SHAKESPEARE, NOAH, manœuvre, photographe, homme politique, militant et fonctionnaire, né le 26 janvier 1839 à Brierley Hill, Angleterre, fils de Noah Shakespeare et de Hannah Matthews ; le 26 décembre 1859, il épousa au même endroit Eliza Jane Pearson (décédée en 1923), et ils eurent sept enfants, parmi lesquels trois garçons et une fille vécurent au delà de la petite enfance ; décédé le 13 mai 1921 à Victoria.

Né et élevé dans le « pays noir » de l'Angleterre, c'est-à-dire dans le Staffordshire industriel, Noah Shakespeare – qui se disait un parent éloigné de William Shakespeare – entra dans une usine locale de production de chaînes dès l'âge de huit ans. Il retourna un moment à l'école, travailla dans une laminerie puis, à l'automne de 1862, décida d'émigrer. Son choix s'étant porté sur la Colombie-Britannique à cause des belles histoires entendues à propos de la ruée vers l'or dans la région de Cariboo, il arriva à Victoria le 10 janvier 1863. À Nanaimo, la Vancouver Coal Mining and Land Company l'embaucha comme manœuvre. En s'astreignant à des quarts de travail doubles, il put, en l'espace d'un an, payer la traversée de sa femme et de son fils. À l'été de 1864, la famille s'installa à Victoria, où Shakespeare s'initia à la photographie avec George Robinson Fardon, dont il dirigerait la galerie de photographie durant un an. Dès août 1866, il tenait une autre galerie, qu'il rachèterait au propriétaire absent, Charles Gentile. Sauf pendant une courte période en 1870 où il travailla pour le journaliste et homme politique Amor De Cosmos* au Victoria Daily Standard, il continua, semble-t-il, de faire de la photographie. Vers la fin de sa vie, il laisserait entendre qu'il s'était bien vite lancé dans l'immobilier et, à compter de 1880, il se définirait comme agent d'un manufacturier, mais des sources de l'époque indiquent que, de 1864 à la fin des années 1870, il fut principalement photographe. Dès 1877, son épouse, Eliza Jane, avait ouvert un « magasin d'objets de fantaisie ». Cette initiative, plutôt rare chez les femmes mariées, suggère que le revenu de Shakespeare ne suffisait pas aux besoins de la famille.

En janvier 1875, Shakespeare avait été élu sans opposition conseiller municipal du quartier James Bay. Le maire et bon nombre de conseillers, d’après leurs opposants, avaient remporté la victoire grâce au suffrage des Chinois. Étant donné ses activités subséquentes, il est ironique que Shakespeare ait contribué à faire battre, au conseil, une motion en vue de retirer aux résidents chinois le droit de voter aux élections municipales. Plus tard en 1875, il proposa de fermer les maisons de tolérance tenues dans la ville par des Chinois. Peut-être était-il animé par ses ferventes convictions méthodistes ou s’apprêtait-il à entreprendre sa croisade anti-chinoise. Il brigua les suffrages au conseil chaque année de 1876 à 1881, mais gagna seulement en 1878, en 1880 et en 1881. Candidat indépendant aux élections provinciales de 1875 dans une circonscription de la banlieue, le district de Victoria, il avait perdu au profit de candidats antigouvernementaux à cause de ses liens avec De Cosmos, qui avait été premier ministre de la province de 1872 à 1874, et avec le gouvernement du successeur de ce dernier, George Anthony Walkem*.

En Colombie-Britannique, l’hostilité de la classe ouvrière de race blanche envers les immigrants chinois – dont elle craignait la concurrence sur le plan économique et dont la moralité, en plus, soulevait des doutes – s’intensifia à la fin des années 1870. Shakespeare, soi-disant défenseur des ouvriers, se fit connaître comme l’un des chefs de file du mouvement. En août 1878, l’Assemblée législative adopta le Chinese Tax Act, qui prévoyait le recensement et l’imposition de tous les résidents chinois. Shakespeare obtint à Victoria le poste de percepteur d’impôts, pour lequel il serait payé à la commission. Dans les cas où des résidents refusaient de cotiser, il saisissait leurs biens. En signe de protestation, les ouvriers et boutiquiers chinois de la ville firent une grève générale le 17 septembre 1878. Après que Tai Sing eut accusé l’assistant de Shakespeare d’avoir illégalement saisi et vendu ses biens, le juge John Hamilton Gray*, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, conclut que l’Assemblée avait outrepassé ses pouvoirs en adoptant la loi en question. L’année suivante, le gouvernement fédéral refusa de reconnaître le Chinese Tax Act, ce qui anéantit toute possibilité de tirer des revenus de cette source dans l’avenir.

En octobre 1878, Shakespeare avait pris la tête de la Workingmen’s Protective Association. Ce syndicat ouvrier formé à Victoria un mois plus tôt visait principalement à éliminer la concurrence chinoise. Shakespeare l’implanta aussi dans la partie continentale de la province et l’utilisa comme tremplin pour sa carrière politique. Au début de 1879, lui-même et la Workingmen’s Protective Association envoyèrent au Parlement une pétition de près de 1 500 signatures réclamant l’imposition des résidents chinois et l’exclusion de nouveaux immigrants. En avril 1879, Shakespeare quitta la présidence du syndicat, alors en déclin, mais la même année, il participa à la fondation de l’Anti-Chinese Association, qui poursuivait des buts identiques. Au nom de cet organisme, il pressa les gouvernements fédéral et provincial d’adopter des lois d’exclusion et tenta de faire interdire l’embauche de main-d’œuvre chinoise sur les chantiers du futur chemin de fer transcontinental. Les fluctuations de l’appui populaire ne l’empêchèrent pas de persévérer.

De plus en plus connu, Shakespeare remporta en janvier 1882 l’élection à la mairie de Victoria. Il s’acquitta bien de son mandat, dont le moment fort fut la visite officielle du gouverneur général, lord Lorne [Campbell*], plus tard dans l’année. Jouant sur la sinophobie grandissante qu’inspirait l’afflux d’ouvriers chinois venus participer à la construction du chemin de fer canadien du Pacifique, Shakespeare, candidat conservateur, conquit l’un des deux sièges de Victoria aux élections fédérales de juin 1882. Il termina son mandat à la mairie et alla occuper son siège aux Communes au début de la session, en février 1883. Il connut son heure de gloire l’année suivante en déposant à la Chambre une motion en faveur d’une loi qui interdirait l’immigration des Chinois. Ces gens, fit-il valoir, livraient une concurrence déloyale aux travailleurs blancs et manquaient de moralité. Sa motion, amendée, devint en 1885 l’Acte de l’immigration chinoise, qui imposait à tout nouvel arrivant chinois l’infâme capitation de 50 $ et limitait le nombre d’immigrants par navire. Ce n’était pas carrément une loi d’exclusion, mais elle marqua le point culminant de la campagne antichinoise de Shakespeare. Plus tard dans l’année, il fonda à Victoria le Labor Bureau, syndicat de travailleurs blancs voué à la lutte contre la concurrence chinoise. Il conserva son siège aux élections fédérales de 1887, mais démissionna pour exercer, à compter du 1er janvier 1888, la fonction de maître de poste de Victoria – récompense pour sa loyauté envers le premier ministre conservateur du Canada, sir John Alexander Macdonald*. Jusqu’à sa retraite le 31 mars 1914, il supervisa la croissance rapide des services postaux qui accompagna l’essor de la ville.

En accédant au Parlement, Shakespeare avait grimpé dans l’échelle sociale. Sa nomination comme juge de paix en 1883 en témoigne, de même que les occasions d’affaires qui se présentèrent à lui (par exemple, il fut en 1886 l’un des organisateurs et le président de la British Columbia Fire Insurance Company). Il ne fit pas fortune, mais, à sa nomination en qualité de maître de poste, il put se faire bâtir une maison dans un quartier chic. Au même moment, Eliza Jane abandonna son magasin.

Depuis les années 1860, Shakespeare comptait parmi les dirigeants des mouvements de tempérance de Victoria et de la Colombie-Britannique. En 1877 et en 1878, il fut élu grand chef templier de l’Independent Order of Good Templars de la Colombie-Britannique et des États de la côte nord-ouest. Toute sa vie, il milita pour la tempérance et d’autres causes liées à ses convictions méthodistes et à l’amélioration du sort des travailleurs. Il fut président de l’Institut des artisans de Victoria en 1882, de la British Columbia Agricultural Association en 1885 et de la Young Men’s Christian Association de Victoria en 1886–1887. En outre, il appartint au comité de gestion du British Columbia Protestant Orphans’ Home de Victoria au moins en 1887 et en 1889.

En Angleterre, Shakespeare avait été un méthodiste engagé ; il continua de l’être à Victoria. Il appartint à l’église Pandora Street jusqu’en 1885, année où il devint administrateur de la nouvelle église Centennial. Il exerça, dans ces congrégations, les fonctions de laïque autorisé à célébrer l’office, de chef d’un groupe de fidèles, d’économe et de surintendant de l’école du dimanche, fut délégué à la conférence méthodiste de la province et fit partie du conseil d’administration du Columbian Methodist College. Fondateur de la section provinciale de l’International Sunday School Association, il en fut successivement président et président honoraire dans la période comprise, en gros, entre 1900 et 1917. Dans les mêmes années, il joua un rôle important à la British and Foreign Bible Society, section de Victoria.

« Self-made-man » d’un genre peu courant, Noah Shakespeare avait accédé à l’élite non pas par la voie habituelle – le succès dans les affaires ou l’industrie – mais par la politique, à titre de « premier agitateur professionnel antichinois » de la Colombie-Britannique, pour reprendre les termes de l’historienne Patricia Elizabeth Roy. Apparemment, une fois qu’il eut atteint la prospérité et la respectabilité en tant que maître de poste, il consacra ses énergies à des questions sociales plus compatibles avec sa foi méthodiste. Si, durant des années, il avait fait preuve d’un tel acharnement contre les Chinois, c’était peut-être par un souci mal inspiré d’améliorer la condition de la classe ouvrière blanche ou par calcul, en vue de rehausser sa propre position socioéconomique. Quoi qu’il en soit, il avait joué un rôle important dans la définition des rapports interraciaux et des rapports de classes en Colombie-Britannique.

Jamie Morton

BCA, GR-1052, file 10973 ; GR-1304, file 182/1921 ; MS-0254 ; VF130, frames 0641–0665.— City of Victoria Arch., CRS1 (council minutes), 25 août 1862–16 avril 1884.— Daily Colonist (Victoria), 1863–1921.— Victoria Daily Times, 1887–1921, particulièrement le 10 mars 1917.— H. T. Allen, Forty years’ journey : the temperance movement in British Columbia to 1900 (Victoria, 1981).— Annuaires, C.-B., 1882–1885, 1887, 1889 ; Victoria, 1868–1869, 1874.— British Columbia Gazette (Victoria), 1878–1879.— The British Columbia orphans’ friend : historical number, sous la dir. d’Alexander MacDonald (Victoria, 1914).— Canada, Chambre des communes, Débats, 1879, 1884–1885.— C. B., Legislative Assembly, Sessional papers, 1880 : 406.— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 2.— 1881 Canadian census : Vancouver Island, Peter Baskerville et al., compil. (Victoria, 1990).— 1891 Canadian census, Victoria, British Columbia, Eric Sager et al., compil. (Victoria, 1991).— Valerie Green, No ordinary people : Victoria’s mayors since 1862 (Victoria, 1992).— J. B. Kerr, Biographical dictionary of well-known British Columbians, with a historical sketch (Vancouver, 1890).— « Leading laymen ; 4 : Mr. N. Shakespeare, Victoria », Western Methodist Recorder (Victoria), 1 (1899–1900), no 4 : 10.— David Mattison, « The Victoria Theatre Photographic Gallery (and the gallery next door) », British Columbia Hist. News (Victoria), 14 (1980–1981), no 2 : 1–14.— P. E. Roy, A white man’s province : British Columbia politicians and Chinese and Japanese immigrants, 1858–1914 (Vancouver, 1989).— W. P. Ward, White Canada forever : popular attitudes and public policy toward Orientals in British Columbia (2e éd., Montréal et Kingston, Ontario, 1990).— Western Methodist Recorder, 20 (1920–1921), no 11 : 5.— Workingmen’s Protective Assoc., Constitution, by-laws and rules of order [...] ([Victoria ?], 1878).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Jamie Morton, « SHAKESPEARE, NOAH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/shakespeare_noah_15F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:

Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/shakespeare_noah_15F.html
Auteur de l'article:    Jamie Morton
Titre de l'article:    SHAKESPEARE, NOAH
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    28 novembre 2024