CHANDLER, KENELM CONOR, officier dans l’armée et dans la milice, fonctionnaire et seigneur, né le 22 août 1773 à Québec, fils naturel de Kenelm Chandler* et d’Elizabeth Conor ; décédé le 29 janvier 1850 à Nicolet, Bas-Canada, et inhumé le 7 février suivant dans le même village.
Kenelm Conor Chandler descend par son père d’une vieille famille de grands propriétaires fonciers de Tewkesbury, en Angleterre. C’est en 1764 que Kenelm Chandler vient s’établir à Québec où il poursuivra une carrière de militaire et de fonctionnaire au service du Board of Ordnance. À l’instar des membres des familles de l’aristocratie britannique, il se fait le défenseur d’un ordre social basé sur les privilèges de son groupe et préconise le maintien de la monarchie et de la propriété seigneuriale.
On ne sait rien de l’enfance ni de la jeunesse de Kenelm Conor Chandler. Il est possible que les valeurs aristocratiques l’aient dès lors marqué. Comme ses pairs, Chandler entre de bonne heure dans l’armée britannique. C’est naturellement dans les Royal Americans (60th Foot), où son père a servi, qu’il fait ses premières armes. En 1803, à l’âge de 30 ans, il est élevé au grade de capitaine dans ce régiment. La même année, son père meurt et il hérite avec Charlotte Dunière, femme de son père, d’une fortune évaluée – à £4 730. L’entrée en possession de cet héritage permet alors à Chandler de se marier. Le 18 septembre 1804, il épouse à Québec Jane Grant, fille de Charles Grant, associé important de la North West Company et grand magnat du commerce des fourrures. Plusieurs représentants du gouvernement bas-canadien, militaires de carrière, membres de la bourgeoisie assistent au mariage. La mariée apporte une dot de 6 000ll et plusieurs autres biens familiaux. Ce mariage constitue donc un autre indice de l’honorabilité de la famille Chandler. Une seule fille naîtra de cette union.
En 1805, Chandler part pour l’Inde où son régiment doit servir. Même si on perd ensuite sa trace jusqu’en 1810, on sait néanmoins que durant cette période il fait un séjour aux Antilles et y contracte une maladie infectieuse qui le force à abandonner sa carrière militaire. De retour au Bas-Canada à la fin de 1810, il est nommé par le gouverneur sir James Henry Craig* maître de caserne à Québec, charge que son père a occupée jusqu’à sa mort en 1803. À cette époque, la vie de Chandler témoigne d’un certain nombre de mutations quant à son activité. Non seulement accomplit-il adéquatement sa tâche de fonctionnaire, mais il s’applique aussi à accroître sa fortune en achetant des terres et en prêtant de l’argent. En 1819, son futur gendre, Thomas Trigge, le remplace dans ses fonctions de maître de caserne.
Pour Chandler, une nouvelle vie va commencer. Gentilhomme, il ambitionne alors d’atteindre un nouveau palier social qui le ferait passer de fonctionnaire au rang de seigneur. L’occasion se présente, idéale, en 1821, lorsque la seigneurie de Nicolet est mise aux enchères. Nul n’est mieux placé que lui pour s’en porter acquéreur, puisqu’il est le principal créancier du propriétaire de la seigneurie, Charles-François-Xavier Baby*. Chandler l’achète donc pour la modique somme de £6 530, plus les £1 020 qu’il doit débourser pour le manoir et la ferme domaniale. Peu après cette transaction, il s’installe dans son manoir, où il restera jusqu’à sa mort.
Dès son arrivée à Nicolet, Chandler fait valoir ses droits seigneuriaux et tient aux honneurs qui y sont rattachés : banc seigneurial, privilèges de l’eau bénite et du pain bénit dans l’église. Accumulant les charges honorifiques, il se voit aussi attribuer en 1822 les fonctions de commissaire responsable de la décision sommaire des petites causes à Nicolet. De plus, le gouverneur lord Dalhousie [Ramsay] le nomme la même année lieutenant-colonel et commandant du 2e bataillon de milice du comté de Buckingham. Épris de grandeurs, Chandler rêve par ailleurs pour sa seigneurie d’une importante population de Britanniques et, en 1823, il fait construire à cette fin une église anglicane près de son manoir.
Âpre au gain, Chandler tient à gérer sa seigneurie avec rigueur. Au moment où celle-ci se développe et que le rapport terre/homme commence à resserrer son étau sur la terre, il se rend bien compte qu’il lui faut prêter plus d’attention à l’exploitation de ses biens. S’il veut rentabiliser au maximum sa seigneurie, il doit fixer des conditions de gestion plus rigides et plus contraignantes. Dans ce but, il engage en 1823 le notaire Luc-Michel Cressé dont la tâche principale sera d’administrer et de gérer efficacement la seigneurie. Grâce aux talents de ce dernier, la gestion de la seigneurie se trouve alors profondément modifiée dans le sens d’un rétablissement de l’ordre traditionnel, d’une rationalisation plus grande des structures administratives et d’un durcissement des exigences seigneuriales. En moins de dix ans, sous la surveillance étroite de Chandler, la seigneurie deviendra une entreprise extrêmement rentable.
Chandler ne se contente pas d’une saine gestion de ses biens. À partir de 1830, la densité de population de la seigneurie lui commande d’envisager une meilleure organisation collective et d’adopter un ensemble de règles qui encadreront mieux cette petite communauté rurale. Les chemins, le village, les côtes et les censives, les moulins, les terres non acensées constituent un environnement naturel ou créé auquel il lui apparaît nécessaire de donner un véritable statut et qu’il doit mieux réglementer et surveiller. Il s’agit en fin de compte, pour Chandler, de préserver ou de rétablir certains droits fondamentaux, d’exiger de nouveaux services et d’autres redevances, de recenser les terres non concédées, de consentir de nouvelles conditions à ses tenanciers et, pour ce faire, d’avoir une connaissance aussi exacte que possible de l’ensemble de sa seigneurie. Dans ce contexte, la confection d’un nouveau terrier lui semble essentielle pour consolider son emprise sur la seigneurie. De plus, il fait procéder à l’arpentage du sol et il y introduit la levée d’un plan parcellaire afin d’acquérir une meilleure connaissance des transformations rapides de la seigneurie et d’assurer des bases encore plus solides à la rédaction du terrier.
Ainsi, en 1832, Chandler charge l’arpenteur Jean-Baptiste Legendre, de Gentilly (Bécancour), de tirer les lignes, de mesurer chacune des terres et de résoudre certaines difficultés de délimitation du côté sud-ouest de la seigneurie. Pour préserver ses droits territoriaux, il s’engage alors dans une série de procès et de contre-procès coûteux qui seront encore en suspens à sa mort. Il ne s’affirme pas moins comme un seigneur tout-puissant qui impose de plus en plus à ses voisins le respect des limites de sa seigneurie. En 1837, Chandler, aguerri et méticuleux, ordonne la confection définitive du terrier. Cressé, qui s’en est vu confier la rédaction, n’ignore pas l’ampleur du travail. Dans de gros registres, il note les noms des tenanciers et délimite chacune des parcelles en prenant en considération sa taille, son emplacement, son habitat, son exploitation, ses fréquentes mutations et ses charges. Chandler acquiert ainsi une connaissance parfaite de sa seigneurie : terres acensées, domaine seigneurial et terres non concédées, revenus et droits. Cependant, la confection du terrier provoque beaucoup de mécontentement parmi les cultivateurs de la seigneurie. À la veille des troubles de 1837–1838, la campagne nicolétaine connaît même plusieurs signes d’agitation et de révolte [V. Jean-Baptiste Proulx*]. Chandler n’en parvient pas moins avec l’appui du curé de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, Jean Raimbault, à endiguer facilement le mouvement patriote de sa région.
Après cet incident malheureux, Chandler axe le gros de son activité sur la gestion de son domaine principal qui occupe près de 300 arpents de superficie. On y trouve un manoir spacieux, deux modestes maisons réservées aux domestiques et une ferme domaniale des mieux équipées, avec deux granges, trois étables, deux remises et trois hangars. À partir de 1840, il convertit une partie de sa terre en prairie, souhaitant ainsi favoriser l’élevage d’un cheptel important. Il y installe même un abattoir et une laiterie dans le but d’accentuer la production laitière et la vente de viande de boucherie sur les marchés locaux. Chandler gère ses domaines secondaires avec autant d’efficacité. Près de la rivière Nicolet, il retient plusieurs portions de terre et y installe deux moulins à farine et six moulins à scier. Au même titre, il s’empare de plusieurs terres non défrichées et les incorpore à son domaine en vue d’y faire la coupe du bois. La possession d’un tel domaine représente sûrement pour lui un élément de prestige. Il utilise une partie des revenus de son domaine pour des dépenses de distinction sociale – toilettes pour les dames, réceptions mondaines pour les hauts dignitaires du gouvernement, entretien d’une kyrielle de domestiques de tous genres.
À la veille de sa mort, en 1850, Kenelm Conor Chandler possède une importante seigneurie de deux lieues de front sur cinq de profondeur. Son manoir, vaste demeure aux allures de château, contient des pièces d’argenterie, d’orfèvrerie et de joaillerie. Sa garde-robe et celle de son épouse regorgent de draps riches et de vêtements de toutes sortes. Le linge de maison confirme également la richesse du seigneur Chandler : dans plusieurs pièces s’empilent couvertures, coussins, draps, nappes, linges de toutes espèces. L’inventaire des meubles est aussi impressionnant : bancs, chaises, buffets, armoires, lits. Sa bibliothèque renferme beaucoup d’ouvrages pieux et d’écrits politiques sur la monarchie ainsi que plusieurs livres sur la Coutume de Paris et les pratiques seigneuriales. Ces divers éléments viennent confirmer que Chandler est bel et bien un digne représentant de cette nouvelle aristocratie britannique du Bas-Canada qui, dans la première moitié du xixe siècle, s’est fort bien accommodée des vieilles institutions françaises et en a tiré le maximum de profit.
ANQ-MBF, CE1-12, 7 févr. 1850 ; CN1-21, 8 mai 1844, 13–15 mai, 3 juin 1850.— ANQ-Q, CE1-61, 22 août 1773, 18 sept. 1804 ; CN1-230, 15 sept. 1804 ; CN1-262, 13 nov. 1804 ; P-34.— APC, RG 68, General index, 1651–1841.— ASN, AO, Polygraphie, IX : 25 ; Seigneurie de Nicolet, Cahier de cens et rentes de la seigneurie de Nicolet, 11–18 ; Terrier, 2–9.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1828–1829, app. R.— Almanach de Québec, 1803–1805 ; 1810–1819 ; 1822.— P.-G. Roy, Inv. concessions.— Bellemare, Hist. de Nicolet, 213–253.— Richard Chabot, « les Terriers de Nicolet : une source importante pour l’histoire rurale du Québec au début du XIXe siècle », les Cahiers nicolétains (Nicolet, Québec), 6 (1984) : 115–126.— Denis Fréchette, « la Querelle du pain bénit dans la seigneurie de Nicolet », les Cahiers nicolétains, 1 (1979) : 19–33.— A. St-L. Trigge, « The two Kenelm Chandlers », BRH, 49 (1943) : 108–113.
Richard Chabot, « CHANDLER, KENELM CONOR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chandler_kenelm_conor_7F.html.
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Auteur de l'article: | Richard Chabot |
Titre de l'article: | CHANDLER, KENELM CONOR |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |