TANGUAY, GEORGES-ÉMILE (baptisé George-Elzéar-Émile), architecte, né le 8 octobre 1858 à Saint-Gervais, Bas-Canada, fils de Georges Tanguay, inspecteur d’écoles, et d’Angèle Jolivet ; le 10 août 1886, il épousa à Québec Clara Trudel, et ils eurent cinq fils ; décédé le 6 novembre 1923 dans cette ville.

Élève à l’école normale Laval, à Québec, puis apprenti auprès de Joseph-Ferdinand Peachy* à partir de 1876, Georges-Émile Tanguay s’établit comme architecte à l’âge de 22 ans. Il s’associe en 1889 à l’architecte Napoléon-Alfred Vallée, dont il partageait déjà le bureau ; après le décès de ce dernier en 1898, Tanguay poursuit sa carrière sous son seul nom, puis s’associe à Jean-Honorius Lebon en 1911. L’agence Tanguay et Lebon devient Tanguay et Chênevert en 1919, au lendemain du décès de Lebon ; Raoul Chênevert* conservera cette raison sociale jusqu’en 1925, deux ans après la mort de Tanguay.

À l’aube de sa carrière, Tanguay retient, de sa fréquentation de Peachy, le répertoire formel du Second Empire et s’inscrit quelque temps dans la mouvance des bâtisseurs qui, tel Eugène-Étienne Taché*, ont nourri la « refrancisation » de la capitale provinciale. Dans les quartiers Saint-Jean et Saint-Roch, maisons et magasins que le jeune architecte conçoit participent d’abord à la consolidation de ce paysage d’inspiration française : ses toits mansardés et fenêtres arquées caractéristiques seront pendant longtemps un modèle pour les hommes de métier. Toutefois, après un voyage de plusieurs semaines aux États-Unis en 1883, en quête de ces « grands magasins » qui font alors la notoriété du pays, Tanguay entre résolument dans la modernité. Dans la capitale engourdie sous l’historicisme « à la française » des Taché et Peachy, il déclasse vite son maître et ses concurrents, tels David Ouellet* et François-Xavier Berlinguet*, qui, formés eux aussi par stage, sont plutôt terrassés par « l’américanité » qui s’annonce. Tanguay fait siens les nouveaux courants, que ce soit celui de l’école architecturale de Chicago, dont il abreuve les grands magasins, soit l’Art nouveau, qui fera une première incursion à Québec dans « son » Salon des dames du magasin de la Compagnie Paquet Limitée en 1906. Alors que la concurrence étrangère croissante suscite la fondation de la protectionniste Association des architectes de la province de Québec en 1890, Tanguay se montre à l’aise avec les nouveaux programmes architecturaux, ainsi qu’en témoigne sa recherche formelle, qui renouvelle le répertoire architectural sans renier la tradition à laquelle la ville de Québec s’est attachée.

En 1888, de retour d’un périple européen et marocain, Tanguay amorce la partie la plus féconde de sa carrière. Avant son quarantième anniversaire, il relève deux défis de taille : en 1892, son pavillon d’Aiguillon, premier pavillon clinique de l’Hôtel-Dieu de Québec, rivalise dans le paysage de la ville avec le château Frontenac, construit d’après les plans de l’Étasunien Bruce Price* la même année ; deux ans plus tard, ses plans pour l’hôtel de ville de Québec engendrent une figure nouvelle qui résulte d’une synthèse entre le néo-roman à la Henry Hobson Richardson, le rationalisme de Louis Henri Sullivan, deux architectes américains, la rigueur classique du Second Empire et la vogue médiévale que l’influence du Français Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc avait léguée à Québec dans la reconstruction des fortifications. L’hôtel de ville devient le premier monument du « style municipal » ; casernes de pompiers et édifices publics, œuvres de Tanguay, témoignent bientôt dans toute la ville de cette identité réinventée.

À la même époque, l’architecte, qui au cours de sa carrière signera une quarantaine de plans d’églises, régénère l’architecture ecclésiale canadienne-française dans des constructions novatrices : Saint-Ambroise (Loretteville, 1891), Notre-Dame-du-Chemin (Québec, 1893), Immaculée-Conception (Montréal, 1896), Sainte-Angèle-de-Saint-Malo (Québec, 1900), puis jusqu’en Ontario, à Alexandria, Cornwall, Port Arthur (Thunder Bay), et en Saskatchewan, à Prince Albert. Toutefois, vers 1900, la culture architecturale et l’éclectisme de Tanguay posent problème : l’architecte ne parvient pas à satisfaire aux commandes les plus modernes ou les plus techniques (usines, hôpitaux et autres). René-Pamphile Lemay, formé aux États-Unis, revient à Québec en 1896 pour s’y approprier, au même titre que les Bruce Price, Walter Scott Painter, Harry Edward Prindle et autres « étrangers », ces commandes qui font appel à des programmes plus complexes et plus exigeants sur le plan des techniques de construction. Les problèmes que Tanguay affronte en 1907 dans la construction de l’immeuble du Daily Telegraph, « [le] plus moderne […] que l’on ait jamais construit[e] à Québec » selon la Semaine commerciale (Québec), et l’exaspération de son propriétaire témoignent du contexte dans lequel l’architecte doit désormais œuvrer : « notre édifice, lui écrit Frank Carrel* le 9 août 1909, loin d’[ajouter] au crédit des architectes et entrepreneurs de Québec, illustre éloquemment leur inaptitude à ériger une construction satisfaisante, et je ne suis pas surpris maintenant que des architectes de l’extérieur soient engagés pour les plus gros bâtiments de Québec ».

Le succès de Tanguay tiendra dorénavant à l’organisation de sa pratique professionnelle. Certes, l’architecte peut compter sur la fidélité de nombreux clients, qu’il s’agisse des communautés religieuses ou de l’élite libérale, dont ses contacts avec l’ancien premier ministre Simon-Napoléon Parent*, maire de Québec au moment de la construction de l’hôtel de ville, l’ont rapproché ; cependant, c’est comme homme d’affaires, membre, voire président d’associations marchandes et d’une dizaine de conseils d’administration (Quebec Power Company, Citadel Brick and Paving Block Company Limited, Métabetchouan Pulp Company et autres), que Tanguay épouse les modèles américains en ce qui a trait au mode de vie, à l’organisation du travail et à l’insertion dans le milieu socioprofessionnel. Tout en allant jusqu’à projeter d’ouvrir une succursale de son agence à Trois-Rivières au lendemain de l’incendie de cette ville en 1908, l’architecte instaure une pratique nouvelle : la formation de consortiums (avec la firme de Jean-Omer Marchand*, premier diplômé québécois de l’École des beaux-arts de Paris, par exemple) et l’appel à des compétences extérieures sous le sceau de l’agence (Victor Rigaumont, architecte à Pittsburgh, élabore ainsi en secret les plans de l’hôpital Laval, construit à compter de 1915) replacent l’exercice de sa profession à l’enseigne des nouveaux programmes de la modernité. Depuis l’arrivée du stagiaire Lebon en 1895, l’agence, que Tanguay a alors établie dans l’immeuble acquis pour sa résidence, signe un nombre croissant de plans d’édifices de types architecturaux de plus en plus diversifiés : en 1919 seulement, plus de 20 nouvelles constructions à Québec — garage, banque, école, bureaux, maisons, manufactures — occupent ses tables à dessin. Cinq ans plus tôt, Tanguay a même dû agrandir ses bureaux : l’accueil du stagiaire Raoul Chênevert, formé à l’École polytechnique de Montréal, annonçait déjà cette explosion du carnet de commandes. Emblème de compétences nouvelles et variées, le sceau de Tanguay et Chênevert figure sur les plans d’une bonne centaine de projets à Québec, qui renaît au lendemain de la Première Guerre mondiale : une dizaine d’écoles portent déjà la sobre empreinte du rationalisme classique Beaux-Arts, bientôt Art déco, grâce auquel Chênevert imprime à l’agence un ultime rajeunissement.

C’est une affaire prospère et bien établie que Georges-Émile Tanguay lègue à sa mort, dans sa résidence de la rue d’Aiguillon, en 1923. Son fils Berchmans, étudiant à l’École polytechnique et futur architecte, est alors auprès de lui ; sa femme séjourne à Paris, où leur fils Georges-Émile perfectionne les talents qui feront de lui l’un des premiers professeurs du Conservatoire de musique et d’art dramatique de la province de Québec, à Montréal. Président de l’Association des architectes de la province de Québec en 1900–1901, et, selon des répertoires biographiques, « l’un des principaux architectes du dominion » ainsi qu’« un citoyen et homme d’affaires des plus distingués », Tanguay, petit homme frêle au regard pâle, presque effacé, laisse à ses contemporains près de 300 bâtiments et un vibrant souvenir. En 1974, l’architecte Henriette Barrot, veuve de Raoul Chênevert, déposera aux Archives de l’université Laval le plus important fonds d’archives d’architecture du Canada (il sera cédé aux Archives nationales du Québec en 1989) : plus de 500 projets, marqués du nom de Tanguay, y révèlent l’époque qui a balayé l’âme de tant de villes et laissé l’empreinte permanente de l’architecte. De la tradition au renouveau, l’identité de la ville de Québec, par l’œuvre de Tanguay, a en effet franchi le cap de la modernité.

Lucie K. Morisset

Les ANQ-Q conservent quelque 550 dossiers (plans, devis et autres) concernant Georges-Émile Tanguay dans le fonds Raoul Chênevert (P372). On en trouve une description dans Geneviève Guimont Bastien et al., Inventaire des dessins architecturaux aux Archives de l’université Laval (Ottawa, 1980). Les ANQ-Q ont aussi plus de 200 actes notariés relatifs à l’œuvre architectural de Tanguay. Les projets cités dans la biographie sont documentés par : CN301-S337, 2 mai 1907 ; S351, 12 mai 1890, 7 nov. 1891, 25 août 1892, 3 mai 1893 ; S357, 15 févr. 1892 ; S377, 5–6, 10–11, 18, 31 déc. 1894, 25 nov., 3 déc. 1895 ; S381, 29 sept. 1919. On consultera aussi : Québec, Bureau de la publicité des droits, Greffes, J.-É. Boily, 19 juill. 1898 ; Joseph Sirois, 10 mai 1917, 16 avril 1919 ; C.-E. Taschereau, 7 déc. 1910, 15 août, 15 sept. 1911.

Quoique aucun ouvrage n’ait à ce jour permis de connaître l’œuvre de Tanguay dans sa globalité, on pourra consulter : Lucie K[oenig] Morisset, « D’un hôtel de ville au style municipal : un monument moderne dans la vieille capitale », dans l’Hôtel de ville de Québec : cent ans d’histoire, sous la dir. d’Yves Tessier (Québec, 1996), 45–63 et, surtout, notre manuscrit plus fouillé, « Georges-Émile Tanguay, architecte moderne : pratique de l’architecture et modernité à Québec », qui a nourri une partie de cette biographie. L’architecture ecclésiale de Tanguay est évoquée dans Luc Noppen et Lucie K[oenig] Morisset, Art et Architecture des églises à Québec ([Québec], 1996) ; les écoles qu’il a réalisées, dans notre article « la Genèse de l’école de quartier au Québec : histoire typologique d’une architecture scolaire », Soc. pour l’étude de l’architecture au Canada, Bull. (Ottawa), 18 (1993) : 88–95 ; son œuvre en matière d’architecture commerciale, dans Sylvie Thivierge, « l’Architecture commerciale de Québec, 1860–1915 » (mémoire de m.a., univ. Laval, 1985) et, enfin, ses grands magasins et ses maisons ouvrières, dans Luc Noppen et Lucie K[oenig] Morisset, l’Architecture de Saint-Roch : guide de promenade ([Québec], 2000). Une liste partielle des œuvres de Tanguay est dressée dans A. J. H. Richardson et al., Quebec City : architects, artisans and builders (Ottawa, 1984), 525s. ; on trouvera aussi une analyse de certaines dans Luc Noppen et al., Québec monumental, 1890–1990 (Sillery, Québec, 1990) et Québec : trois siècles d’architecture ([Montréal], 1979), dans Luc Noppen et Lucie K[oenig] Morisset, Québec, de roc et de pierres : la capitale en architecture (Sainte-Foy, Québec, [1998]) et dans deux de nos publications : « Flambeau d’une capitale : le parc de l’Exposition provinciale de Québec ; projets et réalisation d’un aménagement monumental », Soc. pour l’étude de l’architecture au Canada, Bull., 20 (1995) : 61–69 et le Potentiel monumental du parc de l’Exposition provinciale de Québec [...] (2 vol., [Québec], 1994). [l. k. m.]

ANQ-Q, CE301-S1, 10 août 1886 ; CE302-S17, 8 oct. 1858 ; E6, S8, G.-É. Tanguay.— L’Action catholique (Québec), 6 nov. 1923.— L’Action sociale (Québec), 26 mai 1908.— L’Électeur (Québec), 7 déc. 1888.— L’Événement, 6 nov. 1923.— Le Journal de Québec, 28 mars 1883, 10 déc. 1888.— La Minerve, 24 déc. 1898.— La Semaine commerciale (Québec), 8 nov. 1907.— Canadian album (Cochrane et Hopkins), 5 : 63.— Léon Lortie, Album biographique des membres du conseil de ville, suivis des principaux officiers et des entrepreneurs du nouvel hôtel de ville de Québec, 1896–97 ([Québec], 1897).— The storied province of Quebec ; past and present, W. [C. H.] Wood et al., édit. (5 vol., Toronto, 1931–1932), 3 : 63.— Benjamin Sulte et al., A history of Quebec, its resources and its people (2 vol., Montréal, 1908), 2 : 885s.— Who’s who and why, 1915–1916.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Lucie K. Morisset, « TANGUAY, GEORGES-ÉMILE (baptisé George-Elzéar-Émile) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/tanguay_georges_emile_15F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:

Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/tanguay_georges_emile_15F.html
Auteur de l'article:    Lucie K. Morisset
Titre de l'article:    TANGUAY, GEORGES-ÉMILE (baptisé George-Elzéar-Émile)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    28 novembre 2024