BEAR (Bair, Muin, Aubin ?), NOEL (Noil, Newell, Newal), chasseur, trappeur, guide et vannier malécite, né près de la rivière Mattawamkeag (Maine), fils de Peter Bear et d’une Abénaquise de Saint-François ; peut-être après un premier mariage avec une femme de la tribu des Pentagouets, il épousa le 4 novembre 1851, à Woodstock, Nouveau-Brunswick, Monica (Moneech) Francis, vraisemblablement une Micmaque de Red Bank ou de Richibucto, Nouveau-Brunswick (décédée avant 1896), et ils eurent trois fils ; décédé le 4 septembre 1907 près de la rivière Tobique, Nouveau-Brunswick.
Il se peut que Noel Bear ait compté, parmi ses ancêtres paternels, Jean Serreau* de Saint-Aubin, seigneur français de la région de la baie de Passamaquoddy dont le fils Charles épousa une Malécite vers 1690. Son arrière-arrière-grand-père, le chef Pierre (Peter) Saint-Aubin, de Meductic (près de l’emplacement actuel de Meductic, Nouveau-Brunswick), était peut-être le fils ou le petit-fils de Charles et de cette Malécite. Pierre, qui, semble-t-il, était chaman et avait le pouvoir de localiser les ours, est réputé avoir été le premier à porter le nom de Bear. Quant à la famille de la grand-mère paternelle de Noel, elle venait de la rivière Kennebec (Maine) et, selon la tradition familiale, elle avait survécu à l’attaque lancée en 1724 par les troupes du Massachusetts sur Narantsouak (Norridgewock ; aujourd’hui Old Point, Madison, Maine) [V. Jeremiah Moulton*].
Depuis au moins la fin du xviie siècle, Meductic était le principal village des Malécites de la rivière Saint-Jean, mais apparemment, il fut abandonné en 1767, année de l’arrivée du père Charles-François Bailly* de Messein à Aukpaque (Savage Island, Nouveau-Brunswick) et de la mort du grand-père de Noel Bear, le chef Noel Tobig (Toubic), de Meductic. Les Saint-Aubin figurent régulièrement dans les registres paroissiaux d’Aukpaque pendant la période du séjour de Bailly et de ses visites subséquentes. Durant la Révolution américaine, sous la direction de l’oncle ou du grand-oncle de Noel Bear, Ambroise Saint-Aubin* (qui demeura leur chef jusqu’à sa mort en 1780), ils soutinrent les rebelles à Machias (Maine). D’ailleurs, dans la région de Passamaquoddy, la plupart des partisans indiens des rebelles étaient des Malécites de la rivière Saint-Jean.
Après la révolution, quelques membres de la famille Saint-Aubin restèrent à Passamaquoddy sous l’autorité du frère d’Ambroise, Joseph-Thomas Saint-Aubin*. Comme ils avaient aidé les rebelles, ils escomptaient bien être partie au traité de Passamaquoddy, qui fut conclu en 1794. Selon toute probabilité, ces gens étaient les Bear qui, d’après une tradition transmise oralement parmi les Pesmocodys, habitèrent une île proche de l’emplacement actuel du village de Peter Dana Point, dans la baie de Passamaquoddy, jusqu’à ce qu’une épidémie de variole les décime. C’est peut-être dans cette île que les parents de Noel Bear se réfugièrent, dans l’espoir de pouvoir chasser en paix, une fois que les loyalistes eurent envahi leurs territoires de la Saint-Jean. Noel naquit à proximité de là, près de la rivière Mattawamkeag, probablement vers 1796, quoique des recensements et d’autres documents laissent entendre qu’il serait né après cette date. Dans le recensement fait en 1900 par le gouvernement des États-Unis, on lui attribue des ascendants pesmocodys.
Étant donné qu’aux yeux des autorités américaines les Malécites de la Saint-Jean résidaient en Amérique du Nord britannique, ils n’avaient eu droit à aucun des bénéfices garantis par le traité de Passamaquoddy et ce, en dépit du fait qu’ils avaient participé à la révolution et qu’ils avaient des territoires de chasse dans ce qui est aujourd’hui le nord du Maine. Aussi les Bear/Saint-Aubin semblent-ils avoir gagné progressivement des territoires de chasse plus isolés. Noel racontait que, à l’époque où il n’avait que cinq ans et où il n’y avait pas encore de village à Tobique Point (Indian Point), sa mère, chaussée de raquettes, l’avait transporté de la rivière Miramichi, au Nouveau-Brunswick, à l’embouchure de la rivière Tobique. Ce voyage eut peut-être lieu en 1801, année où, pour la première fois, on réserva des terres aux Malécites à Tobique [V. Noël Bernard*]. On sait que, par la suite, le père de Noel et son oncle Ambrose firent de la chasse et du piégeage à la source de la Tobique, mais en fait, ils en faisaient sur un territoire plus étendu. En 1811, Noel et son oncle rencontrèrent les premiers colons de ce qui allait devenir Houlton, dans le Maine. Le nom de Noel figure sur une pétition signée en 1831 par les Pentagouets à Old Town, aussi dans le Maine. Pendant la « guerre de l’Aroostook », en 1838–1839, les soldats du fort Fairfield (Fort Fairfield, Maine) l’engagèrent pour qu’il leur procure de la viande d’orignal.
C’est en 1853 que Noel Bear figure pour la première fois sur une liste de recensement de la réserve indienne de Tobique. Cette date coïncide à peu près avec le moment où l’État du Maine commença à resserrer ses lois sur la chasse pour tout le monde, sauf les Pentagouets et les Pesmocodys, avec qui il avait signé des traités. Par la suite, on trouve le nom de Noel Bear de temps à autre dans les recensements de Tobique et plus régulièrement sur des pétitions dénonçant des empiétements sur les territoires malécites à cet endroit. En outre, son nom paraît sur deux des trois prétendus actes de cession signés dans les années 1890 et portant sur des terres de Tobique ; à cette époque, toutefois, un cousin beaucoup plus jeune et portant le même nom était devenu majeur et il se pourrait que ce soit lui qui ait signé les actes de cession. Le nom de Noel (le plus âgé) a été consigné dans un recensement une autre fois avant sa mort. En 1890, Noel était veuf et vivait à Houlton avec ses fils Peter et Thomas.
Tout porte à croire que Noel Bear était resté plus fidèle à la religion de son peuple qu’il ne s’était converti au catholicisme. Le fait qu’il ne soit presque jamais mentionné dans les registres paroissiaux, à l’exception de son acte de sépulture, démontre que c’était le cas. Bon nombre de résidents de la réserve de Tobique cultivaient la terre, mais apparemment, ce n’était pas son cas. Chasseur il était, chasseur il restait. Régulièrement, il se rendait des eaux des rivières Miramichi et Tobique à celles de l’Allagash et du haut de la Saint-Jean dans le Maine ; il parcourait aussi le Saint-Laurent. Même les Malécites de Tobique s’émerveillaient de voir qu’il était capable de rester dans les bois de l’automne au printemps ; ils disaient que lui et ses fils étaient « tout comme le muin (l’ours) ». On raconte qu’avant 1870 lui-même, son oncle, un de ses fils et deux autres Malécites abattirent tous les orignaux de leur territoire et en vendirent les peaux dans la province de Québec. Il se peut que lui et son fils aîné aient été les dénommés Noel et Peter qui, en 1862, guidèrent l’officier Richard Lewes Dashwood de la Restigouche jusqu’à la source de la Tobique, puis jusqu’à la Miramichi.
Dans les années 1870 et 1880, sous l’effet d’une demande croissante de viande, de peaux et de fourrure, la chasse commerciale augmenta au point de donner lieu à un véritable massacre du gibier. Parallèlement à cela, les cercles de chasseurs sportifs qui prônaient une nouvelle éthique de la conservation et l’idée du « gentleman-chasseur » connurent une croissance phénoménale. Sous l’influence des puissants lobbies d’amateurs de chasse, le Maine et le Nouveau-Brunswick comprirent à quel point la chasse sportive pourrait être rentable et adoptèrent, en vue de protéger le gibier, des lois de plus en plus restrictives, qui imposaient des pénalités sévères aux contrevenants. Conjointement avec la rareté du gibier, cette nouvelle pratique eut des conséquences désastreuses sur le mode de vie traditionnel des Malécites. On ne doit donc pas s’étonner qu’en 1897 Edwin Tappan Adney*, entre autres, ait trouvé Noel Bear « grognon et tout à fait vilain à l’égard des blancs ».
Dans ses dernières années, Noel Bear était bien connu comme vannier dans la région de Houlton, Ashland et Presque Isle, dans le Maine. Cependant, il continuait de préférer la chasse, et de loin ; fabriquer des paniers, disait-il, n’était que « du travail pour avoir de quoi manger ». En 1903, on le voyait encore chasser à la source de la Tobique. Bien que son anglais ait été rudimentaire, on rapporte qu’il déclara : « [l’Indien] ne [...] parcour[ait] pas [...] le monde pour prendre ce qui appartenait aux autres et mourir avant que son heure soit venue ; il souhaitait seulement mourir en paix où il était et vivre où ses pères avaient vécu et comme eux ». Noel Bear mourut en 1907, à 111 ans peut-être, seul dans les bois. Il fut inhumé à Tobique.
On trouve un croquis d’un portrait de Noel Bear, réalisé par Edwin Tappan Adney, et une photo de Bear à son campement dans les papiers d’Adney conservés au Peabody Museum (Salem, Mass.), box 56 (mfm aux UNBL). Un portrait de Bear, aussi exécuté par Adney, est reproduit sur la jaquette du livre intitulé Someone before us : our Maritime Indians ([2e éd., Fredericton], 1970), de G. F. Clarke, et dans Alden Nowlan, « Dr. George Frederick Clarke : an appreciation », Atlantic Advocate, 60 (1969–1970), no 2 : 33. Une photo, à l’origine une carte postale, portant la mention « Newell Bear, le plus vieil Indien d’Aroostook, très probablement le plus vieil Indien vivant aux États-Unis ; 108 ans ; Houlton Maine » est conservée à la Univ. of Maine at Presque Isle Library, Aroostook County Hist. Coll., et figure dans les ouvrages de Thibadeau (en regard de la page 11) et de Wherry (page 552) cités ci-dessous. Une autre photo, où l’on voit Bear en train de fabriquer des paniers, figure dans Maine dirigo : « I lead », D. B. Bennett et B. E. Young, édit. (Camden, Maine, 1980), 132, et dans Andrea Bear Nicholas, « The spirit in the land : the native people of Aroostook », The county : land of promise ; a pictorial history of Aroostook County, Maine, Anna Fields Mcgrath, édit. (Norfolk, Va., 1989), 35. Une photo de Bear en compagnie de deux autres Malécites, tous âgés d’environ 100 ans, est conservée au Musée canadien des civilisations (Hull, Québec), coll. de photographies, NM77-6514.
Affaires indiennes et du Nord Canada (Ottawa), Protected Bands, B 8260-108 (nouv. sér.), vol. 7, Tobique petition to Manners-Sutton, 8 août 1861.— AN, RG 10, 2110, dossier 20295, part. 1.— APNB, RS9, 27 févr. 1857, no 1 ; RS105/1868/61 ; RS266, A13c ; RS557/1853/3 ; RS570, A1, 1869.— É.-U., Bureau of the Census, Personal census service branch (Pittsburg, Kans.), Twelfth census of the U.S., 1900, schedule no 1, Indian population : A37.— Maine State Arch. (Augusta), Council report warrants, no 456.— Musée canadien des civilisations, coll. Laslo Szabo, « Malecite stories », 5 : 458–460 (« Grave Island », récit de Lilly Gabriel) (texte dactylographié, 1975).— Musée du N.-B., W. F. Ganong papers, scrapbook 5 : 200s. (« Noel Bear, Indian », coupure de presse non datée du Boston Herald, circa 1905).— Peabody Museum, E. T. Adney papers, boxes 36, 56, 61, 64 (mfm aux UNBL).— St Anne’s Roman Catholic Church (Maliseet, N.-B.), RBMS, plus particulièrement 1 : 162c (Edith O’Brien, « Names of inhabitants of the Tobique Indian village in 1896 », 3 févr. 1896.— St Gertrude’s Roman Catholic Church (Woodstock, N.-B.), RBMS, 4 nov. 1851.— UNBL, MG H22, box 1, file 4, no 19.— Univ. of Maine at Presque Isle Library, Aroostook County Hist. Coll., W. T. Ashby, « A complete history of Aroostook County and its early and late settlers » (texte dactylographié d’une série d’articles parus dans la Mars Hill Gazette (Mars Hill, Maine), déc. 1910–déc. 1911), chap. XII : 68–72 (histoire romancée de Bear [a. b. n.]).
G. F. Clarke, Six salmon rivers and another in Canada (Fredericton, 1960).— R. L. Dashwood, Chiploquorgan ; or, life by the camp fire in Dominion of Canada and Newfoundland (Dublin, I 871), 36–62.— E. D. Ives, George Magoon and the down east game war : history, folklore and the law (Urbana, Ill., et Chicago, 1988), particulièrement le chap. 3.— H. M. Manzer, « Around the campfire », University Monthly (Fredericton), 4 (1884–1885) : 98–100.— F. G. Speck et W. S. Hadlock, « A report on tribal boundaries and hunting areas of the Malecite Indian of New Brunswick », American Anthropologist (Menasha, Wis.), nouv. sér., 48 (1946) : 360s.— W. J. Thibadeau, The Irishman : a factor in the development of Houlton ; a history of the parish of St. Mary’s ; a word about the Acadians of Madawaska (Augusta, Maine, [1910 ?]) (exemplaire déposé à la New England Historic Geneal. Soc. Library, Boston).— James Wherry, « The history of Maliseets and Micmacs in Aroostook County, Maine : preliminary report number two, juin 1979 », et « Leadership in Maliseet society », É.-U., Senate, Select committee on Indian affairs, Proposed settlement of Maine Indian land claims : hearings, 96th congress, 2nd session, on S. 2829 [...] July 1 and 2, 1980, Washington, D.C. (2 vol., Washington, 1980 [i.e., 1981]), 2 : 506–609 and 610–622, particulièrement la p. 619.
Andrea Bear Nicholas, « BEAR (Bair, Muin, Aubin?), NOEL (Noil, Newell, Newal) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bear_noel_13F.html.
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Auteur de l'article: | Andrea Bear Nicholas |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |