SMITH, ALFRED CORBETT, médecin, surintendant médical et léprologue, né le 7 juin 1841 à Bathurst, Nouveau-Brunswick, fils de James Smith et de Susanna M. Dunn ; le 2 mai 1866, il épousa Helen Young, sœur de Robert Young, et ils eurent deux filles et un fils ; décédé le 12 mars 1909 à Tracadie, Nouveau-Brunswick.

On sait peu de chose sur les jeunes années d’Alfred Corbett Smith. Dès 1858, cependant, il avait opté pour la médecine et commencé à étudier auprès du docteur James Nicholson, premier médecin résidant à la léproserie de Tracadie. En 1862, il entra au Massachusetts Medical College (Harvard Médical School), où il obtint un diplôme le 9 mars 1864.

En 1865, Smith succéda à Nicholson à Tracadie, mais quatre ans plus tard, après l’arrivée au lazaret d’un groupe de Religieuses hospitalières de Saint-Joseph [V. Amanda Viger], on le congédia par souci d’économie. Dès 1870, il avait son propre cabinet à Bathurst. Quelques années après, il se réinstalla à Newcastle, où il exerça les fonctions de coroner, de juge de paix et d’officier de santé tout en s’occupant de sa pratique. En 1877–1878, il poursuivit ses études à la University of the City of New York. La Victoria University de Cobourg, en Ontario, lui décerna un doctorat en 1884.

Smith n’avait pas caché que, depuis longtemps, il souhaitait faire de la lèpre son « grand sujet d’étude ». En fait, d’après lui, personne au Canada n’avait sur cette maladie une bibliothèque plus complète que la sienne, et il correspondait avec les plus grands dermatologues et léprologues, dont le docteur Jonathan Hutchinson en Angleterre. Parmi les médecins canadiens, Joseph-Charles Taché* était l’un des rares avec qui il pouvait partager sa passion. En 1880, Smith fut nommé « médecin inspecteur » et « médecin consultant » au lazaret de Tracadie ; il aurait toutefois voulu un poste plus permanent. En 1889, il pressa le gouvernement fédéral de lui confier une « surintendance générale » des léproseries au Canada. À point nommé, William Osler*, médecin réputé, lui apporta son appui. Faisant valoir l’urgence de nommer un surintendant à plein temps à Tracadie, Osler affirma que « personne n’[était] mieux fait pour ce poste » que Smith. En novembre 1889, Smith devint « inspecteur des léproseries pour le Dominion ». Sa promotion se révéla avoir plus de mauvais côtés que de bons. Son salaire modeste ne correspondait guère à son titre pompeux, et ses clients, effrayés par la vocation qu’il avait choisie, désertèrent sa pratique privée. « Jamais, se plaignit-il en 1891, je ne me suis senti aussi pauvre. » Néanmoins, sa situation se consolida en 1899 : le gouvernement décida d’administrer le lazaret de manière plus scientifique et éleva Smith au rang de « surintendant médical ».

À la léproserie, Smith avait des responsabilités aussi diverses que lourdes. Il visitait les malades tous les jours, dressait les ordonnances, devait souvent pratiquer des interventions chirurgicales et donner des soins dentaires, et faisait régulièrement de la recherche en laboratoire. Les diètes, l’hygiène et la discipline étaient de son ressort. Lui incombaient aussi la rédaction des rapports annuels à l’intention du gouvernement, la tenue des registres d’admission, la compilation de données généalogiques sur les familles des lépreux et la fumigation des wagons de chemin de fer dans lesquels on transportait les malades.

Smith devait s’absenter souvent du lazaret pour faire des « tournées d’inspection ». Armé d’un appareil photo et d’un carnet de notes, il sillonnait périodiquement le comté de Gloucester, visitant maisons, conserveries de homard, usines d’empaquetage du poisson. Au cours de ces tournées, il se livrait à ce qu’il appelait facétieusement la « chasse aux lépreux ». Faire entrer les « suspects » au lazaret exigeait de sa part un judicieux mélange de compassion et de coercition. « Quand je déclare un individu lépreux, notait-il, ses amis les plus proches l’évitent ; on lui refuse tout travail et il ne tarde pas à bénir le foyer réservé aux malheureux de son espèce. » À compter de la fin des années 1880, Smith se rendit jusqu’au Cap-Breton, à Victoria et à Winnipeg pour examiner des malades que l’on croyait atteints de la lèpre.

Grand liseur, Smith avait des opinions bien à lui sur l’étiologie et le traitement de la lèpre. Il ne doutait pas que ce mal était contagieux, mais se distinguait par la prudence de ses diagnostics et la modération de sa thérapeutique. Ce n’est qu’après une étude approfondie qu’il fit l’essai des médicaments employés couramment à l’époque, tels l’ichtyol et l’huile de chaulmoogra. Contrairement à certains de ses contemporains, il était optimiste quant aux chances de guérison. Non seulement admettait-il la possibilité d’une guérison spontanée, mais il soutenait aussi que l’huile de chaulmoogra était efficace si on la combinait avec un régime fortifiant et une bonne hygiène. Pourtant, il jugeait que la ségrégation obligatoire était essentielle au traitement et à l’endiguement de la maladie. Il préconisait aussi un resserrement des mesures législatives sur l’appréhension, la détention et la surveillance médicale des lépreux ; en 1906, l’Acte concernant la lèpre vint réaliser son souhait.

La léproserie de Tracadie se modernisa et s’humanisa sous la surintendance de Smith. Il veilla constamment à ce que l’établissement, au lieu d’être simplement un centre de détention ou un hospice religieux, soit à la fois un « hôpital » et un « foyer ». Si, à la charnière du xixe et du xxe siècle, on tenait la léproserie pour un établissement modèle, c’était en grande partie à cause de la qualité des soins et de la compétence du surintendant médical. Ne serait-ce que pour cette raison, Smith mérite d’être mieux reconnu qu’il ne l’est.

Mesurer l’apport de Smith à la recherche médicale est plus difficile. Il ne publia malheureusement rien sur ses observations au microscope, mais ses papiers personnels indiquent qu’il utilisait la photomicrographie, et l’on y trouve le compte rendu détaillé d’opérations complexes de coloration. Cependant, le gouvernement du Canada ne l’encouragea guère : faute de voir assez loin, il refusa de débloquer les fonds nécessaires pour que Smith assiste, à titre de délégué invité, au congrès sur la lèpre qui se tint en 1897 à Berlin. Quand Smith eut enfin un laboratoire complet, en 1901, il souffrait de glaucome, ce qui nuisait beaucoup à ses recherches.

Smith consacrait ses loisirs aux passe-temps sérieux que l’on affectionnait à l’époque victorienne : photographie, taxidermie, histoire naturelle, archéologie. Il soutenait assidûment la Natural History Society of New Brunswick. En 1906, William Francis Ganong* nota que tout ce que l’on savait alors des anciens campements et sépultures des Micmacs de Tracadie, on le devait à Smith, « qui les a[vait] étudiés avec tout le sérieux d’un érudit ».

Toutes les sources qui parlent de Smith signalent que c’était un homme singulier et délibérément excentrique. Il vivait en reclus, ne démordait pas de ses idées et avait un humour macabre. Pour les habitants de Tracadie, ce presbytérien devenu unitarien qui passait son temps « à lire et à réfléchir » était une énigme. Sans doute sa spécialité, qui n’était pas encore tout à fait admise par la médecine scientifique, convenait-elle bien à son tempérament solitaire. Elle l’ancrait d’ailleurs dans la réclusion : quand on s’occupait des lépreux, on était, comme eux, banni de la société.

Dans ses dernières années, comme le gouvernement s’entêtait à ne pas l’encourager et que ses malades s’obstinaient à ne pas guérir, Alfred Corbett Smith sentit faiblir son enthousiasme. De plus, à compter de 1907, sa santé commença à décliner. Sa mort, survenue le 12 mars 1909, fut dûment rapportée dans les journaux locaux et donna même lieu à une nécrologie dans le New York Times. Dans son rapport annuel de cette année-là, le docteur Frederick Montizambert*, directeur général de l’hygiène publique au Canada, nota que le gouvernement avait perdu « un fonctionnaire fidèle et zélé », et les lépreux, « un ami bienveillant et dévoué ». Par contre, ni le Canada Lancet ni la Canadian Practitioner and Medical Review ne lui rendirent pareil hommage. Ce silence était des plus révélateurs : du temps de Smith, il était plus facile, pour un spécialiste de la lèpre, de faire la manchette que d’obtenir la reconnaissance de ses collègues médecins.

Laurie C. C. Stanley

Les papiers d’Alfred Corbett Smith, y compris sa correspondance, ses calepins, ses albums et les copies de ses lettres sont conservés à la Soc. hist. Nicolas-Denys, Centre de documentation (Shippagan, N.-B.), cartons 105–1–8.

On peut trouver l’essentiel des renseignements concernant la léproserie de Tracadie, dont les rapports annuels de Smith, dans N.-B., House of Assembly, Journal, 1865 1881, et dans les rapports du département fédéral de l’Agriculture pour 1880–1909 publiés dans Canada, Parl., Doc. de la session, 1881–1910. Parmi les rapports médicaux rédigés par Smith et publiés, on peut signaler sa réponse à un long questionnaire sur les léproseries soumis par le gouverne ment hawaïen, Questions regarding leprosy : enquiry made by the Hawaiian government ; answers to the interrogatories submitted by his excellency the minister of foreign affairs of the kingdom of Hawaii [...] ([Ottawa, 1885]) ; il avait rempli ce document avec Joseph-Charles Taché. Une partie de sa correspondance sur l’archéologie figure dans l’article intitulé « On pré-historic remains, and on an inter ment of the early French period, at Tabusintac River, N.B. », N.-B., Natural Hist. Soc., Bull. (Saint-Jean), n° 5 (1886) : 14–19.

AN, RG 17, A I, 588, 613, 619, 623–624, 674, 678, 685, 744, 749, 1689 ; RG 29, 5, dossier 937015 1/2, 1–5 ; 299–300 ; 2355.— APNB, MC 216/53 ; RS13/1/12 : 9 ; RS153, A1/16, juill. 1880.— Arch. privées, Young family (Tracadie, N.-B.), A. C. Smith, medical certificates (mfm aux APNB, MC291, B4-B7) ; Young family bible.— Boston Medical Library-Harvard Medical Library, Harvard Univ. (Boston), Harvard Medical Arch., AA 17.5, vol.1 (Graduates with their theses, 1856–1864) ; Biog. file on Harvard Medical School graduates, comp. c. 1905 ; « Massachusetts Medical College (Harvard Medical School), matriculations, 1860–1870 (winter) ».— College of Physicians Library (Philadelphie), Hist. Coll., Ashmead papers, Smith à Ashmead, 18 août 1897.— EUC-C, Victoria Univ. Arch., 87.144V, n° 2, 1884.— L’Évangéline, 25 mars 1909.— New York Times, 21 mars 1909.— Union Advocate (Newcastle, N.-B.), 20 sept. 1897, 17 mars 1909.— American Médical Assoc., Journal (Chicago), 52 (janv.–juin 1909) : 1131.— Dictionnaire biographique du nord-est du Nouveau-Brunswick (5 cahiers parus, [Bertrand, N.-B. ; Shippagan], 1983–  ), 1 : 62s.— W. F. Ganong, « The history of Tracadie », Acadiensis (Saint-Jean), 6 (1906) : 185–200.— F.-M. Lajat, le Lazaret de Tracadie et la Communauté des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph (Montréal, 1938).— New York Univ., Medical Dept., Annual announcement of lectures and catalogue, 1877–1878.— L. C. C. Stanley-Blackwell, « Leprosy in New Brunswick, 1844–1910 : a reconsideration » (thèse de ph.d., Queen’s Univ., Kingston, Ontario, 1989).

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Laurie C. C. Stanley, « SMITH, ALFRED CORBETT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/smith_alfred_corbett_13F.html.

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Auteur de l'article:    Laurie C. C. Stanley
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    28 novembre 2024