WARREN, GEORGE STEPHENS (baptisé Georges-Étienne), cigarier, dirigeant et organisateur syndical, né le 25 octobre 1846 à Montréal, fils d’Étienne Warren et de Basilise (?) Boisseau ; le 19 avril 1873, il épousa au même endroit Élizabeth Chartier, et ils eurent au moins huit enfants, puis Rose-Anna Cusson ; décédé le 30 novembre 1928 à Montréal.

D’origine écossaise par son père, descendant d’un officier venu s’établir en Nouvelle-Écosse, George Stephens Warren avait aussi des racines canadiennes-françaises par sa mère et sa grand-mère. Ses grands-parents paternels s’étaient installés à La Malbaie, mais son père, avant son premier mariage en 1828, avait élu domicile à Montréal, où il exerçait le métier de boulanger. Dans les années 1850, la famille Warren passa quelques années à Québec, puis revint à Montréal. Encore adolescent, George Stephens fit une mauvaise chute dans une glissoire et se fractura une jambe, qui dut être amputée. Son infirmité ne l’empêcherait pas toutefois d’être un homme actif, un tribun très populaire, qui gesticulait avec ses béquilles pour appuyer ses propos.

Une fois guéri, Warren entra comme apprenti dans une fabrique de cigares, industrie qui prenait de l’expansion dans la métropole. En 1866, il alla compléter sa formation de cigarier à Saratoga (Schuylerville, New York). Le métier de cigarier consistait à rouler avec dextérité le tabac en feuille pour en faire des cigares. C’est dans une ville toute proche, Schenectady, que Warren s’initia au syndicalisme en devenant membre du Cigar Makers’ International Union of America. Quelques mois après son admission, il se fit remarquer et devint même membre du bureau de direction du syndicat. De retour à Montréal en 1870, il fut aussitôt nommé secrétaire du syndicat local des cigariers, affilié au Cigar Makers’ International Union. Ce syndicat disparut dans la tourmente de la grande récession de 1873, mais il fut remis sur pied l’année suivante et Warren en devint alors président. En 1876, il était à nouveau dissous, car ses membres ne pouvaient trouver du travail à cause de la crise qui sévissait dans l’industrie du cigare. Les années 1880 se révélèrent beaucoup plus favorables à l’expansion du syndicalisme et Warren participa à la réorganisation du syndicat des cigariers en 1880 qui demanda aussitôt une charte d’affiliation au Cigar Makers’ International Union (il forma alors la section locale no 58). Il en fut président en 1886 et en 1887, et occupa même le poste de troisième vice-président de la direction internationale du syndicat en 1888 et en 1889.

L’adhésion de Warren à un syndicat international de métier ne l’avait pas empêché de militer activement dans l’ordre des Chevaliers du travail, qui s’implantait de plus en plus au Québec pendant les années 1880. Cette organisation ouvrière, d’origine américaine, se voulait ouverte à tous les travailleurs et pas seulement aux ouvriers de métier. Premier organisateur des Chevaliers du travail au Québec, Warren avait participé en 1883 à la fondation de l’assemblée Ville-Marie no 3484, réservée aux francophones [V. Olivier-David Benoît*]. Il aurait fondé pas moins de 23 assemblées au Québec. Dans les années 1890, il continua de faire partie de l’assemblée tout en étant membre du syndicat international des cigariers. Dès 1883, Warren avait aussi cherché à mettre sur pied un organisme qui regrouperait les syndicats montréalais afin de les représenter auprès des autorités municipales. Ses attentes se concrétisèrent en 1886 quand fut fondé le Conseil central des métiers et du travail de Montréal, qui chapeautait les syndicats et les assemblées des Chevaliers du travail de la ville.

En 1888, Warren fut appelé à témoigner devant la commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail à propos des transformations dans l’industrie du cigare à Montréal. Il fit remarquer que le salaire des cigariers avait été réduit de presque 50 % depuis les années 1870 à cause de l’embauche d’enfants dans les fabriques. À l’aide de moules inventés à la fin des années 1860, ces enfants pouvaient fabriquer 5 500 cigares par jour, énormément plus qu’un ouvrier de métier qui roulait méticuleusement chacun d’entre eux. Il suggérait une loi comme en Ontario qui limiterait le nombre d’apprentis en fonction des cigariers employés dans une fabrique.

Au moment où il était président de son syndicat, Warren eut une idée qui allait séduire, soit celle de célébrer la fête du Travail le premier lundi de septembre 1886, à l’instar de ce qui se faisait de plus en plus dans les villes américaines à la suite d’un premier défilé à Toronto et à New York en 1882. Huit syndicats de la ville répondirent à son invitation, dont le syndicat des cigariers, qui parada avec ses 350 membres, affichant une bannière sur laquelle on avait inscrit Religion et Patrie. Au total, environ 2 000 ouvriers, par corps de métier et accompagnés de deux fanfares, marchèrent dans les rues du centre-ville devant les nombreux spectateurs qui se pressaient sur le parcours. Après le défilé, les familles des syndiqués furent transportées par bateau au parc Elmwood Grove pour un pique-nique, des jeux et des compétitions sportives. Quelques dirigeants syndicaux, dont Warren, profitèrent de l’occasion pour prendre la parole et inviter les ouvriers à rester solidaires dans les syndicats et à voter pour les candidats ouvriers aux prochaines élections. La célébration se répandit au Canada, où le gouvernement canadien en fit une fête légale en 1894. À Montréal, le défilé prit une très grande envergure au début du xxe siècle ; il disparaîtrait en 1953.

Warren représenta l’assemblée Ville-Marie aux réunions du Congrès des métiers et du travail du Canada en 1890, 1893 et 1894. En 1890, il fut élu membre du comité législatif provincial du congrès chargé de soumettre au gouvernement de Québec les doléances des syndiqués en matière de législation ouvrière. Dans ce forum et dans ses interventions publiques, il insista particulièrement sur deux questions, l’interdiction du travail des enfants et l’instruction gratuite dans les écoles publiques.

On ne sait la position que prit Warren dans le conflit qui opposa les Chevaliers du travail aux syndicats internationaux à la fin du xixe siècle, mais en mars 1899 il accepta de travailler pour l’American Federation of Labor, qui chapeautait les syndicats internationaux. Il reçut alors de Samuel Gompers, président de la fédération, une commission d’organisateur pour le district de Montréal. À ce poste jusqu’en 1901, il réussit à mettre sur pied des syndicats à Montréal, Québec, Saint-Hyacinthe et Salaberry-de-Valleyfield. En 1903, il se faisait le défenseur des syndicats internationaux sur la même tribune que Joseph-Alphonse Rodier*, Joseph Ainey* et Alphonse Verville. Il joua par la suite un rôle plus effacé et mourut en 1928 à l’âge de 82 ans.

Selon les témoignages de l’époque, George Stephens Warren était une figure très attachante par son enthousiasme et son style coloré. Orateur doué aussi bien en français qu’en anglais et militant syndical passionné, il est l’un de ceux qui, par leur dynamisme et leur dévouement, ont jeté les assises du syndicalisme montréalais.

Jacques Rouillard

ANQ-M, CE601-S15, 19 avril 1873 ; S51, 26 oct. 1846.— Montreal Daily Star, 21 nov. 1883, 7 sept., déc. 1886, 31 août 1889.— Montreal Herald, 1er sept. 1894.— La Patrie, 18 févr. 1903, 6 déc. 1919.— La Presse, 6 sept. 1886, 30 nov., 4 déc. 1928, 6 déc. 1930.— Le Repos du travailleur (Montréal), 1er sept. 1890.— Canada, Commission royale sur les relations du travail avec le capital au Canada, Rapport (5 vol. en 6 vol., Ottawa, 1889), Québec, 1re part. : 55–60.— Charlemagne Rodier, « le Conseil des métiers et du travail », dans Cinquantième Anniversaire du Conseil des métiers et du travail de Montréal, 1897–1947 [...], sous la dir. de M.-E. Francq ([Montréal ?, 1947 ?]), 13.— Jacques Rouillard, « la Fête du Travail à Montréal, expression de la solidarité ouvrière (1886–1964) », RCHTQ [Regroupement des chercheurs-chercheuses en hist. des travailleurs et travailleuses du Québec], Bull. (Montréal), 22 (1996), no 2 : 9–14 ; les Syndicats nationaux au Québec, de 1900 à 1930 (Québec, 1979), 33–36, 57, 94, 111.

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Jacques Rouillard, « WARREN, GEORGE STEPHENS (baptisé Georges-Étienne) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/warren_george_stephens_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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