WILKES, HENRY, homme d’affaires, éducateur et ministre congrégationaliste, né à Birmingham, Angleterre, le 21 juin 1805, fils de John Aston Wilkes et de Susanna Philips ; le 5 juin 1832, il épousa à Montréal Lucy Hedge, puis en septembre 1839, Susan Holmes, veuve de John McDonell ; décédé à Montréal le 17 novembre 1886.

C’est dans une région où le machinisme connaissait une expansion rapide et au moment où le capitalisme anglais prenait son élan, d’accord avec l’enseignement de l’économiste écossais Adam Smith, que grandit le jeune Henry Wilkes, fils d’un manufacturier doit les convictions religieuses se rattachaient au congrégationalisme. À 14 ans, déjà pourvu d’une bonne formation commerciale, il se fit le courtier des produits de l’usine paternelle. Comme un nombre considérable de congrégationalistes anglais ou écossais tentaient alors l’aventure outre-mer, en 1820 la famille Wilkes immigrait au Haut-Canada et s’établissait à York (Toronto), puis à Brantford, mais ce séjour fut bref pour Henry, puisque dès 1822 on le retrouvait à Montréal, où il obtint un poste de commis dans la compagnie de remorquage de John Torrance* qui s’employait, suivie de près par l’entreprise de navigation des Molson, à utiliser des toueurs à vapeur pour remorquer jusqu’au port de Montréal les voiliers en provenance de Québec. En 1827, Henry Wilkes devenait l’associé de David Torrance*. Les gains qu’il retira de cette association lui permirent d’entreprendre les études théologiques auxquelles il aspirait pour devenir ministre congrégationaliste.

Après avoir visité ses parents à Brantford, où en juin 1828 il mettait sur pied la première école dominicale congrégationaliste, Wilkes se rendit en Écosse. Arrivé à Glasgow en octobre 1829, il se prépara, sous la direction du révérend Adam Lillie*, à entrer à la Theological Academy of the Independents. En 1832, il fut ordonné ministre et revint peu après au Canada, mais pour retourner presque aussitôt en Écosse afin d’y prendre sa maîtrise ès arts. Le 18 avril 1833, il commençait son ministère à Édimbourg, tout en profitant de son séjour en Écosse pour recruter des ministres congrégationalistes en vue de les envoyer au Canada, une tâche que lui avait confiée la Canada Educational and Home Missionary Society, formée à Montréal en 1827 et dont il avait été le secrétaire et un des administrateurs avant son départ pour l’Écosse. L’une de ses premières recrues fut son ancien maître devenu son ami, Lillie.

Wilkes lui-même y revint au mois de juin 1836 en qualité de délégué d’une filiale de la London Missionary Society, la Congregational Union of England and Wales, qui, en 1831, avait été fondée pour favoriser l’expansion du congrégationalisme dans les îles Britanniques ; à cet organisme s’ajouta, en 1836, la Colonial Missionary Society, dont le but était d’établir des Églises congrégationalistes dans les colonies anglaises. C’est ainsi qu’en octobre 1836 Wilkes commença d’exercer son ministère auprès de la First Congregational Church (église de Zion) à Montréal.

Secte puritaine issue de l’Église d’Angleterre vers 1590, le congrégationalisme pousse dans le sens de sa propre logique l’idée protestante que le fidèle a un rapport direct et exclusif au Christ. Dès lors il n’y a pas, à proprement parler, d’Église comme institution : il n’y a que les assemblées locales ou congrégations composées des croyants individuels et une Église idéale, invisible, faite des communautés qui, reconnaissant le Christ pour leur Seigneur, se rattachent à lui et coopèrent fraternellement entre elles.

Les premiers congrégationalistes américains furent les Pèlerins qui, débarqués à Plymouth (Massachusetts) en 1620, fondaient, 16 ans plus tard, le Harvard College. Ce sont précisément des diplômés de Harvard qui figurèrent parmi les pasteurs exerçant leur ministère auprès des congrégationalistes qui s’étaient établis en Nouvelle-Écosse, après la fondation de la base navale de Halifax. Mais la Révolution américaine, qui provoqua l’arrivée des Loyalistes, adeptes pour beaucoup de la confession baptiste, à laquelle la prédication de Henry Alline* infusa une nouvelle vigueur, mais surtout l’attitude favorable aux Treize Colonies dans les milieux congrégationalistes, toutes ces circonstances conjuguées firent que, vers 1800, les communautés congrégationalistes avaient pratiquement disparu dans les Maritimes. Elles commencèrent à se reconstituer dans le Haut-Canada, comme à Frome, en 1819, avec Joseph Silcox, et à Brantford, où Adam Lillie avait rejoint la famille Wilkes, ensuite dans le Bas-Canada, à Montréal, où Richard Miles établissait en 1832 la First Congregational Church, rue Saint-Maurice. Montréal devint le château fort du congrégationalisme canadien quand Henry Wilkes succéda à Miles en 1836 ; dès 1842, pour former des pasteurs, il fondait, avec la collaboration de J. J. Carruthers, le Congregational Theological Institute, mais le petit nombre d’étudiants l’obligea à fusionner en 1846 son institut avec celui de Toronto, dont Adam Lillie était devenu le président.

Animé d’un prosélytisme intense, excellent orateur, recevant d’abondants subsides de la London Missionary Society et de la Colonial Missionary Society, Wilkes multiplia les tournées dans les deux Canadas, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse pour réorganiser ou fonder des communautés congrégationalistes. Si ses succès furent mitigés dans les Maritimes, il réussit davantage à implanter sa confession dans l’ouest du Haut-Canada, le congrégationalisme trouvant son milieu naturel dans la classe moyenne urbaine.

C’est toutefois à Montréal que Wilkes put donner libre cours à une activité débordante. En novembre 1846, une nouvelle église de Zion, rue Sainte-Radegonde, était inaugurée pour accommoder des fidèles de plus en plus nombreux. Outre ses fonctions officielles comme administrateur et ministre congrégationaliste, il assuma, pendant 12 ans, la fonction de président du Bureau d’examinateurs des écoles protestantes ; il contribua efficacement au développement des bibliothèques commerciales et des instituts d’artisans en assistant aux réunions de leurs membres et en donnant gratuitement des causeries dans lesquelles transparaissait l’expérience de l’homme d’affaires qu’il avait été durant la première partie de sa carrière. Il s’adonna également au journalisme religieux en fondant, en janvier 1842, avec son ami Carruthers le Harbinger (Montréal), qui connut du succès jusqu’au départ de Carruthers pour Portland, Maine, en 1844, alors que la publication cessa de paraître. Après un nouvel essai avec un hebdomadaire, l’Observer (Montréal), qui ne dura qu’un an, il connut enfin, avec le Canadian Independent (Toronto), un succès durable puisque le périodique devait paraître sous différents titres de 1875 à 1925.

Protestant convaincu, Wilkes ne tarda pas à s’intéresser au sort spirituel de ses concitoyens catholiques francophones. Lorsque le révérend James Thompson, délégué à Montréal de la British and Foreign Bible Society, fit appel à une dizaine de compatriotes pour fonder, le 13 février 1839, la Société missionnaire canadienne-française, Wilkes s’occupa d’établir des liens étroits entre l’organisme protestant de Montréal et la puissante American and Foreign Christian Union, dont le secrétaire, Robert Baird, s’intéressait de près aux progrès de la mission évangélique de Grande-Ligne, Bas-Canada, animée par deux protestants suisses d’expression française, Louis Roussy* et Henriette Feller [Odin*]. Le 11 mai 1852, lors d’une réunion de l’American and Foreign Christian Union, Wilkes déclarait qu’il était du devoir des chrétiens anglais et américains d’éclairer les Canadiens français. L’année suivante, le 6 janvier 1853, il pouvait écrire à Baird que de 636 à 681 Canadiens français avaient été convertis au pur évangile. Six mois plus tard, le 9 juin 1853, l’ex-barnabite Alessandro Gavazzi prononçait, précisément dans le temple desservi par Wilkes, l’église de Zion, un discours passionnément anticatholique. Une échauffourée s’ensuivit au cours de laquelle intervint le militaire. Résultat : une demi-douzaine de morts et une cinquantaine de blessés ! L’homme modéré qu’était Wilkes n’avait sûrement pas prévu ce déchaînement des passions populaires.

Le reste de la carrière de Wilkes se déroula paisiblement. En 1850, il avait reçu son diplôme de docteur en théologie de l’University of Vermont, qui avait une solide tradition congrégationaliste. McGill Collège lui décerna à son tour un doctorat en droit. La Congregational Union of Canada le choisit comme président plusieurs années de suite et, à sa demande, Wilkes rédigea un ouvrage sur le congrégationalisme, Internal administration of the churches, publié à Montréal en 1859.

Au recensement de 1851, les congrégationalistes canadiens étaient au nombre de 11 674, progrès attribuable en grande partie à l’activité de Wilkes, et ils continuèrent à croître au cours de la décennie suivante. Aussi le besoin de pasteurs plus nombreux se fit-il sentir. On décida donc en 1864 de transférer de Toronto à Montréal le Congregational Theological Institute, et Wilkes fut prié par le principal, son ami Lillie, d’assumer les cours de théologie morale et d’homilétique. Au décès de Lillie en octobre 1869, Wilkes démissionna comme pasteur pour lui succéder.

Avec l’âge les infirmités étaient venues. Le rhumatisme torturait Wilkes. Des traitements hydrothérapiques en Angleterre ou aux États-Unis ne lui apportèrent guère de soulagement. Il décéda durant son sommeil le 17 novembre 1886 à Montréal.

Philippe Sylvain

Les sermons et les discours de Henry Wilkes sont répertoriés dans Morgan, Bibliotheca Canadensis, 391s.

AC, Montréal, État civil, Congrégationalistes, Zion Church (Montréal), 20 nov. 1886.— Notman et Taylor, Portraits of British Americans.— Wallace, Macmillan dict.— D. [G.] Creighton, The empire of the St. Lawrence (Toronto, 1956), 213, 260.— E. B. Eddy, « The beginnings of Congregationalism in the early Canadas » (thèse de th.d., Emmanuel College, Toronto, 1957).— J. S. Moir, The church in the British era, from the British conquest to confederation (Toronto et Montréal, 1972), 152s., 166.— Robert [Philippe] Sylvain, Clerc, garibaldien, prédicant des deux mondes : Alessandro Gavazzi (1809–1889) (2 vol., Québec, 1962), II : 307s., 395, 398.— H. H. Walsh, The Christian Church in Canada (Toronto, 1956), 220.— John Wood, Memoir of Henry Wilkes, D.D., LL.D., his life and times (Montréal et Londres, 1887).

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Philippe Sylvain, « WILKES, HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/wilkes_henry_11F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
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