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CHABERT DE JONCAIRE, LOUIS-THOMAS (appelé Sononchiez par les Iroquois), écuyer, membre de la garde du gouverneur, lieutenant dans les troupes de la marine, agent et interprète auprès des Iroquois pour le compte de la Nouvelle-France, né à Saint-Rémy-de-Provence, près d’Arles, aux environs de 1670, fils d’Antoine-Marie de Joncaire, écuyer, et de Gabrielle Hardi, décédé au fort Niagara, le 29 juin 1739.
Joncaire est venu au Canada, croit-on, avant 1690, en qualité de maréchal des logis dans la garde du gouverneur. Peu après son arrivée, les Tsonnontouans le firent prisonnier et décidèrent de le mettre à mort. Que se passa-t-il alors ? On ne sait trop. Joncaire raconta à l’intendant Antoine-Denis Raudot, en 1709, qu’un des chefs avait tenté de lui brûler les doigts en guise de prélude aux tortures, mais que lui, Joncaire, avait assené au chef un coup de poing qui lui fractura le nez. Cette témérité impressionna tellement les Tsonnontouans qu’ils lui laissèrent la vie et, de plus, l’adoptèrent pour un des leurs. Dans les mémoires que Daniel*, le fils de Joncaire, écrivit peu après 1760, on ne fait aucunement mention de cet incident. Daniel dit simplement que les Tsonnontouans avaient capturé son père et que, au moment de le livrer au bûcher, une femme de la tribu lui avait sauvé la vie en l’adoptant. Quoi qu’il en soit, il est indéniable que, au cours de la captivité de Joncaire, s’établirent entre lui et les Iroquois des rapports cordiaux qui se maintiendront jusqu’à sa mort près d’un demi-siècle plus tard. Les Indiens, d’une part, lui accordèrent leur confiance et leur amitié tandis que Joncaire, d’autre part, acquit une excellente connaissance de leur langue et une profonde intelligence de leur mentalité. Dans l’éventualité de négociations à mener avec cette grande tribu, il devenait un auxiliaire précieux pour la Nouvelle-France.
Avec le père Bruyas et Paul Le Moyne de Maricourt, Joncaire joua un rôle capital dans les pourparlers qui aboutirent au traité de paix de 1701, traité qui mettait fin à la deuxième guerre avec les Iroquois. À l’été de 1700, ces trois hommes, qu’accompagnaient deux Onontagués et quatre chefs tsonnontouans, se rendirent jusque dans les cantons iroquois et réussirent à convaincre toutes les nations, sauf les Agniers, d’envoyer une délégation officielle au Canada afin de négocier un traité avec les Français et leurs alliés autochtones. Quand éclata la guerre de Succession d’Espagne, en 1702, le gouverneur Philippe de Rigaud de Vaudreuil choisit Charles Le Moyne de Longueuil, qui jouissait d’une grande influence sur les Onontagués, et Joncaire pour mener à bien sa politique de temps de guerre, politique fondée essentiellement sur la neutralité iroquoise. Pour atteindre ce but, Joncaire a su, tantôt faire appel à la vénalité des Tsonnontouans en les comblant de présents, tantôt susciter leur crainte en les menaçant, s’ils s’avisaient de rompre le traité de 1701, d’une attaque par les tribus indiennes de l’Ouest. Cette menace n’avait de poids que si les Iroquois restaient fidèles à leur politique d’écarter les Indiens de l’Ouest du commerce avec Albany ; si ceux-ci obtenaient un droit de passage pour atteindre Albany, ainsi que Montour, l’agent métis à la solde des marchands de New York, tentait de les en convaincre, ils n’auraient plus de raisons de faire la guerre aux Cinq-Nations, même à la demande des Français.
Obéissant aux ordres de Vaudreuil, Joncaire prit ses dispositions pour éliminer Montour. Pendant l’été de 1709, les deux antagonistes, accompagnés chacun d’un parti d’hommes, se rencontrèrent fortuitement en pays iroquois. Simulant la cordialité, Joncaire invita Montour à fumer avec lui et lui offrit du tabac. L’agent d’Albany accepta et sortit son couteau pour en découper une portion. Joncaire souligna alors la petitesse du couteau et le lui demanda, sous prétexte de l’échanger contre un plus gros ; sans l’ombre d’un soupçon, Montour tendit son couteau au Français qui le lança prestement au loin tandis qu’un membre du groupe lui fracassait le crâne avec une hache dissimulée sous sa veste.
Comme l’illustre cet incident, Joncaire n’hésitait pas à se servir de la duperie pour arriver à ses fins. Il semble, néanmoins, que sa réussite auprès des Indiens ait été due, avant tout, à sa capacité d’établir avec eux un lien psychologique. La démonstration en fut particulièrement frappante en août 1711. La colonie était sous la menace d’une attaque anglaise et Vaudreuil avait ordonné à 800 Indiens de quelque 12 tribus différentes de se rendre à Montréal afin de renouveler les alliances. Le 7 août, au cours du banquet, on invita les tribus alliées à se proclamer contre les Anglais. C’était un moment décisif. Joncaire et Michel Maray de La Chauvignerie, interprète de Longueuil auprès des Onontagués, se levèrent alors devant l’assemblée, brandirent leurs haches et entonnèrent le chant de guerre. Tous les Indiens ne tardèrent pas à y joindre leurs voix, affirmant par là leur solidarité avec les Français.
C’est encore grâce à Joncaire que la Nouvelle-France a pu bâtir un fort à Niagara, sur le territoire tsonnontouan, en 1720. D’une très grande importance stratégique, l’endroit commandait le portage, contournant les chutes, que les Indiens de l’Ouest empruntaient pour venir trafiquer dans les colonies anglaises et la colonie française. En apprenant que les Anglais se proposaient d’occuper l’emplacement, Vaudreuil envoya Joncaire chez les Tsonnontouans avec mission de les amener à consentir à l’établissement d’un poste français. Joncaire se rendit donc chez les Iroquois au début de 1720 et convoqua une assemblée des chefs. Il leur déclara qu’il avait toujours tiré grand plaisir des visites qu’il leur avait faites ; mais, continua-t-il, il viendrait beaucoup plus souvent s’il possédait chez eux une habitation dans laquelle il pourrait se retirer. Les chefs répondirent que, étant fils de la tribu, il était libre de se construire une habitation à l’endroit de son choix. C’était tout ce que Joncaire désirait entendre. En hâte, il se rendit au fort Frontenac, prit huit soldats avec lui et retourna immédiatement à Niagara. Le petit détachement construisit un poste de traite sur la rive est de la rivière, quelque huit milles en bas de la chute, et hissa le drapeau français. Par une exploitation sans vergogne de la confiance que les Tsonnontouans avaient placée en lui, une fois de plus, Joncaire était arrivé à ses fins.
Joncaire commanda le fort Niagara jusqu’en 1726. Il avait démontré une fois de plus son ascendant sur les Iroquois en obtenant, en 1723, la permission de remplacer le premier poste de traite par une enceinte fortifiée assez vaste pour recevoir 300 soldats. En 1731, le gouverneur Charles de Beauharnois* de La Boische choisit Joncaire pour commander un détachement de Chaouanons qui avaient émigré de la Susquehanna vers la rivière Alleghany. Il avait pour mission de les empêcher de trafiquer avec les Anglais et, si possible, de les amener à déplacer leur bourgade un peu plus à l’ouest, de préférence à Détroit où l’influence française était prépondérante. C’est à quoi s’occupait Joncaire quand la mort le frappa au fort Niagara, le 29 juin 1739.
Le 1er mars 1706, Joncaire avait épousé, à Montréal, Marie-Madeleine Le Gay, âgée de 17 ans, fille de Jean-Jérôme Le Gay de Beaulieu, marchand bourgeois de Montréal, et de Madeleine Just. Des dix enfants nés de ce mariage, entre 1707 et 1723, deux jouèrent un rôle dans l’histoire de la colonie. Le fils aîné, Philippe-Thomas*, que son père avait présenté aux Tsonnontouans alors qu’il n’avait que dix ans, devint plus tard capitaine dans les troupes de la marine et mourut au Canada peu après la conquête. Son frère Daniel, connu sous le nom de sieur de Chabert et de Clausonne, fut une figure éminente dans la région de Niagara au cours de la guerre de Sept Ans. Impliqué dans « l’affaire du Canada », il passa quelque temps à la Bastille après la conquête et, une fois élargi, il retourna en Amérique pour mourir à Détroit en 1771. Selon Bacqueville de La Potherie [Le Roy], Joncaire avait eu dans la tribu iroquoise une femme qu’il aurait épousée aux environs de 1690.
Courageux et arrogant, impitoyable et sans scrupules, haï et craint des Anglais dont il avait souvent découvert les intrigues et déjoué les plans, admiré des Iroquois qui le considéraient comme un des leurs, Joncaire a été, pendant plus de 40 ans, un incomparable ambassadeur de l’influence française chez les Indiens. C’est avec des hommes de sa trempe que la France a bâti son empire colonial en Amérique.
AN, Col., C11A, 18–70 contiennent plusieurs références au sujet de Joncaire.— AJM, Greffe d’Antoine Adhémar, I., mars 1706.— Charlevoix, Histoire.— Colden, History of the Five Nations (1747).— Livingston Indian Records (Leder).— NYCD (O’Callaghan et Fernow), IV, V, IX.— Wraxall, An abridgement of Indian affairs (McIlwain).— F. H. Severance, An old frontier of France : the Niagara region and adjacent lakes under French control (2 vol., New York, 1917).
Yves F. Zoltvany, « CHABERT DE JONCAIRE, LOUIS-THOMAS (Sononchiez) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chabert_de_joncaire_louis_thomas_2F.html.
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Auteur de l'article: | Yves F. Zoltvany |
Titre de l'article: | CHABERT DE JONCAIRE, LOUIS-THOMAS (Sononchiez) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |