkes avait le tempérament nécessaire pour traiter avec le gouvernement de King, qui réduisit radicalement la taille de l’armée ; en outre, probablement grâce à sa nomination, l’histoire des réalisations de l’armée durant la guerre serait écrite, puisque Foulkes appuyait Crerar dans le choix de Stacey pour décrire une bonne partie de celle-ci.
Crerar s’était rendu à Londres le 21 avril 1945, confiant le commandement intérimaire de l’armée à Simonds jusqu’à son retour, le 29. Simonds et Foulkes reçurent la capitulation des Allemands le 5 mai, car Crerar avait refusé de le faire. Dans l’euphorie de la victoire, même Montgomery envoya un message de reconnaissance. Crerar arriva au Canada le 5 août et fit l’objet d’un accueil officiel à Ottawa le 7. Il prit sa retraite en 1946 pour passer du temps auprès de sa famille. Sa relation avec sa femme avait souffert durant sa longue absence. Il lui avait promis qu’ils s’enracineraient à Ottawa quand ils y achetèrent une maison en 1940. Il avait cependant repoussé les demandes de sa femme qui voulait aller le rejoindre à l’étranger, croyant qu’il devait donner l’exemple à ses subordonnés. Elle avait exprimé son mécontentement, et ses lettres furent moins fréquentes. Afin de tenir sa promesse, il décida de rester à l’écart de la vie publique. Sa santé et ses revenus le préoccupaient également ; ses tentatives pour obtenir de l’aide gouvernementale non officielle furent infructueuses.
Côté vie publique, Crerar tomba presque aussitôt dans l’oubli. Il fut en partie responsable de sa marginalisation. King lui offrit le poste de lieutenant-gouverneur de l’Ontario ; Crerar le refusa. Il accepta de siéger à quelques conseils d’administration, mais déclina les fonctions de président d’Ontario Hydro. Vers la fin des années 1940, on lui demanda d’effectuer des missions diplomatiques ; l’une d’entre elles comprenait une visite en Chine, au Japon et à Hong Kong, où l’état du cimetière militaire le consterna. Par égard pour sa femme, et, soutint-il, pour conserver sa crédibilité en tant que commentateur apolitique, il laissa passer d’autres occasions de jouer un rôle plus actif dans la fonction publique. Il tenta toutefois, sans succès, d’obtenir un siège au Sénat. Sa situation financière s’améliora tout de même au début des années 1950. Il aida d’anciens subordonnés avec de l’argent et des références, mais ne parla pas de telles actions à l’extérieur de sa vie privée. Son refus de s’engager dans des questions militaires d’ordre technique était poussé par l’idée qu’il devait se consacrer à des causes nationales plus larges, et il s’attendait à être consulté de façon non officielle sur des enjeux plus vastes. Mais Crerar s’était aussi fait des ennemis. Il avait exprimé le désir de présenter sa roulotte comme un symbole de l’armée canadienne durant une tournée qu’il avait effectuée d’un bout à l’autre du pays vers la fin de 1945, et souhaitait qu’elle soit ensuite conservée comme objet historique. On raconte que lorsque l’effectif du ministre de la Défense nationale et du chef d’état-major général apprit l’arrivée de « onze tonnes de véhicules personnels du général […] l’ordre fut donné de faire expédier le lot à London, en Ontario […] pour s’en débarrasser “avant que Crerar [puisse] mettre la main dessus” ».
Au début des années 1950, Crerar n’était plus que l’ombre de lui-même, tout comme l’armée qu’il avait dirigée ; il était entouré de souvenirs de sa gloire passée, mais était presque complètement ignoré. Quand il participait à des entretiens, c’était autant pour parler de ses rencontres avec de grands hommes que pour discuter de ses propres réalisations. Dans la dernière partie de la décennie, les idées de Crerar étaient devenues anachroniques : son engagement dans l’éducation civique et les déclarations qu’il faisait dans ses discours devant des instituts militaires et des branches du Canadian Club, où il se montrait partisan de la conscription et de la formation militaire, étaient des positions en désaccord avec le développement du pays. Invoquant des préoccupations concernant la vie privée et la réputation d’autres gens, il refusa d’écrire ses mémoires et fut réticent à la rédaction d’une biographie jusqu’au début des années 1960. Néanmoins, il fit beaucoup de commentaires sur les histoires officielles écrites par Stacey et considérait ces dernières comme ses mémoires. Il essaya aussi, mais en vain, de trouver un éditeur et des fonds pour publier ses allocutions et ses articles sur des questions d’évolution constitutionnelle et de défense.
Crerar croyait que le thème prédominant dans le Canada d’après-guerre était la naissance et l’évolution d’un nationalisme qui se distanciait de ses origines britanniques. L’accent qu’il mit sur l’importance du lien avec la Grande-Bretagne n’était pas surprenant, compte tenu de ses origines familiales et de la profession qu’il avait choisie. Comme nombre de ses contemporains, il ressentait rarement quelque contradiction que ce soit quant au fait d’être britannique et canadien. Il était davantage préoccupé par les changements sociaux et politiques, ainsi que par la façon dont ces derniers se manifestaient dans des décisions liées à la sécurité et à la défense. En mars 1941, il avait écrit à son gendre, Hamilton Zouch Palmer, au sujet de ce qu’il décrivait comme les « énormes changements » survenus au cours de sa vie « dans les fondements sur lesquels [la] forme de démocratie particulière [au Canada] a[vait] reposé ». Il craignait que l’élargissement du droit de vote à « presque toutes les personnes des deux sexes qui n’[étaient] pas en prison ou à l’asile », sans une expansion concomitante du système d’éducation, dilue la sagesse politique. Le suffrage universel, combiné à la décision prise en 1910 de verser un salaire aux députés fédéraux, avait, selon Crerar, « mené à une baisse des normes de qualité attendues de la part d’un élu au Parlement en matière d’idées ». La politique axée sur le populisme et les clientèles électorales avait supplanté la politique nationale ; la solution se trouvait dans l’éducation en matière d’éthique et de principes de la citoyenneté. Il avait vu comment « le pouvoir et l’influence colossaux de l’éducation » avaient changé l’Allemagne et s’était battu contre des hommes dont les idées étaient devenues « faussées et fanatiques ». Il avait peur de l’avenir ; il n’était d’ailleurs pas le seul. Crerar faisait partie d’une génération qui avait dû définir puis redéfinir ce que cela signifiait d’être canadien dans un contexte national et international créé par deux guerres mondiales et leurs conséquences.
En mauvaise santé pendant la dernière décennie de sa vie, Crerar mourut le 1er avril 1965. Une photographie, prise dans son cabinet de travail à sa maison de Rockcliffe, qui accompagnait une nécrologie parue dans un journal, évoque la mélancolie qui teinta ses dernières années. Vêtu d’une cravate noire, d’une chemise blanche et d’un veston, et arborant une moustache taillée avec soin, il était assis devant l’une des deux armoires vitrées qui laissaient voir toutes sortes de médailles et de souvenirs ramassés durant une vie entière de réalisations. Le personnage public était, comme toujours, au premier plan. « L’une de mes frustrations en tant que correspondant de guerre […] au cours du dernier épisode en Europe, se rappela le reporter Robert Ross Munro* dans une nécrologie parue le 2 avril 1965 dans le Toronto Star, fut de ne pas avoir été en mesure de bien connaître le commandant de l’armée canadienne, le général Crerar […] Il fut “H. D. G. Crerar” et jamais “Harry”. »
Munro n’était pas le seul à ne pas connaître Crerar dans le privé. Peu de gens étaient familiers avec sa vie personnelle. Il évitait d’attirer l’attention du public, n’aspira jamais à être un chef charismatique et ne prétendait pas être ce qu’il n’était pas, ce qui était tout à son honneur : il fit un jour la remarque que les « généraux [étaient] à peu près pareils aux autres gens ». Peu de personnages historiques sortirent aussi vite de l’obscurité pour retomber dans l’oubli tout aussi rapidement que le réservé et distant général Crerar. Cependant, personne n’en fit autant que lui pour façonner l’armée canadienne durant la Deuxième Guerre mondiale. Chef d’état-major général pendant la période cruciale d’un an et demi qui suivit la chute de la France en juin 1940, il fut le principal architecte de la 1re armée canadienne. Il conseilla au gouvernement d’envoyer des troupes à Hong-Kong, fit campagne pour la participation du Canada au raid de Dieppe et prit finalement le commandement d’une armée du Commonwealth – la plus grande à avoir été commandée par un Canadien – au cours de l’offensive en Rhénanie. Ses opinions sur la forme que la contribution militaire du Canada devait prendre devinrent des politiques, bien que nombre de gens, dont le premier ministre, s’y soient opposés au départ. Crerar agissait peut-être en fonction de ses propres objectifs, mais il avait aussi des principes ; son ambition était mise à profit à des fins qu’il croyait nobles.
Pour comprendre les généraux, et tous les dirigeants, il faut comprendre le contexte dans lequel ils travaillent. Les responsabilités associées à ce rang sont aussi variées que les postes existants et nécessitent de posséder des compétences très diverses. On peut tirer certaines conclusions à partir du fait que Crerar occupa pour le Canada des postes de commandement supérieur en campagne et au sein de l’état-major de l’armée. D’abord, c’était un homme intelligent qui avait la capacité d’apprendre sur le terrain. Il n’était pas intellectuel, mais il était instruit et réfléchi en ce qui avait trait à sa profession. Deuxièmement, c’était un officier d’état-major qualifié, qui avait un penchant pour l’ordre et la discipline, et il définit plusieurs de ses postes d’une manière qui continue de guider les militaires de profession. Sa nomination à des fonctions établissant la communication entre les milieux politiques et militaires lui permit d’acquérir un certain sens de la politique : à titre de chef d’état-major général, par exemple, il réussit à faire accepter ses programmes militaires malgré une forte opposition, et survécut aux enquêtes sur les désastres de Hong-Kong et de Dieppe.
Les aptitudes nécessaires à un officier d’état-major ne mènent pas toujours à la réussite dans le commandement en campagne ; inversement, les compétences qu’il faut pour commander avec succès une brigade, une division, un corps ou une armée ne sont pas forcément celles dont un officier d’état-major a besoin. La capacité de Crerar à diriger une division ou un corps au combat ne fut jamais mise à l’épreuve. En tant que commandant de corps d’armée, il était perçu comme un gratte-papier un peu trop à cheval sur la discipline, mais il laissa le 1er corps d’armée canadien en bonne condition. Le commandement d’une armée dans les guerres modernes concerne autant la gestion des ressources et la compréhension des implications des progrès en communication et en mécanisation que les qualités de chef et le sens aigu des opérations. Crerar ne maîtrisait pas bien ces aspects de son rôle à la fin de 1944, mais le commandement de la 1re armée canadienne, qu’il assuma durant la campagne de Rhénanie en 1945, semble indiquer qu’il avait la capacité d’organiser des opérations et qu’il avait beaucoup appris en peu de temps. De plus, comme le nota un auteur, il « mena [ses troupes] de façon compétente contre l’une des armées les plus féroces jamais formées ».
En tant que commandant en chef canadien dans un groupe d’armées britannique, Crerar se trouvait dans une situation unique, où il devait rendre des comptes à son gouvernement sur l’utilisation des soldats canadiens, ainsi qu’à ses alliés sur la manière dont il travaillait avec eux. Ces responsabilités lui imposaient des limites dans l’exercice de ses fonctions de général, et le fait qu’il aurait dû abandonner l’un ou l’autre de ses rôles pourrait être débattu. Il n’en fit rien, ce qui montre qu’il était avant tout nationaliste. Fin mai 1944, il dit ceci à Stuart : « Même si concrètement j’espère me faire traiter et me comporter comme tout autre commandant d’armée, en principe […] ce n’est pas le cas. Je suis le commandant de l’armée canadienne et, à ce titre, je me trouve dans une catégorie différente de celle du commandant de l’armée britannique. » Il considérait son armée comme un instrument du gouvernement canadien et adoptait un point de vue stratégique par rapport au rôle de celle-ci ; cette perspective, de même que des qualités diplomatiques, était nécessaire dans les guerres de coalition du milieu du xxe siècle. Au sein du 21e groupe d’armées, il y avait peu de possibilités de mettre à profit un quelconque flair en matière d’opérations ou de stratégies militaires. Crerar se révéla cependant habile au jeu de la coalition : il obtint le soutien de la marine et de l’armée de l’air pour aider ses troupes décimées à l’automne de 1944 et maintint des relations solides avec la majorité de ses homologues.
Comme le souligneraient des travaux de la fin du xxe siècle et du début du xxie, Crerar et la 1re armée canadienne furent finalement évalués par comparaison avec la réputation que s’était bâtie le Corps d’armée canadien pendant la Grande Guerre. Cette comparaison est injuste : Crerar et la 1re armée canadienne, qui participèrent à des opérations pendant dix mois, ne furent pas en mesure de sortir de l’ombre du Corps d’armée canadien, qui avait durement acquis ses compétences au cours d’une longue et sanglante période de trois ans et demi. Ce point de vue en dit peut-être autant sur Crerar et ses troupes que sur l’historiographie du Corps d’armée canadien durant la Première Guerre mondiale, qui a tendance à passer rapidement sur les moments difficiles survenus avant la bataille de la crête de Vimy. Il est clair que, pendant 30 ans, Crerar apprit de ses expériences de façon continue, de la deuxième bataille d’Ypres, en 1915, jusqu’aux dernières campagnes de 1945, et qu’il s’adapta au caractère changeant de la guerre. Cependant, son action la plus durable fut peut-être son engagement dans la gestion des affaires militaires. Durant les années 1920 et 1930, il lutta pour garder un semblant de professionnalisme. Pendant toute la durée de la guerre, il travailla sans relâche à reconstruire l’armée : pour améliorer la formation, augmenter le niveau d’expérience et relever le moral des troupes canadiennes, et pour consolider la position de l’armée. Ses efforts étaient toujours déployés en prévision de l’après-guerre et il formait ses opinions à partir du fait que l’armée représentait, selon lui, une institution cruciale pour le pays.
Tel était le commandant Henry Duncan Graham Crerar. À titre de chef, il était maladroit et réservé. Il n’inspirait pas une grande affection et provoquait des sentiments partagés chez ses supérieurs, ses pairs et ses subordonnés : certains le considéraient comme un chef bienveillant, tandis que d’autres le voyaient comme une terreur acharnée. Il dirigeait comme il essayait de mener sa vie, en montrant l’exemple, mais demeurait conscient de ses faiblesses, même peut-être trop, et travaillait à les surmonter, ce qui était tout à son crédit. Néanmoins, en sa qualité de général, il fut probablement meilleur que ce que méritait un pays qui privait son armée de ressources en temps de paix.
Henry Duncan Graham Crerar a publié les articles suivants : « The difficulties of unified control of allied operations », Canadian Defence Quarterly (Ottawa), 3 (1925–1926) : 71–74 ; « The development of closer relations between the military forces of the empire », Canadian Defence Quarterly, 423–432 ; « War is a prospect Canada must face », Maclean’s (Toronto), 15 juill. 1947 : 7–8, 30–31, 33, 35 ; et « The case for conscription », Queen’s Quarterly (Kingston, Ontario), 58 (1951) : 1–13.
Ce portrait de Crerar a été dressé à partir de notre biographie, A thoroughly Canadian general : a biography of General H. D. G. Crerar (Toronto, 2007), et de ses papiers personnels (R5357-0-X), conservés à Bibliothèque et Arch. Canada à Ottawa, ainsi que de ceux, entre autres, de B. L. Montgomery, 1er vicomte Montgomery (Imperial War Museum, Londres, PP/MCR/C30), et d’A. F. Brooke, 1er vicomte Alanbrooke (Univ. of London, King’s College, Liddell Hart Centre for Military Arch., GB99 KCLMA Brooke). L’acte de naissance de Crerar (RG 80-2-0-299, no 39021) se trouve aux Arch. publiques de l’Ontario, à Toronto.
À part la nôtre, il n’existe aucune étude exhaustive sur Crerar, mais nous pouvons diriger le lecteur vers deux très bons chapitres de livre à son sujet : l’un se trouve dans J. L. Granatstein, The generals : the Canadian Army’s senior commanders in the Second World War (Toronto, 1993) ; l’autre, signé par D. F. Oliver, s’intitule « In the shadow of the Corps : historiography, generalship, and Harry Crerar », et figure dans Warrior chiefs : perspectives on senior Canadian military leaders, Bernd Horn et Stephen Harris, édit. (Toronto, 2001), 91–132. C. P. Stacey, Six years of war : the army in Canada, Britain and the Pacific (1955) et The victory campaign : the operations in north-west Europe, 1944–1945 (1960), premier et troisième volumes d’Official history of the Canadian army in the Second World War (3 vol., Ottawa, 1955–1960) ; S. A. Hart, Montgomery and « colossal cracks » : the 21st army group in northwest Europe, 1944–45 (Westport, Conn., 2000) ; et J. A. English, Patton’s peers : the forgotten allied field army commanders of the Western Front, 1944–45 (Mechanicsburg, Pa., 2009), sont aussi des ouvrages importants sur Crerar. La biographie en trois volumes de Bernard Law Montgomery par Nigel Hamilton, Monty : the making of a general, 1887–1942 (Londres, 1981), Monty : master of the battlefield, 1942–1944 (1983) et Monty : the field marshal, 1944–1976 (1986), et War diaries, 1939–1945 : Field Marshall Lord Alanbrooke, Alex Danchev et Daniel Todman, édit. (Londres, 2001), donnent des perspectives britanniques sur Crerar. Nous conseillons également aux lecteurs la recension de A thoroughly Canadian general […] par Douglas Delaney dans Revue militaire canadienne (Kingston), 9 (2009), 4 : 108–109.
Paul Dickson, « CRERAR, HENRY DUNCAN GRAHAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 19, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/crerar_henry_duncan_graham_19F.html.
Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:
Permalien: | http://www.biographi.ca/fr/bio/crerar_henry_duncan_graham_19F.html |
Auteur de l'article: | Paul Dickson |
Titre de l'article: | CRERAR, HENRY DUNCAN GRAHAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 19 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2013 |
Année de la révision: | 2013 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |