SINCENNES (Saincennes), JACQUES-FÉLIX, armateur, homme d’affaires et homme politique, né à Deschambault, comté de Hampshire (Portneuf), Bas-Canada, le 7 janvier 1818, fils de Jacques Saincennes, cultivateur et pilote de navire, et de Marie-Josephte Marcotte, décédé à Montréal le 20 février 1876.
Les Saint-Seine étaient des Acadiens, originaires du village de Bourguignon situé près de la source de la Seine en France. Lors de l’expulsion des Acadiens, ils s’établirent sur la côte nord du Saint-Laurent et leur nom devint tout d’abord Saincennes, puis Sincennes qui est l’orthographe adoptée par Jacques-Félix. À l’âge de 13 ans, après avoir fréquenté l’école primaire pendant six ans, Jacques-Félix Sincennes apprit avec son père à piloter un navire et, pendant deux ans, il navigua sur le Saint-Laurent entre Québec et Montréal. Il retourna ensuite à l’école pour finir ses études et occupa par la suite un emploi de commis dans une maison de commerce. En 1839, il fut commissaire sur un vapeur qui faisait la navette entre Montréal et Laprairie.
Sincennes se rendit compte très tôt que la région avait grand besoin d’un service de vapeurs sur la rivière Richelieu, pour assurer le transport de marchandises de Chambly à William-Henry (Sorel), puis à Montréal, soit un trajet de 90 milles en tout. En 1845, il organisa plusieurs réunions des habitants de la région du Richelieu, dont une, notamment, à Saint-Charles-sur-Richelieu. À ces occasions, les fonds réunis par souscription s’élevèrent à £3 715. Cette somme servit à faire construire le navire à aubes Richelieu, le premier bateau des chantiers navals de Sorel, et la péniche Sincennes. La nouvelle entreprise fut appelée la Société de navigation de la rivière Richelieu. Sincennes devint le capitaine des deux bateaux et en cette qualité il transporta non seulement des produits de toutes sortes, mais accomplit aussi la tâche, considérée jusque-là comme impossible, d’acheminer du bois équarri de William-Henry à Chambly.
Presque immédiatement, une société concurrente fut formée ; la première des nombreuses fusions qui devaient avoir lieu se produisit en 1848 lorsque la Compagnie du Richelieu reçut un statut juridique. Les fondateurs et les actionnaires étaient tous canadiens-français et, jusqu’en 1875, on fit toutes les affaires de la société en français. En 1848, les opérations avaient pris une telle expansion que Sincennes abandonna son poste de capitaine et cessa de naviguer pour diriger l’entreprise. Secrétaire-trésorier de la compagnie pendant de nombreuses années, président pendant dix ans, il en fut l’un des administrateurs jusqu’à sa mort. Il souhaitait l’expansion continuelle de ses affaires et, dès que la concurrence se manifestait, il choisissait de fusionner avec ses rivaux. En 1856, la compagnie lança le Victoria et le Napoléon et assura le trajet Montréal-Québec où la concurrence était très grande et où rivalisaient déjà les Molson, les Torrance et les Tate [V. Torrance]. À la même époque, elle racheta la flotte de la Compagnie de navigation de Montréal et de Trois-Rivières. En 1857, le capital de la Compagnie du Richelieu fut porté officiellement à £75 000 et, cette année-là, la société paya à ses actionnaires un dividende de 32 p. cent. L’année suivante, les Torrance entrèrent dans la compagnie et David Torrance en devint l’un des administrateurs. Ainsi prit fin la concurrence.
En 1860, pour empêcher une autre rivalité, la nouvelle société et la Royal Mail Line, qui opérait entre Toronto et Montréal, signèrent un accord aux termes duquel les deux compagnies mettaient leurs bénéfices en commun. La société acquit la même année la Compagnie de navigation de la rive nord du Saint-Laurent puis, en 1861, la Compagnie de navigation du lac Saint-Pierre et la Compagnie de navigation de L’Assomption et de Terrebonne. À partir de cette époque, « la saison de navigation rapporta des bénéfices bruts supérieurs au capital global de la société », qui, en 1861, s’élevait à $161 733. En 1862, la Compagnie du Richelieu vit sa charte modifiée de façon à pouvoir étendre ses opérations sur tout le Saint-Laurent et sur les Grands Lacs. La dernière fusion à laquelle Sincennes prit part eut lieu en 1875, à la suite de luttes avec des sociétés rivales. La Compagnie du Richelieu s’unit alors à la Compagnie canadienne de navigation (l’ancienne Royal Mail Line), de sir Hugh Allan*, pour fonder la Compagnie de navigation du Richelieu et de l’Ontario qui devint, en 1913, la Canada Steamship Lines. En 1875, cette nouvelle compagnie avait 18 navires circulant sur les Grands Lacs et sur le Saint-Laurent et possédait un capital versé s’élevant à $750 000 ; Sincennes en resta administrateur.
À l’époque où il mettait sur pied la Compagnie du Richelieu, Sincennes s’occupait en même temps d’une autre importante entreprise de navigation. En 1849, il s’associa avec William McNaughton, qui avait des intérêts dans des exploitations forestières de la vallée de l’Outaouais et dans les transports. Ils formèrent la Sincennes-McNaughton Line (aujourd’hui la McAllister Towing Limited) qui avait des bureaux à Sorel et à Montréal et était spécialisée dans le remorquage et l’amarrage des navires. Elle assurait aussi le touage des trains de bois de flottage et des péniches transportant du bois de construction, sur l’Outaouais, le Richelieu et le Saint-Laurent, jusqu’à Québec. Les remorqueurs utilisés étaient équipés de roues à aubes. Sincennes était alors président de cette dernière entreprise et ses relations avec McNaughton devaient être des plus cordiales, puisqu’ils étaient encore associés dans d’autres affaires comme la Montreal and Ottawa Forwarding Company fondée en 1865.
Sincennes fit partie de nombreuses autres entreprises commerciales et financières : en 1873, avec McNaughton et d’autres associés il fonda la Compagnie d’assurance royale canadienne (Royal Canadian Insurance Company) de Montréal et, au bout d’un an, il en devint président. En 1875, la compagnie avait 300 agences au Canada et aux États-Unis. Sincennes était de plus vice-président de la Banque du Peuple et avait des intérêts dans l’industrie du coton et du caoutchouc.
En 1853, il fut nommé juge du district de Montréal et, en 1857, se lança pour quelque temps dans la politique. Demeurant à Sorel, il se présenta comme partisan du gouvernement conservateur dans le comté de Richelieu. Aux élections qui eurent lieu les 28 et 29 décembre, il défit par 1 204 voix contre 1 169 le député sortant, Jean-Baptiste Guévremont. Celui-ci contesta vainement les résultats de l’élection. Toutefois, Sincennes ne brigua pas les suffrages aux élections de juillet 1861.
Sincennes se maria deux fois : en premières noces il épousa Clotilde-Héloise Douaire Bondy, qui lui donna un fils et trois filles ; en secondes noces, en 1866, il épousa Delphine-Denise Perrault, veuve de l’avocat Victor-Henri Bourgeau. Il n’eut pas d’enfant de son second mariage. Sincennes était un homme de taille moyenne, toujours mis de façon impeccable. Il était connu à Montréal pour sa vie réglée. Quand on lui demandait quelle était sa devise, il répondait : Esse potius quam videri, être plutôt que de paraître. Bien qu’il ait vécu à Sorel une grande partie de sa vie et qu’il ait été également juge dans ce district, il passa ses dernières années à Montréal, où son service funèbre fut célébré à Saint-Jacques-le-Majeur par Mgr Édouard-Charles Fabre*.
AJM, Registre d’état civil.— AJQ, Registre d’état civil.— APC, FM 30, D62 (Papiers Audet), 28, pp.107s. ; FO 68, 240, p.49 ; FO 68, liber 21, p.171.— Journals of the Legislative Assembly of the Province of Canada, 1858.— Andrew Merrilees, A history of the Sincennes-McNaughton Line (manuscrit dactylographié, propriété de McAllister Towing Ltd, Montréal).— Statutes of Canada, 1873, c.99.— Statutes of the Province of Canada, 1857, c.170 ; 1862, c.69.— Montreal Gazette, 2 janv. 1858, 12 juill. 1861, 15 févr. 1862, 21 févr. 1876.— Le Nouveau Monde (Montréal), 21 févr. 1876.— L’Opinion publique (Montréal), 25 avril 1875, 2 mars 1876.— Pilot and Journal of Commerce (Montréal), 5 janv. 1858.— The Mercantile Agency reference book (and key) for the Dominion of Canada [...1, Jan., 1876 (Montréal, 1876), 319, 511.— Atherton, Montreal, II : 168, 531, 574, 577.— Azarie Couillard-Després, Histoire de Sorel de ses origines à nos jours (Montréal, 1926), 281, 297s., 308–312.— James Croil, Steam navigation in Canada and its relation to the commerce of Canada and the United States (Toronto, 1898), 314s.— M. J. Patton, Shipping and canals, Canada and its provinces (Shortt et Doughty), X : 539, 541s., 551.— L. C. Tombs, National problems of Canada ; the port of Montreal (« McGill University Economic Studies », 6, Toronto, 1926), 43.— Turcotte, Canada sous l’Union, II : 384.— Wood, All afloat, 148–150.— R. W. Shepherd, The Richelieu and Ontario fleet, The Detroit Marine Historian, VIII (mars – juin 1955).
Frederick H. Armstrong, « SINCENNES (Saincennes), JACQUES-FÉLIX », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sincennes_jacques_felix_10F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1972 |
Année de la révision: | 1972 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |