CHAREST, ELZÉAR (baptisé Tiburce-Elzéar), architecte et fonctionnaire, né le 4 juin 1850 à Château-Richer, Bas-Canada, fils de Tiburce Charest, médecin, et de Rose (Rosalie) Paquet ; le 3 juillet 1876, il épousa à Québec Elmire Bazin, et ils eurent 16 enfants ; décédé le 6 avril 1927 dans cette ville.
Elzéar Charest est identifié dans les annuaires de la ville de Québec comme architecte à compter de 1875. Stagiaire chez l’architecte Joseph-Ferdinand Peachy*, il réalise, notamment, le char allégorique de la ville de Beauport avec le sculpteur Louis Jobin pour le défilé de la Saint-Jean-Baptiste en 1880. Ses débuts à son compte, où il conçoit plusieurs projets de maisons bâties entre 1880 et 1885 dans le quartier Saint-Jean et à Saint-Sauveur (Québec), semblent le destiner à prendre place dans l’éclectisme ambiant de la fin du xixe siècle. Sa première construction publique d’importance est la halle Saint-Pierre à Saint-Sauveur (1888), où il ne s’écarte guère du standard à toit mansardé établi pour la halle Montcalm quelques années plus tôt par l’architecte Paul Cousin. En revanche, la construction du magasin de Zéphirin Paquet*, rue Saint-Joseph à Québec (1890), est à bien des égards surprenante, tant certains éléments témoignent d’une modernité peu commune pour l’époque : l’immeuble de six étages, en granit, est muni d’un ascenseur et éclairé à l’électricité. En façade cependant, la hiérarchie incertaine des articulations révèle toute la difficulté à faire converger l’expression ornementale et les nouvelles valeurs rationnelles portées par le type du grand magasin. De même, quand Charest est lauréat du concours pour la construction du nouvel hôtel de ville de Québec en 1890 (le jury est présidé par Eugène-Étienne Taché*), son projet, trop marqué par une tradition décorative de style Second Empire, est vite abandonné et sera remplacé, après de longs atermoiements, par une proposition de Georges-Émile Tanguay (1894), soutenue par l’ingénieur de la ville Charles Baillairgé*.
Après ce désaveu, Charest se voit offrir, en 1891, la direction du département provincial des Travaux publics, sans doute une forme de compensation imaginée par Taché, alors sous-ministre des Terres de la couronne. Charest succède à l’ingénieur Jean-Baptiste Derome ; il dirigera les travaux du département jusqu’en 1915, soit sous huit ministres différents et plusieurs gouvernements. Chargé principalement de la construction et de l’entretien des édifices publics provinciaux, Charest profite d’une conjoncture qu’il estime propice à l’invention de nouveaux symboles porteurs de l’identité des institutions de la province pour s’engager dans la voie à la fois héraldique et architectonique ouverte par les travaux de Taché et, dans une moindre mesure, par les projets d’embellissement du gouverneur général lord Dufferin [Blackwood*]. Il tente alors une interprétation personnelle du « style forteresse », inspiré des châteaux du Moyen-Âge et qui se caractérise par la concentration du décor sur les toitures et l’usage quasi exclusif de la tôle. Le palais de justice de Hull, construit de 1891 à 1894 et aujourd’hui disparu, en témoigne particulièrement. Il ne s’agit, pourtant, que d’un décor de tôle : la minceur des moyens mis en œuvre contraste avec l’ambition originelle d’imposer, par un réseau d’édifices publics, une architecture d’État dans les petites agglomérations de la province.
En choisissant de s’exprimer par les attributs décoratifs au lieu d’élaborer un corpus doctrinal complet, et surtout en se cantonnant dans un traditionalisme sans rapport avec les attentes de l’appareil politique, Elzéar Charest ne parvient pas à imposer durablement ses propositions, qui le mènent dès la fin des années 1900 à une certaine marginalisation professionnelle. De fait, pour la construction du palais de justice de Sherbrooke (1904–1906), Charest réutilise les principaux ingrédients du projet qu’il a présenté 13 ans auparavant au concours de l’hôtel de ville de Québec. Cette fois, le style forteresse bénéficie d’un retour à la symétrie et à la hiérarchie des plans du Second Empire. Dans le cas de l’école normale des sœurs du Bon-Pasteur de Chicoutimi (1907), Charest opte pour un édifice tout empreint des pesanteurs de la rhétorique classique ; il reconnaît alors l’échec du style forteresse à devenir une forme représentative de la construction publique dans la province de Québec. Sa maison personnelle dans le quartier Saint-Jean (804–810 rue Richelieu, 1907) est, avec sa tourelle d’angle, l’ultime témoin de cette aventure ornementale qui reste malgré tout une contribution singulière à l’originalité architecturale de la ville de Québec.
ANQ-Q, CE301-S6, 4 juin 1850 ; S97, 3 juill. 1876.— L’Action catholique (Québec), 6 avril 1927.— L’Événement, 7 avril 1927.— Le Journal de Québec, 30 nov. 1877, 27 mars, 5 juill. 1880, 5 mai 1881, 22 févr. 1883, 25 janv. 1884, 27 févr. 1886.— La Minerve, 27 févr. 1886.— La Semaine commerciale (Québec), 5 juill. 1907.— Le Soleil, 7 avril 1927.— Claude Bergeron, Architectures du xxe siècle au Québec (Québec, 1989), 95.— Robert Caron, Inventaire des permis de construction des Archives de la ville de Québec, 1913–1930 (3 vol., Ottawa, 1980).— Guy Coutu, Chicoutimi : 150 ans d’images ([Chicoutimi, Québec], 1992), 222s.— Patrick Dieudonné, « le Style forteresse ou l’apport d’Elzéar Charest à l’éclectisme québécois », Continuité (Québec), 45 (automne 1989) : 12–16.— Luc Noppen et al., Québec monumental, 1890–1990 (Sillery, Québec, 1990), 78.— Luc Noppen et Lucie K[oenig] Morisset, Québec, de roc et de pierres : la capitale en architecture (Sainte-Foy, Québec, [1998]), 85–88.— J. R. Porter et Jean Bélisle, la Sculpture ancienne au Québec ; trois siècles d’art religieux et profane (Montréal, 1986), 237.— Les Premiers Palais de justice au Canada, sous la dir. de Margaret Carter (Ottawa, 1983).— Québec, Parl., Doc. de la session, rapport du commissaire des Travaux publics, puis du commissaire de la Colonisation et des Travaux publics, 1900–1902.
Patrick Dieudonné, « CHAREST, ELZÉAR (baptisé Tiburce-Elzéar) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/charest_elzear_15F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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