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VATTEMARE, NICOLAS-MARIE-ALEXANDRE, ventriloque, philanthrope et promoteur d’échanges culturels, né le 7 novembre 1796 à Paris, dans l’île Saint-Louis, décédé dans la même ville le 7 avril 1864.
Fils d’un avocat parisien qui jugea plus prudent de se replier sur sa propriété de Normandie pendant la Révolution, Nicolas-Marie-Alexandre Vattemare grandit à Lisieux, où sa mère le met au séminaire, comme il convenait à un fils de bonne famille. Les dons de ventriloque qu’il s’est découverts entre sept et dix ans forcent les autorités du séminaire à le renvoyer, tout comme ils abrégeront ses études de médecine à Paris quelques années après. Invité à accompagner comme infirmier des blessés allemands au Brandebourg en 1815, il les amuse si bien que des médecins berlinois lui conseillent de faire carrière dans la ventriloquie, ce qu’il tente sur place avec un succès immédiat, qui le conduit ensuite dans toutes les grandes villes d’Europe. La fortune lui sourit et il donne libéralement aux œuvres sociales des villes où il passe. Ayant visité les musées et les bibliothèques, l’idée lui vient vite de faire profiter les populations des innombrables doubles de livres ou d’autres objets qui dorment dans les collections. Le ventriloque-philanthrope devient le « missionnaire des échanges » auprès des princes et des hommes publics européens. Seul le gouvernement français est réticent à son système, qui fonctionne sur un plan privé depuis 1825 grâce à son Agence européenne des échanges. Devant les réticences des ministères parisiens, Vattemare accepte la suggestion de La Fayette et du général Lewis Cass d’aller répandre son système en Amérique, pour laquelle il s’embarquera quelques armés plus tard, en septembre 1839.
Le ventriloque « Mr Alexandre » ouvre la voie. Aussitôt que les foules accourent, c’est Vattemare qui prend la place et il voit son idée acceptée avec chaleur par les Américains. Son projet d’échanges intéresse d’abord le Congrès qui s’entend avec lui, ce qui lui permet d’aller faire le tour des principales villes américaines de New York à La Nouvelle-Orléans et à Burlington. Les états et les villes le reçoivent très bien et lui fournissent de l’argent, des livres, des objets d’art et des spécimens d’histoire naturelle à échanger.
On le retrouve à Montréal en octobre 1840 où, s’il n’a pas déjà été informé, il se montre observateur perspicace de la situation politique. Au lieu de produire « Mr Alexandre » dès l’abord, il se contente de prendre contact avec les chefs civils et religieux et les journalistes, tels que Mgr Ignace Bourget*, le gouverneur Sydenham [Thomson*], Denis-Benjamin Viger, « son hôte canadien », et Joseph-Guillaume Barthe* de l’Aurore des Canadas. Il communique en même temps avec le public par le truchement des journaux, tantôt en annonçant son projet d’échanges, tantôt en insistant sur la nécessité de réunir les gens de croyances et de couleurs politiques différentes. À la mi-décembre, Vattemare, ayant mis les autorités dans le coup, lance l’idée d’un institut regroupant les trois principales sociétés montréalaises (la Société d’histoire naturelle, l’Institut des artisans, la Bibliothèque de Montréal) sous un même toit, lequel abriterait d’ailleurs l’hôtel de ville, la Bourse et le bureau de poste. Enthousiasmé par son projet, le Bureau de commerce emporte l’adhésion du conseil de ville, lequel demande à son tour au Conseil spécial, par l’entremise de lord Sydenham, la permission d’emprunter £50 000 pour construire la maison. Tout cela est acquis en janvier 1841 pendant que M. Alexandre présente ses spectacles de ventriloque et que Vattemare tient des réunions séparées avec les anglophones, les francophones et les jeunes gens.
Au début de février, l’institut Vattemare semble une affaire définitivement arrêtée et son promoteur prend le chemin de Québec, où son activité montréalaise a été largement racontée dans les journaux. M. Alexandre et Vattemare travaillent en même temps. Le propriétaire-rédacteur du Fantasque, Napoléon Aubin*, appuie de toutes ses forces le projet d’un institut Vattemare, regroupant les trois sociétés de Québec (la Société littéraire et historique, l’Institut des artisans, la Bibliothèque de Québec). Quant au toit pouvant les abriter, le vieux collège des jésuites y pourvoira. Cet institut, insiste Aubin, sera au service de toute la population ; une bibliothèque, un musée d’histoire naturelle et des salles d’exposition serviront à l’instruction populaire cependant qu’on créera des chaires de droit et de médecine pour les étudiants. Le système d’échanges jouera enfin un grand rôle dans le développement des collections. Ainsi Vattemare reçoit-il l’appui total de toute la presse, la Gazette de Québec insistant sur le rapprochement des races. L’argent serait fourni enfin par un emprunt au conseil de ville et une souscription publique. Le conseil de ville se montre favorable au projet et charge quelques-uns de ses membres d’étudier la question. Un mémoire est déposé le 10 mars, mais il ne sera jamais repris. Vattemare avait déjà quitté Québec le 5 mars pour Boston.
Les instituts Vattemare de Montréal et Québec n’ont pas vu le jour, le Conseil spécial a disparu avec l’union des Canadas et les élections eurent tôt fait déjeter cette histoire aux oubliettes. Mais trois ans après, en 1844, les jeunes intellectuels de Montréal établissent l’Institut canadien, à peu de chose près sur le modèle de celui de Vattemare. Et l’Institut canadien aura de nombreuses succursales dans les villes du Bas-Canada. Dès 1847 d’ailleurs, lors du second voyage de Vattemare aux États-Unis, la Minerve reconnaissait explicitement l’influence de celui-ci dans la fondation de l’Institut canadien, de même que plusieurs autres, tels que Pierre-Joseph-Olivier Chauveau* et Adolphe de Puibusque. Vattemare apporta des livres en 1847, qui furent détruits lors de l’incendie du parlement à Montréal.
Le séjour de cet homme extraordinaire, dont le charme et les talents n’eurent d’égale que la générosité, a été aussi fécond sur le plan culturel que celui de Mgr de Forbin-Janson* au point de vue religieux et au même moment. Alexandre Vattemare travaillera jusqu’à la fin pour organiser son système d’échanges au niveau des gouvernements européens. Il ne sera accepté que trois ans après sa mort, survenue le 7 avril 1864, avec la signature de la convention des Princes.
ACAM, RLB, 2, p.249.— ANQ-M, M-72-141.— ANQ-Q, AP-G-76/1, lettre à Adolphe de Puibusque, 15 janv. 1847 ; lettre d’Adolphe de Puibusque à Faribault, 5 oct. 1847.— Archives nationales (Paris), F161, 160, 26 (dossier Puibusque), lettre à Salvandy, 12 mars 1849.— AVM, Rapports et dossiers du conseil municipal, 1841, 2, 1re sér.— AVQ, Procès-verbaux du conseil, 1840–1842, 87s., 92, 97.— Bibliothèque de l’Arsenal (Paris), Rt 5 560, 11 162 (découpures de journaux du 30 janv. 1828 et du 5 avril 1883).— Bibliothèque de l’Institut (Paris), Fonds Vattemare, M 61F4, 14–15.— B.-C., Conseil spécial, Ordonnances, 1840–1841, c.27.— Lettres à Pierre Margry de 1844 à 1886 (Papineau, Lafontaine, Faillon, Leprohon et autres), L.-P. Cormier, édit. (Québec, 1968), 134–136.— L’Aurore des Canadas, 10 nov. 1840–29 janv. 1841.— L’Avenir, 27 nov. 1847.— Le Canadien, janv.-mars 1841, 8 sept. 1841, 3 août 1855.— Le Fantasque (Québec), janv.-mars 1841.— La Gazette de Québec, janv.-mars 1841.— L’Institut ou Journal des étudians (Québec), janv.-mars 1841.— Montreal Herald, janv. 1841.— Morning Chronicle (Québec), 4 mai 1853.— Ægidius Fauteux, Les bibliothèques canadiennes ; étude historique (Montréal, 1916), 34–42.— Claude Galarneau, Le philanthrope Vattemare, le rapprochement des « races » et des classes au Canada : 1840–1855, Le bouclier d’Achille (Morton), 94–110.— Garneau, Hist. du Canada (1882–1883), IV : lii-liii.— Olivier Maurault, Marges d’histoire (3 vol., Montréal, 1929–1930), III : 58, 71.— Jean Ménard, Xavier Marmier et le Canada, avec des documents inédits ; relations franco-canadiennes au XIXe siècle (Québec, 1967), 63s.— J.-L. Dargent, Alexandre Vattemare, 7 novembre 1796–7 avril 1864 ; fondateur de l’Agence européenne des échanges, Bull. des bibliothèques de France (Paris), A, IX (1964) : 333–339.— Olivier Maurault, Souvenirs canadiens ; album de Jacques Viger, Cahiers des Dix, 9 (1944) : 92.— Élisabeth Revai, Le voyage d’Alexandre Vattemare au Canada : 1840–1841 ; un aperçu des relations culturelles franco-canadiennes : 1840–1857, RHAF, XXII (1968–1969) : 257–299.— E. M. Richards, Alexandre Vattemare and his system of international exchanges, Medical Library Assoc., Bull. (Chicago), XXXII (1944) : 413–448.
Claude Galarneau, « VATTEMARE, NICOLAS-MARIE-ALEXANDRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/vattemare_nicolas_marie_alexandre_9F.html.
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Auteur de l'article: | Claude Galarneau |
Titre de l'article: | VATTEMARE, NICOLAS-MARIE-ALEXANDRE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 1977 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |