Titre original :  Dr. E. D. Worthington, M.D., FRCS. "Reminiscences of student life and practice" by Edward Dagge Worthington. Sherbrooke, 1897. From: https://archive.org/details/reminiscencesofs00wortuoft/page/n6.

Provenance : Lien

WORTHINGTON, EDWARD DAGGE, médecin, chirurgien, officier de milice et auteur, né le 1er décembre 1820 à Ballinakill (république d’Irlande), fils de John Worthington et de Mary Dagge ; décédé le 25 février 1895 à Sherbrooke, Québec.

Edward Dagge Worthington immigra à Québec avec ses parents en 1822. Parce qu’ils étaient pauvres, semble-t-il, son instruction élémentaire fut, de son propre aveu, « négligée ». En août 1833, il entra comme apprenti, pour sept ans, chez James Douglas*, distingué chirurgien de Québec. Parmi ses condisciples, il y avait George Edgeworth Fenwick, avec qui il allait demeurer lié toute sa vie. À l’époque, la plupart des futurs médecins du Bas et du Haut-Canada passaient par le régime d’apprentissage, la seule école de médecine étant la faculté du McGill College de Montréal. L’hiver, Worthington suivait des leçons pratiques d’anatomie et, chaque jour, il accompagnait Douglas dans ses consultations. En outre, de 1837 à 1840, il assista à des conférences à l’hôpital de la Marine et des Émigrés, où son maître enseignait la chirurgie et l’anatomie, et Joseph Painchaud*, l’obstétrique ainsi que la théorie et la pratique de la médecine.

La dissection de corps humains était un aspect nécessaire de la formation médicale. Si l’on avait obtenu le cadavre dans des circonstances acceptables – « le généreux don d’un criminel », « la mort d’un pauvre que personne ne réclamait » ou encore « à l’occasion d’une enquête judiciaire [pour déterminer les causes d’un décès] ou d’une autopsie », – l’intervention pouvait se faire dans une atmosphère toute familiale. « C’est une chose plutôt agréable, a écrit Worthington dans ses mémoires, que de s’installer pour procéder tranquillement à la dissection d’un bras ou d’une jambe, ou pour suivre le tracé des vaisseaux sanguins ou des nerfs, et cela l’était particulièrement « au bon vieux temps », quand les dames de la maison venaient avec leur ouvrage, s’asseyaient pour faire un brin de causette et s’intéressaient vivement à ce qui se passait autour d’elles. » Cependant, comme les corps acquis par des moyens décents ne suffisaient pas, les étudiants se livraient à des expéditions nocturnes, souvent en se faisant aider d’un « déterreur de cadavres » qu’ils récompensaient de sa peine en lui donnant une bouteille de gin et quelques dollars. Parfois, ces quêtes macabres présentaient « de grands risques » pour les participants.

Worthington rappelait aussi qu’à l’époque de ses études (et longtemps après) la profession médicale considérait la saignée et l’arrachage de dents comme des panacées et que, « depuis des temps immémoriaux », ces interventions étaient une source de « petits profits pour les étudiants en l’absence d’un médecin ». La saignée se pratiquait souvent à la demande du client, puisque « l’on jugeait bon de se faire saigner au moins chaque printemps ». Dans le port de Québec, les marins au long cours réclamaient une saignée au printemps et une autre à l’automne,  « la première pour supporter la chaleur de l’été, la seconde, le froid de l’hiver ». On saignait les femmes au pied afin que la cicatrice ne se voie pas. Quand la saignée se révélait inapte à prévenir l’apparition d’une maladie, on saignait pour la guérir et, si la première saignée ne donnait aucun résultat, « une seconde suivait, puis une troisième, jusqu’à ce que la maladie – ou le patient – succombe ! »

En 1837, Worthington servit comme simple soldat dans le Québec Regiment of Volunteer Light Infantry. Trois ans plus tard, il fut nommé par intérim adjoint au chirurgien du 56th Foot. Muté au 68th Foot en 1841, il démissionna dans le courant de l’année pour aller suivre des cours de médecine à la University of Edinburgh. Constatant que la formation acquise dans le Bas-Canada ne lui donnait pas le droit d’être admis, il resta tout de même à Édimbourg, où il assista à des conférences à la Médical School et à l’Eye Dispensary of Edinburgh jusqu’en avril 1843. En mai, la University of St Andrews lui conféra un doctorat en médecine et, en juin, il reçut un diplôme de la Faculty of Physicians and Surgeons of Glasgow. Peut-être était-il aussi membre du Royal College of Surgeons of Edinburgh, mais cela n’a pu être confirmé. À l’époque, Charles Tupper* et Daniel McNeill Parker* se trouvaient parmi ses condisciples.

De retour au Bas-Canada, Worthington reçut l’autorisation de pratiquer le 9 août 1843, puis s’installa immédiatement à Sherbrooke. Trois autres médecins desservaient la municipalité et la campagne environnante dans un rayon de 20 milles. Comme deux d’entre eux étaient beaucoup plus âgés que lui et qu’il était le dernier arrivé, il hérita de la corvée des visites nocturnes. C’était un praticien zélé et novateur, et il était à la fois médecin et chirurgien, comme le voulait la coutume en Amérique du Nord. Il eut recours à l’anesthésie très tôt après sa découverte. Le 10 mars 1847, il amputa une jambe à un malade endormi à l’éther, et il utilisa du chloroforme en janvier 1848. Un anesthésique avait été utilisé pour la première fois, à Boston, en octobre 1846. Worthington publia chaque fois un compte rendu de ces interventions dans le British American Journal of Medical and Physical Sciences, et par la suite il fit paraître de nombreux articles dans le Canada Medical Journal and Monthly Record of Medical and Surgical Science. En 1854, le Bishop’s College de Lennoxville lui décerna une maîtrise ès arts à titre honorifique.

Dès 1860, Worthington faisait presque toutes les interventions chirurgicales requises dans les Cantons-de-l’Est, et on l’appelait fréquemment de loin pour une consultation. Il fut le premier président de la St Francis District Médical Association. La collectivité sut reconnaître son dévouement à la santé publique. En 1865, on lui remit un service à thé en argent massif parce qu’il soignait gratuitement les pauvres et, en une autre occasion, une montre en or parce qu’il avait enrayé une épidémie de variole à Sherbrooke. En 1871, un juge de la ville l’accusa d’avoir procédé négligemment à une autopsie au cours d’un procès pour meurtre, mais sa réputation était telle qu’elle n’en fut apparemment pas ternie. Il se défendit dans un opuscule intitulé A review of the trial of Andrew Hill for murder [...]. Le News and Frontier Advocate de Saint-Jean lui donna son appui, de même que, semble-t-il, le Canada Medical Journal, dont le rédacteur en chef était Fenwick.

La renommée de Worthington s’était d’ailleurs étendue à toute la province. En 1860, il avait été nommé membre du conseil d’administration du Collège des médecins et chirurgiens du Bas-Canada. Sept ans plus tard, il participa à la fondation de l’Association médicale canadienne. Il fit partie de plusieurs comités de l’association en 1872 et offrit, au nom de celle-ci, une médaille d’or à l’auteur du meilleur essai sur les maladies zymotiques au Canada. Cependant, aucun texte n’ayant été présenté, le prix ne fut pas offert de nouveau. En 1877, il occupa la vice-présidence de la section québécoise de l’association. Entre-temps, soit en 1868, le McGill College lui avait conféré un doctorat en médecine (sans examen, sur la foi d’un diplôme obtenu dans une autre université). Puis, en 1878, il fut replongé dans une controverse : lui-même et Fenwick durent comparaître devant un jury d’accusation parce que, l’année précédente, ils avaient obtenu de façon irrégulière des autorisations de pratiquer du Collège des médecins et chirurgiens. L’irrégularité relevant plus de la forme que du fond, le jury écarta l’affaire, en dépit du fait que le président du collège, Jean-Philippe Rottot*, avait soutenu la poursuite. Furieux, Worthington démissionna du conseil d’administration du collège.

Worthington, qui n’avait pas abandonné la milice, y servit en qualité de médecin au cours des raids féniens de 1866 et 1870. Attaché au 53rd (Sherbrooke) Battalion of Infantry depuis sa formation en 1866, il avait le grade de chirurgien-major lorqu’il prit sa retraite en 1887. Le domaine des affaires l’intéressa quelque peu : en 1866, il figurait au nombre des fondateurs de la Magog Petroleum Company. Membre de l’Église d’Angleterre, il fut à un moment donné délégué au synode provincial. En politique, il était conservateur.

Le 16 octobre 1845, Worthington avait épousé Frances Louisa Smith, fille de l’homme d’affaires Hollis Smith*. Ils eurent huit enfants, dont au moins cinq vécurent au delà de la petite enfance. De toute évidence, Worthington était un père affectueux. Une de ses filles épousa William D. Antrobus, inspecteur de la Police à cheval du Nord-Ouest, un de ses fils devint notaire, et un autre, Arthur Norreys, pratiqua la médecine avant d’être élu au Parlement. Tous deux servirent dans le 53rd Battalion of Infantry.

À compter de 1892, la maladie empêcha Edward Dagge Worthington d’exercer sa profession. Pour s’occuper, il rédigea ses mémoires, qui parurent dans le Medical Age de Detroit. Le rédacteur en chef de la revue qualifiait fort justement ces textes, largement anecdotiques mais pleins de renseignements sur les pratiques médicales du xixe siècle, de « tableaux exquis [... à] l’humour piquant ». Après sa mort, en février 1895, on lui rendit hommage en les réunissant en un livre.

Charles G. Roland

Edward Dagge Worthington est l’auteur de : A review of the trial of Andrew Hill for murder before the Hon. Edward Short, J.S.C., at the term of the Court of Queen’s Bench, held at Sherbrooke, P.Q., in March, 1871 (Sherbrooke, Québec, 1871) ; et Reminiscences of student life and practice (Sherbrooke, 1897), ainsi que d’articles médicaux parus dans le British American Journal of Medical and Physical Science (Montréal) et dans le Canada Medical Journal and Monthly Record of Medical and Surgical Science (Montréal). Son portrait paraît dans Reminiscences.

AC, Saint-François (Sherbrooke), État civil, Anglicans, St James Church (Lennoxville), 16 oct. 1845.— AN, MG 24, F37 ; RG 68, General index, 1841–1867 : 124.— McGill Univ. Libraries, Osler Library, Acc. 479.— James Douglas, Journals and reminiscences of James Douglas, M.D., James Douglas, Jr, édit. (New York, 1910), 163.— Robert Short, An answer to a pamphlet entitled A review of the trial of Andrew Hill for murder [...] (Sherbrooke, 1871).— Canadian biog. dict.— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth).— Dictionary of American medical biography [...], H. A. Kelly et W. L. Burrage, édit. (New York, 1928).— Abbott, Hist. of medicine.— Le Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec, 1847–1947 (Montréal, 1947).— H. E. MacDermot, History of the Canadian Medical Association (2 vol., Toronto, 1935–1958), 1.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Charles G. Roland, « WORTHINGTON, EDWARD DAGGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/worthington_edward_dagge_12F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:

Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/worthington_edward_dagge_12F.html
Auteur de l'article:    Charles G. Roland
Titre de l'article:    WORTHINGTON, EDWARD DAGGE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    28 novembre 2024