WABAKININE (Wabacoming, Wabicanine, Waipykanine), chef et guerrier mississagué, décédé en août 1796, près d’York (Toronto).

Paradoxalement, l’événement le plus important de la vie de Wabakinine fut sa mort. L’histoire de sa fin violente et des conséquences qu’elle entraîna contribue à détruire la croyance traditionnelle en l’existence de relations généralement harmonieuses entre les Blancs et les Indiens, dans le Haut-Canada.

Wabakinine signa, avec d’autres, plusieurs des premières cessions de terres faites dans ce qui est présentement le sud de l’Ontario. Dans celle en date du 9 mai 1781, les Mississagués (nom que les colons blancs donnaient aux Sauteux de la rive nord du lac Ontario) confirmèrent la cession antérieure d’une bande de terre de quatre milles de large le long de la rive ouest du Niagara. Dans l’acte daté du 22 mai 1784, où le nom de Wabakinine apparaît en tête d’une liste de dix signataires mississagués, la couronne se voyait concéder des terres situées à l’extrémité occidentale du lac Ontario. Les Mississagués abandonnaient environ la moitié de leurs territoires de chasse, ne se réservant que « la terre des Mississagués » située entre la baie de Burlington et la rivière Credit. Wabakinine assista à une conférence, en décembre 1792, qui précisa les frontières établies selon la convention de 1784, et signa, le 24 octobre 1795, un document cédant à la couronne 3 500 acres additionnelles. Des centaines d’immigrants américains commencèrent à cultiver les terres cédées, transformant la vie des Mississagués en un cauchemar : les fermiers les menaçaient de tirer sur eux pour « violation » de territoire ; des vandales profanèrent leurs sépultures ; des maladies épidémiques, contre lesquelles la bande n’était point immunisée, firent tomber ses effectifs de plus de 500 à 350 environ, entre 1787 et 1798.

À la fin d’août 1796, Wabakinine, sa femme, sa sœur et quelques autres, partant de la rivière Credit, se rendirent à York pour y vendre du saumon. Avec l’argent de la vente, ils achetèrent des boissons enivrantes et se mirent à boire. Profitant de la situation, un soldat du nom de Charles McCuen approcha la sœur du chef. Pour « l’inciter à lui accorder certaines faveurs », il lui offrit du rhum et un dollar ; ce soir-là, 20 août, il se rendit au campement des Indiens. La femme de Wabakinine le vit et éveilla son mari en lui disant que les Blancs allaient tuer sa sœur. Le chef, à moitié endormi et à moitié ivre, s’avança en trébuchant vers le soldat. Dans la bousculade qui suivit, McCuen le frappa durement à la tête avec une pierre, le laissant inconscient. Wabakinine mourut des suites de ce coup.

Plusieurs semaines après, sa femme mourut aussi ; quand la nouvelle de sa mort due aux mauvais traitements infligés par les Blancs parvint aux Mississagués qui chassaient alors dans les environs du cours supérieur de la rivière Thames, ils crièrent vengeance. Le frère de Wabakinine, « qu’on disait être un chef important », assembla la bande et empêcha Augustus Jones*, un arpenteur provincial, de procéder à l’arpentage de la région de la rivière Grand.

La perspective d’un soulèvement des Indiens avait terrifié depuis toujours les autorités du Haut-Canada et les décès de Wabakinine et de sa femme survinrent dans une période particulièrement tendue. La rumeur voulait que les Français et les Espagnols de la vallée du Mississippi projetassent d’attaquer la province, et l’on craignait que Joseph Brant [Thayendanegea*] n’amenât les Indiens à se joindre à eux. Brant était, depuis plus d’une décennie déjà, en conflit avec les autorités coloniales parce qu’il revendiquait pour les Six-Nations le droit de vendre et de céder des terres n’importe où dans leur réserve de la rivière Grand, et il était en train de perdre patience. Dès qu’il apprit le meurtre de Wabakinine, Brant envoya une ceinture de porcelaine aux Indiens des lacs Supérieur, Michigan et Huron, invitant les chefs à se réunir à la rivière Grand l’été suivant. Pendant des semaines, à la fin de l’hiver de 1796–1797, il sembla que s’amorçaient les préparatifs d’une rébellion. L’acquittement de McCuen, faute de preuves, contribua sans doute au ressentiment des Indiens. Le 15 février 1797, Ningausim, « un des principaux chefs [venus] depuis peu du lac Huron », demanda à Augustus Jones, dont la femme était une Mississaguée, de se joindre à lui et à plusieurs Mississagués en vue d’une rencontre à York. Jones rapporta par la suite que Ningausim désirait « commencer une guerre contre les Anglais afin d’obtenir satisfaction pour ce qui avait été fait, disant qu’il avait, au lieu de sa résidence, un grand nombre de jeunes guerriers qu’il pouvait jeter dans la mêlée à son seul commandement ».

Aucune attaque franco-espagnole ne se produisit et la rébellion n’éclata point. Peter Russell*, l’administrateur du Haut-Canada, reconnut officiellement les ententes conclues par Brant avec plusieurs Blancs relativement à des ventes de terres. Ainsi fut écartée la possibilité pour les 400 guerriers iroquois de se joindre aux quelques centaines de Sauteux qui eussent été impliqués dans le soulèvement. Trop faibles pour agir seuls, ceux-ci renoncèrent à l’idée de venger la mort de Wabakinine.

Donald B. Smith

APC, RG 10, A6, 1834, p.197.— Ontario, Ministry of Natural Resources, Survey Records Office, surveyor’s letters, 28, pp.137–139, Augustus Jones à D. W. Smith, 11 mars 1797.— PAO, RG 22, 7, affidavits and depositions, Home District, 1796–1835.— PRO, CO 42/340, f.51.— Canada, Indian treaties and surrenders [...] [1680–1906] (3 vol., Ottawa, 1891–1912 ; réimpr., Toronto, 1971), I : 5–9 ; III : 196s.— Correspondence of LieutGovernor Simcoe (Cruikshank), III : 24.— The correspondence of the Honourable Peter Russell, with allied documents relating to his administration of the government of Upper Canada [...], E. A. Cruikshank et A. F. Hunter, édit. (3 vol., Toronto, 1932–1936), I : 49s., 117 ; II : 30, 41, 306.— Upper Canada Gazette ; or, American Oracle (West-Niagara [Niagaraon-the-Lake, Ontario]), 30 déc. 1797, 12 mai 1798.— Handbook of Indians of Canada (Hodge), 5, 7, 9.— [Kahkewaquonaby], Life and journals of Kahke-wa-quo-na-by (Rev. Peter Jones), Wesleyan missionary (Toronto, 1860).

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Donald B. Smith, « WABAKININE (Wabacoming, Wabicanine, Waipykanine) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/wabakinine_4F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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