THOMSON, THOMAS JOHN (Tom), peintre, né le 5 août 1877 près de Claremont, Ontario, sixième des dix enfants de John Thomson, fermier, et de Margaret Mathewson ; décédé célibataire le 8 juillet 1917 dans le parc Algonquin, Ontario.

Thomas John Thomson n’avait que deux mois lorsque sa famille s’installa dans une ferme des environs de Leith, près d’Owen Sound, dans la baie Géorgienne. Tom, comme on l’appelait, vécut là une enfance normale ; il aimait particulièrement se promener dans les bois, chasser et pêcher. Avec sa famille, il participait à des activités culturelles traditionnelles : il chantait dans la chorale de l’église presbytérienne de Leith, jouait de la mandoline et peut-être d’autres instruments, lisait (de la poésie surtout), dessinait et peignait. À un moment donné, à cause, dit-on, d’une « faiblesse des poumons » ou de « rhumatisme inflammatoire », il s’absenta de l’école durant un an et parcourut la campagne. On ignore s’il termina ses études secondaires.

Quand Thomson atteignit sa majorité, en 1898, il hérita environ 2 000 $ de son grand-père ; apparemment, il dilapida cette somme. Puis, pendant quelques années, il tâtonna. À trois reprises, il tenta de s’enrôler pour participer à la guerre des Boers, mais il fut refusé, selon sa sœur, parce qu’il avait les pieds plats. En 1899, il commença un apprentissage de machiniste chez William Kennedy and Sons à Owen Sound, mais il laissa tomber au bout de huit mois. Après un séjour à la maison, il suivit l’exemple de deux de ses frères aînés et s’inscrivit au Canadian Business College de Chatham, en Ontario. En 1901, il rejoignit son frère George à Seattle, dans l’État de Washington. George avait contribué là-bas à la fondation de l’Acme Business College, et Tom s’y inscrivit à un cours de calligraphie. Six mois plus tard, il entra dans une entreprise de photogravure. Peu après, chose peut-être prévisible chez cet homme remuant, il accepta un emploi mieux rémunéré à la Seattle Engraving Company. Apparemment, au cours de ses trois années à Seattle, il se mit à l’étude de l’art commercial et fit, de façon irrégulière, du dessin à la plume et de l’aquarelle. Une de ses premières œuvres connues, Self-portrait : after a day in Tacoma, date de cette période.

Selon ses contemporains, Thomson quitta Seattle précipitamment en 1904 après qu’une femme eut refusé sa demande en mariage. De retour en Ontario, il continua à faire du dessin commercial, ce qui lui plaisait. Pendant cinq ans, il travailla pour diverses entreprises de photogravure, dont la Legg Brothers de Toronto, peut-être la Reid Press de Hamilton et, à compter de 1907 ou de 1908, la Grip Limited de Toronto. En outre, il commença à utiliser des couleurs à l’huile à titre expérimental. On dit qu’il prit quelques leçons d’art à cette époque, peut-être de William Cruikshank, qui enseignait le dessin d’après modèle et la manière des grands maîtres.

C’est à la Grip Limited que Thomson trouva de quoi stimuler davantage ses intérêts artistiques et philosophiques. Le directeur de l’atelier de gravure, Albert Henry Robson*, animait ce qu’il appelait « une sorte d’université d’arts graphiques ». Robson était consciencieux et il avait du flair. Il engageait des artistes au talent prometteur : outre Thomson, on trouvait, chez la Grip Limited, James Edward Hervey MacDonald*, Franklin Carmichael*, Frederick Horsman Varley*, Arthur Lismer*, Francis Hans (Frank) Johnston*, Thomas Wesley McLean, William Smithson Broadhead et Harry Ben Jackson. En tenue de ville, ils travaillaient assis à des tables à dessin disposées près des fenêtres, en pleine lumière. L’atmosphère était joyeuse et la production, de grande qualité. En octobre 1912, quand Robson quitterait la Grip Limited pour le service d’arts graphiques de l’imprimerie Rous and Mann Limited, Thomson et plusieurs autres le suivraient.

L’influence de Robson se faisait sentir même en dehors des heures de travail. Suivant une tradition bien établie dans les milieux artistiques, il s’intéressait à la peinture de paysage et encourageait son personnel à s’y intéresser aussi. Par groupes, les peintres, délaissant les étiquettes de soupe en conserve, les annonces de vêtements féminins et autres choses du genre, allaient passer leurs samedis après-midi et leurs dimanches dans la campagne torontoise, tout comme les membres de la Toronto Art League et du Mahlstick Club. En compagnie de Johnston, Thomson allait faire des croquis dans la vallée de la Humber ; avec d’autres, il se rendait à Weston, à Lambton Mills, à York Mills, au lac Scugog et plus loin encore. Les peintures qu’il exécuta au cours de ses années avec Robson – Drowned land et Near Owen Sound, par exemple –, se distinguent déjà par la vigueur du coup de pinceau et la justesse des tons.

En mai 1912, Thomson passa deux semaines dans le parc Algonquin avec Harry Ben Jackson. Déjà fréquenté par des artistes tels John William Beatty* et Tom McLean, le parc était réputé pour ses forêts et ses cours d’eau poissonneux ; surtout, on pouvait s’y rendre par train. En août et en septembre, Thomson et William Smithson Broadhead montèrent en canot beaucoup plus au nord, dans la Mississaga Forest Reserve, dans le district d’Algoma. C’était la première fois, semble-t-il, que Thomson faisait un long séjour dans les bois. La photographie parut l’intéresser davantage que le dessin, mais une fois de retour à Toronto, il se laissa convaincre de peindre un tableau d’après l’un de ses croquis. C’est ainsi qu’il produisit A northern lake, sa première toile importante. Exécutée avec une palette réduite, l’œuvre tire sa puissance de sa composition horizontale et dégagée – les rochers, le lac, la rive opposée et le ciel forment des bandes parallèles, et l’ensemble est encadré par des arbres dénudés. Thomson utiliserait cette perspective frontale abondamment et avec beaucoup de bonheur. À l’exposition tenue au début de 1913 par l’Ontario Society of Artists, A northern lake remporta le prix d’acquisition de 250 $ du gouvernement provincial.

D’autres pièces présentées à cette exposition novatrice semblaient aussi annoncer l’émergence, en Ontario, d’un nouvel esprit, d’une passion pour la nature canadienne qui ne s’était pas manifestée depuis que Lucius Richard O’Brien* et d’autres avaient peint l’Ouest. James Edward Hervey MacDonald exposait six études de la baie Géorgienne ; Arthur Lismer présentait un tableau exécuté aussi dans la zone de villégiature de cette baie, The clearing. Deux autres participants, Lawren Stewart Harris* et Alexander Young Jackson*, n’exposaient pas des paysages canadiens, mais ces quatre peintres, comme leurs collègues, éprouvaient de plus en plus la nécessité de trouver une expression picturale proprement canadienne. Les courants artistiques des autres régions du pays n’allaient pas dans le même sens que ce nouveau courant ontarien. Dans la province de Québec par exemple, les œuvres de Maurice Galbraith Cullen* et de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté* ne tendaient pas vers la représentation d’une nature inhabitée aux traits saisonniers bien marqués.

Par l’entremise de ses collègues de travail, des expositions et de l’Arts and Letters Club, Thomson attira peu à peu l’attention de ces hommes qui, en 1920, formeraient le groupe des Sept, la première école nationale d’art du Canada. Stimulés par le nationalisme de leur temps, dont le thème du Nord, cher à la littérature canadienne-anglaise, était l’une des composantes, et par les paysages nordiques exposés en 1913 par des symbolistes scandinaves à Buffalo, dans l’État de New York, ces peintres en vinrent à proclamer que la nature sauvage faisait la force du Canada, que cette force se trouvait dans le Nord et que des techniques populistes, inspirées des arts appliqués, étaient préférables aux méthodes « conçues à l’étranger ». Le fait qu’ils étaient tous des citadins du Sud et qu’ils avaient acquis leurs techniques artistiques à l’étranger ne les dérangeait pas le moins du monde.

En mai 1913, Thomson quitta son emploi de dessinateur commercial et partit passer une saison au parc Algonquin ; il fit des croquis, guida des groupes de pêcheurs, travailla peut-être comme guetteur d’incendies. À son retour à Toronto en novembre, il rapporta au moins une trentaine d’études de paysage, dont Lake, shore and sky, qu’il donna à Alexander Young Jackson. Discrètement, un éminent ophtalmologiste, James Metcalfe MacCallum, devint son mécène et son promoteur en même temps qu’un adepte du thème de la nature sauvage. Grâce à lui, Thomson et Jackson partageaient dès janvier 1914 un atelier au Studio Building, que MacCallum et Harris venaient tout juste de construire dans le ravin Rosedale. Cette collaboration serait fructueuse pour les deux peintres. Auprès de Jackson, Thomson, qui avait reçu une formation de graphiste, se perfectionna dans l’emploi de la couleur. Aux côtés de Thomson, Jackson, qui jusque-là avait peint surtout des sites semi-urbains et européens, apprit à goûter les merveilles du Nord. D’ailleurs, un article paru le 12 décembre 1913 dans le Toronto Daily Star avait déjà rapproché Thomson et Jackson. Henry Franklin Gadsby y ridiculisait les jeunes artistes en les associant à l’« Ecole de la sentimentalité à l’eau de rose ». Quelques jours plus tard, James Edward Hervey MacDonald publiait une réplique cinglante. Ainsi naquit la tradition qui consistait à piquer la presse à l’excès, tradition qui allait souvent attirer l’attention des journaux et du public sur le groupe des Sept.

En 1914, le parc Algonquin devint le lieu de prédilection des peintres, ce qui leur valut un autre sobriquet, l’École du parc Algonquin. Guidé par Thomson, Jackson visita le parc pour la première fois en février. En mai, Lismer découvrit les lieux et, à son tour, conseilla Thomson, encore inexpérimenté en peinture. Selon Jackson, cette aide raffermit les talents de dessinateur de Thomson et fit ressortir son potentiel de coloriste. En quittant le parc, Thomson alla voir MacCallum à son chalet de la baie Go Home, sur la rive sud-est de la baie Géorgienne. Il passa là quelque temps à faire des croquis, à pêcher, à se promener en canot. À l’automne, il retourna dans le parc, où Jackson le rejoignit pour six semaines ; Varley et Lismer s’y rendirent aussi par la suite. Au fil de cette année 1914, Thomson se dépouilla de sa réserve devant ses amis. Il « prenait vie dans les bois », découvrit Lismer. En octobre, Jackson écrivit à MacDonald que « Tom [faisait] des choses emballantes » en peinture.

Pendant l’hiver de 1914–1915, Thomson partagea un atelier avec Frank Carmichael au Studio Building et peignit des tableaux à partir d’études réalisées dans le courant de l’été. Une de ces toiles, de grand format, était Northern river. Thomson la présenta à l’exposition annuelle de l’Ontario Society of Artists en mars et avril 1915, à la Toronto Public Reference Library, et elle fit tout de suite grande impression. Commentant l’exposition, le Daily Mail and Empire de Toronto dit que c’était « l’un des tableaux les plus frappants du genre à la galerie ». Même l’une des têtes de Turc des peintres du parc Algonquin, Hector Willoughby Charlesworth*, critique au Saturday Night, trouva ce tableau « bien, vigoureux et coloré ». « La disposition habile des arbres à l’avant-plan, ajoutait-il, donne une composition très efficace. » À l’avant-plan, Thomson a massé, sur la droite, un écran d’épinettes et placé, à gauche, un seul arbre que touche un tronc courbe et renversé. Derrière ce rideau sombre étincellent la rivière et, au delà, la grève aux couleurs vives. Par sa composition, le tableau rappelle une technique de l’Art nouveau qui consistait à superposer un avant-plan onduleux et organique, de ton foncé, à un milieu et un fond plus clairs. Cette technique bien connue était utilisée en graphisme et par des peintres européens ; on en voyait des exemples dans des revues internationales d’art. Peu après l’exposition de l’Ontario Society of Artists, la Galerie nationale du Canada (maintenant le Musée des beaux-arts du Canada) acheta, au prix de 500 $, le « tableau du marécage », comme l’appelait Thomson.

En 1915, Thomson retourna au parc Algonquin et séjourna au Mowat Lodge, au bord du lac Canoe. Le 22 avril, il signala à MacCallum qu’il n’y avait presque plus de neige dans les bois, mais que les lacs étaient encore recouverts de glace, quoique la débâcle fût proche. De son bivouac préféré, à l’arrière de la pointe Hayhurst, il fit le croquis de Spring ice sur un panneau de bouleau de 8 1/2 sur 10 1/2 pouces, son format habituel. L’année précédente, il avait pu travailler un peu comme guide, mais en 1915, l’occasion se présenta plus rarement : le parc recevait moins de visiteurs à cause de la guerre. Pourtant, dès le 28 avril, il se mit en route avec un groupe. Il peignait sporadiquement, selon son habitude. En septembre, il écrivit laconiquement à MacCallum qu’il n’avait pas fait tellement de tableaux, seulement « une centaine jusqu’à présent ». Il se déplaçait beaucoup. Il écrivait, toujours à MacCallum : « Je retournerai encore sur la piste ce matin[,] remonterai la rivière South et traverserai le lac Tea [lac North Tea] et redescendrai jusqu’au [lac] Cuchon [lac Cauchon] et me rendrai peut-être jusqu’à Mattawa, mais le paysage est beau en remontant cette rivière [...] alors il y a amplement à faire sans aller bien loin. » Thomson se sentait seul et espérait que Lismer ou un autre de ses compagnons pourrait le rejoindre. Jackson, lui, ne le pouvait pas : il s’était enrôlé en juin. À l’automne, Thomson se rendit au chalet de MacCallum à la baie Go Home. MacDonald y était, et peut-être Lismer. Ensemble, ils prirent des mesures en vue de produire une série de panneaux décoratifs pour le chalet et eurent des discussions à ce propos.

Les ébauches produites par Thomson en 1915 étaient plus maîtrisées que ses œuvres antérieures, surtout du point de vue du coloris : il utilisait des teintes plus proches des couleurs primaires. Dans Tea Lake dam, un audacieux avant-plan fait de feuillage vert et disposé en diagonale contraste avec un lac couleur d’encre dont Thomson a représenté les eaux rapides par de vigoureux traits blancs, jaunes, verts et orange. Le barrage horizontal, de couleur foncée, la grève opposée et de lourds nuages à l’horizon font contrepoids à cette impression d’activité. La composition de Blue lake est semblable, bien que Thomson ait ajouté au premier plan un écran de troncs de bouleau. Dans Sunset, il a éliminé l’avant-plan, ce qui fait ressortir l’immensité et la majesté du ciel rouge et jaune surplombant les collines sombres qui se reflètent dans un lac.

En novembre 1915, avant de regagner Toronto, Thomson alla voir sa sœur Minnie Harkness et la famille de celle-ci à Owen Sound. Il parla de tenter de s’enrôler, mais craignait d’être refusé. Bien qu’il ait détesté la guerre et l’engagement de Jackson « dans la machine », comme il disait, il tenait à essayer de participer. Pourquoi au juste l’armée le refusa-t-elle ? Il est difficile de le savoir. Des membres de sa famille suggérèrent encore une fois que c’était à cause de ses pieds – un orteil fracturé dans sa jeunesse et une déficience des voûtes plantaires

Comme tous les ateliers du Studio Building étaient loués pour l’hiver, Harris et MacCallum rénovèrent un petit bâtiment de bois qui avait servi de remise à outils pendant la construction de l’immeuble. Thomson s’y installa et se fabriqua une couchette, des rayonnages, une table et un chevalet. Cette « cabane » ne tarda pas à attirer un flot de visiteurs. Niché là, Thomson exécuta une partie des panneaux que MacCallum avait commandés pour son chalet et dont il voulait faire la surprise à sa femme à l’occasion de son anniversaire. MacDonald et Lismer participèrent aussi à ce projet, qui leur donna à tous beaucoup de plaisir. Apparemment, Thomson devait réaliser sept panneaux, mais seulement trois furent installés, en avril 1916. Intitulés Forest undergrowth I, II et III, ils étaient de style Art nouveau ; peints en aplats, avec un nombre restreint de couleurs, ils étaient d’une inspiration plus proche de l’art commercial que de la peinture.

Dans la cabane, Thomson travailla aussi à ses plus grands tableaux. Spring ice présente la même composition de base que A northern lake et une toile exécutée en 1914 par Jackson, Frozen lake, early spring : l’horizon est placé haut, et c’est l’avant-plan, encadré par des arbres chétifs, qui attire d’abord l’œil. En comparant l’ébauche et la toile achevée, on voit que, pour intensifier l’atmosphère, Thomson était prêt à faire des modifications subtiles mais importantes. L’ébauche était toute dans des tons brun rosé. Sur la toile, il accentua le contraste en choisissant pour le lac un bleu froid et, pour la terre, un jaune orangé. De plus, il ajouta deux arbres sur le côté droit pour contenir l’ensemble. The pool et In the northland sont de composition semblable et, tout comme Northern river, présentent au premier plan un écran décoratif. Toutefois, en passant du croquis à la toile pour exécuter ces œuvres, Thomson modifia sa palette et sa vision : il abandonna l’artifice stylistique du rideau sombre et utilisa à l’avant-plan plus de couleurs primaires et moins de teintes mélangées.

Dès qu’il le put, au printemps de 1916, Thomson retourna au parc Algonquin. L’appel du Nord était désormais irrésistible. Il commença la saison en compagnie de MacCallum, et peut-être de Harris et de son cousin, dans la partie nord-est du parc. Petawawa gorges fait partie des croquis qu’il réalisa à cet endroit. Il fit peut-être également les ébauches de deux autres tableaux, The west wind et The jack pine. Afin de gagner de l’argent, il s’était fait engager comme guetteur d’incendies pour la saison ; en mai, il se présenta au travail dans la section est du parc, à Achray, station de chemin de fer située au lac Grand sur la rivière Petawawa. Les guetteurs d’incendies étaient affectés à des territoires définis et travaillaient deux par deux. Thomson et Edward Godin descendirent la Petawawa à partir du lac Grand en suivant l’un des trains de billots de la J. R. Booth and Company. Dans une lettre à MacDonald, Thomson dit que l’endroit était « idéal pour faire des croquis » et laissa entendre qu’il avait eu le temps de peindre parce qu’il n’y avait pas eu de feu de forêt. Cependant, le 4 octobre, il déclara : « [j’ai] très peu dessiné cet été parce que je me rends compte que mes deux activités ne vont pas ensemble ». Il invitait MacCallum à le rejoindre à Achray ; les couleurs automnales, précisait-il, seraient à leur plus beau à la fin de la semaine.

Malgré ses affirmations, Thomson ne semble pas avoir produit beaucoup moins, surtout au printemps et à l’automne. La sûreté de sa main, son plaisir de peindre, sa liberté dans les formes et la spontanéité de sa démarche transparaissent dans des œuvres telles Northern lights et Moose at night. La hardiesse des couleurs ajoute à la simplicité et à l’immédiateté de l’effet. Les nuances et les teintes ont été posées avec des coups de pinceau vigoureux et nets. Tenant à montrer les saisons dans leur habit nordique, Thomson a peint avec délices le feuillage d’automne dans des morceaux comme Tamaracks et The waterfall.

Comme il en avait pris l’habitude, Thomson retourna passer l’hiver à sa cabane de Toronto pour faire des tableaux à partir de ses croquis. Il travailla à au moins quatre toiles, dont Woodland waterfall et The drive. Les deux autres, The west wind et The jack pine, sont ses œuvres les plus connues aujourd’hui ; elles sont devenues des emblèmes du Canada. The west wind  « l’esprit du Canada incarné dans un tableau », a dit Lismer – et The jack pine offrent un contraste intéressant par leur atmosphère, mais ces tableaux sont essentiellement semblables par leur forme. Dans chacun d’eux, une ligne verticale puissante (un seul arbre) se superpose à une série de bandes horizontales (l’avant-plan, le lac, le rivage lointain, le ciel). Lawren Harris raconterait par la suite avoir vu Thomson exécuter frénétiquement des croquis en pleine tempête : « Voilà qui symbolisait [...] la fonction de l’artiste dans l’existence : savoir accepter, avec persévérance, les manifestations de la vie chez l’homme et dans la nature grandiose, et les exprimer en des formes maîtrisées, ordonnées et vitales. » Comme Thomson lui-même parlait rarement, sinon jamais, de sa conscience artistique ou de ses techniques, on doit faire preuve de discernement dans l’analyse de son œuvre et prendre avec un grain de sel les jugements posthumes tels celui de Harris. Indubitablement, Thomson était sur le point de parvenir à la pleine maîtrise de son art. The west wind et The jack pine illustrent tous deux la passion avec laquelle il cherchait à restituer l’atmosphère de la nature à un moment précis et en un lieu déterminé. The west wind est souple, éphémère et vivace à la fois ; The jack pine, monumental, statique, sans âge.

À la fin de mars 1917, Thomson retourna au parc Algonquin et s’installa au Mowat Lodge, sur les bords du lac Canoe. Le 16 avril, il précisa ses projets à son beau-frère Thomas J. Harkness : « Je camperai encore pour le reste de l’été. Je n’ai pas présenté ma candidature à un poste de guetteur d’incendies cette année parce que cela m’empêche complètement de faire des croquis, alors dans mon cas ce n’est pas payant [...] Je monterai peut-être à bord du Canadian Northern [Railway] dans le courant de l’été pour aller peindre les Rocheuses, mais [je] n’ai pas encore pris toutes les dispositions nécessaires. » Le 28 avril, il obtint son permis de guide. Au début de juillet, il nota qu’il avait guidé quelques groupes de pêcheurs, qu’il s’attendait à en guider d’autres plus tard en juillet et en août et qu’il ferait « probablement des croquis dans l’intervalle ».

Le dimanche 8 juillet, Thomson se mit en route dans son canot chargé d’articles de pêche et de provisions. Dans l’après-midi, on aperçut le canot qui flottait à l’envers. Le 16 juillet, on retira le corps de Thomson du lac Canoe. L’enquête conclut à un « décès par noyade accidentelle ». Toutefois, cette enquête hâtive laissa bien des questions sans réponse. Ceux qui connaissaient le défunt eurent du mal à accepter le verdict, car Thomson se débrouillait très bien en forêt. Les rumeurs et les spéculations ont continué, et elles sont venues enrichir la légende de Thomson. Sa dépouille fut inhumée au lac Canoe mais transférée à Leith peu après. En septembre, MacCallum fit élever un cairn près de la pointe Hayhurst, au-dessus du lac Canoe. John William Beatty exécuta les travaux de maçonnerie et James Edward Hervey MacDonald dessina la plaque de bronze.

Les compagnons de Thomson furent parmi les premiers à pleurer sa disparition et à expliquer son apport, parfois en des termes proches de la déification. En août, Alexander Young Jackson, qui se trouvait outre-mer, écrivit à MacDonald : « Sans Tom, le Nord semble un désert de bois et de roche. C’était lui le guide, l’interprète ; [nous étions] les invités qui profitions de sa si généreuse hospitalité [...] je lui dois presque un monde nouveau, le Nord, et une vision artistique plus authentique, car en tant qu’artiste, il avait un don exceptionnel. » Plus tard le même mois, Jackson déclara prophétiquement : « [Thomson] a déblayé une piste que d’autres pourront suivre, et jamais nous ne retournerons au bon vieux temps. » Pour les peintres du parc Algonquin, la quête d’un sujet trouva sa conclusion à la mort de Thomson. Il les avait conduits dans ce parc et, peut-être sans le savoir, il les avait amenés à vouer un véritable culte à la nature. En outre, avec l’aide de ses amis, il avait révolutionné la peinture de paysage. Lismer reconnaissait que « même le Nord commençait à ressembler aux toiles de Thomson ». L’homme et l’œuvre alimentèrent le nationalisme des peintres qui formeraient le groupe des Sept. En 1927, Jackson dit au sujet de son ami : « [il est] notre idéal d’artiste. Plus on songe à Tom Thompson, plus cet homme prend de l’envergure. » De son côté, Lismer écrivit : « ce que nous savons du Canada découle de ce qu’il a vu et fait, car il a satisfait la curiosité qu’inspirait le lointain et vaste hinterland nordique. Si l’art [...] entre dans l’édification d’un pays, alors la contribution de Thomson a été unique et stimulante. » Selon MacCallum, qui influa beaucoup sur l’image publique de Thomson, la puissance de ses œuvres provenait de leur fidélité au Nord, ce lieu dont le groupe des Sept allait faire le symbole du Canada. En 1918, MacCallum notait au sujet de Thomson : « Peu à peu, le Nord l’a captivé, corps et âme. Il s’est mis à peindre afin de pouvoir exprimer les émotions que cette contrée lui inspirait ; toutes les humeurs et les passions, toute la mélancolie et la gloire de la couleur le touchaient de telle manière qu’elles réclamaient de lui une expression picturale. »

En 1918, la Galerie nationale du Canada acheta The jack pine, Autumn’s garland et 27 croquis. En février 1920, l’Art Gallery of Toronto tint une rétrospective des tableaux de Thomas John Thomson. Tout en notant que la plupart des visiteurs seraient « bouleversés, saisis et stupéfaits », le critique du Daily Mail and Empire précisa que bon nombre des toiles de Thomson étaient « enivrantes de couleurs et que l’esprit de grandeur et de liberté du Nord souffl[ait] sans entraves dans ses tableaux enflammés et audacieux ». Le critique du Rebel, Barker Fairley*, releva ce qui, d’après lui, était la faiblesse de Thomson : sa naïveté, son manque de raffinement artistique, la simplicité de ses images. Pourtant, Fairley disait de son œuvre qu’elle était « quelque chose de sévère, de solide, d’horizontal, de statique même, qui serait rébarbatif si ce n’était merveilleusement saturé de couleur ». Pour Lismer, Harris et Jackson, le legs le plus précieux de Thomson était sa relation avec la pleine nature. Lismer a écrit : « Thomson était de la race de Whitman : [il était comme] Thoreau, en plus fruste, si l’on veut, mais il faisait les mêmes choses, explorait la nature sans jamais essayer de la dompter, cherchait seulement à extraire la magie de ses entrelacs et de ses saisons, de son horizon changeant, de ses humeurs sereines ou vigoureuses. » The jack pine fit partie de la contribution du Canada à la British Empire Exhibition qui se tint à Wembley (Londres) en 1924. Les critiques furent vivement impressionnés par les tableaux canadiens, et le Times de Londres déclara que la toile de Thomson était la plus frappante de l’exposition. Depuis, on n’a pas cessé d’aduler Thomson. À cause de son attachement déclaré à la nature canadienne, de sa passion pour la couleur, de son interprétation simple du paysage nordique, Tom Thomson est devenu l’un des héros du Canada – ce qui, pour un artiste, est un véritable tour de force.

Ann Davis

Il existe un grand nombre de monographies, d’études, de catalogues d’exposition et d’articles sur la vie, l’œuvre et la mort de Tom Thomson. Seuls les plus importants sont mentionnés ci-dessous. D’autres ouvrages publiés avant 1971 sont énumérés dans A bibliography of the Group of Seven, D. [R.] Reid, compil. (Ottawa, 1971) ; la documentation publiée jusqu’en 1981 est mentionnée dans Art and architecture in Canada : a bibliography and guide to the literature to 1981, L. R. Lemer et M. F. Williamson, compil. (2 vol., Toronto, 1991).

La majeure partie de la vaste correspondance de Thomson est conservée dans son dossier à la bibliothèque du Musée des Beaux-Arts du Canada, à Ottawa. Il y en a aussi dans la McMichael Canadian Collection à Kleinburg, Ontario. On trouve de plus de la documentation à son sujet parmi les collections conservées aux AO, dont les papiers William Colgate, sectii (F 1066, MU 583), les documents concernant sa mort (F 775, MU 2130, 1917, no 4), et son acte de naissance (RG 80-2-0-99, no 20170). Ses peintures sont conservées notamment au Musée des Beaux-Arts de l’Ontario (Toronto), dans la McMichael Canadian Collection, au Musée des Beaux-Arts du Canada, et à la Tom Thomson Memorial Art Gallery, Owen Sound, Ontario.

La correspondance publiée de Thomson figure dans « Tom Thomson writes to his artist friends », W. [G.] Colgate, édit., Saturday Night, 9 nov. 1946 : 20, et dans Two letters of Tom Thomson, 1915 & 1916, W. [G.] Colgate, édit. (Weston, Ontario, 1946).

On trouve les études suivantes sur Thomson : Ottelyn Addison et Elizabeth Harwood, Tom Thomson ; the Algonquin years (Toronto, 1969) ; Blodwen Davies, Paddle and palette : the story of Tom Thomson (Toronto, 1930) et Tom Thomson ; the story of a man who looked for beauty and for truth in the wilderness ([éd. rév.],Vancouver, 1967) ; R. H. Hubbard, Tom Thomson (Toronto, 1962) ; W. T. Little, The Tom Thomson mystery (Toronto, 1970) ; Joan Murray, The art of Tom Thomson (catalogue d’exposition, Musée des Beaux-Arts de l’Ontario, 1971) ; D. [R.] Reid, Tom Thomson : « The jack pine » (Ottawa, 1975) et Photographs by Tom Thomson (Ottawa, 1970) ; A. H. Robson, Tom Thomson (Toronto, 1937) ; et Harold Town et D. P. Silcox, Tom Thomson : the silence and the storm (Toronto, 1977).

Parmi les nombreuses publications sur le groupe des Sept, les suivantes sont dignes de mention : F. B. Housser, A Canadian art movement : the story of the Group of Seven (Toronto, 1926 ; réimpr., 1974) ; Péter Mellen, The Group of Seven (Toronto, 1970) ; et D. [R.] Reid, The MacCallum bequest of paintings by Tom Thomson and other Canadian painters [...] ([Ottawa, 1969]) et The Group of Seven (catalogue d’exposition, Musée des Beaux-Arts du Canada, [1970]).

Les articles rédigés par des contemporains comprennent l’avant-propos d’A. Y. Jackson figurant dans An exhibition of paintings by the late Tom Thomson (catalogue d’exposition, Arts Club of Montreal, 1919) ; L. [S.] Harris, « The Group of Seven in Canadian history », SHC, Report, 1948 : 28–38 ; trois essais d’Arthur Lismer : « The west wind », McMaster Monthly (Hamilton, Ontario), 43 (1933–1934) 163s., « Tom Thomson, 1877–1917 : a tribute to a Canadian painter », Canadian Art (Ottawa), 5 (1947–1948) : 59–62, et « Tom Thomson (1877–1917) : Canadian painter », Educational Record of the Prov. of Quebec (Québec), [70] (1954) : 170–175 ; R. P. Little, « Some recollections of Tom Thomson and Canoe Lake », Culture (Québec), 16 (1955) : 200–208 ; J. M. MacCallum, « Tom Thomson : painter of the north », Canadian Magazine, 50 (nov. 1917–avril 1918) : 375–385 ; J. E. H. MacDonald, « A landmark of Canadian art », Rebel (Toronto), 2 (1917–1918) : 45–50 ; Graham McInnes, « Tom Thomson », New World Illustrated (Toronto), 1 (1940) : 27s. ; et H. Mortimer-Lamb, « Studio-talk », Studio (Londres), 77 (1919) : 119–126.

      Daily Mail and Empire, 13 mars 1915, 21 févr. 1920.— Toronto Daily Star, 10 sept. 1927.— Carl Berger, The sense of power ; studies in the ideas of Canadian imperialism, 1867–1914 (Toronto et Buffalo, N.Y, 1970).— Jonathan Bordo, « Jack pine  wilderness sublime or the erasure of the aboriginal presence from the landscape », REC, 27 (1992–1993), no 4 : 98–128.— Joan Murray, « The world of Tom Thomson », REC, 26 (1991–1992), no 3 : 5–51.— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).

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Ann Davis, « THOMSON, THOMAS JOHN (Tom) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/thomson_thomas_john_14F.html.

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Auteur de l'article:    Ann Davis
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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