BIGAULT D’AUBREVILLE, LOUIS-NICOLAS-EMMANUEL DE (il signait Emmanuel d’Aubreville), officier et fonctionnaire ; circa 1791–1828.

Issu d’une vieille famille noble de l’est de la France, Louis-Nicolas-Emmanuel de Bigault d’Aubreville s’enfuit en 1791, durant la Révolution française, et se joignit à l’armée des émigrés du prince de Condé. Il demeura à son service jusqu’en 1799 ; il entra alors dans l’armée suisse comme cadet dans le régiment Salis-Marschlins. Après 1801, il fut, pendant une courte période, agent de recrutement pour l’armée britannique sur le continent. Puis il servit dans le régiment de De Watteville, où il devint quartier-maître en 1807.

En juin 1813, d’Aubreville arriva à Montréal avec son régiment. La Grande-Bretagne étant alors en guerre contre les États-Unis, on envoya immédiatement son unité renforcer les troupes régulières britanniques qui se trouvaient dans le Haut-Canada, à Kingston, à York (Toronto) et à Niagara (Niagara-on-the-Lake). Une fois de plus, d’Aubreville dut faire office de recruteur. Son zèle et son efficacité lui valurent, le 25 mai 1814, une commission de capitaine et le commandement d’une compagnie dans les Voltigeurs canadiens, alors en garnison à Chambly, au Bas-Canada. En juillet 1815, à la fin de la guerre, d’Aubreville fut mis à la demi-solde.

D’Aubreville était arrivé au Bas-Canada avec sa femme, Catherine Ribenzki, et plusieurs jeunes enfants, et il se fixa avec eux à Montréal. Comme c’était un homme qui avait reçu une certaine instruction, il essaya d’offrir la même à au moins trois de ses fils qui fréquentèrent le petit séminaire de Montréal à des périodes différentes s’échelonnant entre 1813 et 1825. En janvier 1817, un certain François Aumur poursuivit d’Aubreville pour diffamation ; ce dernier demanda à l’avocat et homme politique Michael O’Sullivan* de le défendre, alléguant que son accusateur agissait par jalousie « parce qu’il Saper[cevait] que [d’Aubreville avait] l’honneur d’être Considéré par toutes les personnes honêtes de cette ville ». Il pouvait difficilement se permettre ce procès, l’état de ses finances étant alors précaire ; en fait, en avril, une maison londonienne de tailleurs, qui n’avait probablement pas été payée pour la confection de son uniforme, fit saisir par le shérif de Montréal une terre qui lui appartenait dans le faubourg Saint-Laurent afin qu’elle soit vendue à l’encan.

La situation de d’Aubreville s’améliora en août 1818. Il fut nommé, moyennant un salaire de £75, contremaître du guet, service récemment établi à Montréal ; ce poste équivaut aujourd’hui à celui de chef de police. Jusqu’alors, la paix et la sécurité nocturnes avaient été assurées dans une certaine mesure par le corps de police, qui comptait de 25 à 30 hommes et qui avait été créé par autorisation du Parlement du Bas-Canada en 1815. L’éclairage des rues principales avait commencé cette année-là, mais il fallut attendre avril 1818 pour que soit adoptée une loi prévoyant la création d’un guet et l’engagement d’allumeurs de flambeaux ; la ville fut autorisée à engager un contremaître, un assistant et un nombre maximal de 24 hommes. La première fonction de d’Aubreville en tant que contremaître fut de sélectionner 18 hommes du guet et, à l’automne, il embaucha quatre Noirs comme allumeurs de flambeaux. Le guet était considéré comme un service de la police et d’Aubreville travaillait sous la surveillance du comité du guet et de l’éclairage, composé de magistrats de police et de juges de paix. Philippe-Joseph Aubert* de Gaspé rappellera l’importance des hommes du guet dans ses Mémoires : « Quel sentiment de bien-être, de comfort, de sécurité, on éprouvait, lorsque ces gardiens annonçaient les heures de la nuit sous nos fenêtres ! lorsqu’on les entendait chanter : Past one o’ clock, and a star light morning, ou bien a stormy morning, &c. &c. »

D’Aubreville travailla au premier poste de police, situé dans l’ancien couvent des récollets, et il y connut une carrière mouvementée comme contremaître. En 1823, le comité du guet et de l’éclairage, qui avait reçu des plaintes contre lui, lui infligea un blâme. En octobre 1827, il fut congédié en même temps que ses deux adjoints ; sur le témoignage de trois hommes du guet, Jean-Marie Mondelet*, membre du comité, les avait accusés d’ivrognerie et de négligence dans l’exercice de leurs fonctions. D’Aubreville nia publiquement ces accusations, mais en vain. Seul le rédacteur en chef de la Montreal Gazette le défendit. Le juge de paix Peter McGill* appuya la décision du comité dans une lettre à la Montreal Gazette, affirmant que d’Aubreville et ses deux adjoints étaient « tristement célèbres pour leur inconstance et leur inadvertance dans l’accomplissement de leur tâche ». Le rédacteur en chef de la Minerve ne fut pas moins sévère. Celui de la Montreal Gazette se permit d’insinuer que le comité, qui était exclusivement composé de Canadiens, avait congédié d’Aubreville pour des motifs politiques : le sens qui fut donné à cet incident indique le degré de tension que connaissait déjà le Bas-Canada à cette époque. En 1828, d’Aubreville lui-même expliqua que le « comportement arbitraire » des membres du comité, selon ses propres termes, était le prix qu’il avait payé pour « son attachement sincère et dévoué au gouvernement britannique ». Il subit une autre humiliation immédiatement après son renvoi : son fils Emmanuel-Xavier, alors âgé de 21 ans, fut déclaré coupable, avec un de ses compagnons, d’avoir fait du vacarme, d’avoir pénétré de force dans la maison d’une jeune femme et d’avoir détruit ses biens. Le jeune d’Aubreville fut condamné à une amende de £5 et dut passer un mois en prison parce que son père ne pouvait acquitter cette somme.

En avril 1821, Louis-Nicolas-Emmanuel de Bigault d’Aubreville avait reçu, à titre d’ancien combattant, 800 acres de terre dans le canton de Halifax mais, comme il travaillait à Montréal, il n’en avait jamais pris possession. En 1828, sans emploi ni ressources, il réclama les lettres patentes pour cette terre, où il se retira vraisemblablement avec sa femme et certains de ses six enfants. D’Aubreville était un homme instruit qui ne manquait pas d’ambition ; il s’était expatrié et son service dans trois armées différentes au cours de nombreuses campagnes sur deux continents lui avait valu les éloges de ses supérieurs. Or, il semble ne s’être jamais adapté à la vie civile et il tomba dans l’oubli.

Elinor Kyte Senior

ANQ-M, CE1-51, 7 sept. 1814.— APC, MG 30, D1, 2 : 476 ; RG 1, L3L : 17534 ; RG 8, I (C sér.), 715.— AUM, P 58, U, Aubreville à O’Sullivan, 20 janv. 1817.— Centre de documentation du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal, Jean Turmel, « Premières Structures et Évolution de la police de Montréal, 1796–1909 » (copie dactylographiée, Montréal, 1971), 1, 8, 11–12.— La Gazette de Québec, 21 août 1817, 27 avril, 25 juin 1818.— La Minerve, 1er, 8, 19 nov. 1827.— Montreal Gazette, 22, 29 oct. 1827.— Montreal directory, 1819 : 17.— Officers of British forces in Canada (Irving), 106.— Aubert de Gaspé, Mémoires (1930), 2 : 81.— E. H. Bovay, « les Deux Régiments suisses au Canada (1813–1817) » (communication faite au Colloque international d’hist. militaire, Ottawa, 1978).— Maurault, le Collège de Montréal (Dansereau ; 1967), 474.— F.-J. Audet, « Bigault d’Aubreville », BRH, 37 (1931) : 279–280.— Ægidius Fauteux, « Bigault d’Aubreville », BRH, 37 : 222–223.— É.-Z. Massicotte, « le Guet à Montréal au xixe siècle », BRH, 36 (1930) : 68–70.— Zed [ ], « Question », BRH, 37 : 91.

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Elinor Kyte Senior, « BIGAULT D’AUBREVILLE, LOUIS-NICOLAS-EMMANUEL DE (Emmanuel d’Aubreville) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bigault_d_aubreville_louis_nicolas_emmanuel_de_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    28 novembre 2024