THIBAULT, CHARLES, avocat, homme politique, fonctionnaire, auteur, journaliste et conférencier, né le 16 septembre 1840 à Saint-Athanase (Iberville, Québec), fils de Charles Thibault, cultivateur, et d’Esther Lebeau ; le 10 avril 1866, il épousa à Montréal Nathalie Viau, fille adoptive d’Alexis Dubord, et ils eurent un fils et une fille ; décédé accidentellement à Sutton, Québec, le 2 janvier 1905.
Charles Thibault fait de brillantes études classiques au collège Sainte-Marie-de-Monnoir de 1852 à 1860. L’abbé Édouard-Joseph Crevier, fondateur du collège, le dirige « dans la voie de l’amour de Dieu et de la patrie ». Avec ses confrères, il se passionne pour les idées de Stanislas Drapeau* qui combat l’émigration des Canadiens français aux États-Unis, prêche la colonisation, c’est-à-dire la prise de possession des vastes régions inhabitées du Québec et, à la tête du Courrier du Canada (Québec), lutte pour le triomphe des idées conservatrices.
À sa sortie du collège, Thibault commence des études théologiques qu’il abandonne pour des raisons de santé, dit-on, et s’oriente vers le droit. Il est admis au barreau en janvier 1866 après un stage dans le bureau Moreau, Ouimet et Chapleau, de Montréal. Selon Léon Ledieu, son biographe, grâce à la protection de son beau-père, Alexis Dubord, riche citoyen de Montréal, « il sut bientôt se créer une clientèle des plus honorable et des plus lucrative ». C’est possible, encore qu’une remarque de Thibault dans l’Étendard de Montréal en août 1883 permet un certain doute. « La plus triste des misères est la pauvreté en habit noir. Nos villes regorgent d’hommes de profession. Les médecins n’y ont plus de malades, ni les avocats de causes. Alors, c’est la misère, la plus triste de toutes. »
Par nécessité peut-être, par goût certainement, Thibault se lance en politique. Aux élections fédérales de 1872, il se présente dans la circonscription de Shefford, mais il est battu par 366 voix par le libéral Lucius Seth Huntington*. Il se tourne alors vers la scène municipale et, de 1877 à 1882, il siège au conseil de ville de Montréal. Il aimerait rappeler dans ses discours que, grâce à ses interventions, la ville avait changé le nom des rues Sydenham, Seaton et Durham en celui de Maisonneuve, Champlain et Plessis. Toutefois, il se fait davantage connaître comme champion du Parti conservateur. On estime qu’il a prêté assistance à plus de 200 candidats du parti à l’occasion des élections. Il a laissé la réputation d’un hâbleur et d’un amuseur de foules. C’est aussi un propagandiste zélé. En 1878, il publie un pamphlet vitriolique, Cinq années d’administration grite ou le Canada ruiné. Il a suffi de cinq ans à Alexander Mackenzie*, écrit-il, pour mettre fin à 20 ans de prospérité sans bornes. « Voyez maintenant notre bonheur disparu, nos citoyens assassinés dans nos grandes villes, notre pays en banqueroute, nos commerçants insolvables et nos cultivateurs à la merci d’un tarif injuste qui les met aux pieds des Américains. » Il tente encore sa chance sur la scène fédérale cette année-là, dans Iberville, mais il essuie à nouveau un échec.
En 1880, l’ardeur de Thibault à servir le parti lui vaut le poste de secrétaire des arbitres officiels du Canada, chargés d’entendre et d’examiner les réclamations d’indemnité pour des terres ou propriétés expropriées ou des dommages causés par la construction d’ouvrages publics. Il espère que ce poste, en le rapprochant des hautes instances du parti, lui permettra enfin de se faire élire député et de réaliser ainsi un rêve de jeunesse. Ce ne sera pas le cas. Son travail lui laisse beaucoup de loisirs. Il en profite pour écrire. En 1883, il publie en anglais une complaisante biographie de sir Charles Tupper*, qui paraît en français l’année suivante. Et il voyage. De 1881 à 1885, il est constamment sur la route. Il profite des déplacements auxquels l’oblige sa fonction pour visiter les nombreuses communautés francophones disséminées dans tout le Canada. Durant ses vacances, on le retrouve parmi les groupes de Canadiens français émigrés en Nouvelle-Angleterre ; il assiste à leurs congrès nationaux, s’enquiert de leurs problèmes, intervient dans leurs débats.
Sous les pseudonymes de Jean Bart et de Frontenac, Thibault rend compte de ses voyages aux lecteurs du Travailleur de Worcester, au Massachusetts, et de l’Étendard de Montréal. Il insiste en particulier sur les efforts héroïques des émigrés pour assurer la survie de leur nationalité. Ces derniers, plus habitués au mépris des élites de la province de Québec, l’accueillent à bras ouverts. Sa renommée grandit. Au Québec, en Ontario, en Nouvelle-Angleterre, on l’invite à prendre la parole à l’occasion des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste. Il s’y révèle un esprit élevé, un orateur hors pair, d’une remarquable érudition, bien différent de l’amuseur des foules que l’on connaissait jusque-là.
À ses auditeurs, Thibault répète les stéréotypes de l’idéologie ultramontaine. Ils sont des élus de la Providence. Ne doivent-ils pas leurs origines à la « nation chrétienne par excellence », la France ? Dieu n’a-t-il pas permis qu’ils changent de maîtres lorsque cette dernière, « enivrée du poison de l’erreur », s’est mise en marche vers la révolution ? Pour demeurer fidèles à leur mission, les Canadiens français doivent rester un peuple d’agriculteurs et, sous la gouverne de leurs prêtres, conserver la simplicité de leurs mœurs. La vigilance s’impose. « Ne sommes-nous pas attaqués des vieilles maladies qui dévorent l’Europe ? Le radicalisme ne s’infiltre-t-il pas dans nos rangs ? » Selon lui, c’est le goût du luxe, l’esprit d’aventure et le désir de faire fortune qui ont chassé des centaines de milliers de Canadiens français vers les États-Unis.
Mais Thibault, qui a un frère et une sœur en Nouvelle-Angleterre, ne condamne pas ces derniers et refuse de les voir comme des dévoyés, des traîtres ainsi qu’on les désigne en certains milieux. Offrons-leur les mêmes avantages matériels dont ils jouissent à l’étranger, écrit-il en 1880, et ils reviendront. Et puis ils sont les instruments de la Providence. La présence de 208 100 Canadiens français en Nouvelle-Angleterre en 1880, « la conservation de leur autonomie, de leur homogénéité, de leur langue [...] sont des faits étrangers, surprenants ». Dieu les a jetés « comme une poignée d’étoiles » pour éclairer « les nations protestantes, plongées dans la mollesse, l’iniquité et le vice ». Il semble que lorsque le Yankee, « rongé de débauches, coupable de tous les abus », aura mérité de disparaître de ce monde, le Canadien français sera appelé à refaire une forte nation catholique sur les ruines de l’édifice social américain. « Dans cinquante ans », déclare-t-il en 1887 dans un élan d’enthousiasme, « notre fête nationale sera célébrée à Boston, alors probablement le centre du Canada français ».
En 1887, Thibault se retire à Waterloo, brouillé avec les autorités du parti, qui lui reprochent son amitié pour François-Xavier-Anselme Trudel* et son rôle au congrès des Canadiens français des États-Unis à Rutland, au Vermont, en 1886. À ce congrès, on avait énergiquement condamné « la conduite injuste et cruelle des autorités fédérales canadiennes [...] et notamment le meurtre judiciaire de Louis Riel[*], accompli sur l’ordre des dites autorités canadiennes ». Thibault, qui a approuvé la résolution, est invité à prendre sa retraite. Les conservateurs provinciaux font toutefois appel à lui aux élections de juin 1890 pour faire la lutte au candidat du Parti national dans Drummond ; il est encore une fois battu.
Les dernières années de la vie de Charles Thibault se passent sans éclat. Il se remet à l’exercice du droit et prononce des conférences ici et là au Québec. Le 2 janvier 1905, il meurt à Sutton, happé par une locomotive à un passage à niveau.
Charles Thibault a publié entre autres : Hier, aujourd’hui et demain ou Origines et destinées canadiennes (Montréal, 1880) ; Biography of Sir Charles Tupper, minister of railway, K.C.M.G., C.B., M.P., high commissioner of Canada to England ([Montréal ?], 1883), traduite en français sous le titre Biographie de sir Charles Tupper, C.C.M.G., C.B., ministre des Chemins de fer et des Canaux du Canada et haut commissaire à Londres ([Québec ?], 1884) ; Biographie de Stanislas Drapeau, auteur des « Études sur les développements de la colonisation du Bas-Canada » et promoteur des « Sociétés de secours » pour venir en aide aux colons défricheurs ([Ottawa ?], 1891) ; Discours choisis (Montréal, 1931), qui réunit quatre discours déjà publiés séparément, soit « Panégyrique du révérend Édouard Crevier, v.g. [...] », prononcé le 30 juin 1881, « la Croix, l’Épée et la Charrue ou les Trois Symboles du peuple canadien », le 27 juin 1884, « le Double Avènement de l’Homme-Dieu ou les Deux Unités politiques et religieuses des peuples [...] », le 28 juin 1887, et « l’Irlande », le 29 janvier 1888. De plus, de 1884 à 1886, Thibault a publié un grand nombre d’articles sur les communautés canadiennes-françaises du Canada et des États-Unis dans l’Étendard (Montréal).
Quelques-unes de ses lettres ont été publiées sous le titre « Charles Thibault, ses lettres au major Edmond Mallet », Gabriel Nadeau, édit., Soc. hist. franco-américaine, Bull. (Boston), 1944–1945 : 46–80.
AN, MG 29, D61 : 7898–7901.— ANQ-M, CE1-51, 10 avril 1866 ; CE4-3, 17 sept. 1840.— É.-J.[-A.] Auclair, Figures canadiennes ; deuxième série ; quelques figures marquantes de nos hommes de la politique, de l’éloquence et des lettres (Montréal, 1933), 146–154.— J.-E. Boivin, « Me Charles Thibault », Soc. hist. de la vallée du Richelieu, Cahier ([Saint-Jean, Québec]), 4 ([1955 ?]) : 15–19.—CPG, 1873 ; 1879 ; 1891.— DOLQ, 1.— L[éon] L[edieu], Biographie de Charles Thibault, ecr., suivi de son discours prononcé aux fêtes des noces d’or de la Saint-Jean-Baptiste, à Montréal, le 27 juin 1884 sur la Croix, l’Épée et la Charrue ou les Trois Symboles du peuple canadien (Québec, 1884).— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 1–10.
Yves Roby, « THIBAULT, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/thibault_charles_13F.html.
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Auteur de l'article: | Yves Roby |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
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