GUENET, MARIE, dite de Saint-Ignace, hospitalière augustine, née à Rouen le 28 octobre 1610 de Roger Guenet, conseiller au parlement, et d’Anne Desloges, décédée à 36 ans à l’Hôtel-Dieu de Québec.

On raconte que Marie Guenet, dès son tout jeune âge, ne peut voir un pauvre sans demeurer inconsolée si on ne l’assiste. Les parents sont-ils favorables qu’ « elle court et donne tout ce qu’elle trouve pour précieux que ce soit ». Dans le dessein de se dévouer au service de Dieu et du prochain, avant l’âge de 14 ans, elle songe à l’Hôtel-Dieu de Dieppe. Après une longue attente, elle obtient le consentement de son père et entre au noviciat de Dieppe en 1626. Elle y prononcera ses vœux solennels de religion le 19 mars 1628.

En 1633, la peste sévit à Dieppe. L’hôpital est rempli. Impassible à toute représentation, Marie voit dans le fléau une invitation d’urgence au dévouement. Mais l’austérité de l’époque, jointe aux exigences de l’hospitalisation en ces temps d’épidémie, a raison des forces de la jeune moniale. Frappée d’une maladie considérée comme mortelle, elle en guérit après avoir fait le vœu de consacrer sa vie à l’assistance et à la conversion des sauvages du Nouveau Monde, si les supérieurs le permettent.

Déjà, la fondatrice temporelle de l’Hôtel-Dieu de Québec, la duchesse d’Aiguillon, s’est assuré à Dieppe le concours des Hospitalières. Elle obtient des Cent-Associés l’emplacement nécessaire, au cœur de Québec, et un fief en banlieue. Le contrat de fondation est signé à Paris le 16 aoùt 1637. L’œuvre, pourvue des libéralités de sa bienfaitrice, est établie à Québec par trois augustines : Anne Le Cointre, dite de Saint-Bernard, Marie Forestier, dite de Saint-Bonaventure-de-Jésus et Marie Guenet, dite de Saint-Ignace, désignées par mandat électif au monastère de Dieppe le 2 février 1639. Elles sont âgées respectivement de 29, 28 et 22 ans.

La mère de Saint-Ignace est élue et proclamée première supérieure de l’Hôtel-Dieu de Québec. La reine Anne d’Autriche l’honore aussitôt d’un très bienveillant témoignage. Elle lui écrit, lui promet sa protection et se recommande à ses prières. Le roi accorde dans le même temps des lettres patentes « pour l’établissement des religieuses hospitalières de Dieppe à l’Hôtel-Dieu de Québec ». La duchesse d’Aiguillon, dans une lettre à la nouvelle supérieure, loue Dieu de la sainte résolution prise par elle et ses compagnes.

Immobilisées 15 jours durant dans la rade de Dieppe par un temps affreux, les partantes du 4 mai 1639, sur le vaisseau amiral Saint-Joseph, commandé par le capitaine Bontemps, s’encouragent mutuellement dans leurs adieux au pays de France : « Plus longs, les adieux sont encore plus douloureusement sentis, dira la mère de Saint-Ignace à ses sœurs, mais déjà notre pensée s’envole vers ceux que nous allons secourir ». Le voyage, fait en compagnie des premières ursulines, est des plus périlleux et dure trois mois.

De grand matin, le 1er août 1639, « Plusieurs coups de pierriez et de mousquets et [un] feu dans le bois » à l’île d’Orléans, donnent l’éveil à Québec. Un éclaireur apporte la nouvelle. Le gouverneur dépêche aussitôt à la rencontre des religieuses une chaloupe pavoisée en leur honneur. Accueil de M. de Montmagny [V. Huault], du père Paul Le Jeune et d’une suite enthousiaste ; baiser à la terre de Québec, halte à l’église Notre-Dame-de-la-Recouvrance pour placer l’apostolat sous l’égide de Notre-Dame.

Une épidémie règne chez les sauvages. Six mois entiers, les augustines sont au chevet de si nombreuses victimes de la variole qu’on dresse autour de leur abri d’emprunt de grandes cabanes d’écorce pour les recevoir.

L’apprentissage a pour lendemain le délogement. Une nuit, en quelques heures, l’église, la chapelle du gouverneur et la maison des Jésuites sont la proie des flammes. « Ce naufrage de feu, soupire le père Le Jeune, nous réduisit à l’hospital ». En vain chercherait-on ailleurs, rien n’existe plus.

La duchesse favorisait le dessein d’ériger l’hôpital à Sillery, bourgade préférée des sauvages. C’était le vœu initial des pères d’y fixer les tribus nomades ; il n’en fallut pas davantage à Marie de Saint-Ignace, dans la situation actuelle, pour décider le transfert immédiat et la mise en œuvre d’une construction à Sillery : une grande maison de pierre à deux étages, qui était loin d’être achevée en décembre 1640 lorsque s’y installa la petite communauté augmentée de deux recrues de France. Le décès survenu, en moins de huit mois, d’une dernière arrivée, Jeanne de Sainte-Marie (28 ans), suffit à révéler l’âpreté de ces débuts.

En outre, une vague de raids iroquois sème la terreur et menace d’abord Sillery. On craint pour les Hospitalières. Celles-ci, selon la Relation de 1641, ouvrent cependant un séminaire pour les petites sauvagesses trop éloignées de celui des Ursulines de Québec. Elles recevront également des pensionnaires françaises, dont deux petites filles de Robert Giffard. L’aînée, Marie-Françoise, sera dans peu d’années, à l’Hôtel-Dieu, la première religieuse canadienne.

Le danger iroquois obligea les religieuses à retourner à Québec. « Se transporter en leur maison de Kebec, relève la Relation de 1644, non sans une grande incommodité, pour ce que cette maison n’avoit encor que les quatre murailles et la couverture ». Dans l’attente du nouveau logis, les hospitalières contribuèrent à l’avancement des travaux, servant de manœuvres jusqu’à l’arrivée des navires et d’un renfort d’ouvriers. Une cour clôturée de pieux permit aux sauvages d’y placer leurs cabanes où les religieuses leur portaient les repas, la peur des Iroquois les empêchant d’aller à la chasse.

C’est, après cinq années, tout le gain apparent d’un tel labeur. L’action peut sembler modeste : tout au plus une introduction, un prélude. Marie de Saint-Ignace ne verra rien du résultat de l’entreprise, mais elle y aura cru fermement.

Les dernières grandes fatigues ont terrassé l’hospitalière. « La crainte de sa mort nous jetta dans une grande affliction, dont elle s’apperçut aisément. Elle nous consolait elle même d’une maniere si tendre et si soumise aux ordres de Dieu, qu’elle nous charmoit. Nou luy demandâmes sa benediction que nous reçumes fondantes en larmes [...] après nous avoir recommandé plusieurs choses très utiles, elle mourut en disant : « Mon Dieu, que votre volonté soit faite ! Je suis a Vous ». C’était le 5 novembre 1646. Une circonstance redoubla l’émotion de ses filles : « Le jour même [...] nous devions rentrer dans nôtre maison [...] Elle fût la prémiere que l’on y porta pour [...] l’office des morts ».

Les Relations, chaque année, consacraient un chapitre à l’hôpital. Les mémoires de mère de Saint-Ignace en fournissaient la substance. Le père Vimont, en 1647, donna cours à son appréciation et rapporta, des derniers moments de cette âme fidèle, sa « satisfaction incroyable de mourir en Canada au service de ces pauvres Barbares » qu’elle aimait. « Elle a esté, précisait-il, également regrettée des François et des Sauvages, sa charité ayant gagné tous les cœurs ».

Mère de Saint-Ignace a fourni dans une très large mesure l’information qu’offrent Les Annales aux historiens de la Nouvelle-France. Ses « notes ou mémoires », compilés par l’annaliste, en sont à l’origine.

Sainte-Jeanne-de-Chantal Martin, o.s.a.

Archives des Hospitalières de Dieppe, Précis de ce qui s’est passé depuis l’an 800, jusqu’à l’an 1645, où il est parlé de quelle manière nous avons été établies dans cette ville de Dieppe au commencement de ce siècle. Tiré de nos Annales de la Maison de Dieppe, première de notre institut.— AHDQ, Parchemin, T.2, C.50, Lettre patente du roy Louis XIII pour la fondation de l’Hôtel-Dieu de Québec, 15 avril 1639 ; T.21, C.500, Notices biographiques des premières Mères.— Constitutions de la congrégation des religieuses hospitalières de la Miséricorde de Jésus de l’ordre de saint Augustin, précédées de la bulle du pape Alexandre VII et d’une préface de 1666 (Québec, 1923).— JR (Thwaites).— Juchercau, Annales (Jamet).— René Piacentini, Origines et Évolution de l’hospitalisation. Les Chanoinesses augustines de la Miséricorde de Jésus (« Les Grands Ordres monastiques et Instituts religieux », XLVIII, Paris, 1957).

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Sainte-Jeanne-de-Chantal Martin, o.s.a., « GUENET, MARIE, dite de Saint-Ignace », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/guenet_marie_1F.html.

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Année de la publication:    1966
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