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TAVERNIER, ÉMILIE (Gamelin) (baptisée Marie-Émilie-Eugène ; elle signait Amélie Tavernier, mais elle s’est surtout fait connaître sous le nom d’Émilie Tavernier), fondatrice et première supérieure des Filles de la charité, servantes des pauvres, née le 19 février 1800 à Montréal, fille d’Antoine Tavernier, voiturier, et de Marie-Josephte Maurice ; décédée le 23 septembre 1851 dans la même ville.
Issue d’un père et d’une mère respectivement d’ascendance picarde et normande mais tous deux de souche montréalaise, Émilie Tavernier est la dernière d’une famille de 15 enfants, dont 6 seulement parviendront à l’âge adulte. En dépit de la situation économique précaire du Bas-Canada au début du xixe siècle, la famille Tavernier n’a pas trop à souffrir de la pauvreté. Durant son enfance et son adolescence, la jeune Émilie connaît cependant des deuils successifs et douloureux. Elle a moins de 4 ans quand sa mère meurt et n’aura que 14 ans à la mort de son père. Dans l’intervalle, elle voit aussi disparaître tour à tour cinq autres parents très chers. Avant de mourir, sa mère avait confié Émilie à sa belle-sœur, Marie-Anne Tavernier, épouse de Joseph Perrault, qui vivait dans une relative aisance. Mère de quatre enfants, dont les deux derniers, Agathe et Joseph, restaient encore à la maison, Mme Perrault aime sa nièce comme sa propre fille. Elle veille à l’éducation et à l’instruction d’Émilie. Puis elle l’envoie quelques années au pensionnat des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame où elle fait des études qu’elle termine probablement vers 1815. Émilie retourne par la suite chez sa tante. En 1818, elle va s’occuper de son frère François qui vient de perdre sa femme. Lorsqu’elle revient dans son foyer d’adoption l’année suivante, sa tante, trop âgée et infirme, confie Émilie à sa fille Agathe, maintenant veuve de Maurice Nowlan, de 13 ans son aînée, qui deviendra sa confidente et pour ainsi dire sa troisième mère.
À l’âge de 19 ans, tout en prenant soin de sa tante, Émilie Tavernier fréquente la société. Elle prend un certain plaisir à la vie mondaine et se fait beaucoup d’amis. Sa compagnie est recherchée tant à Montréal qu’à Québec où elle fait deux séjours assez prolongés entre 1820 et 1822 pour aider l’une de ses cousines, Julie Perrault, épouse de Joseph Leblond. Elle entretient alors une correspondance avec sa cousine Agathe à qui elle confie dans une lettre datée du 18 juin 1822 qu’elle a « beaucoup de vocation [...] pour le couvent ». Elle ajoute dans cette même lettre : « les faros j’y renonce pour jamais et au monde aussi, je me fais religieuse vers l’automne ». Pourtant, à la surprise de son entourage, Émilie Tavernier contracte mariage le 4 juin 1823 avec Jean-Baptiste Gamelin, célibataire âgé de 50 ans, bourgeois respectable de Montréal demeurant dans l’élégant faubourg Saint-Antoine et vivant du commerce des pommes. Malgré la différence d’âge, l’union est heureuse, mais ne dure pas cinq ans, car Jean-Baptiste Gamelin meurt le 1er octobre 1827 ; deux des trois garçons nés de ce mariage étaient morts peu après leur naissance et le troisième survivra moins d’un an à son père. C’est dire qu’à 27 ans Émilie Gamelin se retrouve seule.
Veuve pourvue des biens légués par son époux, en pleine jeunesse et en possession de tous ses charmes, Mme Gamelin pourrait très bien refaire sa vie. Les prétendants d’ailleurs ne manquent pas, mais un retournement s’accomplit chez elle. Profondément éprouvée par la perte de son mari et de ses enfants, elle commence à s’intéresser, sur les conseils de son confesseur, Jean-Baptiste Bréguier-Saint-Pierre, et de Mgr Jean-Jacques Lartigue*, auxiliaire de l’archevêque de Québec à Montréal, aux œuvres de charité afin de trouver un réconfort à sa douleur. Vers la fin de 1827, elle adhère à deux associations de secours mises sur pied par les sulpiciens, à savoir la Confrérie du bien public, ayant pour but de trouver du travail à un grand nombre de chômeurs, et l’Association des dames de la charité, fondée pour venir en aide aux victimes de la pauvreté et de la misère alors très répandues à Montréal. Les visites à domicile et la distribution d’aumônes – dons charitables et argent recueillis au cours de quêtes auprès des bien nantis – constituent les principales œuvres des Dames de la charité. L’année suivante, Mme Gamelin s’agrège également à la Confrérie de la Sainte-Famille dont le but est l’avancement spirituel de ses membres et la promotion de l’action apostolique. Au sein de ces divers organismes, Mme Gamelin fait preuve de dévouement et développe son sens de l’organisation. Elle prête aussi son concours pendant quelque temps à l’Institution charitable pour les filles repenties, établie par Agathe-Henriette Huguet-Latour, veuve de Duncan Cameron McDonell, en 1829. C’est probablement à cette époque qu’elle commence à se dépouiller des propriétés dont elle affecte le produit de la vente au soulagement des pauvres.
Au cours de ses visites à domicile, Mme Gamelin compatit à la détresse physique et morale des femmes âgées, malades ou infirmes, dépourvues de toutes ressources humaines et condamnées à mourir seules dans leur logis insalubre. Pour les secourir, elle ouvre le 4 mars 1830 un premier refuge au coin des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine dans un immeuble mis à sa disposition par le curé de la paroisse Notre-Dame de Montréal, Claude Fay. Le refuge devient bientôt étroit et, l’année suivante, elle loue un nouveau refuge, rue Saint-Philippe, dont elle prend la direction et où elle cohabite avec ses 15 premières pensionnaires. L’œuvre de la Providence commence alors à prendre forme. En 1832 et 1834, des épidémies de choléra frappent durement le Bas-Canada. Malgré sa peur de contracter cette maladie, Mme Gamelin visite régulièrement les cholériques et porte secours aux familles éplorées de Montréal. En 1836, le refuge de la rue Saint-Philippe est devenu à son tour trop étroit. Mme Gamelin s’adresse alors à Antoine-Olivier Berthelet*, riche homme d’affaires et philanthrope de Montréal. Le 14 mars, celui-ci fait don d’une maison située au coin des rues Sainte-Catherine et Lacroix (rue Saint-Hubert), près du futur siège de l’évêché. Le 13 mai, après plusieurs années de luttes religieuse et politique, la circonscription ecclésiastique de Montréal est érigée en diocèse et, le 8 septembre, Mgr Lartigue devient le premier titulaire de la dignité d’évêque de Montréal. À l’époque de la rébellion, Mme Gamelin obtient des autorités la permission de visiter les patriotes emprisonnés et condamnés à mort qu’elle met en contact avec leurs familles et dont elle aide à soulager les souffrances. Surmenée, elle tombe gravement malade en mars 1838, atteinte de fièvre typhoïde. Elle parvient cependant à se rétablir et reprend son activité peu après.
En 1840, à la mort de Mgr Lartigue, Mgr Ignace Bourget* est promu évêque de Montréal. Cette même année marque aussi le début de l’époque du réveil religieux au Bas-Canada. Mgr Bourget projette la fondation d’une œuvre capable de répondre aux besoins des pauvres de Montréal. Il n’est pas question pour lui cependant de fonder une communauté religieuse pour s’en occuper. Le 3 mai, il se rend en Europe et notamment en France où il travaillera à faire venir quelques Filles de la charité de Saint-Vincent-de-Paul pour assurer la permanence de l’œuvre projetée. Durant son absence, l’Assemblée législative de la province du Canada reconnaît le 18 septembre 1841 l’existence légale du refuge de Mme Gamelin sous le nom d’Asile de Montréal pour les femmes âgées et infirmes. Peu après son retour, Mgr Bourget exprime le 16 octobre son intention de confier l’œuvre de Mme Gamelin aux Filles de la charité de Saint-Vincent-de-Paul ; le même jour, les dames de la corporation de l’asile, dont Mme Gamelin, décident d’acheter un terrain pour y bâtir une maison à laquelle elles donnent le nom d’asile de la Providence. Le 27 octobre, elles élisent Mme Gamelin directrice de la corporation et, le 6 novembre, sous l’impulsion de cette dernière sans doute, elles font l’achat d’un terrain borné par les rues Sainte-Catherine, Lacroix et Mignonne (boulevard de Maisonneuve), tout près du palais épiscopal. Le 20 décembre, elles décident de faire commencer sans délai la construction de l’édifice. L’asile de la Providence voit ainsi le jour. Le 16 février 1842, Mme Gamelin fait don de sa dernière propriété à la corporation de l’asile.
Le 8 novembre de cette année-là, Mgr Bourget apprend que les Filles de la charité de Saint-Vincent-de-Paul ne peuvent pas venir à Montréal. Il décide alors de fonder une communauté religieuse sur place et de confier à celle-ci la direction du nouvel asile. Le 25 mars 1843, sept jeunes filles répondent à son appel et, sous la direction du chanoine Jean-Charles Prince, futur coadjuteur de l’évêque de Montréal et premier évêque de Saint-Hyacinthe, elles commencent un noviciat. Mme Gamelin ne figure pas parmi les novices, mais Mgr Bourget, voulant l’associer à son projet, l’autorise à remplir la fonction de supérieure auprès de ces dernières. Le 8 juillet, l’une des novices se désiste et Mme Gamelin peut prendre sa place. Cependant, avant que celle-ci n’entre au noviciat, Mgr Bourget l’envoie aux États-Unis pour prendre des informations sur l’organisation des œuvres charitables et de la vie religieuse des Sisters of Charity, fondées par Elizabeth Ann Bayley Seton à Emmitsburg, dans le Maryland, en 1809. Elle rapporte une copie de la règle manuscrite de saint Vincent de Paul que l’évêque de Montréal voulait donner à sa nouvelle communauté canadienne. Peu après son retour, le 8 octobre, elle prend l’habit des novices. Le 29 mars 1844, Mgr Bourget donne au cours d’une cérémonie le statut canonique aux Filles de la charité, servantes des pauvres, connues par la suite sous le nom de Sœurs de la charité de la Providence (Sœurs de la Providence). Puis Mme Gamelin prononce avec les six autres novices les vœux de chasteté, de pauvreté, d’obéissance et celui de servir les pauvres, et reçoit le nom de mère Gamelin. Le lendemain, mère Gamelin est élue supérieure de l’institut des Sœurs de la charité de la Providence.
Sous la direction de mère Gamelin, le jeune institut se développe et ne tarde pas à mettre sur pied plusieurs nouvelles œuvres. En 1844, les Sœurs de la charité de la Providence accueillent des orphelines et des dames pensionnaires âgées. En 1845, elles ouvrent l’hospice Saint-Joseph, destiné à loger des prêtres âgés ou infirmes. La même année, elles ouvrent un bureau de placement pour les personnes qui cherchent du travail domestique et pour celles qui en offrent ; elles commencent aussi à s’occuper des malades mentaux. En 1846, elles ouvrent deux autres maisons, l’une à Longue-Pointe (Montréal) et l’autre à Laprairie (La Prairie). En 1847, mère Gamelin se porte au secours des victimes de l’épidémie de typhus et prend en charge l’hospice Saint-Jérôme-Emilien, destiné à hospitaliser les enfants des immigrés irlandais morts de cette maladie ; elle accepte également d’envoyer quelques religieuses enseigner à l’école Saint-Jacques qui manque alors de personnel. En 1849, mère Gamelin ouvre un lazaret pour venir en aide aux victimes de l’épidémie de choléra. L’œuvre des aliénés connaît à cette époque un essor considérable, et mère Gamelin soumet à Louis-Hippolyte La Fontaine*, procureur général du Bas-Canada, un projet qui aboutira à la création de l’asile de Longue-Pointe. La même année, les Sœurs de la charité de la Providence établissent un couvent à Sainte-Élisabeth, près de L’Industrie (Joliette). En 1850, mère Gamelin fonde un autre couvent à Sorel et fait un second voyage aux États-Unis où elle visite les établissements des Sisters of Charity et en particulier leurs asiles d’aliénés.
À son retour en 1851, mère Gamelin s’occupe de régler les affaires de l’asile de la Providence. Mais son extraordinaire activité charitable des dernières années a eu pour conséquence de miner sa santé. Cette année-là, une nouvelle épidémie de choléra sévit à Montréal. Celle-ci aura raison de la résistance physique amenuisée de mère Gamelin qui meurt en moins de 12 heures le 23 septembre. Le lendemain, mère Gamelin est inhumée dans le caveau de l’asile de la Providence. À sa mort, l’institut des Sœurs de la charité de la Providence compte 51 sœurs professes, 19 novices, 5 postulantes et 7 maisons où sont hébergés 110 femmes pauvres et âgées, certaines mentalement atteintes, 95 orphelins, 6 prêtres infirmes, 16 dames pensionnaires et 700 jeunes élèves.
Mère Gamelin a le mérite d’avoir été la première fondatrice canadienne-française d’une communauté religieuse au Bas-Canada depuis la Conquête. Par le dévouement qu’elle a manifesté envers les vieillards, les malades et les pauvres et par les œuvres qu’elle a fondées et qu’elle a contribué à mettre sur pied, elle y a définitivement ouvert les avenues de la charité aux générations futures dans la première moitié du xixe siècle.
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Marguerite Jean, « TAVERNIER, ÉMILIE (baptisée Marie-Émilie-Eugène) (Amélie) (Gamelin) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/tavernier_emilie_8F.html.
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Auteur de l'article: | Marguerite Jean |
Titre de l'article: | TAVERNIER, ÉMILIE (baptisée Marie-Émilie-Eugène) (Amélie) (Gamelin) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
Année de la révision: | 1985 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |