AUBERY (Auberi, Aubry), JOSEPH (Jacques), prêtre, jésuite, missionnaire, né à Gisors (dép. de l’Eure, France) le 10 mai 1673 et décédé à la mission de Saint-François-de-Sales (Odanak, Québec) le 24 mai 1756.

À l’âge de 17 ans, Joseph Aubery entra au collège Louis-le-Grand de Paris, où il étudia sous la direction du père Joseph Jouvency. Il avait la réputation d’un étudiant timide et timoré. Pourtant, il demanda l’autorisation de poursuivre ses études à Québec où il arriva en 1694. Tout en continuant ses études de théologie, il enseigna au collège de Québec durant cinq ans. Après avoir été ordonné prêtre par Mgr de Saint-Vallier [La Croix*] le 21 septembre 1699, Aubery se consacra à l’étude de la langue abénaquise à la mission du sault de la Chaudière et, en 1701, on lui confia le soin de fonder, à Médoctec (Meductic, N.-B.) sur la rivière Saint-Jean, une mission pour les Malécites, alliés des Abénaquis. Dès son arrivée dans cette région de l’Acadie continentale, il se fit le champion d’une politique visant à réunir tous les Abénaquis dans le territoire de la Nouvelle-France, pour les soustraire à l’influence des Anglais. Il semble que le père Aubery parcourut en tous sens cette région accidentée et en vint à la connaître mieux que toute autre.

En 1709, Aubery dut remplacer le père Jean-Baptiste Loyard*, qui avait assumé temporairement la direction de la mission Saint-François-de-Sales, sur les bords de la rivière Saint-François, où se trouvait le plus important groupe d’Abénaquis « domiciliés » de la Nouvelle-France. Dans une lettre à son ancien professeur, le père Jouvency, Aubery laisse entrevoir les difficultés de son ministère. Il doit lutter contre « l’ivrognerie, l’arrogance et la superstition ». Mais le timide étudiant de naguère a bien changé : il est devenu éloquent et sa véhémence comme sa rigueur oratoire l’ont aidé à convaincre les Anciens de se rendre eux-mêmes responsables de la pratique de la vertu dans la mission. Le père Aubery acquit ainsi rapidement une grande influence sur ses ouailles et il devint bientôt un grand spécialiste de la langue abénaquise.

En cédant l’Acadie à l’Angleterre « selon ses anciennes limites », le traité d’Utrecht, signé en 1713, vint créer une situation difficile pour les Abénaquis de la côte atlantique qui se trouvaient maintenant sur un territoire réclamé par les deux couronnes. Conscient du danger, Aubery envoya à la cour de France, la même année, un mémoire accompagné d’une carte proposant des limites claires entre les deux territoires, pour ne pas laisser « l’Anglais, pendant la paix, s’étendre, s’avancer et s’établir sur nos terres et par là se rendre maîtres du Canada ». « Pour être certaines, disait-il, ces limites ne pourraient être que la hauteur des terres ; mais de les y déterminer, c’est donner une grande partie de la Nouvelle-France puisque ces hauteurs des terres sont très proches du fleuve Saint-Laurent. » Le père Aubery proposait donc : une définition de l’Acadie limitée à la péninsule actuelle de la Nouvelle-Écosse ; un poste limite sur l’Atlantique, pour séparer la Nouvelle-France de la Nouvelle-Angleterre, ce poste étant l’ancien fort de Pemaquid ; à partir de ce point, il suggérait de tracer une ligne qui suivrait la hauteur des terres pour obtenir « une limite juste et certaine des terres qui sont censées appartenir à l’un ou à l’autre ». Mais ce mémoire et cette carte, que le père Aubery avait préparés avec l’aide de l’intendant Bégon, ne firent aucune impression durable sur la politique française, et l’Acadie continentale demeura zone contestée.

En 1715, le père Aubery reprit alors son ancienne idée, exprimée en 1703, de réunir tous les Abénaquis en un seul village et il proposa d’unir la mission de Bécancour à celle de Saint-François « qui [était] le poste le plus avantageux de la colonie par rapport aux Iroquois en temps de guerre et très convenable pour y faire un établissement solide y ayant une grande étendue de terres [...] très bonnes et très propres aux sauvages ». En même temps, il tentait de dissuader Atecouando*, chef abénaquis réfugié avec 60 guerriers à Saint-François depuis la guerre, de retourner près de la Nouvelle-Angleterre pour y rétablir son ancien village, lui représentant « les inconvénients que lui-même souffrira[it] par ce rétablissement ». Le missionnaire participait de la sorte très activement à la politique du gouvernement français qui voulait conserver à tout prix l’alliance des Abénaquis.

Comme son supérieur, le père Pierre de La Chasse, le père Aubery ne fut sans doute pas étranger à la déclaration de guerre qui opposerait, en 1718, les Abénaquis aux Anglo-Américains de la Nouvelle-Angleterre. En effet, en 1720, Aubery envoyait un second mémoire à la cour de France sur la question des limites de l’Acadie. En 1721, il recevait à sa mission Saint-François le gouverneur Vaudreuil [Philippe de Rigaud*] venu rencontrer les guerriers abénaquis. Il était d’ailleurs en correspondance suivie avec Vaudreuil sur toutes les questions relatives à la guerre. En 1725, il envoya au père Louis d’Avaugour*, procureur des missions jésuites de la Nouvelle-France, à Paris, un mémoire où il affirmait : « La guerre est très nécessaire si on ne veut pas s’exposer à perdre dès à présent toute la côte du fleuve Saint-Laurent. » Le missionnaire écrivit dans le même sens, en 1726, au père Jean-Baptiste Duparc, successeur du père de La Chasse ; il précisait à son correspondant : « La religion a été jusqu’à présent le seul motif qui a rendu les Abénaquis français et dès qu’il n’y aura plus de missionnaires, ils deviendront Anglais et seront seuls capables de mettre les Anglais en possession de tout le pays à la première guerre. » On peut cependant croire que le missionnaire s’efforçait d’adoucir, dans la mesure de ses moyens, cette guerre « juste et nécessaire » en accueillant et en rachetant les nombreux prisonniers ramenés des expéditions en Nouvelle-Angleterre. Les registres de la mission ayant été détruits en 1759, il n’y a pas de trace que le père ait effectivement posé de tels gestes. Mais l’on sait toutefois qu’il racheta et convertit en 1720 la jeune Dorothy Jeryan, qui devait plus tard entrer chez les Ursulines de Québec.

Après la paix anglo-abénaquise signée en 1726 et ratifiée en 1727, le père Aubery accueillit à Saint-François les Indiens rescapés des villages détruits de Narantsouak (Norridgewock, actuellement Old Point, Madison, Maine) et de Pentagöuet (Castine, Maine). Mais malgré son désir d’y réussir, il ne parvint pas à garder tous les réfugiés de la Nouvelle-Angleterre. En 1733, une épidémie de petite vérole contribua à en chasser plusieurs. D’autres tentèrent d’aller fonder un nouveau village sur la baie Missisquoi, d’où les communications étaient beaucoup plus faciles. C’est alors qu’en 1738, le père Aubery obtint du gouverneur de Trois-Rivières, Josué Dubois Berthelot de Beaucours de défendre à Jean-Baptiste Jutras, dit Desrosiers, seigneur de Lussaudière, « de concéder une partie de sa concession avoisinant les sauvages, sous prétexte que les défrichements, en éloignant le gibier, détermineraient les sauvages à s’en aller ailleurs ». C’est en effet sur les terres de ce dernier que le village abénaquis de Saint-François-de-Sales était construit. Le seigneur de Lussaudière tenta de faire casser cette ordonnance mais il ne put y réussir car, à Versailles, on tenait à garder les Abénaquis dans la zone d’influence française et c’est à Saint-François qu’ils étaient le mieux contrôlés.

En 1744, la guerre ayant repris entre les deux couronnes, le père Aubery voulut obtenir du gouverneur Charles de Beauharnois l’autorisation de faire arrêter un Allemand indésirable qui vivait au village depuis deux ans, car il appréhendait son retour parmi les Anglais et le soupçonnait d’être un « espion dangereux » Il y avait certes des raisons de craindre une délation, puisque, depuis le début de la guerre, les Abénaquis de Saint-François faisaient des « courses continuelles » sur le territoire de la Nouvelle-Angleterre, semant la terreur et la désolation. Le missionnaire se tenait au courant de tous les mouvements : en 1747, il était à Québec pour donner un rapport sur les activités de « ses » guerriers ; en 1749, il était à Montréal pour surveiller les échanges de prisonniers.

La paix signée en 1748, le missionnaire décida en 1749, de renouveler les vœux des Abénaquis à Notre-Dame de Chartres et il écrivit en ce sens au doyen du chapitre de la cathédrale de Chartres. Cette lettre était contresignée par les cinq chefs abénaquis du village de Saint-François, parmi lesquels Atecouando, et témoignait que, dans la paix comme dans la guerre, la piété des Abénaquis était aussi vive qu’à l’époque du père Jacques Bigot*. En 1752, la mission Saint-François reçut la visite de l’ingénieur Louis Franquet, en tournée d’inspection des fortifications de la Nouvelle-France, mais le père Aubery était absent. Le temps de la visite de l’ingénieur se situe peut-être au moment où le jésuite se rendit assister aux négociations anglo-abénaquises qui eurent lieu en juillet.

En 1756, à l’âge de 83 ans, le père Joseph Aubery s’éteignit à Saint-François. Il laissait une mission bien organisée, dotée d’une église magnifiquement décorée où se trouvait, entre autres choses, une bannière immense offerte au missionnaire par Marie Leszczynska. 11 laissait également de nombreux ouvrages abénaquis qu’il avait rédigés pour l’instruction des jeunes missionnaires. Mais surtout il laissait le souvenir d’un patriarche entièrement dévoué à la cause des siens. La réputation qu’il eut de son vivant, ses longues années d’apostolat et surtout l’orthographe de son nom expliquent sans doute qu’au xixe siècle quelques commentateurs l’identifièrent avec le père Aubry, immortalisé par Chateaubriand dans Atala. Comme l’a très justement démontré Thomas Charland, cette opinion ne résiste pas à une analyse des faits et des textes.

Micheline D. Johnson

Le musée de la réserve indienne d’Odanak, Québec, conserve depuis 1966 les dictionnaires français abénaquis et abénaquis-français, composés par le père Aubery  [m. d. j.].

AAQ, 12 A, Registres d’insinuations A, 805, 806, 807.— AN, Col., B, 47, ff.1 129, 1 206 ; 48, ff.180–205, 855, 909 ; 50, ff.500–509, 531, 538 1/2 ; 52, ff.516 1/2, 547 1/2, 586 ; 53, f.541 1/2 ; 54, f.432 1/2 ; 57, ff.652 1/2–665 ; 58, ff.461 1/2, 470 1/2, 480 ; 64, ff.432 1/2, 438 1/2, 442 ; 65, ff.423 1/2–427 ; 68, f.20 ; Col., C11A, 34, ff.8–9 ; 35. ff.15–51 ; 49, ff.124–128 ; 91, f.12 ; Col., C11E, 2, ff.63–69, 90–94 ; Col., F3, 24, f.299.— ASJCF, Fonds Rochemonteix, 4 003, 108–111 ; 4 006, 129, 130–133, 285s. ; 4 018, 57, 85–90, 105s., 296, 363, 438 ; 4 023, 229, 233.— ASQ, Lettres, O, 28 ; Tiroir, 217, 14.— Charlevoix, Histoire de la N.-F. (1744).— F.-A.-R. de Chateaubriand, Atala, Armand Weil, édit. (Paris, 1950).— Coll. de manuscrits relatifs à la N.-F., II 405s., 567 ; III : 23, 57–61, 78–91, 108–110, 132s., 140, 146, 160, 161, 167, 169, 172s., 182–185, 356, 359, 490, 505s., 509–512, 515–518.— Correspondance de Vaudreuil, RAPQ, 1938–1939, 12–24, 159–174 ; 1946–1947, 427–437 ; 1947–1948, 230–238.— Franquet, Voyages et mémoires sur le Canada, 174–176.— Le gouverneur de Vaudreuil et les Abénaquis ; paroles des Abénaquis à monsieur le marquis de Vaudreuil, BRH, XXXVIII (1932) : 569.— JR (Thwaites), passim.— Lettre de M. de Rigaud de Vaudreuil au ministre (2 septembre 1749), BRH, XLIV (1938) : 376s.— Lettre de MM. de Vaudreuil et Bégon au ministre au sujet des affaires des Abénakis (14 octobre 1723), BRH, XLI (1935) : 624–629.— Lettre des sauvages abénaquis au roi, BRH, XXXVII (1931) : 638–640.— [J.-F. Le Sueur], Histoire du calumet et de la dance, Les soirées canadiennes, recueil de littérature nationale (Québec), [IV] (1864) : 114–135.— A narrative of Mrs. Johnsons captivity among the French and the Indians (Boston, 1798).— Paroles des Abénakis, BRH, XXXIX (1933) : 546–549.— Paroles des Abénakis à monsieur le marquis de Beauharnois, BRH, XXXIX (1933) : 574–576.— [Melançon], Liste des missionnaires jésuites.— Tanguay. Répertoire (édition annotée à la main par les archivistes du séminaire de Québec).— Charland, Les Abénakis dOdanak.— Coleman, New England Captives, I : 28 ; II : 242–248, 293, 306, 389s., 401.— Charles Gill, Notes sur de vieux manuscrits abénakis (Montréal, 1886).— J.-A. Maurault, Histoire des Abénakis depuis 1605 jusquà nos jours (Sorel, 1866).— Luc Merlet, Histoire des relations des Hurons et des Abnaquis du Canada avec Notre-Dame de Chartres, suivie de documents inédits sur la Sainte Chemise (Chartres, 1858).— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIIe siècle, III : 367, 397–408 ;Les Jésuites et la N.-F. au XVIIIe siècle, I : 25–28 ; II : 12–19.— Benjamin Sulte, Histoire de Saint-François-du-Lac (Montréal, 1886).— T.-M. Charland, Chateaubriand a-t-il immortalisé le père Aubery, RHAF, XVI (1962–1963) : 184–187.— Désiré Girouard, L’étymologie du mot missisquoi, BRH, XI (1905) : 270.

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Micheline D. Johnson, « AUBERY (Auberi, Aubry), JOSEPH (Jacques) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/aubery_joseph_3F.html.

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Auteur de l'article:    Micheline D. Johnson
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
Date de consultation:    1 décembre 2024