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Introduction
L’année 1916 a été marquée par l’obtention du suffrage féminin au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. Afin de souligner le centenaire de ces victoires des Canadiennes dans leur lutte pour acquérir le droit de voter, le présent ensemble thématique du projet Les femmes dans le Dictionnaire biographique du Canada/Dictionary of Canadian Biography (DBC/DCB) rassemble les biographies, de femmes et d'hommes, qui traitent de l’histoire du suffrage féminin au Canada.
À l’époque coloniale, le droit de vote est essentiellement accordé sur la base de critères d’âge, d’origine et de propriété, et, pendant longtemps, aucune loi n’interdit formellement le suffrage féminin. Certes, lors des premières élections tenues au Nouveau-Brunswick en 1785, le Conseil exécutif limite le droit de vote aux hommes, mais cette restriction n’est pas été intégrée à la première loi électorale de la colonie, adoptée en 1791 et sanctionnée en 1795 par la couronne britannique. Des femmes répondant aux critères profitent de l’absence d’interdiction et votent au Nouveau-Brunswick, ainsi qu’en Nouvelle-Écosse, malgré le fait que le droit coutumier (common law) en vigueur dans ces colonies défende par convention, comme dans la métropole britannique, le suffrage féminin. Certaines femmes se font cependant refuser l’accès aux bureaux de scrutin ou voient leur vote annulé.
L’Acte constitutionnel de 1791 confère le droit de vote aux élections législatives du Bas-Canada (Québec actuel) et du Haut-Canada (Ontario actuel) aux sujets britanniques qui sont âgés d’au moins 21 ans, qui n’ont jamais été condamnés pour un acte criminel grave ou pour trahison, et qui possèdent ou louent une ou des propriétés d’une certaine valeur, sans précision du sexe. Ainsi, rien n’empêche les femmes répondant à ces critères de voter. La Coutume de Paris – la loi civile – en vigueur au Bas-Canada ne restreignant pas cette pratique, quelques milliers de femmes en profitent pour voter entre 1791 et 1849. Les femmes du Haut-Canada, assujetties aux conventions du droit coutumier et à des interdits culturels similaires à ceux qui gênent l’exercice du vote dans les Maritimes, demeurent pour leur part loin des urnes durant cette période, hormis quelques cas.
Entre 1834 et 1851, dans chaque colonie, on promulgue des lois qui prohibent le suffrage féminin. En mars 1834, l’Assemblée du Bas-Canada adopte une loi sur les élections contestées, à laquelle est jointe une disposition à cet effet. Cette disposition et son adoption couronnent les efforts de députés et de membres des élites, comme Louis-Joseph Papineau et Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal, qui réclamaient depuis plusieurs années la suppression de cette possibilité de voter des Bas-Canadiennes en invoquant le besoin de les protéger de la violence des scrutins et l’incompatibilité de la pratique avec la nature féminine. Il est probable que l’adoption d’une telle interdiction a également été influencée par le Representation of the People Act, voté au Royaume-Uni en 1832, qui confirmait pour la première fois de manière formelle la restriction du droit de vote aux hommes. En 1836, l’Île-du-Prince-Édouard interdit aussi le suffrage féminin. Cependant, la loi sur les élections contestées au Bas-Canada est désavouée en février 1837 en raison de l’opposition du ministère des Colonies, non pas à la disposition supprimant le suffrage féminin, mais à un autre article de la loi autorisant des comités parlementaires à poursuivre leur travail après la prorogation d’une session. En 1843, l’Assemblée du Nouveau-Brunswick limite à son tour le droit de vote aux hommes.
La situation demeure inchangée dans la province du Canada au début des années 1840. L’ultramontanisme grandissant au Canada-Est (Bas-Canada, Québec actuel) et une controverse à l’occasion d’un scrutin serré au Canada-Ouest (Haut-Canada, Ontario actuel) en 1844 semblent toutefois provoquer l’évolution des choses. Un candidat réformiste battu par quatre voix dans la circonscription de Halton West conteste sept votes féminins en faveur de son opposant conservateur. Sans surprise, un comité de l’Assemblée sous le contrôle des conservateurs confirme ces votes, scellant la défaite du candidat réformiste. En mai 1849, le gouvernement réformiste de Robert Baldwin et de Louis-Hippolyte La Fontaine modifie, presque sans opposition, la loi électorale pour défendre aux femmes de voter aux élections législatives et municipales du Canada-Uni. La Nouvelle-Écosse emboîte le pas en 1851. Ainsi, au moment de la Confédération en 1867, les quatre provinces fondatrices du pays interdisent le suffrage féminin, tandis que, avant 1851, des femmes y ont voté. Les femmes sont également privées du droit de vote aux élections fédérales, alors assujetti aux lois provinciales en vigueur.
Un mouvement suffragiste prend forme à partir des années 1870, d’abord en Ontario, sous le leadership notamment d’Emily Howard Jennings (Stowe), puis dans les autres provinces. Des associations locales, provinciales et nationales, comme la Dominion Women’s Enfranchisement Association (1889), voient le jour. Les actions diversifiées (pétitions, articles de journaux, conférences et autres) de leurs membres s’ajoutent aux nombreuses initiatives individuelles. Comme ailleurs, les suffragistes du Canada doivent faire face à l’indifférence ou à l’opposition plus ou moins vive d’hommes et de femmes qui ne se sentent pas concernés par la question, qui tournent leur demande en dérision ou qui font preuve d’une franche hostilité.
Le mouvement suffragiste bénéficie de l’implication de personnes militant pour d’autres réformes sociales, comme le contrôle de la vente d’alcool ou la prohibition, l’amélioration des conditions de travail et des débouchés professionnels des femmes, l’accès de celles-ci à une meilleure instruction et aux études supérieures, et l’égalité homme-femme. Ces gens se joignent à la lutte avec la conviction que l’acquisition du suffrage féminin facilitera la concrétisation de leurs revendications. Par ailleurs, plusieurs suffragistes du Canada, comme Emma Sophia Skinner (Fiske), échangent idées, arguments et stratégies avec leurs vis-à-vis d’autres pays au moyen de la correspondance, de la participation à des événements internationaux, d’invitations à prononcer des discours au Canada ou de l’engagement dans les luttes pour l’obtention du suffrage féminin ailleurs dans le monde.
Les femmes acquièrent progressivement le droit de voter aux élections municipales à partir des années 1870. Les assemblées législatives provinciales déterminent les critères d’admissibilité à ces scrutins et les modifient au fil des décennies. Signe des divisions sur le sujet, ce droit de vote est révoqué dans certaines provinces avant d’être accordé de nouveau. Par exemple, il est accordé au Manitoba en 1887, aboli en 1906 puis réaccordé en 1907. Les autorités de certaines municipalités adoptent également – ou tentent d’adopter – des règlements pour changer les critères. Le conseil municipal de Montréal songe notamment à les resserrer en 1902 en excluant les femmes locataires, mais renonce à l’idée en raison de la mobilisation des suffragistes. Il en résulte une grande variété de situations au pays.
Le droit de voter aux scrutins provinciaux est accordé dans trois provinces de l’Ouest (Manitoba, Saskatchewan et Alberta) en 1916, puis en Ontario et en Colombie-Britannique l’année suivante. Ces victoires, résultat des efforts acharnés et pacifiques de certaines figures marquantes de l’histoire du droit de vote des femmes au Canada, comme Helen Letitia Mooney (McClung) et Maria Heathfield Pollard (Grant), encouragent les suffragistes à accroître la pression sur Ottawa. Soucieux de favoriser sa réélection alors que les débats sur la conscription font rage au pays, le gouvernement de sir Robert Laird Borden octroie en 1917 le droit de vote aux élections fédérales aux sujettes britanniques en service militaire actif et aux parentes des membres des forces armées qui sont sujettes britanniques et qualifiées par l’âge, la race et la résidence. Cette mesure, décriée pour son opportunisme politique tant par l’opposition à la Chambre des communes que par plusieurs suffragistes, pave la voie, en mai 1918, soit moins d’un mois après l’obtention du suffrage féminin en Nouvelle-Écosse, à l’élargissement du droit de vote aux élections fédérales à toutes les sujettes britanniques de 21 ans ou plus satisfaisant aux critères de propriété de leur province de résidence, soit les mêmes conditions que les hommes. En 1920, seuls l’âge et la citoyenneté sont retenus comme critères d’admissibilité pour la majorité des hommes et des femmes. Des restrictions, imposées par des dispositions législatives au sujet de personnes appartenant à certains groupes ethniques ou religions, perdurent ; elles seront progressivement levées au cours des décennies suivantes.
Le Nouveau-Brunswick, le Yukon, l’Île-du-Prince-Édouard, ainsi que le dominion de Terre-Neuve, qui se joindra au Canada en 1949, emboîtent le pas au gouvernement fédéral et accordent le suffrage féminin entre 1919 et 1925. Les suffragistes de la province de Québec, en butte à la résistance opiniâtre de l’influent clergé catholique, d’une grande partie de la classe politique et d’adversaires virulents comme Henri Bourassa, doivent pour leur part patienter jusqu’en 1940. Les femmes habitant les Territoires du Nord-Ouest, enfin, acquièrent le droit de voter en 1951. L’obtention du droit de vote dans les provinces et les territoires s’accompagne du même coup de la possibilité de briguer des postes électifs. Ce droit de se porter candidates, appelé droit d’éligibilité, est cependant accordé plus tard que le droit de vote en Ontario (4 avril 1919), au Nouveau-Brunswick (9 mars 1934) et au fédéral (7 juillet 1919).
Jusqu’en 1950, la renonciation au statut d’Indien [V. Frederick Ogilvie Loft], processus aux visées assimilatrices prévu dans la Loi sur les Indiens de 1876, est obligatoire pour les hommes et les femmes autochtones afin d'acquérir le droit de vote aux scrutins fédéraux, sauf exceptions (par exemple, en 1944, les autochtones détenant le statut d’Indien et ayant servi au cours de la Deuxième Guerre mondiale, de même que leurs épouses, obtiennent le droit de vote sans conditions). Les femmes autochtones détenant le statut d’Indienne acquièrent en 1951 le droit d’élire les membres des conseils de bandes et de se porter candidates pour y siéger. Puis, entre 1950 et 1960, le droit de vote aux élections fédérales est accordé aux hommes et aux femmes autochtones en échange de l’abandon du droit à l’exonération d’impôt, rattaché au statut d’Indien. Finalement, en 1960, le gouvernement fédéral de John George Diefenbaker, appuyé par la presque totalité des députés de la Chambre des communes, octroie aux hommes et aux femmes autochtones détenant le statut d’Indien le droit de voter aux élections fédérales inconditionnellement, c’est-à-dire sans devoir abandonner leur statut ou certains droits liés à celui-ci. La grande majorité des provinces accordent en outre entre 1949 et 1969 le droit de vote aux hommes et aux femmes autochtones détenant le statut d’Indien.
Cependant, des femmes autochtones ont pu obtenir le droit de voter aux élections fédérales et provinciales avant l’adoption des dispositions relatives à leur statut. En effet, à cette époque, une autochtone se mariant à un non-autochtone ou à un autochtone ayant décidé de renoncer à son statut d’Indien perdait, de ce fait, son propre statut d’Indienne et pouvait devenir admissible au droit de vote. Toutefois, les femmes non-autochtones épousant un homme détenant le statut d’Indien acquéraient de facto ce statut et ont donc pu voir leur droit de vote retiré.
Les biographies traitant du suffrage féminin au fédéral, au provincial ou au municipal ont été insérées dans la section correspondante. Les biographies ne précisant pas un ordre de gouvernement se trouvent quant à elles à la fois dans la section sur les élections fédérales et celle sur les élections provinciales (liste relative à la province ou au territoire de résidence).
Le plus récent volume complet du DBC/DCB, soit le volume XV, rassemble des biographies de personnes décédées entre 1921 et 1930 ou dont la dernière activité connue date de cette période. Au 30 juin 2016, plus de 160 biographies du volume XVI (1931–1940) ont de même déjà été publiées en ligne. Bien que, chaque semaine, une biographie appartenant à un volume en préparation soit ajoutée au DBC/DCB, il demeure que plusieurs biographies de femmes au cœur de la lutte pour l’obtention du suffrage féminin, comme Louise Crummy (McKinney) (vol. XVI), Carrie Matilda Derick (vol. XVII) et Thérèse Forget (Casgrain) (vol. XXI), n’ont pas encore paru. Une liste de lectures suggérées est proposée afin de pallier cette situation et d’aiguiller les internautes intéressés à en savoir davantage sur le sujet. Chaque nouvelle biographie pertinente sera intégrée au présent ensemble thématique.