VILLENEUVE, JOSEPH-OCTAVE, homme d’affaires et homme politique, né le 4 mars 1836 probablement dans le comté de Terrebonne, Bas-Canada, fils d’Octave Villeneuve, cultivateur, et d’Anathalie (Nathalie) Truchon, dit Léveillé ; le 7 février 1861, il épousa à Sorel, Bas-Canada, Susan Annie Walker, et quatre enfants nés de ce mariage lui survécurent ; décédé le 27 juin 1901 à Montréal et inhumé le 1er juillet dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

À l’âge de quatre ans, Joseph-Octave Villeneuve serait venu avec sa famille demeurer à Montréal, où il aurait suivi le cours commercial donné par les Frères des écoles chrétiennes. La maison Benjamin Brothers, spécialisée dans la vente en gros de marchandises sèches, l’engage à titre de commis en 1853. Jeune homme appliqué, économe et studieux, il développe rapidement son sens inné des affaires. En 1860, il établit la Mile End Omnibuses pour desservir Mile End (Montréal), Terrebonne, Sault-au-Récollet (Montréal-Nord) et New Glasgow. Marié en 1861, il ouvre l’année suivante dans le village de Saint-Jean-Baptiste (Montréal), à l’angle de la rue Saint-Laurent et de la future avenue du Mont-Royal, une épicerie-boucherie qu’il transforme vers 1867 en un commerce de gros d’épiceries, de vins, de spiritueux et d’alimentation.

Villeneuve a établi son commerce au cœur du village de Saint-Jean-Baptiste où, à la suite du grand incendie de 1852 à Montréal, affluent ouvriers, artisans et spéculateurs en quête de terrains et de logements bon marché. Ce village aux maisons de bois, dépourvu des services publics minimaux, dont l’air est pollué par la poussière des ruelles, les égouts à ciel ouvert et la fumée des fours à chaux, a piètre allure ; mais Villeneuve devine qu’il est promis à un grand avenir, même si l’absence d’un cours d’eau ou d’une voie ferrée ne favorise guère son développement industriel. En 1869, il vend pour 400 $ sa compagnie de transport à des hommes d’affaires désireux de prolonger vers le nord les voies sur rail et, l’année suivante, met sur pied la Terrebonne and Back River Omnibuses. Il réinvestit une partie des bénéfices qu’il retire de son commerce dans des biens fonciers et des manufactures. En 1875, sans doute en association avec Richard Tuck, fabricant de savon, il ouvre au square Papineau une manufacture de savon et de chandelles. Le 1er mai de la même année, il s’associe avec un cousin, Léonidas Villeneuve, pour faire le commerce du bois et des grains sous la raison sociale de Léonidas Villeneuve et Compagnie. La firme dispose d’un bureau et d’un grand chantier équipé d’une scierie rue Saint-Laurent, et fait le commerce du goudron, du gravier et de divers matériaux de construction. L’expansion des villages de Saint-Jean-Baptiste et de Mile End assure la croissance de l’entreprise qui, en 1907, à la fin du contrat qui liait les deux cousins, ira s’établir à l’angle de Bellechasse et Saint-Laurent.

Le succès en affaires de Villeneuve repose tout autant sur son énergie et son sens pratique que sur sa carrière sur la scène municipale. Il est maire de Saint-Jean-Baptiste de 1866 à 1886 et préfet de la municipalité du comté d’Hochelaga de 1866 à 1880. À la tête du conseil municipal de Saint-Jean-Baptiste, composé d’artisans, de marchands et d’entrepreneurs, il pratique une gestion prudente caractérisée par un bas niveau de taxation. Le marché qu’il fait construire en 1870, vaste édifice rectangulaire en brique rouge qui abrite l’hôtel de ville et une salle de spectacles, rapporte des revenus qui permet à la municipalité de boucler son budget. Des exemptions de taxes aux manufacturiers et à certains services publics, l’érection en 1875 de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, à même celle du Saint-Enfant-Jésus, pour desservir une population de 5 000 à 6 000 âmes sont les autres éléments d’une stratégie axée plus sur la croissance démographique que sur le développement. Une réglementation tolérante envers les entreprises polluantes, des services publics déficients – pompiers volontaires, corps policier réduit au minimum, macadamisation des rues au ralenti – sont la rançon de cette politique économe. Un aqueduc branché sur celui de Montréal en 1878 ne dessert que cinq rues sept ans plus tard. Deux grandes conflagrations en 1879, des rues boueuses et une atmosphère malsaine provoquent la grogne des contribuables et posent le problème d’une annexion à Montréal que ceux-ci avaient allègrement désavouée en 1872. Le maire Villeneuve entame les négociations en 1882. L’annexion d’Hochelaga [V. Raymond Préfontaine] sert de modèle. Le 10 juin 1884, un projet de loi privé érige Saint-Jean-Baptiste au rang de ville, tout en prévoyant déjà certaines conditions d’annexion et, le 15 janvier 1886, les propriétaires votent l’annexion à 288 contre 51. Villeneuve représentera le quartier Saint-Jean-Baptiste avec l’entrepreneur arrimeur John Lee et le ferblantier Vital Grenier au conseil municipal de Montréal.

L’annexion de Saint-Jean-Baptiste assure l’accession de Villeneuve à la moyenne bourgeoisie, cette classe sociale intermédiaire qui exerce un contrôle sur les institutions régionales tout autant par ses investissements dans la finance, le transport, les assurances, la propriété foncière que par sa participation au jeu de la politique. En mai 1885, Villeneuve est au nombre des actionnaires qui obtiennent la reconnaissance juridique de la Compagnie du chemin de fer du parc et de l’île de Montréal, entreprise qui dispose d’un capital de 500 000 $ et qui offre un service de tramways aux villages de banlieue. En 1889, il obtient celle de la Montmorency Cotton Manufacturing Company avec, entre autres, Andrew Frederick Gault et Charles Ross Whitehead*. Il fait partie du conseil d’administration de la Banque Jacques-Cartier de 1885 à 1891, et en 1896, de celui de la Banque nationale à Québec dans laquelle il possède 4 500 $ d’actions. De 1888 à 1891 et de 1893 a 1896, il est commissaire du havre de Montréal. Le 10 juillet 1893, avec son fils Eugène-William et la Léonidas Villeneuve et Compagnie, il met sur pied la Blackstone Cigar Factory, Villeneuve and Company.

À l’hôtel de ville, Villeneuve garde ses distances avec le triumvirat libéral [V. Préfontaine] qui domine alors le conseil. Conservateur de longue date, proche des milieux ultramontains, il représente Hochelaga à l’Assemblée législative du 14 octobre 1886 au 31 octobre 1887, date à laquelle son élection est annulée. Il est défait à l’élection partielle du 28 avril 1888, mais réélu en 1890 et 1892. Député effacé, il se contente de veiller aux intérêts des Montréalais. Il appuie en 1893 la requête de la Chambre de commerce du district de Montréal en vue de substituer un impôt foncier aux diverses taxes sur le commerce, puis il prend la défense du conseil municipal de Montréal, que des députés veulent mettre sous tutelle, même s’il reconnaît que cet organisme est « contrôlé par une bande d’aventuriers ». C’est donc tout naturellement qu’il accepte de briguer les suffrages à la mairie contre James McShane*, ancien ministre d’Honoré Mercier* et ami de Préfontaine. Grâce à l’appui des commerçants, des réformistes et des quartiers francophones, il est élu avec 176 voix de majorité, le 10 février 1894. Premier maire élu pour deux ans, Villeneuve place son mandat sous le signe de l’économie. Il n’a d’ailleurs pas le choix, car les temps sont durs : en 1894, le Parlement fixe à 25 millions le montant maximal de la dette municipale et, en 1895, c’est la plus élevée per capita de toute la décennie. Malgré tout, les travaux du havre et ceux de la gare et de l’hôtel Viger [V. Bruce Price] se poursuivent sous son mandat.

Le 2 janvier 1896, quelques jours avant la fin de son mandat, Villeneuve est nommé sénateur de la division de Salaberry en remplacement de Joseph Tassé*. Il s’intéressera surtout à la législation bancaire. C’est un homme déjà sur le déclin. Il se retire de la Blackstone Cigar Factory, Villeneuve and Company le 15 novembre 1896 et, l’année suivante, il cède à son fils Eugène-William son commerce de grossiste, mais demeure associé de la Léonidas Villeneuve et Compagnie ; son testament, rédigé le 16 octobre 1900, spécifie que cette association pourra être continuée deux ans après sa mort.

Atteint du diabète, Joseph-Octave Villeneuve meurt à la suite d’une longue maladie le 27 juin 1901. « D’assez haute taille, un peu replet [...], selon Francis-Joseph Audet*, le regard clair et perçant », peu instruit ni éloquent, d’un naturel simple mais aux « manières engageantes », Villeneuve était aux yeux de ses admirateurs un « citoyen de la plus parfaite intégrité » qui avait su gérer « ses affaires particulières [...] avec une intelligence peu commune ». Il laissait une fortune considérable constituée surtout de biens immobiliers. Son testament prévoyait une rente à sa femme et à certains de ses enfants, des dons à des cœuvres charitables, une somme de 25 000 $ à l’université Laval à Montréal pour qu’elle développe l’enseignement du génie civil, et qui allait permettre la construction d’un immeuble pour l’École polytechnique de Montréal [V. Urgel-Eugène Archambeault] ; toutefois, le gros de sa succession devait être partagé 20 ans après sa mort entre ses petits-enfants. Ses enfants contestèrent son testament et l’affaire, qui nécessita pas moins de 12 projets de loi privé, ne fut réglée qu’entre 1944 et 1953.

Michèle Brassard et Jean Hamelin

AC, Montréal, Cour supérieure, Déclarations de sociétés, 6, n° 647 (1875) ; 17, n° 229 (1893) ; 19, n° 658 (1896) ; 22, n° 749 (1901) ; État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-des-Neiges (Montréal), 1er juill. 1901.— AN, MG 30, D1, 30 : 441–444.— ANQ-M, CE3-7, 7 févr. 1861 ; CN1-235, 16 oct. 1900.— AVM, D026.23.— Le Devoir, 30 mai 1925.— La Patrie, 7 mars 1902, 1er oct. 1950.— La Presse, 24 févr. 1894, 10 févr. 1896, 28 juin 1901.— La Semaine illustrée (Montréal), janv. 1933.— Annuaire, Montréal, 1850–1898.— Atherton, Montreal, 3 : 162–164.— É.-J.[-A.] Auclair, Saint-Jean-Baptiste de Montréal ; monographie paroissiale, 1874–1924 (Québec, 1924).— Canada, Sénat, Débats, 1896–1899.— Michel Gauvin, « The municipal reform movement in Montreal, 1886–1914 » (thèse de m.a., univ. d’Ottawa, 1972).— Gazette officielle de Québec, 1889 : 1188.— Anne Germain, « Mouvements sociaux de réforme urbaine à Montréal, de 1880 à 1920 » (thèse de ph.d., univ. de Montréal, 1980).— J.-L. Lalonde, « le Village de Saint-Jean-Baptiste : la formation d’un faubourg montréalais, 1861–1886 » (thèse de m.a., univ. du Québec à Montréal, 1985).— Lamothe, Hist. de Montréal.— É.-Z. Massicotte, « Billet d’omnibus », BRH, 35 (1929) : 351s.—Poulin, « Déclin portuaire et Industrialisation », 109.—Québec, Assemblée législative, Débats, 1890–1897 ; Statuts, 1884, c.89 ; 1885, c.74 ; 1902, c.115 ; 1907, c.136 ; 1915, c.160 ; 1919, c.159 ; 1920, c.157 ; 1921, c.166 ; 1922, c.133 ; 1927, c.141 ; 1931, c.184 ; 1933, c.170 ; 1938, c.139 ; 1943, c.75.— RPQ.— Rumilly, Hist. de Montréal, 3.— [Télesphore Saint-Pierre], Histoire du commerce canadien-français de Montréal, 1535–1893 (Montréal, 1894).—Léon Trépanier, « les Attributs de la mairie de Montréal », Cahiers des Dix, 31 (1966) : 209, 212.

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Michèle Brassard et Jean Hamelin, « VILLENEUVE, JOSEPH-OCTAVE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/villeneuve_joseph_octave_13F.html.

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Auteur de l'article:    Michèle Brassard et Jean Hamelin
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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