SHEARD, CHARLES, médecin, professeur, éditeur et homme politique, né le 15 février 1857 à Toronto, fils de Joseph Sheard et de Sarah Tuke ; le 10 juillet 1884, il épousa dans cette ville Virna Stanton, et ils eurent quatre fils ; décédé le 7 février 1929 au même endroit.
Fils d’un constructeur et architecte qui serait maire de Toronto, Charles Sheard grandit dans cette ville à une époque où elle était en plein essor, soit dans les années 1850 et 1860. Au sortir de l’Upper Canada College, il s’inscrivit à la Trinity Medical School, où il obtint une licence de médecine en 1878. Ensuite, il alla se perfectionner en Grande-Bretagne et en Europe. À son retour à Toronto, il était membre du Royal College of Surgeons of England. Réputé grand défenseur de la médecine et de la recherche scientifiques, il commença à donner des conférences sur l’histologie à la Trinity Medical School en 1880 et continua jusqu’en 1903. Cette année-là, l’école s’intégra à la faculté de médecine de la University of Toronto, où Sheard enseignait la physiologie depuis 1883 et la médecine clinique depuis 1891. Le Trinity College lui avait décerné en 1882 un doctorat en médecine avec maîtrise en chirurgie. Attaché au Toronto General Hospital de 1884 à 1905, Sheard y fit adopter plusieurs nouveautés, par exemple un scalpel pour la chirurgie utérine, le métrotome. En tant que professeur de médecine préventive à l’université de 1903 jusque vers 1910, il défendit le point de vue selon lequel la « science de l’hygiène publique » méritait d’être une spécialité de la médecine.
Par ailleurs, Sheard se constitua une bonne clientèle dans la pratique privée et participa à l’organisation de sa profession. Trésorier de la Canadian Medical Association en 1882–1883, il en fut vice-président en 1889 et président en 1892. Il occupa en 1890 la vice-présidence de l’Ontario Medical Association. En 1887, avec le docteur John Lorenzo Davison, il avait pris en main la publication du Canada Lancet, le principal périodique médical au pays ; il en fut copropriétaire jusqu’en 1893. Il contribua donc à la modernisation de la pratique médicale au Canada non seulement par son enseignement, mais aussi par sa participation à des sociétés professionnelles et par son activité d’éditeur.
De 1893 à 1910, Sheard fit preuve de ses compétences scientifiques et de ses talents d’administrateur en exerçant la fonction de médecin hygiéniste à la ville de Toronto. En 1890, il avait fait partie du comité qui, après la démission du premier titulaire permanent de ce poste, William Canniff*, en avait choisi le successeur. Le candidat retenu, un jeune diplômé de Trinity, le docteur Norman Allen, fut congédié en février 1893 parce qu’il n’était pas assez bon gestionnaire. Sheard fut nommé à temps plein le 17 mars, ce qui lui permit de réorganiser le service avant de reprendre ses cours.
Avec Sheard, les Torontois entrèrent dans la phase bactériologique du mouvement international d’hygiène publique. Cet homme que le Globe disait « scientifique jusqu’au bout des ongles » resserra les méthodes appliquées par la ville pour combattre les maladies transmissibles, mit en place des tests bactériologiques pour le lait et l’eau, et réussit à faire améliorer les réseaux d’égout et de distribution d’eau. Responsable aussi du service des travaux publics à compter de 1905, il prit des mesures pour y enrayer le favoritisme ; l’Evening Telegram le félicita de la promptitude avec laquelle il congédiait les employés incompétents.
Partisan de la médecine préventive, Sheard était pourtant conservateur sur les questions sociales. Voilà qui explique sa résistance à certaines revendications des réformateurs en faveur d’une plus grande intervention de l’État. Ainsi, en 1907, il s’opposa à l’instauration de visites médicales dans les écoles. Pour lui, ce n’était qu’une « lubie », une idée défendue principalement par des femmes et visant à privilégier quelques médecins en leur donnant du travail. Néanmoins, la même année, il pressa le Bureau de santé de la ville d’engager enfin une infirmière hygiéniste qui se spécialiserait dans les tests tuberculiniques et le traitement des tuberculeux. En mars 1910, exaspéré par « les multiples cliques de gens déçus et influences », il démissionna de son poste de médecin hygiéniste. Cependant, il se laissa convaincre de rester pour s’occuper d’une épidémie de typhoïde (en chlorant l’eau potable de Toronto) et pour mener à terme une enquête sur l’Isolation Hospital. Il quitta définitivement ses fonctions plus tard dans le courant de l’année.
Par son apport compétent à la lutte contre la maladie et à l’amélioration des services municipaux, Sheard avait créé l’infrastructure sur laquelle bâtirait son successeur, Charles John Colwell Orr Hastings*. En même temps, il avait pu continuer à enseigner et à exercer diverses fonctions : président de l’Association of Executive Health Officers of Ontario en 1896, examinateur à la section canadienne du Royal Sanitary Institute en 1906, vice-président de la Toronto League for the Prevention of Tuberculosis en 1909–1910 et président du Bureau de santé provincial de 1904 à 1911. Il soutint le perfectionnement professionnel par l’entremise de l’Association of Executive Health Officers of Ontario et encouragea la University of Toronto à créer en 1904 un diplôme d’hygiène publique, le plus important offert aux futures générations d’administrateurs de la santé au Canada.
Dans la mi-cinquantaine, lorsqu’il se retira de la vie publique, Sheard continua à faire de la pratique privée. Il n’avait sûrement pas de soucis financiers. Des propriétés immobilières, notamment un édifice commercial de grande valeur reçu en héritage de son père et situé à l’angle nord-ouest des rues Yonge et Adelaide, lui assuraient un supplément de revenu. Membre de l’Église d’Angleterre et de l’ordre d’Orange, il était passionné de chasse et de pêche et appartenait à l’Ontario Jockey Club. Il habitait rue Jarvis dans une prestigieuse résidence conçue par son frère Matthew et possédait un chalet avec de grandes roseraies à Hanlans Point. Sa femme, Virna Stanton Sheard, était une romancière et une poète renommée. Leurs quatre fils, qui exerceraient tous une profession libérale, étudièrent à l’Upper Canada College.
Tout au long de sa carrière, Sheard allia objectivité scientifique et rigoureux conservatisme politique. Pendant la Première Guerre mondiale, il retourna sur la scène publique. Candidat de la coalition dans Toronto South aux élections fédérales de 1917, il l’emporta aisément sur le candidat travailliste David Arthur Carey. En 1919, à la Chambre des communes, il participa au débat sur le projet de loi créant le ministère de la Santé, dont le parrain, Newton Wesley Rowell*, disait qu’il représentait « un nouveau départ » en raison de l’accent qu’il mettait « sur la préservation de la santé de la population et le bien-être social ». Sheard appuya les grandes lignes du projet de loi et, en proposant des amendements, contribua à préciser le rôle du nouveau ministère. Opposé à l’intervention du gouvernement fédéral sauf en cas de nécessité, il soutenait qu’elle ne devait pas empiéter sur les compétences provinciales ou municipales et qu’elle devait se faire sous la direction d’un médecin compétent, avec le soutien d’un bureau de recherche scientifique. À l’occasion d’autres débats, il exprima ses préoccupations quant aux emplois disponibles pour les soldats démobilisés, applaudit la création de la Commission du service civil (malgré des réserves sur les critères de nomination), appuya des demandes de crédits pour le dragage du port de Toronto et prôna un resserrement des lois sur les médicaments brevetés et les spécialités pharmaceutiques.
En 1921, Sheard fut réélu sous la bannière conservatrice, non sans avoir dû livrer une lutte beaucoup plus chaude que la première fois, son adversaire étant un candidat libéral-ouvrier bien connu, James Murdock*. En 1922, il prononça l’adresse en réponse au discours du trône des libéraux. Il ne brigua pas les suffrages en 1925 et mourut quatre ans plus tard.
La carrière de Charles Sheard illustre la transition au terme de laquelle les médecins cessèrent d’être des « gentlemen professionnels » et devinrent des chercheurs scientifiques. Par son enseignement surtout, il contribua à diffuser les connaissances européennes parmi les praticiens canadiens. De même, sa participation à la vie publique montre qu’une lente évolution fut nécessaire pour que la responsabilité de l’hygiène soit confiée à des spécialistes et non plus à des amateurs dévoués.
Les publications de Charles Sheard comprennent son allocution adressée à la Canadian Medical Association et parue dans le Montreal Medical Journal, 22 (1893) : 293–296. On consultera aussi : « President’s annual address », Assoc. of Executive Health Officers of Ontario, Report of the annual meeting (Toronto), 1897 : 31–39 ; « How to prevent outbreaks of infectious diseases among school children and the best methods to adopt tending to limit and suppress these diseases », Canadian Journal of Medicine and Surgery (Toronto), 15 (janv.–juin 1904) : 153–157 ; « City of Toronto disposal of sewage and water filtration », Empire Club of Canada, Addresses (Toronto), 5 (1907–1908) : 66–80 ; et « Disposal of household waste », Canadian Therapeutist and Sanitary Engineer (Toronto), 1 (1910) : 294–301 (il y a un portrait de Sheard face à la p. 287). Les rapports de Sheard au bureau de santé de Toronto figurent dans Toronto, City Council, Minutes of proc., 1893–1894, 1896–1899, 1904, 1907 ; des versions annotées de deux des rapports ont paru dans Ontario, Legislature, Sessional papers, reports of the Provincial Board of Health of Ontario, 1895 : 135–137, et 1896 : 156s.
AO, RG 22-305, nº 61309 ; RG 80-5-0-131, nº 14543.— City of Toronto Arch., SC 215 (Paul Bator coll.), Charles Sheard, lettre au maire de Toronto et au Board of Control, 22 sept. 1910.— University Health Network Arch. (Toronto), Toronto General Hospital fonds, Board of trustees, minutes of meetings, 3 (1880–1893)–4 (1894–1904).— Globe, 17, 20 nov., 7, 17 déc. 1917, 11, 22, 24 oct., 23, 28 nov., 1er, 3, 7 déc. 1921, 8, 11 févr. 1929.— Toronto Daily Mail, 1891, 1893.— Toronto Daily Star, 24 oct., 1er–2 déc. 1921, 8 févr. 1929.— P. A. Bator et A. J. Rhodes, Within reach of everyone : a history of the University of Toronto School of Hygiene and the Connaught Laboratories (2 vol., Ottawa, 1990–1995).— Canada, Chambre des communes, Débats, 1918–1924.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Heather MacDougall, Activists and advocates : Toronto’s health department, 1883–1983 (Toronto, 1990).— Wendy Mitchinson, The nature of their bodies : women and their doctors in Victorian Canada (Toronto, 1991).— Trinity Medical College, Annual announcement (Toronto), 1880/1881, 1890/1891.
Heather MacDougall, « SHEARD, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sheard_charles_15F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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Date de consultation: | 28 novembre 2024 |