THIBAULT (Thibeault), NORBERT, dit frère Oliver Julian, instituteur, critique littéraire et frère enseignant, né à Saint-Urbain-de-Charlevoix, Bas-Canada, le 11 juillet 1840, fils d’Olivier Thibeault, cultivateur, et de Carmelle Tremblay, décédé au même endroit le 10 août 1881.

Norbert Thibault entre à l’école normale Laval, à Québec, lors de sa fondation en mai 1857. Brillant élève, il obtient, le 14 juin 1859, un diplôme l’autorisant à enseigner dans les écoles modèles, puis, le 2 juillet 1860, un diplôme d’académie, après s’être mérité les premiers prix de « rhétorique, latin, grec et langage correct ».

En septembre 1860, Thibault est nommé professeur adjoint à l’école qui l’avait formé. Il exerce sur ses collègues un ascendant considérable. Conseiller de l’Association des instituteurs de la circonscription de l’école normale Laval dès août 1860, secrétaire de 1861 à 1863, puis vice-président en 1863, il accède à la présidence en août 1864. Devant les membres de cette association, il donne plusieurs conférences. Déjà, en 1864, on l’écoute « avec un silence religieux » et on applaudit ses talents d’orateur.

En janvier 1864, avec Joseph Létourneau et Charles-Joseph Lévesque, dit Lafrance, Thibault fonde la Semaine, « revue religieuse, pédagogique, littéraire et scientifique », la première au Canada français rédigée par des instituteurs et pour des instituteurs. Tout en réitérant leur respect pour les autorités religieuses et politiques, les rédacteurs soutiennent que ce sont les instituteurs eux-mêmes qui doivent régler les questions pédagogiques ainsi que les problèmes relevant de leur condition matérielle et sociale. Ils doivent briser leur isolement et faire que la fonction d’enseignant soit mieux considérée, moins pénible et plus lucrative. Littérateur du groupe, Thibault prend aussi la défense de la profession d’instituteur afin que se développe une véritable « classe enseignante » car les instituteurs ont des aspirations et des intérêts en commun et un rôle social à jouer. La revue disparaît un an plus tard, à cause du manque d’argent, de l’inertie de la classe enseignante et du manque d’appui du gouvernement.

En février 1866, fort de l’expérience acquise à la Semaine, convaincu « du développement considérable que prend chaque jour la littérature française en ce pays », Thibault devient critique littéraire au Courrier du Canada. Présenté aux lecteurs comme « un jeunne homme de talent, possédant un jugement sûr un grand amour du travail et une plume facile », il se propose « d’établir une espèce de tribunal où seraient examinées et jugées, sinon avec talent, du moins avec justice et modération, les œuvres de nos écrivains » qu’il a relues « pour la cinquième fois, peut-être ». Fidèle à sa devise : Sponte favos, œgre spicula (le miel de gré, le dard à regret), il analyse plusieurs œuvres d’écrivains canadiens, entre autres la poésie d’Octave Crémazie* dont il déchiquette la Promenade de trois morts. Le poète exilé, loin de s’en offenser, n’a que de l’admiration pour le jeune professeur qui « ouvre véritablement la voie à la critique littéraire ». Dans une lettre à l’abbé Henri-Raymond Casgrain*, Crémazie reconnaît le talent de Thibault, partisan des classiques et ennemi des romantiques, et avoue qu’avec lui « la critique canadienne sortira bientôt de la voie ridicule dans laquelle elle a marché jusqu’à ce jour ». Malgré ces louanges, Thibault renonce à son vaste projet et donne sporadiquement par la suite au Courrier du Canada quelques analyses de manuels pédagogiques.

Membre du bureau de direction de la Société de colonisation de Québec en 1865 et 1866, membre de l’Institut canadien de Québec dès janvier 1864, secrétaire pro tempore et secrétaire-archiviste adjoint la même année, puis membre du bureau de direction en 1865 et secrétaire correspondant de l’institut en 1869, lieutenant-capitaine de la compagnie n7 du 9e bataillon des Voltigeurs de Québec de 1864 à 1867, secrétaire adjoint de la souscription nationale à la mémoire de François-Xavier Garneau* en février 1866, Thibault est encore l’auteur d’un traité intitulé De l’agriculture et du rôle des instituteurs, dans l’enseignement agricole publié en 1871 mais d’abord paru par tranches, en 1870, dans le Courrier du Canada, sous le pseudonyme d’Agricola. Il aurait aussi publié une Petite Histoire du Canada à l’usage des écoles élémentaires, comme le précise une note du Courrier du Canada, le 23 décembre 1870. Quant au Traité d’éducation qu’il aurait publié en 1876, selon Ernest Gagnon*, nous n’en avons trouvé aucune trace.

Malgré une telle activité, Thibault n’est pas heureux. Il l’avoue d’ailleurs à Ernest Gagnon en septembre 1871 : privé des joies de la famille et du contact avec la société, il se sent hors de sa voie. Il remet sa démission comme instituteur en octobre 1871. Était-ce parce qu’il n’avait pas été choisi comme candidat dans Charlevoix aux élections qui devaient avoir lieu en juin 1871, comme le précise un entrefilet du Journal de Québec du 11 mars 1871, reproduit dans le Courrier du Canada deux jours plus tard ? Ou manifeste-t-il son dépit de ne pas avoir été réélu membre du comité de régie de l’école en octobre 1871 ? Toujours est-il qu’il est aussitôt pressenti pour enseigner aux ouvriers des quartiers Saint-Jean et Saint-Roch à Québec. Il préfère toutefois donner des leçons privées à sa pension comme en témoigne une annonce publiée dans le Courrier du Canada du 25 octobre au 15 novembre 1871.

En avril 1872, une note de l’Événement laisse entendre que Thibault a accepté le poste de rédacteur en chef au Courrier de Rimouski, mais, quatre jours plus tard, il entre au noviciat des Frères des écoles chrétiennes à Montréal et prend l’habit le 25 mai sous le nom de frère Oliver Julian. Sa première obédience l’assigne, le 3 août suivant, à Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu). Il sera nommé tour à tour à Saint-Laurent, près de Montréal, le 3 avril 1873, dans la paroisse Saint-Jacques, à Montréal, le 1er août de la même année, à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, le 5 juin 1875, à Laval, Québec, le 28 mars 1876, puis de nouveau à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, le 9 août 1876, et enfin à Chambly, Québec, le 18 avril 1877. Atteint d’aliénation au cours de l’été de 1877, Thibault est retourné à sa famille en août. Le curé de son village, Ambroise Fafard, devait demander à l’évêque de Chicoutimi, Mgr Dominique Racine, dans une lettre qu’il lui adressait le 25 septembre 1878, d’intervenir pour forcer la communauté à aider financièrement sa famille. Thibault meurt le 10 août 1881.

Si cette fin tragique que raconte Ernest Gagnon dans ses Nouvelles Pages choisies nous éclaire sur la sensibilité de Norbert Thibault, « elle ne doit pas », comme l’écrit André Labarrère-Paulé, « nous faire oublier le journaliste de la Semaine ». Car, comme le note Charles-Joseph Magnan*, « [il] fut un écrivain sérieux, un littérateur de beaucoup de goût. Sa plume alerte et châtiée a laissé des pages qui honorent la littérature canadienne. » Il fut encore un littérateur de combat au service des instituteurs.

Aurélien Boivin

Norbert Thibault a écrit De l’agriculture et du rôle des instituteurs, dans l’enseignement agricole (Québec, 1871).

AP, Saint-Urbain (Saint-Urbain-de-Charlevoix), Reg. des baptêmes, mariages et sépultures, 11 juill. 1840, 12 août 1881.— Arch. des Frères des écoles chrétiennes, District de Montréal (Laval, Québec), Papiers divers sur Norbert Thibault, dit frère Oliver Julian.— Octave Crémazie, Œuvres complètes de Octave Crémazie publiées sous le patronage de l’Institut canadien de Québec, H.-R. Casgrain et H.-J.-J.-B. Chouinard, édit. (Montréal, [1882]).— Le Courrier du Canada, 16 févr., 22 juin 1866.— La Semaine (Québec), 1864.— Réal Bertrand, L’école normale Laval ; un siècle d’histoire (1857–1957) (Québec, 1957).— Aurélien Boivin, « Norbert Thibault, l’homme et l’œuvre » (mémoire de licence, univ. Laval, 1968).— Ernest Gagnon, Nouvelles pages choisies (Québec, 1925).— André Labarrère-Paulé, Les laïques et la presse pédagogique au Canada français au XIXe siècle (Québec, 1963).— Guy Savoie, « Biobibliographie de Norbert Thibault » (mémoire de licence, univ. Laval, 1968).— C.-J. Magnan, « Éducateurs d’autrefois – anciens professeurs à l’école normal Laval – M. Norbert Thibault », BRH, 48 (1942) : 172–178.

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Aurélien Boivin, « THIBAULT (Thibeault), NORBERT, dit frère Oliver Julian », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/thibault_norbert_11F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
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