STARR, JOHN LEANDER, marchand, courtier d’assurances et homme politique, né le 25 octobre 1802 à Halifax, fils aîné de John Starr et de Desiah Gore, décédé le 16 août 1885 à New York.
Le père de John Leander Starr, qui habitait la campagne néo-écossaise, vint s’établir à Halifax comme forgeron à la fin des années 1790. Ses affaires prospérèrent et, à la fin des guerres napoléoniennes, il était devenu marchand et magistrat, siégeait à la chambre de commerce et commandait un régiment de la milice locale. Après avoir reçu un enseignement privé à Halifax, le jeune Starr entra en 1823 dans l’affaire familiale d’import-export comme associé en second, ayant droit à un tiers des profits. Il épousa la même année Maria Sophia Ratchford, fille d’un marchand en vue de Parrsboro. Elle mourut en 1829, après avoir donné naissance à trois enfants. L’année suivante, Starr épousa Frances Throckmorton, fille d’un notable de New York. Plusieurs de ses frères et sœurs ayant fait comme lui des mariages avantageux, Starr se retrouva, dès le début des années 1830, lié par d’étroites relations familiales à la gentry coloniale de Charlottetown et des Bermudes et à des amiraux de la marine royale. Ces relations aiguillonnèrent les ambitions du jeune Starr et l’aidèrent à atteindre la réussite sociale et la respectabilité qu’il recherchait.
Entre-temps, Starr voyait ses responsabilités dans les affaires augmenter. Son père mourut en 1827, peu de temps après s’être fait élire à l’Assemblée provinciale comme député du comté de Kings. Starr continua l’affaire familiale, prenant comme associé en second son frère William Joseph. La maison J. Leander Starr and Company se livrait à la spéculation sur le bois, à la construction navale et au commerce général, sur une assez grande échelle pour lui assurer une bonne place sur les quais de Halifax. À la fin des années 1820, Starr jouissait de plus en plus du prestige social qu’il convoitait. Il succéda à son père comme membre de la chambre de commerce, comme magistrat de la ville et comme lieutenant-colonel de la milice de Halifax. Il fut également élu à un poste de direction de la Halifax Pour Mans Friend Society, devint vice-président de la Charitable Irish Society et joua un rôle de premier plan dans le mouvement de tempérance qui s’amorçait à Halifax, tout cela avant d’avoir atteint 30 ans.
La jeune carrière de Starr reçut un dur coup en 1831, après qu’une vérification comptable des affaires de son père, mort intestat, lui apprit que les dettes dépassaient l’actif de £1282. L’entreprise familiale dut fermer ses portes, et les biens de commerce de John Starr furent vendus aux enchères pour payer ses dettes. Starr mit fin à l’association avec son frère et entreprit une seconde carrière dans les affaires en embrassant la profession, nouvelle, de courtier d’assurances et de commissionnaire spécialisé, qui venait de faire son apparition dans le milieu des affaires de Halifax. Il réussit bien, car il acquit des droits d’agence de la plupart des compagnies américaines d’assurance maritime, d’assurance-incendie et d’assurance-vie qui s’établirent dans les Maritimes au cours des années 1830. Grâce à la présence d’un cousin et d’un frère au conseil d’administration de la Halifax Marine Insurance Association, Starr devint également courtier de cette compagnie. Après ce nouveau départ, Starr se retrouva à la fin des années 1830 au premier rang de la bourgeoisie d’affaires de Halifax. En plus de siéger au conseil d’administration de la Banque de l’Amérique septentrionale britannique, il était président de la Halifax Gas Light and Water Company, agent du service de « paquebot » Halifax-New York, un des administrateurs de la Bay of Fundy Steam Navigation Company et membre du bureau de direction de la Nova Scotia Whaling Company. Il possédait aussi des actions dans la Halifax and Dartmouth Steamboat Company, la Halifax Hotel Company, la Halifax Library, l’Avon Bridge Company, la Western Stage Coach Company et l’Albion Fire Insurance Company de Halifax.
L’ambition ainsi que les obligations liées à son rang de bourgeois amenèrent Starr à jouer un rôle actif dans les affaires publiques tout au long des années 1830. En plus de présider divers organismes tels que l’institut des artisans et la Nova Scotia Philanthropic Society, il faisait partie du bureau de direction de la Church Society, organisme diocésain de l’Église d’Angleterre, de la Nova Scotia Tempérance Society et de la Halifax Horticultural Society ; il accéda en outre au rang de maître franc-maçon. Mais ce qu’il y a peut-être de plus significatif, c’est qu’on le retrouve de plus en plus souvent dans les comités mis sur pied pour organiser les différents pique-niques, régates et bals fréquentés par la bonne société de la garnison. Sa fortune, sa générosité, ses bonnes manières, son beau parler et ses goûts littéraires, qui l’amenèrent à écrire quelques « petits livres », lui permirent d’être admis dans le cercle fermé des meilleures familles de Halifax. Au milieu des années 1830, on le nomma aide de camp du lieutenant-gouverneur sir Colin Campbell* ; il conserva ce poste auprès du successeur de Campbell, lord Falkland [Cary]. C’est à peu près à la même époque que Starr fit un voyage à l’étranger. Il fut reçu à la cour de la reine Victoria, à Londres, dîna avec le roi de France, Louis-Philippe, et fit faire son portrait par un peintre français.
À mesure qu’il montait dans l’échelle sociale, Starr adopta le style de vie de l’élite de Halifax. S’éloignant de ses origines méthodistes, il adhéra à l’Église d’Angleterre. En 1840, il fit l’acquisition d’une résidence luxueuse, située dans le quartier sud de Halifax et évaluée à plus de £3 000, dans laquelle il commença à entasser des meubles d’acajou et de bois de rose, un piano, une bibliothèque de 430 volumes, des vases de Sèvres, de la porcelaine française, des tableaux à l’huile, de la vaisselle d’argent (dont un service de 26 couverts) et d’autres attributs de la vie bourgeoise. Fait à noter, bien que prônant la tempérance, Starr possédait une cave à vin contenant plus de 600 bouteilles de madère, de porto, de sherry, de champagne, de vin du Rhin, de bourgogne et autres crus. Tout ce luxe, même s’il mettait en péril la solvabilité de Starr, lui assurait dans la société le rang éminent dans lequel il se complaisait manifestement.
En politique, Starr se présentait comme un whig modéré, ce qui le distinguait des ultra-tories comme Enos Collins*, Henry Hezekiah Cogswell* et Samuel Cunard*, qui dominaient la gentry de Halifax. Aux élections provinciales de 1826, il appuya la candidature de Beamish Murdoch*, de tendance réformiste, et, quatre ans plus tard, il se présenta lui-même, mais sans succès, dans le comté de Halifax, centrant sa campagne sur une critique éloquente de l’oligarchie provinciale dominante. De nouveau candidat en 1836, Starr avoua ouvertement ses opinions réformistes, allant jusqu’à dénoncer le monopole de la Général Mining Association sur les ressources houillères de la province et réclamant la séparation des conseils exécutif et législatif ainsi que la libéralisation du gouvernement municipal de Halifax, non élu et dominé par les marchands de la ville. Sa crédibilité en tant que réformiste s’accrut du fait qu’il avait été l’un des magistrats de Halifax à avoir soutenu Joseph Howe* lorsque ce dernier avait été poursuivi en justice en 1835 après avoir tenté de forcer certains fonctionnaires locaux à rendre compte de la corruption et de l’incompétence dont il les accusait. Mais, dans le climat politique surchauffé des années 1830, le whiggisme bourgeois inspirait davantage le scepticisme que l’enthousiasme. Starr fut accusé de rechercher « l’agrandissement personnel », et William Gossip du Times, journal antiréformiste de Halifax, déclarait : « Je le soupçonnerais autant d’être un radical que je soupçonnerais le directeur du Novascotian [Howe] d’être un tory. » Poussé à retirer sa candidature en 1836, Starr demeura malgré tout une figure politique séduisante aux yeux de la bureaucratie britannique. En 1840, on le nomma au Conseil législatif, à la faveur d’une tentative visant à défaire la cause du gouvernement responsable par la libéralisation de l’oligarchie provinciale. Un an plus tard, après que la législature provinciale eut institué l’élection démocratique du gouvernement municipal de Halifax, Starr fut élu échevin, et il s’en fallut de peu pour qu’il devienne le premier maire de la ville.
La carrière de Starr avait atteint son apogée en 1841, mais à partir de ce moment-là elle s’effondra brusquement. Criblé de dettes, probablement dues en grande partie à son train de vie, Starr se trouva aux abois lorsqu’une forte récession commerciale frappa l’économie de Halifax, cet automne-là. En octobre, peu de temps après l’échec de l’affaire de son frère William Joseph, Starr fut obligé de céder tous ses biens à des créanciers locaux. L’absence de loi régissant les faillites en Nouvelle-Écosse fit qu’on se demanda si Starr était tenu de démissionner de ses fonctions officielles et particulièrement de son siège au Conseil législatif. Mais une lettre du ministre des Colonies, lord Stanley, vint ajouter aux pressions de ses collègues qui l’incitaient à surmonter ses hésitations et à abandonner son poste. En février 1842, il s’était démis de toutes ses fonctions honorifiques au sein de la communauté. La plus pénible humiliation qu’il eut à subir fut la vente aux enchères de la somptueuse demeure qu’il avait récemment acquise et de tout le beau mobilier qu’elle contenait.
Les événements de l’année 1841 ne devaient pourtant pas ruiner Starr, pas plus qu’ils ne mirent fin à sa carrière d’homme d’affaires. Des manœuvres juridiques compliquées lui permirent de transférer à des membres de sa famille la partie de la fortune de son père qu’il détenait à titre de fiduciaire. Mieux encore, il réussit à conserver en grande partie ses agences d’assurances. Le fait qu’il devint grand maître provincial des francs-maçons après 1841 est un signe qu’il avait réussi à préserver un semblant de respectabilité aux yeux de la société. Mais la carrière de Starr connut malgré tout une éclipse dans cette période d’incertitude économique que connaissait la province et qui faisait qu’il était difficile de se rattraper de ses pertes. En 1844, l’envie de changer d’air, alliée au fait qu’on lui avait enlevé le poste de courtier de la Halifax Marine Insurance Association, après qu’il eut accepté de devenir représentant d’une compagnie concurrente de Boston, poussa Starr à quitter la Nouvelle-Écosse. Il alla s’installer à New York, où il continua de travailler comme courtier d’assurances pendant 20 ans. Aux États-Unis, Starr conserva son intérêt pour le monde des lettres, et, en 1864, il traduisit un roman de Fernán Caballero intitulé La gaviota (The sea gull).
Starr mourut à New York en 1885. Sa carrière, comparable au passage d’un météore, démontre combien il était risqué pour un colonial de chercher à s’intégrer dans un milieu comme Halifax où dominait une élite d’officiers de garnison.
Halifax County Court of Probate (Halifax), nos S 140 (inventaire des biens de John Starr) (mfm aux PANS).— Halifax County Registry of Deeds (Halifax), Deeds, 69 : ff.55–57 ; 70 : ff.527–531(mfm aux PANS).— PANS, MG 9, no 225, sect. 1, « The Halifax gas story, 1840–1953 » ; MG 20, 66–67 ; 180 ; ms file, Starr family ; « Masonic grand masters of the jurisdiction of Nova Scotia, 1738–1965 », E. T. Bliss, compil. (copie dactylographiée, 1965) ; RG 1, 116, no 110 ; 254, no 67 ; RG 35A, 3, no 12.— St Paul’s Anglican Church (Halifax), Registers of baptisms, burials, and marriages, 25 nov. 1833 (mfm aux PANS).— Nova Scotia Philanthropic Soc., The constitution, fundamental rules and bye laws of the Nova Scotia Philanthropic Society, established at Halifax, Nova Scotia, April 7, 1834, revised October 2, 1837 (Halifax, 1843).— Acadian Recorder, 18 juill. 1821, 1er janv. 1823, 8 mars, 5 avril, 11 oct. 1828, 30 mai 1829, 18–30 sept., 13 oct. 1830, 7 avril 1832, 19 mars, 16–25 avril 1835, 12 août 1836, 28 mars 1840, 30 oct. 1841.— Halifax Journal, 1828–1841.— Novascotian, 10 févr., 19 mai, 30 juin 1831, 19 avril 1832, 17 janv., 10 oct. 1833, 23 janv., 23 oct. 1834, 14 juill., 11 août, 1er déc. 1836, 11 janv. 1838, 28 oct., 18 nov. 1841, 13 janv., 10 févr. 1842.— Times (Halifax), 19 juill. 1836, 8 août 1837, 24 nov. 1840, 12 oct., 9 nov. 1841, 13 févr. 1844.— Belcher’s farmer’s almanack, 1824–1845.— Catalogue of household furniture, plate, glassware, china, paintings, wines, books, carriages, &c. &c. at the late residence of Hon. J. Leander Starr [...] (Halifax, 1841).— A. W. H. Eaton, The history of Kings County, Nova Scotia [...] (Salem, Mass., 1910 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972).
David A. Sutherland, « STARR, JOHN LEANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/starr_john_leander_11F.html.
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Auteur de l'article: | David A. Sutherland |
Titre de l'article: | STARR, JOHN LEANDER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |